La critique ESI : Le Hobbit, un voyage inattendu - Retour parfaitement réussi de Peter Jackson dans l’univers de Tolkien ! Et notre avis sur la polémique autour du système de projection à 48 images/seconde, en 4K et 3-D Relief
Article Cinéma du Jeudi 06 Decembre 2012

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Par Pascal Pinteau

[5 étoile sur 5 !]

Avant de parler de la réussite du Hobbit et de ses nombreuses qualités, dissipons déjà deux sources de polémiques aussi vaines qu’agaçantes.

La première concerne les critiques du ton plus léger du film, ton pourtant fidèle au roman original de J.R.R. Tolkien que Peter Jackson a décidé d’adapter sous la forme d’une nouvelle trilogie cinématographique. Même si le film que nous découvrons est une transposition de l’œuvre de l’auteur du SEIGNEUR DES ANNEAUX, mis en scène par le réalisateur et les équipes artistiques et techniques du SEIGNEUR DES ANNEAUX, et où l’on retrouve plusieurs des acteurs du SEIGNEUR DES ANNEAUX, n’oublions pas que LE HOBBIT n’est pas le SEIGNEUR DES ANNEAUX ! Et ce, pour la simple raison que Tolkien écrivit son premier livre pour les jeunes lecteurs, et le conçut comme une aventure amusante et légère, et non pas comme une saga épique, brassant des thèmes graves. Quand Bilbon le Hobbit devint un succès phénoménal en 1937, l’éditeur de Tolkien lui commanda une suite, sans se douter qu’il allait consacrer plus de 16 ans à écrire une immense fresque en trois tomes, au ton adulte et bien plus sombre, avec des dizaines de nouveaux personnages. Eternel perfectionniste, Tolkien était allé bien au-delà du travail accompli jadis pour Bilbon le Hobbit . Il avait construit un univers incroyablement détaillé dont il avait dessiné les cartes, imaginé les langages parlés et écrits, et inventé des siècles d’histoire et de rivalité entre les différentes familles royales… Cette tâche extraordinaire impressionna même les critiques littéraires les plus blasés, et Le Seigneur des Anneaux triompha dès sa parution en 1954-55. Il est utile de bien se rappeler de tout cela afin de pouvoir apprécier LE HOBBIT pour ce qu’il est – l’adaptation d’un merveilleux roman destiné à la jeunesse – et non pas de le critiquer en le confondant avec ce qu’il n’a jamais été, c’est à dire avec « un épisode précédent » du SEIGNEUR DES ANNEAUX ! Ce reproche serait d’autant plus injuste que l’adaptation du roman en scénario par Peter Jackson, Fran Walsh et Philippa Boyens tient compte des éléments concernant LE HOBBIT que Tolkien à ajouté ultérieurement dans les annexes du SEIGNEUR DES ANNEAUX. Les liens tissés entre les deux trilogies fonctionnent extrêmement bien et cette impression de continuité est très agréable.

La seconde polémique concerne le procédé de tournage et de projection à 48 images par seconde, procédé que l’on ne pourra voir en France que dans un nombre hélas très limité de salles, LE HOBBIT étant présenté à 24 i/s dans l’immense majorité des cinémas, tout comme pendant l’unique projection de presse française du film, à notre grand regret ! Mais nous irons le revoir dès le 12 décembre dans les salles qui le projetteront tel qu’il a été tourné, à 48 i/s, en 4K et en relief, et nous publierons ici la liste de ces cinémas, pour les soutenir. Alors oui, quand nous découvrirons enfin LE HOBBIT tel qu’il a été filmé, ce rendu du film sera forcément différent de ce que nous avons l’habitude de voir. Et tant mieux !! Etre ouvert au progrès, cela veut dire être prêt à renoncer à certaines habitudes archaïques.

Si nous sommes habitués depuis toujours au rendu artificiel et stroboscopique de la projection à 24 images par seconde – cadence mise au point à la fin des années 1920, pour passer de la vitesse du cinéma muet, 16 i/s, à celle du fonctionnement de la piste optique des films parlants ! – ce n’est pas une raison pour en oublier les lacunes, difficilement admissibles au 21ème siècle !

A 24 i/s, les mouvements rapides deviennent illisibles, alors que l’œil humain les voit bien dans la réalité. Ce flou rend impossible l’utilisation du relief dans des scènes de combat rapides : c’est la raison pour laquelle la 3-D avait du être quasiment supprimée dans AVATAR pendant le combat haletant entre Jake et le Thanator, par exemple. De même, plus les panoramiques sont rapides, plus ils deviennent flous et saccadés, tout simplement parce qu’il n’y a pas assez d’information dans ce nombre limité d’images, par rapport à ce que la vision humaine est capable de capter. (on se rend d’ailleurs compte dans le prologue du HOBBIT que les mouvements de caméra rapides dans le palais du roi nain d’Erebor ont été conçus spécialement pour la projection à 48 i/s, car ces plans sont souvent flous en 24 i/s) Rappelons qu’après avoir fait des expériences sur l’amélioration du rendu du cinéma dans les années 70, Douglas Trumbull avait déterminé qu’en tournant et en projetant un film 70mm à 60 images par seconde, on s’approchait de la perception de la réalité par l’œil humain. Pour avoir fait visionné plusieurs fois des films avec le procédé SHOWSCAN, je peux vous affirmer que l’effet produit était MAGIQUE : l’écran semblait disparaître et céder la place à une fenêtre ouverte sur la réalité ! A l’instar de James Cameron et de sa 3-D Relief admirable d’AVATAR, Peter Jackson a voulu profiter de l’occasion que constituait LE HOBBIT pour inciter l’industrie cinématographique à améliorer le réalisme des projections. C’est la raison pour laquelle il a pris le risque énorme de tourner sa nouvelle trilogie à 48 images par seconde, au format 4K (une définition 4 fois supérieure à celle des projections numériques 2K habituelles), et en 3-D Relief, quitte à remettre en cause nos habitudes, et à subir la colère de certains critiques qui n’admettent pas sa démarche progressiste.

Car il faut bien comprendre que Jackson souhaite nous offrir non pas un simple film (et quel film !), mais une expérience en immersion totale, qui transporte le spectateur en Terre du Milieu « comme s’il y était », avec des images aux mouvements fluides, à la netteté incroyable et au relief réaliste, sans effets outranciers.

On a déjà pu lire ça et là sur le web les propos fielleux de journalistes américains ou australiens qui dénigraient le film parce qu'ils n'aimaient pas le procédé 48 i/s, trop différent du bon vieux ciné de grand-papa.

C’est navrant et scandaleux !

D’abord parce qu’il est absurde et malhonnête de mélanger l’opinion que l’on a du rendu de projection 48 i/s et le jugement sur le film lui-même (qui est excellent).

Et ensuite, parce qu’en rejetant d’emblée ce qui est un indéniable progrès, ces journalistes rejoignent sans s’en rendre compte la cohorte de leurs collègues des 100 dernières années qui trouvaient le cinéma sonore risible à la fin des années 20, qui décrétaient que la couleur n’apportait rien au cinéma dans les années 30, qui n'aimaient ni le cinémascope ni le relief dans les années 50, qui n'appréciaient pas plus le format IMAX que les nouveaux systèmes de projections numériques dans les années 2000, et qui dénigrent aujourd’hui les nouveaux procédés de relief pourtant très performants. Tant pis pour ces « visionnaires » péremptoires. Leurs écrits ont au moins un mérite : celui de faire rire quand on les relit 20 ans plus tard.

Plus sérieusement, le vrai drame de cette histoire est ailleurs. Tous ceux qui râlent contre ces innovations ne réalisent pas qu'ils se tirent une balle dans le pied en tant que cinéphiles, car le milieu des exploitants de salles, on le sait, est plutôt frileux et conservateur, tout comme les dirigeants des grands studios US. Plutôt que de critiquer bêtement le 48 i/s en incitant exploitants et patrons de studios à utiliser encore des rythmes de projection anciens et des résolutions d’images standard, il faut bien au contraire les pousser à innover ! Rappelons-nous que ce n’est que forcés et contraints de réagir à l’arrivée de la télé dans les foyers, pendant les années 50-60, qu’ils ont accepté le cinémascope et le relief. Idem avec l’irruption des magnétoscopes VHS dans les années 80, et le son Dolby Stéréo destiné à attirer à nouveau le public dans les salles. Récemment, c’est la même démarche qui a abouti à la mise en avant du Relief numérique, car il est destiné aussi à lutter contre le piratage des films en salles, l’image 3-D filmée sur un écran avec un caméscope étant forcément floue.

Aujourd’hui, la technologie de projection dans les salles doit évoluer très vite et de manière audacieuse car sinon, d’ici quelques années, on n'aura pas seulement des qualités de visionnage équivalentes chez soi si l’on est équipé en Blu-Ray : on aura MIEUX, avec les lecteurs Blu Ray 4K et les téléviseurs 4K de la prochaine génération, dont les premiers exemplaires seront disponibles dans quelques mois, en 2013 ! Bien sûr, les premiers appareils vendus seront hors de prix, mais au bout de deux générations ils deviendront abordables, puis bon marché par la suite. Imaginez les conséquences de cette révolution de la vidéo domestique. Si les gens bien équipés restent chez eux et que les salles se vident peu à peu, nous pourrons dire adieu aux blockbusters Fantastiques et de Science-Fiction, aux grandes fresques, aux films d’action et d’aventure à grand spectacle, car ces budgets-là seront devenus impossibles à amortir sans les recettes en salles. Pour toutes ces raisons, il est TRES important d’envoyer le bon message à l’industrie cinématographique, et de soutenir le progrès en tentant l’expérience des projections du Hobbit en 48 i/s, 4K et 3-D Relief !



Après ce long préambule, passons au film lui-même, qui ne déçoit absolument pas. Peter Jackson, soucieux de lier le mode de narration cinématographique du HOBBIT à celui du SEIGNEUR DES ANNEAUX, utilise à nouveau un prologue pour résumer rapidement le contexte général de l’histoire. Il nous présente des visages familiers – le vieux Bilbon (Ian Holm) et Frodon (Elijah Wood), qui attendent tous deux l’arrivée de Gandalf, juste avant les évènements décrits au début de LA COMMUNAUTE DE L’ANNEAU – puis laisse Bilbon nous raconter en un énorme flashback le voyage mouvementé qu’il fit pendant sa jeunesse, 60 ans plus tôt, quand il aida un groupe de 13 guerriers nains à reconquérir le royaume et le trésor d’Erebor, accaparés par le terrible dragon Smaug. La différence de ton entre LE HOBBIT et la saga du SEIGNEUR DES ANNEAUX est remarquablement bien gérée par Jackson, qui s’appuie sur les excellentes performances de Bilbon jeune / Martin Freeman, Gandalf / Ian McKellen et Gollum / Andy Serkis pour créer les moments les plus forts du film, dont la fameuse scène de la rencontre entre Bilbon – séparé du groupe des nains pendant leur affrontement avec les gobelins - et le porteur famélique de l’anneau, isolé dans une caverne depuis 500 ans. Le comportement transgressif et souvent burlesque des nains, notamment au début du film, quand ils envahissent la maison de Bilbon et pillent ses réserves de victuailles, plaira beaucoup aux jeunes spectateurs. Comme on s’en doutait un peu, les personnalités de chacun des 13 nains ne sont pas développées plus que nécessaire, afin de ne pas ralentir le récit, et de préserver le statut de héros de Bilbon. Mais cette petite bande est néanmoins fort attachante. Au sein du groupe des petits guerriers, c’est leur chef Thorin Ecu de chêne, interprété par Richard Armitage, qui s’impose comme l’un des personnages marquants et charismatiques de cette nouvelle saga. La responsabilité énorme qui pèse sur ses épaules – la reconquête du trône d’Erebor, tâche quasi-insurmontable – et les années passées à errer en tant que prince déchu, donnent une aura tragique à ce personnage. Dès que le voyage commence, les morceaux de bravoure se succèdent à un bon rythme, et les 2h45 du film semblent durer 90 minutes à peine. Peter Jackson a su corriger sa tendance à faire durer plus que de raison à l’écran les scènes qu’il aime particulièrement dans les livres de Tolkien, et c’est une bonne surprise ! Saluons encore une fois l’excellente idée d’avoir puisé dans les annexes du SEIGNEUR DE ANNEAUX, écrites par Tolkien 16 ans après Bilbon le Hobbit , la description de la quête que Gandalf mène en solitaire, afin de découvrir pourquoi certaines forces maléfiques se sont éveillées et agissent dans l’ombre. Ces petites touches de suspense et de mystère ponctuent agréablement LE HOBBIT et tissent des liens efficaces avec la trilogie du SEIGNEUR DES ANNEAUX.

Concernant les effets visuels, Weta Digital réussit encore de nombreux tours de force : le prologue qui nous montre le palais-forteresse d’Erebor et la ville de Dale attaqués par le Dragon Smaug est superbe. La scène où apparaît Gollum est fantastique. Le nouveau modèle numérique du personnage est remarquable, et plusieurs gros plans permettent d’admirer l’incroyable rendu de la texture de ses yeux, des muqueuses de ses paupières, et des pores de sa peau. On a du mal à croire qu’on ne voit là qu’un personnage virtuel ! Saluons au passage la nouvelle performance d’Andy Serkis dans ce rôle… La découverte du repaire des gobelins, immense labyrinthe de cavernes et de passerelles enjambant des gouffres, est spectaculaire, tout comme la confrontation avec le roi des gobelins et les combats bien conçus qui suivent, aux péripéties vertigineuses. Même si l’on a déjà vu Rivendell, la cité des elfes, dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, Peter Jackson réussit à nous la faire redécouvrir en utilisant de nouveaux points de vues et de nouvelles perspectives. Accompagnées par la splendide musique d’Howard Shore, ces vues de Rivendell, absolument sublimes, donnent le frisson. D’autres surprises vous attendent au cours de ce premier épisode, dont une séquence amusante de combat avec trois trolls de la forêt, doués de la parole, mais pas très malins. Au terme de ce premier opus, on est ravi et on en redemande ! Tout comme Gandalf, Peter Jackson est décidément un magicien dont on est toujours enchanté de voir et de revoir les tours. D’où notre impatience d’assister très vite à une prochaine séance en 48 images par seconde, 4K et 3-D Relief !

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