Entretien avec Nick Dudman : De Yoda à Harry Potter en passant par le Joker, la saga d’un grand maquilleur anglais
Article 100% SFX du Jeudi 25 Octobre 2012

Propos recueillis et traduits par Gilles Paillet
Photos de l’Imats : Jean-Philippe Lomas


Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de devenir maquilleur FX ?

A l’origine, c’est venu en regardant des films quand j’étais gamin, en me demandant naïvement comment on pouvait faire ça, et où l’on pouvait bien trouver des personnes d’un genre aussi étrange ! J’étais curieux de savoir comment on pouvait donner un aspect aussi bizarre à quelqu’un.

Avez-vous un film en tête ?

Oui, je pense au FRANKENSTEIN original de 1931 avec Boris Karloff. Et je me souviens aussi des magazines tels que FAMOUS MONSTERS OF FILMLAND, qui étaient très difficiles à trouver en Angleterre dans les années 60. En fait, tout ce qui avait un côté monstrueusement bizarre me fascinait et me faisait dire : « Ah tiens, voilà quelque chose d’intéressant ! »

Comment avez-vous commencé ? Comme beaucoup, en bricolant tout seul dans votre cuisine ?

Oui, je faisais des essais de maquillages à la maison, avec des matériaux de base, et puis quand je suis allé étudier aux Beaux-Arts. Là-bas, j’ai réalisé des maquillages pour les films tournés au sein de l’école. J’ai expérimenté par moi-même, et j’ai dévoré aussi beaucoup de magazines pour acquérir des connaissances.

Quel a été le premier vrai emploi que vous avez obtenu en tant que maquilleur ?

Ma première expérience dans ce métier a été aussi le tout premier job de ma vie : j’ai travaillé pour Stuart Freeborn sur L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE.

Et vous étiez en charge de Yoda ?

Oui, j’aidais à le construire. Quitte à commencer, autant le faire tout de suite au sommet de l’échelle ! (rires). Stuart Freeborn a modelé Yoda en se basant sur le design de Ralph McQuarrie et ce, sous la supervision de George Lucas. Après de nombreux changements pour mieux définir le personnage, la sculpture a été validée. Plusieurs personnes participaient à la fabrication de Yoda, en plus de moi-même : Wendy Midener, Bob Keen, David Barkley et Graham Freeborn. Nous avons réalisé plusieurs versions du personnage. Par exemple, pour les plans éloignés où il marche, c’est en fait une doublure de petite taille, Deep Roy, qui joue le rôle. Quand Yoda est transporté sur le dos de Mark Hamill, c’est une version radio-commandée qui est utilisée. Pour les gros plans, c’est une marionnette moulée sur la main de Frank Oz, capable d’expressions faciales et de mouvements oculaires sophistiqués. Pour tous les autres plans, c’est une marionnette dotée de mouvements basiques du corps, des bras et de la tête, que nous avons fabriquée en plusieurs exemplaires. Les mécanismes internes devaient être constamment adaptés ou réparés : le tournage sur le sol boueux du décor de Dagobah s’est révélé assez éprouvant pour tout le monde, y compris pour les créatures mécaniques !

Comment s’est déroulée votre collaboration avec Stuart Freeborn ?

J’ai travaillé pour lui sur L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE pendant environ 2 mois, puis il m’a demandé si je voulais travailler sur SUPERMAN 2, L’AVENTURE CONTINUE. Je n’étais qu’un stagiaire sur ce film, prêtant main forte pour réaliser les maquillages des gens. Pas vraiment de choses extravagantes, ni de monstres. J’ai accepté sa proposition, et je suis resté à travailler 9 mois sur SUPERMAN 2. Je maquillais les acteurs. Stuart me montrait des techniques ou des trucs du métier et on les appliquait en maquillant les figurants. C’était une manière très sympathique d’apprendre.

Vous ne faisiez que du maquillage dit classique ?

Oui, et c’était très intéressant, car je n’y connaissais rien. Je ne m’étais jamais penché sur cet aspect du métier auparavant.

Et quelques fois, vous fabriquiez aussi d’autres choses, comme des masques destinés aux cascadeurs…

Oui, nous avons fabriqué quelques masques, et donné aussi un coup de main sur quelques maquettes, au sein du département des modèles réduits. En fait, j’étais disponible pour intervenir sur tout ce qui se présentait ! J’ai préparé aussi beaucoup de thé, comme tout stagiaire ! (rires).

Vous êtes l’auteur du maquillage du Joker incarné par Jack Nicholson dans le BATMAN de Tim Burton. Pouvez-vous nous parler de votre expérience sur ce film ?

C’était génial (rires). Absolument parfait ! Un des meilleurs moments que j’aie jamais vécu sur un film.

Comment êtes-vous parvenu à créer l’aspect du Joker ?

Il m’a été clairement dit dès le début que c’était Jack qui aurait le dernier mot à propos de son maquillage, et personne d’autre. J’ai compris qu’il fallait tout faire pour qu’il aime ce maquillage, parce que sinon il ne se ferait pas. Je crois que j’ai préparé entre 5 et 7 sculptures différentes de ce que pourrait être le visage du joker, puis je les ai peintes afin de pouvoir les lui présenter. Jack est venu, et il en a choisi une parmi celles qu’il y avait. Par chance c’était celle que je préférais, et c’était aussi celle que Tim Burton avait choisi. Ensuite nous sommes passés à la fabrication. Nous avons fait de nombreux tests, sur moi et sur mon assistant, parce que le maquillage devait être blanc, dans des décors sombres, à côté d’un type habillé tout en noir. Ce qui voulait dire que l’éclairage était très compliqué à équilibrer pour le directeur de la photographie. Si vous éclairiez juste assez pour ne pas « griller » le visage du Joker, vous ne pouviez plus voir le costume sombre de Batman, et si vous utilisiez plus de puissance pour faire ressortir la tenue du héros, vous ne distinguiez plus les traits du maquillage blanc, qui était surexposé… En fin de compte, le maquillage blanc a fini par ne plus être blanc du tout. Il y avait une sorte de base de blanc métallisé, auquel s’ajoutait toutes sorte d’autres couleurs, métallisées elles aussi. J’ai utilisé des gris et des couleurs sombres, des gris verdâtres pour atténuer le tout. Sur le plateau on aurait dit que le maquillage était exagéré, pas très propre, mal fait, mais à travers la vision de la caméra, il ressortait plutôt bien. Une fois que tout le monde était content du résultat, j’ai pu me pencher sur d’autres problèmes techniques posés par certaines scènes. Il fallait notamment que je trouve comment le Joker maquillé avec une couleur chair pouvait s’essuyer le visage, pour révéler sa peau toute blanche en dessous, intacte…Pour la base blanche du visage du Joker, nous avons utilisé du Pax Paint, un mélange de colle pour prothèses et de peinture acrylique, sur lequel les couleurs métalliques que nous avions choisies tenaient parfaitement. Nous obtenions ainsi une couverture de la peau suffisamment résistante pour ne pas craqueler au moindre mouvement, et qui ne s’effaçait pas en cas de frottement intempestif. Nous l’avons ensuite recouverte d’un fard couleur chair, qui pouvait s’enlever facilement à l’eau, et c’est ainsi que nous avons réussi cet effet. Bref j’ai passé du bon temps sur ce film. J’aime ce genre de défis. C’était un plaisir de travailler avec Jack. Il était absolument génial. Il m’a laissé faire plus ou moins ce que je voulais faire, et nous nous sommes bien amusés tous les deux !

Vous avez supervisé tous les maquillages des films de la série HARRY POTTER. Quel est votre plus beau souvenir de ces 10 années mémorables ?

Mon Dieu, quelle question difficile ! Le meilleur souvenir de ces 10 années… Je crois que c’est de me tenir dans les bois, la nuit, et de regarder un dragon cracheur de feu. Un vrai dragon qui crachait réellement du feu. C’était magique.

Comment avez-vous été approché pour travailler sur la saga HARRY POTTER ?

Je travaillais à l’époque sur un autre film, LE RETOUR DE LA MOMIE, aux studios Shepperton. J’ai eu une conversation téléphonique avec un des producteurs de Warner Brothers qui m’a juste dit : « Nous produisons ce film intitulé HARRY POTTER, dans lequel il y a des gobelins.». Au départ, ils voulaient seulement me parler de ces créatures, et me demander comment on pouvait les réaliser, parce qu’ILM avait réalisé un test d’animation 3D très réussi, mais qui coûtait fort cher. Ils voulaient savoir s’il était possible de réaliser ces fameux gobelins avec des effets spéciaux de maquillages.

Etiez-vous en compétitions avec d’autres maquilleurs ?

Je crois que j’étais le seul maquilleur consulté, mais je ne peux pas vous l’assurer, car les productions ne vous disent jamais si d’autres sont sur le coup !

Revenons à HARRY POTTER : Pouvez-vous nous dire quelle a été la créature la plus compliquée à réaliser ou le maquillage le plus complexe à créer ?

La créature la plus compliquée a certainement été Fawkes le phénix. Tant pour la fabrication que pour tous les mouvements qu’il fallait qu’il soit capable de faire. Il devait vraiment jouer son rôle devant la caméra. Mais on a fabriqué également un bébé Voldemort pour le 4ème film, qui était une marionnette animatronique aux mouvement pilotés par ordinateur. C’était aussi complexe à faire que d’essayer de fabriquer une centrale nucléaire ! C’était extrêmement compliqué, mais le résultat était superbe. La plupart des créatures animatroniques étaient difficiles à construire et à animer, mais en ce qui concerne le maquillage, les scènes des gobelins ont certainement été les plus ardues à réaliser, tant par le nombre de personnages, que par le nombre de maquilleurs nécessaires pour appliquer les prothèses chaque jour.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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