[Flashback] HOTEL TRANSYLVANIA : Entretien exclusif avec le réalisateur Genndy Tartakowski. Quand un génie des séries animées passe au cinéma - Première partie
Article Animation du Jeudi 26 Juillet 2018
Virtuose du graphisme stylisé, Genndy Tartakowsky a révolutionné les séries animées dans les années 90 et 2000 en réalisant des séries humoristiques imprégnées de Fantastique et de SF, aussitôt devenues cultes, comme LE LABORATOIRE DE DEXTER, POWER PUFF GIRLS et SAMOURAI JACK. Son étonnante maîtrise des gags des gags et des scènes d’action lui a valu d’être choisi par George Lucas pour transposer STAR WARS dans la série animée 2D CLONE WARS. Récompensé par 3 Emmy Awards et un Annie (la plus haute distinction décernée par les professionnels de l’animation), Genndy Tartakowsky réalise aujourd’hui son premier long métrage de cinéma, HOTEL TRANSYLVANIA, et revisite avec humour les personnages mythiques de l’épouvante…
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Quels sont les films et les séries d’animation que vous avez aimés pendant votre enfance, quand vous viviez à Moscou, puis plus tard, quand vous êtes arrivé aux Etats-Unis, à l’âge de 7 ans ?
Vous savez, mon enfance à Moscou s’est déroulée pendant les années 70, et l’accès aux séries et aux films d’animation était alors extrêmement limité. On ne pouvait pas voir les productions américaines, par exemple. La seule série russe de courts-métrages dont je me souvienne s’intitulait, si je traduis cela littéralement, « ATTENDS QUE JE T’ATTRAPE ! » (Il s’agit de la série NU, POGODI! Réalisée à partir de 1969 par Vyacheslav Kotyonochkin, et produit par la Soyuzmultfilms. De nouveaux courts-métrages sont apparus par la suite. Le 20ème et dernier en date a été diffusé en 2006. NDLR). C’était en quelque sorte la version russe de TOM & JERRY. Les deux personnages étaient un loup qui fumait sans cesse des cigarettes (rires) et un lapin ! Le loup se démenait pour capturer le lapin…Ensuite, quand ma famille et moi avons émigré aux Etats-Unis, mon père a acheté un téléviseur et tout un univers extraordinaire s’est ouvert à moi. C’était avant l’époque des multiples chaînes du câble, mais il y avait quand même une profusion incroyable de programmes pour les enfants. C’est ainsi que j’ai découvert en même temps tous les LOONEY TUNES de la Warner avec Bugs Bunny et Daffy Duck, LES AVENTURES DE POPEYE, les Tom et Jerry de la grand époque, les séries conçues par Hanna Barbera, les cartoons de Tex Avery, etc. Ce fut un choc ! Tous ces dessins animés m’ont fasciné, particulièrement les productions de la Warner. Il y avait quelque chose dans ces cartoons qui m’a vraiment captivé et qui a fortement marqué mon imagination.
Quelles ont été vos premières expériences professionnelles dans l’animation ?
La toute première date de l’époque où j’habitais encore à Chicago avec mes parents. J’avais trouvé un job d’animateur au sein d’une société qui produisait des petits films éducatifs destinés à être présentés dans les écoles primaires, à des élèves très jeunes. Le personnage que j’avais animé était l’hippopotame qui présentait ces films. Cela a été un premier emploi officieux, en semi-amateur. Par la suite, mon premier travail officiel a été celui d’animateur sur BATMAN LA SERIE ANIMEE, produite par Warner. J’avais été embauché au sein d’un studio d’animation espagnol pour participer à la production de cette série.
Ah, vraiment ? On a surtout en tête des studios d’animation japonais et américains quand on pense à cette excellente série et à celles qui ont suivi, comme LES AVENTURES DE SUPERMAN ou LA LIGUE DES JUSTICIERS…
Oui. Cependant, ces séries étaient animées par une multitude de studios, dans le monde entier, parce qu’il y avait 24 épisodes de 22 minutes à produire chaque saison, ce qui représentait presque 9 heures d’animation originale par an. Il fallait donc répartir les épisodes entre différents studios qui avaient été testés et validés par Warner auparavant. Celui dans lequel j’ai été accueilli s’appelle « Lapiz azul », ce qui signifie « le crayon bleu » en espagnol. Il m’a offert ma première opportunité de travailler dans le domaine de l’animation, et m’a donné l’occasion de vivre pendant un an en Espagne, alors que je venais de sortir de l’école des beaux-arts de Californie, Cal Arts. C’était une expérience doublement formidable.
Les deux approches graphiques radicalement différentes qui ont révolutionné l’univers des séries d’animation dans les années 90 sont justement BATMAN : LA SERIE ANIMEE puis votre travail dans LE LABORATOIRE DE DEXTER et SAMOURAI JACK… C’est étonnant d’apprendre que vous avez également collaboré à BATMAN !
Merci pour ce que vous venez de dire ! Mais je n’étais qu’un animateur parmi beaucoup d’autres sur BATMAN. Je n’ai pas eu une contribution importante sur cette série, qui est due au talent de Paul Dini et Bruce Timm.
Votre style graphique évoque celui des films d’animation des années 50 et 60, avec des formes géométriques très marquées, comme celui du studio United Productions of America. Pourquoi est-ce votre style favori ?
J’ai souvent réfléchi à cela ces derniers temps, en me demandant d’où cette attirance pour ce style me venait… Je crois qu’à l’époque où j’ai commencé à travailler de façon assidue dans l’animation, dans les années 90, les studios Disney étaient dans une mauvaise passe. Le public se désintéressait de leurs dessins animés de long métrage et les critiques étaient très mitigées... Même si j’adore les classiques de Disney, les films qu’ils produisaient à ce moment-là ne m’intéressaient pas du tout…Quand j’ai étudié l’animation à Cal Arts, je connaissais déjà le style graphique inventé pour leurs séries par William Hanna et Joseph Barbera, mais j’ai découvert aussi à ce moment-là ce qu’avaient produit des studios comme UPI, que vous venez de citer. Je me suis rendu compte que ce graphisme géométrique épuré me convenait parfaitement. Vous savez, dans la vie d’un artiste, il peut arriver que la découverte d’un style visuel provoque un choc qui va tout faire basculer. Et là, ce fut mon cas. Je me suis senti attiré presque malgré soi par ce style bien précis. J’ai deviné qu’il me permettrait de créer des designs plus amusants, avec des formes plus extrêmes que si j’utilisais des graphismes traditionnels un peu conformistes. Je me suis donc engagé totalement dans cette voie pour m’exprimer. Et comme c’est pendant cette période-là que j’étais en train de rechercher et de définir mon style personnel, je me suis rendu compte que cela me correspondait parfaitement.
Quand LE LABORATOIRE DE DEXTER est apparu et a connu un grand succès, il nous a fait penser au court-métrage le plus célèbre des studios UPI, GERALD MCBOING BOING…L’histoire fantastique de ce petit garçon qui ne s’exprime qu’avec des bruitages.
Oui, en effet ! (rires)
Est-ce principalement ce cartoon qui vous a inspiré quand vous réalisiez les épisodes très drôles de cette série ?
Oui, celui-là, ainsi que ROOTY TOOT TOOT, un autre court métrage moins connu d’UPI. Il s’agit de l’adaptation d’une chanson de blues dans laquelle il est question d’une femme accusée du meurtre de son compagnon, pianiste de cabaret, et du procès qui suit. Ces deux courts-métrages sont extrêmement drôles et intéressants à découvrir. Avez-vous eu l’occasion de les voir projetés sur un grand écran ?
Non, hélas !
Ah, comme c’est dommage ! Si vous pouvez les voir ainsi un jour prochain, vous constaterez que cela produit un effet fantastique : ils sont encore plus dynamiques agrandis à l’échelle d’un grand écran de cinéma, tels qu’il ont été conçus. Ce sont des images remarquablement bien conçues, et les visionner ainsi produit un impact viscéral sur le spectateur. Quand on aime ce style, c’est une expérience à couper le souffle ! En ce qui concerne LE LABORATOIRE DE DEXTER, ces deux courts-métrages ont indéniablement été de fortes influences, mais le graphisme des productions Hanna Barbera l’a été tout autant. William Hanna et Joseph Barbera ont inventé de nouvelles règles pour pouvoir produire des séries d’animation pour la télévision de manière économique et quatre fois plus rapide. Ils ont dû « réinventer la roue », en quelque sorte, car ils avaient été formés tous les deux durant l’âge d’or de l’animation américaine, pendant et après la seconde guerre mondiale. On investissait alors de gros budgets dans les cartoons, car ils étaient très appréciés des spectateurs. Ils faisaient partie du plaisir d’aller passer une soirée au cinéma, pour y voir un programme complet, avec les informations filmées, puis un cartoon et enfin le grand film. Hanna & Barbera étaient directeurs de l’animation à la MGM, et ont produit et réalisés les cartoons de TOM & JERRY, des années 40 jusqu’à la fin des années 50, quand le studio d’animation de la MGM a fermé. Quand ils ont imaginé le design simplifié des personnages de la première sitcom animée de la télé, LES PIERRAFEU, en 1960, puis LES AVENTURES DE L’OURS YOGI, les puristes de l’animation ont crié au sacrilège. Pourtant, ces artistes qui avaient créé TOM & JERRY étaient de fabuleux dessinateurs et il fallu un peu de temps pour que l’on comprenne que ces designs simplifiés étaient tout aussi géniaux… Quand nous avons entrepris la conception graphique du LABORATOIRE DE DEXTER, nous avons suivi leur exemple et mis au point des personnages que nous pourrions dessiner très rapidement, et dont l’aspect était dynamique et amusant.
La suite de cet entretien très animé paraîtra bientôt sur ESI !