LE HOBBIT, UN VOYAGE INATTENDU : Entretien exclusif avec Eric Saindon, superviseur des effets visuels au sein de Weta Digital – Troisième partie
Article Cinéma du Mardi 08 Janvier 2013

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Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

En dehors du relief dont nous venons de parler, la présentation du film à 48 images par seconde a dû générer aussi de nouveaux problèmes à résoudre. Nous pensons notamment aux effets de flou rajoutés aux mouvements rapides des personnages 3D que l’on appelle "motion blur". Dans une scène où l’on voit un acteur filmé à 48 images par seconde, le flou dans le mouvement doit être nettement réduit, car l’œil dispose de deux fois plus d’informations pour percevoir les gestes rapides. Cela signifie-t-il que vous avez dû réduire les effets de motion blur pour les adapter à cette projection à grande vitesse ?

Oui, un peu. Mais je ne sais pas si les spectateurs qui découvriront le film projeté à 48 images/seconde s’en rendront compte. Je crois qu’ils seront d’abord surpris par le rendu plus réaliste de l’image. Personnellement, il m’a fallu quelques minutes pour m’y habituer, mais dès que l’on voit à quel point les grands panoramiques et tous les autres mouvements de caméra sont dépourvus de saccades et produisent des images bien plus nettes qu’avec une projection à 24 images/seconde, on est vite séduit par cette nouvelle expérience cinématographique. Ce gain de qualité est également saisissant quand on regarde les scènes de batailles. Il est vrai qu’il y a un effet de surprise au début, parce qu’en tant que cinéphiles, nous sommes habitués au rendu d’une projection à 24 images/secondes. Mais dès que l’on oublie cette référence pour s’immerger dans le spectacle qui nous est présenté, on se laisse vite emporter par cette aventure, et par le plaisir qu’elle procure. Très vite, on n’y pense plus, et plus le film avance, plus on apprécie la qualité et le réalisme de ce nouveau type de projection. J’ai eu l’occasion de voir les mêmes scènes projetées à 24 images/secondes puis à 48 images/seconde et je peux vous dire que je préfère largement la seconde version, et de loin. Tout est moins saccadé, plus précis, beaucoup plus proche de la perception humaine. C’est très intéressant et cela me plaît énormément. C’est un peu comme si l’écran de la salle de cinéma s’effaçait pour vous laisser voir la réalité au travers d’une grande fenêtre.

Les limites de la projection à 24 images/seconde sautent aux yeux dans les panoramiques, même quand ils sont relativement lents : l’image devient tout de suite légèrement floue. Il faut espérer que les spectateurs, même si le rendu "lisse" du mouvement les surprend au début, aimeront et soutiendront cette innovation dont le cinéma a besoin pour évoluer. On ne peut pas continuer à employer un modèle technique qui date de la fin des années 20, l’époque où l’on est passé de la vitesse du cinéma muet – 18 images/secondes – à celle du cinéma parlant, soit 24 images/secondes !

Je pense que peu à peu, la vitesse de 24 mages/seconde sera assimilée à une projection de film tourné sur pellicule, tandis que les projections à 48 images secondes et à la résolution de 4K deviendront la norme de projections des nouveaux films numériques. Les gens aiment le progrès technologique appliqué au cinéma. Ils ont apprécié les avantages du son Dolby, du THX, des projections numériques 2K, et je pense qu’ils s’habitueront vite aux projections à 48 images/secondes à 4K, et se rendront compte de l’impact supplémentaire qu’elles donnent aux films. Bien sûr, cela ne retire rien au plaisir de cinéphile que l’on éprouve à visionner des films tournés à 24/images secondes. Pour ma part, j’aime toujours voir des classiques du cinéma projetés en copie 35mm. Je crois que tous les passionnés de 7e art s’habitueront à ce que l’offre de visionnage s’enrichisse ainsi, tout comme ils se sont habitués à pouvoir aller découvrir un film en 2D, en 3-D Relief ou en Imax.

Vous n’avez pas utilisé de maquettes cette fois-ci. Comment avez-vous reconstitué numériquement des environnements qui étaient créés en partie avec des miniatures dans la trilogie précédente, comme Rivendell ? Les maquettes originales ont-elles été scannées en 3D et numérisées ainsi ? Plus généralement, pensez-vous que l’époque des maquettes appartient au passé, ou cela reste-t-il un moyen valide de réaliser certains effets ?

Je crois que l’utilisation des maquettes est toujours une option valide aujourd’hui. Mais tout dépend de la nature du projet. En ce qui nous concerne, nous devions adapter notre travail à un tournage en 3-D, et nous nous sommes rendu compte qu’il serait assez difficile de greffer avec précision des personnages réels à l’intérieur des maquettes dans des plans en relief. Il valait mieux réaliser à la fois les personnages et les décors en image de synthèse pour avoir une maîtrise parfaite du résultat final en stéréoscopie. J’espère vraiment que l’époque des maquettes n’est pas révolue. Je les aime toujours énormément et je trouve qu’elles fonctionnent très bien à l’image. Bien que j’aie tendance à militer en leur faveur habituellement, dans le cas du HOBBIT, je dois reconnaître qu’utiliser uniquement les images de synthèse était la seule option réaliste. Cela étant dit, de nombreuses maquettes ont été construites par le département de la décoration pour les besoins de cette trilogie – notamment tous les bâtiments de Rivendell – et nous les avons scannées pour servir de base aux modèles 3D. Ces modélisations ont été finalisées par les infographistes de Weta Digital, afin d’ajouter les détails architecturaux, les textures, etc. Peter aime avoir recours aux maquettes pendant toute la phase de conception des décors, car c’est vraiment le meilleur moyen de se rendre compte de ce que donneront ces environnements une fois construits en studio ou réalisés en 3D. En observant une maquette, Pete comprend tout de suite le parti qu’il pourra en tirer dans sa mise en scène, et il peut aussi demander immédiatement des modifications, pour adapter le décor à une de ses nouvelles idées de réalisation.

Comment avez-vous créé et animé les principaux personnages 3D de ce premier épisode, étape par étape, et comment avez-vous réalisé les interactions avec les acteurs ? Commençons par les Gobelins…

Les acteurs qui incarnent les Nains ont été filmés dans des décors construits en studio. Ils se battaient contre des cascadeurs qui portaient des combinaisons en lycra vert pour incarner les Gobelins. Les cascadeurs poussaient et tiraient les acteurs, et avaient toutes sortes d’interactions avec eux pendant les combats. Nous avions placé des caméras de Mocap sur le plateau pour capturer et enregistrer les mouvements des cascadeurs. Ensuite, nous avons placé des versions numériques des Gobelins par-dessus les images de cascadeurs. Il a fallu utiliser abondamment la rotoscopie afin d’effacer les nombreux bouts de combinaisons vertes qui étaient encore visibles dans les prises de vues réelles pour que cela fonctionne, mais le résultat final est très efficace. La chose la plus importante, c’est que les acteurs qui jouent les Nains avaient de vrais adversaires présents à côté d’eux pendant le tournage. Ils n’ont jamais eu à faire semblant de se battre, en bougeant dans le vide. C’est une bonne chose, car les performances que l’on filme ainsi ne sont jamais très bonnes. On devine la supercherie. Mieux vaut disposer de figurants ou de cascadeurs jouant les rôles des créatures aux côtés des comédiens principaux. L’énergie qu’ils déploient est bien plus convaincante. Tout est plus vif et plus percutant.

Richard Taylor et son équipe de l’atelier de Weta ont construit des costumes de Gobelins dont certains étaient équipés des têtes animatroniques radiocommandées. Comment avez-vous déterminé à quel moment vous alliez utiliser un cascadeur portant une combinaison verte plutôt qu’un acteur portant le costume en mousse de latex et la tête animatronique ?

Malheureusement, les costumes ne se sont pas révélés pratiques à utiliser…Richard en a effectivement construit une série, mais une fois que les acteurs qui portaient ces tenues devaient jouer dans les décors, cela ne fonctionnait pas bien. Nous avons essayé de les utiliser pendant les 4 ou 5 premiers jours de tournage, mais à la fin, nous n’avons employé que des cascadeurs en combinaisons vertes.

Cela signifie qu’on ne voit plus du tout ces costumes de Gobelins dans le film ?

Hélas oui. Ils ne sont plus dans le film.

Passons à l’imposant roi des Gobelins : il a dû être difficile à animer en raison de sa taille et de son poids…

Oui, car il est sensé mesurer 2m43. Il paraît donc extrêmement grand, surtout quand on le voit à côté des Nains qui mesurent en moyenne 1m30. C’est le comédien Barry Humphreys qui jouait le roi gobelin à la fois pendant les sessions de captures de performance qui ont eu lieu sur notre plateau de Mocap, mais aussi dans le studio, face aux autres acteurs. Barry portait une combinaison de Mocap dans les deux cas. Quand il donnait la réplique aux autres acteurs, un assistant-réalisateur manipulait une tige au bout de laquelle était placée une balle verte, et la positionnait au-dessus de sa tête, à la hauteur des yeux du roi des Gobelins, afin que les acteurs fixent le regard de la créature 3D que nous allions greffer dans l’image plus tard, et non pas les yeux de Barry. Barry, lui, pouvait regarder les acteurs sans se soucier du fait que l’axe de son regard ne correspondait pas à la taille supposée de son personnage, car il savait que nous allions corriger cela par la suite en animant le roi des Gobelins.

Comme ses sujets, le roi des Gobelins a l’air d’être en mauvaise santé : il est couvert de pustules !

Effectivement. Cela nous a contraints à rechercher sur le web et à étudier attentivement d’horribles photos décrivant des maladies de peau, ainsi que des cas d’obésité morbide qui dépassent tout ce que l’on peut imaginer ! Ce n’était pas très agréable de se focaliser là-dessus…(rires). Mais c’était nécessaire pour donner aux Gobelins et à leur roi un aspect aussi dégoûtant que celui que voulait voir Peter. Le roi est un personnage particulièrement cruel et répugnant, et cette peau couverte de boutons et de lésions diverses lui convient très bien. Barry Humphreys a réussi à l’incarner en le rendant à la fois menaçant et comique. C’était très plaisant de le voir jouer, et sa performance fonctionne à merveille dans les plans du film que nous sommes en train de finaliser au moment même ou nous parlons. C’est à ce stade-là de la fabrication des plans que toutes les subtilités de son jeu d’acteur ressortent.

Avez-vous utilisé des procédures d’animation automatisées pour faire "gigoter" les bourrelets de graisse du roi des Gobelins, quand il fait des mouvements rapides ?

Tout cela est piloté par le nouveau système de simulation musculaire dont nous parlions précédemment. Nous avons établi un modèle de personnage masculin type, que nous pouvons adapter aux proportions et à la taille de n’importe quel type de créature humanoïde. Dans le cas du roi des Gobelins, après avoir donné sa taille et sa masse corporelle à notre modèle de base, nous avons aussi modélisé les masses de graisses sous sa peau. Le système que nous avons créé tient donc compte de toute cette graisse et crée automatiquement les mouvements secondaires de la peau que vous évoquez, tout en gérant la manière dont l’épiderme "roule" sur les masses graisseuses et musculaires. Grâce à toutes ces interactions, la peau du personnage se comporte de manière réaliste pendant qu’il bouge. C’est très intéressant à observer.

Les animateurs qui ont travaillé sur le traitement des enregistrements de la performance de Barry Humphreys ont-ils utilisé aussi des références comme des images d’éléphants ou d’autres animaux massifs pour déterminer à quelle vitesse maximale un personnage aussi grand que le roi des Gobelins pouvait se déplacer ?

Ils ont utilisé toutes sortes d’images de référence, aussi bien d’humains très gros que d’animaux de grande taille. Dans le cas d’un personnage aussi particulier que celui-ci, il est impossible de trouver une référence réelle qui couvre tous les aspects de son physique. Du coup, les animateurs ont cherché des exemples visuels différents pour animer chacune des parties de son corps. Par exemple, ce sont des pattes et des pieds de grands éléphants qui étaient les meilleures références d’animation des jambes et des pieds du roi des Gobelins. Quand il marche, ses pieds frappent lourdement le sol et cet impact, cette "onde de choc", se propage dans tout le reste de son corps. Nous avons également laissé les animateurs se servir beaucoup plus du plateau de Mocap pour jouer eux-mêmes les personnages quand ils avaient besoin de références très précises. L’un des trucs les plus efficaces qu’ils ont trouvés a consisté à s’attacher des poids sur les bras, les jambes et le corps afin de s’alourdir et se ralentir. Ils pouvaient ainsi mieux ressentir ce qu’un personnage aussi grand et aussi gros éprouvait en bougeant. Les mouvements enregistrés pendant ces essais leur étaient évidemment transmis après, afin qu’ils puissent s’en servir ou s’en inspirer.

Comment les trolls de la forêt sont-ils animés ? Sont-ils aussi méchants et agressifs que les Gobelins ?

Non, pas vraiment. Ils deviennent agressifs pendant le combat, mais au début, ils ne sont pas aussi hargneux que le troll que l’on a vu dans le premier épisode du SEIGNEUR DES ANNEAUX, qui était une brute entraînée à tuer par les Orcs, probablement maltraitée pour être encore plus méchante. Ce troll-là ne disait rien et se contentait de grogner et de pousser des hurlements de rage tout en attaquant. Les trois trolls que l’on découvre dans LE HOBBIT sont très différents, d’abord parce qu’on les voit discuter entre eux au début de la scène. C’est un moment assez amusant d'ailleurs qui permet de faire connaissance avec ces personnages avant que la bataille ne commence.

Vous voulez dire qu’ils parlent, comme des créatures intelligentes ?

Oui, ils parlent, mais ce qu’ils disent ne permet pas vraiment de les considérer comme des êtres très intelligents ! (rires). Pour revenir à votre question sur l’animation, les trolls ont été interprétés par des acteurs qui ont d’abord travaillé leurs rôles pendant des sessions de captures de performance. Ils étaient dirigés par Peter et Fran, qui leur ont donné à chacune des caractéristiques. Les acteurs ont fait également des suggestions sur la manière dont leurs personnages pourraient intervenir et réagir. Au moment du tournage, les acteurs jouant les trolls et les acteurs jouant Bilbon et les Nains se trouvaient sur le même plateau, avec le décor de la clairière dans la forêt, et le feu de camp autour d’eux. Les mouvements des comédiens incarnant les trolls étaient captés par des caméras de Mocap liés à notre système de simulation d’images de synthèse en relief en temps réel. Quand Peter cadrait le plateau avec les acteurs, et il pouvait voir sur son moniteur des images 3D schématiques des trois trolls, qui reproduisaient les gestes des acteurs. Pete pouvait donc diriger tout le monde en même temps, et mettre en scène les interactions entre les personnages.

Les ouargs que l’on va voir dans LE HOBBIT ont un aspect quelque peu différent de celui que l’on avait vu dans LE SEIGNEUR DES ANNEAUX : cette fois-ci, ils ressemblent plus à des loups qu’à des lions…

Oui, mais cela tient plus à leur couleur plus sombre qu’à un changement radical de morphologie. Peter a toujours dit que les ouargs étaient des hybrides entre des lions et des grands chiens. Ce sont ces références que les animateurs ont utilisées pour faire vivre ces créatures : des séquences tirées de documentaires consacrés aux lions d’Afrique, aux panthères, aux tigres, aux lions de montagne, etc.

Avez-vous également utilisé la Mocap pour animer les géants de pierre ?

Non, pour ces personnages-là, nous avons employé l’animation en poses-clés. Nous avons fait ce choix parce que ce sont des personnages surnaturels très particuliers, très grands, non-humains, auxquels nous voulions donner plus d’étrangeté par le biais de l’animation "traditionnelle".



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