Rebelle en Blu-ray : Entretien avec l'auteur du Art-of du film, Jenny Lerew
Article Animation du Mercredi 28 Novembre 2012
Après l'excellent Toy Story 3 et le décevant Cars 2, Pixar a abandonné – temporairement, puisque Monsters University est programmé pour l'été 2013 – les suites et renoué avec l'originalité, pour la première fois depuis Là-haut en 2009, grâce à Rebelle. A l'occasion de la sortie de ce véritable conte de fées en DVD et Blu-ray, le 1er décembre 2012, nous vous proposons de revenir sur la création de la dernière œuvre en date du célèbre studio d'animation. Encochez vos flèches, préparez vos montures : l'atypique princesse Merida possède plus d'une corde à son arc...
Par Pierre-Eric Salard
En avril 2008, peu avant la sortie de Wall-E, les studios Pixar annoncent le développement de The Bear and the Bow (L'ours et l'arc), un film d'animation 3D originellement prévu pour Noël 2011. Ce treizième long-métrage est paradoxalement celui des premières fois. « Ce film est notre premier conte de fées », s'enthousiasme le légendaire John Lasseter (Toy Story, Cars). « C'est aussi notre premier film d'époque, et la première fois que le personnage principal est de sexe féminin ! » Le scénario, original, de ce film d'aventures est écrit par Brenda Chapman, réalisatrice du Prince d’Egypte (1998). Collaboratrice régulière des plus célèbres studios d'animation (Disney, Dreamworks Animation, Pixar, Aardman), cette talentueuse artiste a précédemment participé au processus d'animation de Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988) et dessiné des story-boards pour La petite sirène (1989), Bernard et Bianca au pays des kangourous (1990), et Le bossu de Notre-Dame (1996). Elle a également travaillé sur les scripts de La belle et la bête (1991), Le roi lion (1994), Fantasia 2000 (1999), Chicken Run (2000) et Cars (2006). Cette foisonnante carrière la propulse logiquement sous les feux des projecteurs en tant que première réalisatrice d'un film 3D issu des studios Pixar. Mais The Bear and the Bow est aussi son premier véritable projet en tant qu'auteur : elle signe à la fois l'écriture et la réalisation. « Après que Pixar m'ait invité à travailler sur Cars, notre collaboration a évolué », se souvient la réalisatrice. « A cette époque, ils essayaient de sortir du cadre habituel de leurs productions. Leurs buddy movies rencontraient beaucoup de succès, mais je crois qu'ils souhaitaient élargir leur horizon créatif. J'étais donc au bon endroit, au bon moment ! Chez Pixar, les réalisateurs travaillent sur ce qui les intéresse, à partir de leurs idées et passions. Lorsqu'ils m'ont offert l'opportunité de proposer un projet, en 2006, je voulais justement faire un film tiré de la relation que je partageais avec ma fille... » Cette dernière, alors âgée de cinq ans, possédait un caractère très affirmé. « Elle me tenait tête ! », s'amuse Brenda Chapman. « Je me suis donc demandé, non sans appréhension, à quoi elle ressemblerait lors de son adolescence. Je le sais, maintenant, puisqu'elle a douze ans (rires) ! Mais l'idée a germé ; je me suis mise à écrire une histoire sur la relation – la confrontation – entre une mère et une fille ». La cinéaste combine également deux de ses passions, les contes de Hans Christian Andersen et ceux des frères Grimm, afin de les transposer dans l’Écosse du Xème siècle. « J'aime les contes de fées, mais je voulais éviter certains messages sous-jacents, tel celui de l'attente d'un prince qui viendra, un jour, pour rendre à jamais la princesse heureuse. Fatiguée par les parodies, je souhaitais plutôt rendre hommage aux contes de fées des frères Grimm et renouer avec ce monde magique. Mais cette histoire de princesse devait être atypique. J'ai donc écrit un récit contemporain, avec des femmes et des relations familiales modernes, situé dans un conte de fées typique du passé. J'ai également toujours eu, par mes racines, un faible pour l’Écosse ». Les lieux de l'action ont fortement influencé le direction artistique du film. « Au départ, l'histoire se déroulait dans un endroit générique du nord de l'Europe. Mais je revenais toujours à des images de l’Écosse. Et je voulais Billy Connolly dans le rôle du père ! Nous avons donc décidé d'arrêter de tourner autour du pot ».
Coup de tonnerre
Si le film s'intitule finalement Rebelle (Brave outre-Atlantique), le titre original, The Bear and the Bow, faisait notamment référence aux talents d'archères de la jeune héroïne du film. « Au début, le film s'intitulait déjà Brave », précise la productrice Katherine Sarafian. « The Bear and the Bow n'a donc été qu'une parenthèse ». Fille du roi Fergus et de la reine Elinor, la courageuse et impétueuse princesse Merida décide, au mépris des conventions, de se battre pour avoir le droit de choisir son destin. Lorsqu’elle chevauche son fidèle destrier, Angus, cette adolescente à l’esprit aussi indomptable que sa rousse chevelure se sent complètement à sa place. Elle finit ainsi par défier une tradition millénaire - et sacrée aux yeux de trois puissants Lords -, ce qui provoque le chaos dans le royaume. Lorsque Merida cherche de l'aide auprès d'une vieille femme excentrique, réputée pour sa sagesse, un vœu bien malheureux se réalise. Ce que va rapidement regretter la jeune fille ! Afin de déjouer la malédiction, la princesse va devoir découvrir le véritable sens du mot bravoure...
Le mois d'octobre 2010 sonne comme un coup de tonnerre. Après quatre ans de travail, la réalisatrice est remplacée au pied levé par Mark Andrews (Les Indestructibles, Ratatouille, John Carter) ! En cause : les traditionnels « désaccords créatifs » chers à l'industrie hollywoodienne. Quelques années auparavant, au sein des studios Pixar, Brad Bird (Mission : Impossible 4) avait déjà remplacé Jan Pinkava à la tête de Ratatouille. « Chez Pixar, chaque décision est prise selon les besoins du film », tempère la productrice Katherine Sarafian (Extra-terrien, Les Indestructibles). « Mark Andrews et moi, nous avons été surpris par l'ampleur qu'a pris cette histoire. Le remplacement d'un réalisateur se produit régulièrement dans cette industrie, et plus particulièrement dans l'animation. Cela fait en quelque sorte partie du processus créatif. Des changements se produisent et des désaccords créatifs apparaissent ». Après avoir pris un nécessaire congé, Brenda Chapman a poursuivi sa collaboration avec Pixar jusqu'à la sortie de Rebelle. Elle assure qu'elle n'a pas ressenti de pressions de la part des cadres du studio. « J'ai pu visionner des scènes du film, mais je développe désormais d'autres projets ». Créditée au générique en tant que co-réalisatrice de Rebelle, elle est désormais consultante auprès de Lucasfilm Animation. Durant les six années de production, l'équipe du film s'est évertuée à simplifier le scénario. « Au départ, mon histoire était beaucoup plus compliquée », se souvient Brenda Chapman. « Nous avons finalement réussi à isoler son ossature afin de sélectionner les éléments dont nous avions réellement besoin pour avancer. Nous avons éliminé certains personnages, ainsi que les redondances de l'intrigue. Les histoires originales sont les plus difficiles à mettre au point ! Ils ont continué à l'améliorer après mon départ ».
Cheveux de feu
Selon la productrice Katherine Sarafian, le remplacement de Brenda Chapman par Mark Andrews s'est déroulé sans anicroches. « Collaborer avec Mark est un plaisir. Il suffit de canaliser son énergie débordante. Il est capable de remotiver l'équipe lors des moments difficiles ». Si la vision originale de Brenda Chapman est toujours présente, son remplaçant a fait progresser le projet d'une manière plus efficace. Ce qui n'a pas empêché l'équipe d'organiser plusieurs repérages en Écosse ! « Les légendes autochtones nous ont inspirés explique Mark Andrews. « Il existe des histoires au sujet de chaque paysage, arbre ou pierre ! » « Dans le domaine de l'animation, nous devons tout créer à partir de zéro », précise Austin Madison, responsable de l'animation. « Vous ne disposez pas de prises de vues réelles. Lorsque nous avons conçu les collines du paysage écossais, nous n'avons pas seulement dessiné l'herbe. Nous sommes allés en Écosse faire des recherches. Les mousses, sur tous les arbres de Rebelle, disposent d'un motif celtique... avec une signification différente pour chaque modèle ! » A l'occasion de la sortie du film en DVD et Blu-ay, les fans de Pixar pourront s'amuser à débusquer les clins d’œil traditionnels, dont le camion Pizza Planet de Toy Story qui a fait des apparitions furtives dans toutes les productions du studio ! « Écosse mythologique ou pas, nous ne dérogeons pas à nos traditions », s'amuse Mark Andrews. Ouvrez l’œil...
Entretien avec la scénariste, "story artist", et auteur du Art-of du film, Jenny Lerew
Propos recueillis et traduits par Jérémie Noyer
Avant d’écrire des histoires pour Pixar, vous avez été réalisatrice de certains épisodes de la série animée Les Animaniacs. En quoi un long métrage est différent d’un épisode de série ?
Ce sont des formes totalement différentes. J’ai abandonné mon travail de réalisatrice pour intégrer une équipe d’écriture de longs métrages en 1994 parce que la narration sur une forme longue, le développement des personnages et la possibilité de raconter une histoire du début jusqu’à la fin comptait plus pour moi. La télévision, c’est génial et j’ai beaucoup appris, mais c’est une manière totalement différente de raconter les histoires. La grande différence pour moi, c’est aussi le fait de travailler pour le grand écran. Peu importe la grandeur de l’écran de télévision et sa définition. Rien ne remplace l’expérience du cinéma, avec le public, dans le noir, avec tous ces yeux rivés sur le grand écran. Pour moi, c’est comme être à l’église. Le cinéma est très spécial. Il a une permanence et une profondeur incomparables. Voir un bon film sur grand écran est une expérience fantastique. Magique !
En matière d’histoire, Joe Ranft a particulièrement marqué l’héritage de Pixar. Qu’en est-il pour vous ?
En ce qui me concerne, il a été mon professeur d’écriture à Cal Arts pendant plusieurs années. J’étais dans son cours, avec Brenda Chapman, co-réalisatrice de Rebelle. C’était un professeur fantastique. Ce sont ses encouragements qui m’ont guidé, ainsi que beaucoup d’autres étudiants, vers l’écriture. J’aimais aussi beaucoup l’homme, même si je ne l’ai connu que quelques années, avant qu’il ne retourne chez Disney, Pixar et les innombrables projets auxquels il a participé. Brenda et tous les gens de Pixar et Disney qui l’ont côtoyé l’adoraient. C’était une véritable présence dans leur vie. Je suis jalouse de cette relation qu’aucun d’entre eux n’aurait échangé pour rien au monde. Il n’y a pas assez de mots pour parler de l’influence extraordinairement positive qu’il a eu. Il est totalement irremplaçable. C’était l’homme le plus généreux, gentils et drôle, et même s’il avait conscience de ses dons, il était d’une modestie sans pareille dans le métier. C’était aussi un excellent magicien. Que puis-ajouter ? John Canemaker a été un merveilleux livre à son sujet, Two Guys named Joe, et même si John a fait un travail colossal, il y a encore beaucoup plus de choses à dire sur Joe !
La force de Rebelle, c'est de proposer une histoire de princesse vraiment nouvelle, tout en truffant le film de références disneyennes, comme notamment Frère des Ours. Comment avez-vous abordé cette dimension ?
Jamais personne dans mon équipe n’a mentionné Frère des Ours, et très honnêtement, à l’époque, cela ne m’est jamais venu à l’esprit ! Bien que ce soit un film adorable qui traite bien sûr de la transformation magique d’un homme en ours, je pense que cela n’a rien à voir. Précisément parce que, d’une part, l’histoire de Rebelle est très personnelle pour Brenda Chapman, et que, d’autre part, elle se déroule dans un endroit totalement différent, l’Ecosse. Ceci dit, c’est un fait que les contes traditionnels du monde entier ont souvent des éléments en commun, au delà des cultures, dans la mesure où ils traitent des mêmes grands questionnements des hommes.
Rebelle est une histoire de transformation, tant physique que psychologique. En quoi vous a-t-il transformé ?
Je ne dirai pas transformée, mais la passion contagieuse de chaque artiste pour son travail, que ce soit individuellement ou en équipe, a eu un impact très net sur moi en tant qu’artiste d’animation. Quel que soit le studio, quel que soit le projet (et les artistes bougent beaucoup dans ce milieu), nous partageons tous le même but : donner le meilleur de nous-mêmes afin que cela transparaisse à l’écran, quel qu’en soit le prix. Ce n’est pas toujours facile de faire partie d’une équipe, et tout spécialement une équipe de la taille de celles qui fabriquent des films d’animation. On doit toujours garder à l’esprit que le but de ce travail n’est pas seulement notre expression personnelle, mais la communication de cette expression : ce n’est qu’à ce prix qu’un lien pourra être noué avec le public. Les artistes de Rebelle ont toujours travaillé avec ce but à l’esprit. Ils aiment tellement ce qu’ils font que cela me rappelait sans cesse, si besoin était encore, pourquoi je fais de l’animation.