LES PIRATES ! BONS A RIEN, MAUVAIS EN TOUT : Dans les coulisses de la dernière production des studios d’animation Aardman – Troisième partie
Article Animation du Jeudi 04 Octobre 2012
Nous nous étions rendus dans l’antre secrète des magiciens de Bristol, pendant le tournage de cette délicieuse parodie à l’humour typiquement britannique.
Par Pascal Pinteau
Visite guidée
L’énorme bâtiment d’Aardman est un dédale de 2800 mètres carrés qui abrite les ateliers de construction des marionnettes et des accessoires, une cantine, des bureaux administratifs et de nombreux plateaux de tournage où sont filmés simultanément moult scènes. Tout en nous conduisant vers les ateliers de fabrication des marionnettes, Jonathan Peake nous rappelle que chez Aardman, le processus de réalisation d’un long métrage dure 5 ans : 2 ans pour l’écriture du script, 1 an et 6 mois de storyboard, de design et de construction des décors et des personnages, 1 an et demi de plus pour le tournage et 3 mois de postproduction. La préparation du storyboard débute par la réalisation d’une première version basique, composée d’environ 3000 images dessinées par un groupe de 5 à 10 artistes. Le film est ensuite découpé en séquences (29 dans le cas de PIRATES ! ) qui sont ensuite retravaillées en détail. Le script continue à évoluer et à changer pendant ce processus créatif, ce qui amène à redessiner certaines parties du storyboard et à en modifier d’autres. A l’issue de ce travail, l’équipe aura produit plus de 55000 dessins. On passe alors à un pré-montage des images filmées du storyboard afin d’obtenir une ébauche de film. Elle permet de visualiser la narration de l’histoire et de repérer où se trouvent les points faibles. C’est à ce moment que sont enregistrées les voix provisoires, grâce aux contributions vocales des membres de l’équipe. Ces enregistrements sont ajoutés au montage des images du storyboard et permettent de modifier et d’affiner le timing de la narration. Pour la petite histoire, c’est Peter Lord qui a donné sa voix au capitaine des pirates à cette étape du film. Une fois que le montage des voix est définitif, on passe aux sessions d’enregistrement avec le véritable casting d’acteurs (en version originale, c’est Hugh Grant qui incarne le capitaine, en lui donnant son ironie nonchalante). Peter Lord choisit ensuite l’interprétation de chaque réplique qui correspond le mieux à la scène, et l’enregistrement sélectionné est alors décomposé phonétiquement sur une charte de cases qui correspondent à chaque image de la séquence. Au rythme de 24 images par seconde, une scène de trois seconde sera donc découpée en 72 cases indiquant le son correspondant à chaque image. Ce document permettra plus tard à l’animateur de savoir exactement sur quelle image il faudra qu’il passe d’une forme de bouche correspondant à un « m » à celle d’un « o » pour coller parfaitement au son de la voix de l’acteur prononçant la syllabe « mo ».
L’antre des marionnettes
Nous arrivons dans l’atelier de fabrication des marionnettes, et nous nous retrouvons face à face avec les personnages principaux du film, dont la finition est superbe, même vue de très près. Tous les détails sont remarquablement fins, des boucles de la barbe du capitaine jusqu’aux boutons de sa veste. Comme nous le devinions en observant les héros du film, Andrew Blockson, le responsable de l’atelier, nous confirme que l’on n’a plus ici affaire à des personnages de pâte à modeler dont on fait évoluer la sculpture image par image, mais à des marionnettes réalisées en silicone, résine et mousse de latex. Le seul héritage Aardman qui subsiste en dehors du design et des formes de bouches très caractéristiques, c’est un petit rectangle de pâte à modeler coloré qui constitue le front de chque poupée. Il s’agit ici d’une nouvelle étape dans le processus déjà entamé sur les personnages de CHICKEN RUN, où les parties les plus épaisses des corps des poulets avaient déjà été réalisées en silicone creux pour alléger les marionnettes. L’un des responsables de l’atelier nous détaille le processus de fabrication des héros du film. Il commence par la création d’une première sculpture, basée sur les designs approuvés par les réalisateurs. Après des retouches, ce modelage étant approuvé à son tour, on réalise une seconde sculpture définitive, dont les différentes parties du corps sont séparées afin de réaliser de nombreux moules. Ils permettront de produire les tirages de bras, mains, jambes, têtes et visages qui serviront à assembler la marionnette finale. Des moules en résine permettent de faire les tirages des mains en silicone. Une armature constituée de fils de cuivre ou d’aluminium est placée dans le moule creux juste avant la coulée du silicone liquide. Après la catalyse du silicone, on obtient ainsi une petite main aux doigts articulés. Les autres parties plus volumineuses du corps de la marionnette sont tirées en mousse de latex, matériau bien plus léger que le silicone, afin de ne pas alourdir inutilement le personnage, car pendant le cycle d’animation de la marche, il faudra que le poids de tout son corps repose sur un seul pied, vissé dans le sol, puis sur l’autre. Si la marionnette était trop lourde, la rotule de sa cheville ne supporterait pas cet effort, et ce serait la chute assurée au beau milieu de l’animation. Le capitaine Pirate ainsi construit est réalisé à partir de 17 moules différents. De nombreux exemplaires de chaque marionnette sont fabriqués, afin de permettre à plusieurs animateurs de les filmer en parallèle dans différents décors. Plus un personnage est important, plus il est « cloné » : le capitaine, star du film, est incarné par une troupe de 14 jumeaux, et dispose de 6 tenues différentes ! La fabrication des marionnettes débute au moins un an avant le tournage, afin de résoudre les problèmes techniques liés à l’aspect spécifique de chaque personnage. Il faut par exemple réussir à colorer de la même manière des matériaux très différents pour que les mains en silicone et le visage en résine d’un personnage aient exactement la même teinte chair. Cela permet de mieux comprendre pourquoi les recherches autour de la sculpture, du moulage, des tirages et de la peinture du capitaine ont duré 6 mois. Ce n’est qu’au bout de ce long processus que l’on a pu obtenir la première marionnette « prête à animer ». A titre d’exemple, le développement de la barbe du pirate a demandé un an de travail à lui seul, car il fallait trouver le moyen de déplacer cet ornement pileux pour retirer la bouche moulée en résine et la remplacer par une autre, puis de remettre la barbe en place exactement dans la même position, au dixième de millimètre près ! En effet, si les différentes parties du corps du capitaine sont animées en déplaçant son squelette de métal muni de rotules à chaque articulation, les mouvements de sa bouche sont obtenus par la technique de « l’animation par remplacement », qui consiste à sculpter et à mouler un grand nombre de formes différentes correspondant non seulement à la prononciation des sons principaux, mais aussi aux différentes expressions que peut adopter notre héros tout en parlant. Pour le son « i », il y a donc une bouche neutre, une bouche souriante, une bouche triste, une bouche déformée par la colère, etc. A l’issue de ce travail colossal, ce sont 893 bouches différentes qui ont été fabriquées pour le capitaine ! Elles sont astucieusement mises en place en tirant sur sa barbe de silicone élastique et en les logeant dans un emplacement creux muni d’un aimant. Il suffit de relâcher la barbe pour qu’elle se remette en place par dessus la nouvelle bouche en résine, comme le responsable de l’atelier nous en fait la démonstration. Le remplacement s’effectue en quelques secondes. Même si les nostalgiques – et certains animateurs aussi - peuvent regretter l’époque de la pâte à modeler sculptée spécifiquement pour chaque image, il est indéniable que cette technique représente un gain de temps colossal pendant la production d’un long métrage. Chaque modèle de bouche a été modélisé en 3D puis produit en résine par stéréolithographie. Rappelons que ce procédé consiste à utiliser deux rayons laser croisés qui chauffent et catalysent ainsi point par point et couche par couche de la résine liquide disposée dans une cuve. L’image 3D est ainsi transformée en véritable volume. En animation, ce processus comporte bien des avantages, car il permet de contrôler avec précision chaque phase de distorsion de la bouche au stade de la modélisation 3D, puis de réaliser des tirages de bouches et de dents d’une extrême finesse. Il aurait été impossible d’obtenir un rendu aussi précis par le biais d’une sculpture manuelle. Ces bouches fabriquées avec l’aide de la 3D fonctionnent à merveille, même vues en très gros plan. Il existe déjà 5000 modèles dans la « bibliothèque de bouches » d’Aardman, et 3000 autres sont en cours de fabrication. Celles de la Reine Victoria sont particulièrement longues à fabriquer, car il faut préparer un cache spécial avant d’appliquer la peinture de son rouge à lèvres ! N’oublions pas non plus les 140 paires de minuscules paupières créées pour les vedettes du film. L’équipe des fabricants de marionnettes, qui ne manque pas de travail, est constituée de 70 personnes, et au jour de notre visite, avait déjà fabriqué 250 exemplaires de poupées articulées parmi lesquelles on comptait 9 pirates principaux et leurs clones, 23 pirates figurants, 18 scientifiques figurants, et 55 personnages spéciaux n’intervenant que dans une seule scène. 112 personnages différents composent cette troupe, mais d’autres seront fabriqués jusqu’à la fin du tournage. L’équipe de l’atelier s’occupe aussi de la maintenance et de la réparation des marionnettes. La durée de vie d’une main peut être limitée à une semaine en cas d’usage intensif – par exemple dans une scène où le personnage manipule beaucoup d’objets - car les fils de cuivre ou d’aluminium finissent par casser. Un stock d’exemplaires en parfait état des marionnettes principales est conservé dans l’atelier, afin de pouvoir secourir les animateurs victimes de pannes de poupées, qui ont besoin de remplaçants au plus vite ! Ajoutons que quelques personnages qui apparaissent brièvement dans le film ont été fabriqué « à l’ancienne », c’est à dire sculptés en pâte à modeler appliquée sur une armature métallique. Parmi eux, une vedette invitée qui fait une apparition-éclair dans une scène : le monstre de Frankenstein !
La suite de notre dossier prochainement sur ESI !