Entretien exclusif avec Wally Pfister, directeur de la photographie de THE DARK KNIGHT RISES - Quatrième partie
Article Cinéma du Samedi 03 Novembre 2012

[Retrouvez la précédente partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelles sont les séquences que vous avez tournées en Imax, et comment y avez-vous utilisé les avantages de ce format large en haute résolution ?

D’abord, je voudrais dire ce que Chris et moi aimons dans le procédé Imax. Il permet de projeter des images en très haute résolution sur un écran qui peut mesurer jusqu’à 30 mètres de haut. La luminosité et la précision de l’image géante que l’on obtient permet de présenter aux spectateurs la meilleure expérience « immersive » qui existe actuellement. Bien plus que les projections stéréoscopiques que l’on appelle 3-D. La qualité et la taille de l’image Imax, combinées à la meilleure restitution du son qui existe, permet de remplir le champ de vision du spectateur, et d’aller même au-delà de sa vision périphérique. Cela a un impact phénoménal, car le spectateur peut alors « scanner » l’écran pour observer les différentes parties de l’environnement que nous lui montrons. Il se retrouve dans le film, et doit regarder à différents endroits pour suivre ce qui se passe. Cela fonctionne remarquablement bien dans les scènes d’action. En préparant THE DARK KNIGHT RISES, nous nous étions mis à rêver à la possibilité de tourner non pas deux ou trois scènes en Imax, comme dans THE DARK KNIGHT, mais l’intégralité du film ! Au fond de nous-mêmes, nous nous doutions que nous n’y arriverions peut-être pas, mais c’était quand même le but que nous nous étions fixé. Cela étant dit, le principal problème qui se pose quand on tourne avec des caméras Imax, c’est que leurs mécanismes sont bruyants. Même en prenant toutes les précautions nécessaires, on ne parvient pas à obtenir un son direct parfait : on entend toujours le ronronnement des mécanismes. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons dû renoncer à tourner tout le film ainsi, sans oublier non plus le coût du procédé, qui est trois fois plus élevé qu’un tournage 35mm classique ! (rires) Nous sommes donc revenus à l’approche de THE DARK KNIGHT, mais en ajoutant encore plus de scènes en Imax. Dans THE DARK KNIGHT RISES, toutes les séquences d’action ont été tournées en Imax, ainsi que chaque vue aérienne et quelques plans très larges, où il y avait beaucoup de choses à voir. Je crois qu’il y a à peu près une heure de scènes en Imax dans le film.

Est-ce que les caméras Imax les plus récentes sont plus faciles à utiliser, ou sont-elles toujours très encombrantes ?

Oui, elles sont devenues plus faciles à utiliser, et cela est dû en partie au travail que nous avons effectué, mon équipe et moi. Elles sont encore encombrantes, ce qui est à peu près inévitable en raison du format large des bobines de pellicule 70mm. En revanche, nous avons collaboré avec Panavision pour améliorer les caméras qui étaient disponibles. Nous avons travaillé sur de nouveaux objectifs, de nouveaux viseurs, et nous avons réussi à fabriquer plusieurs caméras qui sont mieux adaptées à un tournage de long métrage. Il ne faut pas oublier que dans le passé, les films destinés à être montrés seulement dans le réseau des salles Imax étaient des documentaires de moyen métrage, qui duraient environ 40 minutes, et qui étaient produits à un rythme particulier, différent de celui d’un film de fiction avec des acteurs et des scènes d’action.

Vous êtes un ardent défenseur du tournage sur pellicule 35mm. Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs ce que vous avez pu réaliser avec les pellicules 35mm et 70mm au format IMAX sur THE DARK KNIGHT RISES qui aurait été impossible à obtenir en employant les dernières caméras numériques 4K, en termes de dynamique de couleurs et de luminosité ?

D’abord, le problème avec ces caméras numériques soi-disant « 4K », c’est qu’elles essaient désespérément de se hisser au niveau de la résolution de la pellicule 35mm sans y parvenir pour l’instant. Je dois dire que l’engouement pour ces caméras numériques est assez déconcertant pour Chris et pour moi, car nous ne voulons pas que nos caméras 35mm soient peu à peu remplacées par des caméras numériques de qualité inférieure, et surtout pas sur des films à grand spectacle comme THE DARK KNIGHT RISES ! Pour entrer un peu dans la technique, on a mis au point une unité de mesure de résolution de l’image qui est le K. Eh bien des techniciens très pointus ont fait des mesures qui ont établi qu’il faudrait fabriquer des caméras numériques d’au moins 10K avant de parvenir à une résolution identique à celle de la pellicule 35mm. Donc si l’on s’en tient aux propres standards établis par les industriels qui fabriquent ces caméras, on est encore bien loin du compte ! D’où notre étonnement commun de voir beaucoup de gens utiliser ces caméras sans se rendre compte qu’il s’agit de produits inférieurs aux caméras 35mm. Bien sûr, ni Chris ni moi ne sommes dupes du fait qu’il y a d’énormes intérêts commerciaux en jeu, et que les fabricants de ces appareils font du lobbying pour les mettre en avant. Mais ce qui est dramatique, c’est que cela pousse des sociétés comme Kodak, Fuji, Technicolor et Deluxe au bord de la faillite ! Il faut réagir pour que cela n’arrive pas, et empêcher qu’une technologie nouvelle mais inférieure ne remplace une technique ancienne qui a été constamment perfectionné au fil des ans, et qui reste sans aucune contestation possible la meilleure. Le 35mm a non seulement une meilleure résolution, mais offre aussi un meilleur contraste, qui vous établissez à la prise de vue. Dans le cas d’une image numérique, vous obtenez un résultat brut, que vous modifiez artificiellement, à posteriori, pour jouer sur les contrastes et les couleurs. Et si l’on parle du format Imax, qui consiste à utiliser la surface de la pellicule 70mm horizontalement, sur une surface qui correspond à 3 images 70mm normales, alors on parle d’une dynamique de luminosité et de couleurs absolument phénoménale. En 35mm comme en Imax 70mm, nous n’avons pas à subir la présence d’un grain numérique, nous pouvons montrer des détails très nuancés dans un décor plongé dans l’ombre, et nous pouvons raconter ainsi notre histoire comme nous le voulons, sans les contraintes de la vidéo HD. On peut tourner assez librement en 35mm, tandis qu’une caméra numérique doit être constamment reliée à un technicien qui vérifie le rendu de la couleur et des contrastes pendant l’enregistrement, sur le plateau. Avec une caméra 35mm, on capte naturellement ce qui se passe devant la caméra, sans qu’il y ait une manipulation artificielle.

Chris Nolan et vous avez annoncé très clairement que vous ne vouliez pas tourner THE DARK KNIGHT RISES en 3-D Relief. Pourquoi ?

Ni Chris ni moi ne sommes fans des films en relief. Personnellement, ces effets 3-D me font sortir du film, et le rendent moins réaliste à mes yeux. Cela ressemble trop à un gimmick. Je trouve que le relief est un format amusant pendant une trentaine de minutes, mais au-delà… Et d’un point de vue narratif, quand vous essayez de raconter une histoire de la manière la plus naturelle et la plus réaliste possible, je ne pense pas que l’on ait besoin de créer ces effets de profondeur. De toutes manières, je ne les trouve pas naturels, parce qu’ils ont plutôt l’aspect de découpes plates placées les unes devant les autres pour créer une simulation de profondeur. Je n’ai pas l’impression de voir de vrais volumes, et cet artifice me tire hors du film. Je sais que Chris ressent la même chose. Quand on m’a demandé récemment, lors d’une conférence, pourquoi je n’aimais pas la 3-D, j’ai posé à l’assistance une question très simple : « Si vous avez le choix de découvrir le même film en 2D ou en 3-D, quels sont ceux parmi vous qui choisiraient d’aller le voir en relief ? » Eh bien sur les 200 personnes présentes, il n’y a eu que quelques personnes qui ont levé la main. J’ai trouvé cela très révélateur de la véritable réaction du public. En vérité, la majorité des gens n’aiment pas la 3-D. Les studios, eux, l’aiment parce qu’elle leur permet d’améliorer leurs revenus en tarifant les séances à un prix plus élevé. Et aussi parce que certains dirigeants pensent que la 3-D peut inciter les gens à venir voir les films en salles.

Que pouvez-vous nous dire à propos de votre premier film en tant que réalisateur, qui va être produit par Christopher Nolan ?

Eh bien que je suis ravi que Chris et son épouse et partenaire Emma Thomas aient accepté de produire mon premier film en tant que réalisateur. Il s’agit d’un script de Jack Paglen que j’ai trouvé il y a quelques mois et que j’ai commencé à réécrire. Il est intitulé TRANSCENDENCE. C’est un très beau projet et je dois dire que je me sens protégé par l’implication de Chris et d’Emma, dont le jugement est très respecté dans le métier. Je ne peux pas vous révéler les détails du scénario, mais je peux vous dire que c’est un film de Science-Fiction qui se déroule dans le présent, qui aborde le thème de l’intelligence artificielle, et qui est aussi une histoire d’amour très originale.



[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.