Les versions longues du Seigneur des Anneaux – La démesure de Peter Jackson
Article DVD Blu-Ray du Mercredi 23 Janvier 2013
A l'instar de la trilogie du Seigneur des Anneaux, les trois opus du Hobbit devraient sans doute bénéficier de versions longues dans les prochaines années. Fidèle à lui-même, Peter Jackson a tourné davantage de scènes, entre février 2011 et juillet 2012, que son diptyque (d'origine) ne pouvait en contenir. Son objectif était limpide : satisfaire les fans en leur proposant, outre le « director's cut » en salle, des « extended edition » mettant l'emphase sur le développement des personnages. Le réalisateur a d'ailleurs évoqué ce sujet à plusieurs reprises. Nous pouvons donc nous attendre à la mise en vente, un après la sortie de chaque long-métrage, de ces éditions spéciales garnies, en outre, de passionnants documentaires. Cette perspective a toutefois pris du plomb dans l'aile de Smaug depuis que le cinéaste a décidé, en juillet dernier, de transformer Le Hobbit en trilogie.
Par Pierre-Eric Salard
Lorsque Peter Jackson s'est adressé aux fans de la saga lors du dernier Comic Con de San Diego, il a abordé sa propension à réaliser des films trop longs. « Ce n'est qu'à la fin du tournage, au moment où vous regardez une première version du montage, que vous vous rendez compte que vous vous retrouvez avec un film bien trop long sur les bras. Malheureusement, nous ne savons pas faire de films courts ! ». Les studios et distributeurs ont pourtant besoin que la durée soit raccourcie afin de pouvoir proposer une séance supplémentaire par jour d'exploitation. Au terme du tournage, Peter Jackson déclarait vouloir se pencher « sur des parties du récit que nous n'avons pas encore eu la chance de raconter ». Quelques jours après le salon américain, il annonce qu'il a obtenu gain de cause auprès des studios : son projet accouchera d'un troisième opus. Ces deux à trois heures supplémentaires en Terre du Milieu devraient permettre au cinéaste néo-zélandais de mettre l'accent sur le monde et la culture des Nains. Afin qu'aucun des treize Nains accompagnant Bilbon ne fasse de la figuration, ou ne soit une caricature, il est évidemment nécessaire que chaque personnage dispose de sa propre évolution durant la quête. Une nouvelle phase de tournage sera certes organisée en 2013. Mais une fois que les trois films, dont la durée totale devrait tutoyer les neuf heures, seront montés, restera-t-il assez de scènes coupées – intéressantes – sur le sol de la salle de montage de Jabez Olssen (Lovely Bones) ? Rappelons que, outre le roman Bilbo le Hobbit, les quatre scénaristes de cette nouvelle trilogie se sont inspirés des « appendices » que J.R.R. Tolkien avait proposé, en 1955, en conclusion de son Retour du Roi. De nombreux éléments plus ou moins obscurs de l'intrigue méritent indubitablement d'être développés. Les fans penseront notamment au rôle de Gandalf et Galadriel au sein du Conseil Blanc, à la présence de Radagast le Brun (un Istari comme Saroumane et Gandalf), ou encore à la chute de Dol Guldur, forteresse d'un Nécromancien qui mettra la Terre du Milieu à genoux, soixante ans plus tard, dans Le Seigneur des Anneaux. Le développement du troisième film devrait ainsi faciliter l'homogénéisation de la saga cinématographique en six opus concoctée par Peter Jackson. Malgré son strict respect au texte du roman, le livre audio de Bilbo le Hobbit s'étale sur près de onze heures ; dès lors, les – peu ou prou - neuf heures de la nouvelle trilogie pourraient paraître étriquées ! Il n'était donc guère étonnant de découvrir, en octobre dernier, la mention d'une « Extended Edition » du Hobbit : Un voyage inattendu sur le planning des studios Warner Bros ! L'existence de cette version longue, prévue pour le dernier trimestre 2013 sur DVD et Blu-ray, est pourtant infirmée par le studio dès le jour suivant. « Ce produit n'a pas été confirmé pour l'instant », précise le communiqué de presse. Les versions longues de la trilogie du Hobbit, précédemment annoncées par Peter Jackson, ont-elles été phagocytées par le troisième film ? Rien n'est moins sûr...
Des versions alternatives pour les fans
Il y a une dizaine d'années, Peter Jackson jonglait entre la post-production des différents volets du Seigneur des Anneaux et le montage des versions longues (qui furent éditées en DVD un an après la sortie de chaque film). Si la trilogie cinématographique a préservé la vision globale de J.R.R. Tolkien, le processus d'adaptation a logiquement induit un certain nombre de modifications structurelles. Adapter ne se limite jamais à recopier l'intrigue d'un roman sur grand écran ! Les amateurs les plus acharnés de l’œuvre de Tolkien s'en sont d'ailleurs plaints. La personnalité de certains protagonistes a été altérée ; d'autres ont simplement disparu ; et des chapitres entiers ont été mis de côté. Un certain Tom Bombadil est ainsi aux abonnés absents. A l'aide des versions longues (qui ne sont pas des « director's cut », rappelons-le, Peter Jackson s'étant déclaré satisfait par les montages cinéma), le réalisateur a tenté d'approfondir sa saga – et consolé, ainsi, une partie des déçus. « J'ai eu l'idée de ces versions alternatives pendant la post-production de La Communauté de l'Anneau, début 2001 », expliquait-il. « Personne n'avait vu la première version du montage, mais je savais qu'il me faudrait couper des scènes géniales – mais pas nécessaires - afin d'atteindre une durée raisonnable, en vue d'une sortie en salles ». Avec près de deux heures supplémentaires – réparties sur les trois films -, la mythologie s'est considérablement enrichie. Si certaines scènes sont inédites, d'autres ont été simplement rallongées de quelques secondes. Les cinéphiles les plus exigeants peuvent regretter le relâchement du montage ; pour les néophytes, les films deviennent d'ailleurs interminables. Mais les versions longues ont surtout aboli les frontières entre les trois volets, qui n'en font désormais plus qu'un : Le Seigneur des Anneaux ! Des événements font échos à d'autres, des personnages s'épaississent... Ainsi la relation entre l'Intendant du Gondor, Denethor, et son fils, Faramir, est-elle davantage approfondie. Et, incidemment, la disparition de Boromir, dans La Communauté de l'Anneau, encore plus marquante ! Les cadeaux qu'offre l'Elfe Galadriel aux membres de la Fraternité de l'Anneau seront d'un grand secours durant leur périple. La présence de Saroumane, au début du Retour du Roi, permet de conclure l'intrigue des Deux Tours. L'apparition de la monstrueuse « Bouche de Sauron », lors de l'ultime bataille, permet de palier à l'absence de Sauron lui-même - cet antagoniste qui n'a aucune existence physique. Et ainsi de suite. La plus grande réussite des versions longues est tout simplement d'avoir réussi à unifier une trilogie aux intrigues pour le moins complexes.
La cohésion de la saga
Examinons à présent les ajouts proposés par Peter Jackson. La Communauté de l'Anneau contient trente minutes de scènes inédites. Outre la défaite de Sauron à la fin du Second Age de la Terre du Milieu, le prologue offre un meilleur aperçu de la mort du Roi Isildur – et donc de la perte de l'Anneau Unique dans les eaux de l'Anduin. Le peuple des Hobbits bénéficie ensuite d'une véritable introduction. La personnalité et le comportement du vieux Bilbon sont mises en avant – ce qui, dix ans plus tard, s'avère être un excellent moyen pour relier les deux trilogies ! Tout comme la découverte d'un certain groupe de Trolls fossilisés – que nous avons récemment retrouvé dans Un Hobbit : Un voyage inattendu . Les deux Hobbits font également une première rencontre avec les Elfes dès leur départ de la Comté. Les premiers enfant du dieu Eru s'apprêtent déjà à quitter définitivement la Terre du Milieu, et à laisser ainsi leur place aux Hommes. Un autre clin d’œil aux événements de Bilbo le Hobbit a été ajouté durant la séquence des mines de la Moria. Gandalf y explique que les Nains – avant de se faire chasser par les Orques et le Balrog - y recherchaient un métal précieux, le Mithril. Il mentionne ensuite la cotte de mailles en Mithril que Thorin II a offert à Bilbon, il y a bien longtemps (ce que nous risquons de découvrir dans le troisième opus de la trilogie du Hobbit). Un artefact que porte justement Frodon ! Gollum, quant à lui, est aperçu une seconde fois par Aragorn. Autant de scènes qui améliorent la cohérence du récit tout en approfondissant l'évolution des personnages principaux. Au détriment du rythme du film, regretteront certains... La version longue des Deux Tours bénéficie, elle, de 42 minutes supplémentaires. Mortellement blessé, Théodred, le fils du Roi Théoden, est retrouvé par Eomer ; puis son corps est incinéré. Ces scènes inédites permettent de mettre l'accent sur l'influence qu'a Saroumane sur le Roi du Rohan. Les aventures de Merry et Pippin chez les Ents sont également explorées. Après avoir bu un étrange breuvage, ils grandissent de quelques centimètres... et deviennent ainsi les plus grands Hobbits de tous les temps ! Ce qui ne les empêche pas de se faire attaquer par le Vieil Homme-Saule (un personnage qui apparaît bien plus tôt dans les romans), qui tente de les étouffer sous ses racines. Les Ents se rendent également au Gouffre de Helm afin d'exterminer les Orques en fuite – ce qui aurait pu interloquer le grand public. Faramir découvre quant à lui le corps de son frère Boromir ; un flashback permet de découvrir les relations entre les membres de la famille de l'Intendant du Gondor, et comment Boromir est envoyé à Fondcombe afin de rejoindre la Fraternité de l'Anneau. Ce sont donc plus particulièrement les personnages secondaires qui ont profité du temps additionnel de cette version longue. Enfin, pas moins de cinquante minutes ont été ajoutées au Retour du Roi. L'histoire de Saroumane et de son acolyte Grima « Langue de Serpent » - qui disparaissaient abruptement des versions cinéma - bénéficie enfin d'une chute... au propre comme au figuré ! Les relations entre les personnages sont mises en avant : l'amitié naissante entre Legolas et Gimli ; le conflit entre Denethor et Faramir (qui refuse d'utiliser l'Anneau Unique, contrairement à son frère) ; le rapprochement entre Faramir et la belle Eowyn, éconduite par Aragorn ; ce dernier révélant à Sauron qu'il est l'héritier du trône... Gandalf se voit offrir un rude combat contre le Roi-Sorcier d'Angmar, le chef des Nazgul. Les fans peuvent également comprendre comment Frodon et Sam se sont introduits dans le Mordor : en se glissant, tout simplement, parmi les Orques ! « Toutes ces scènes améliorent les personnages et complètent l'intrigue », expliquait Peter Jackson. Loin d'être des extensions futiles et cosmétiques, ces versions longues, qui se concentrent sur l'histoire, insufflent une profondeur et une richesse appropriées au tissu dramatique de cette épopée fantastique. Les aficionados des romans continueront de regretter, certes, l'absence de Tom Bombadil. Mais le réalisateur a profité des formats d'édition en vidéo – DVD, puis Blu-Ray depuis 2011 – pour offrir aux fans de la trilogie une œuvre si dense et si longue qu'elle n'aurait jamais pu être proposé au grand public, dans les salles de cinéma. Toutes les scènes coupées n'ont cependant pas été réintégrées, loin de là ! « Les versions longues devaient conserver un certain rythme, et chaque scène devait remplir un objectif – développer un personnage ou offrir des informations », précisait le cinéaste. Gageons que la trilogie du Hobbit bénéficiera du même soin. Et que les futures versions longues, tout en mettant l'emphase sur les personnages, affineront la cohésion de l'immense saga de Peter Jackson. Pour le plaisir des passionnés ; ceux qui lisent ce présent hors-série avant d'embarquer à nouveau pour la Terre du Milieu.