HOTEL TRANSYLVANIA : Entretien exclusif avec le réalisateur Genndy Tartakowski. Quand un génie des séries animées passe au cinéma - Troisième partie
Article Animation du Mardi 19 Fevrier 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment décririez-vous votre approche stylistique d’HOTEL TRANSYLVANIA ? Quelles inspirations aviez-vous en tête, pour la conception des graphismes, et pour votre mise en scène ?

Nous voulions que le graphisme fasse comprendre en un clin d’oeil qu’il s’agit d’une comédie, et nous permette de rendre les personnages amusants, sympathiques et très expressifs. Le design des principaux protagonistes de l’histoire est conçu de manière à ce que leur animation ne soit pas limitée : leurs yeux, par exemple, peuvent devenir minuscules ou gigantesques quand nous voulons souligner un gag ou accompagner une réplique par une expression extrême. Ce principe a été appliqué sur tout le reste du développement graphique du film. Cependant, si les personnages sont « cartoonesques », les décors du château et des environnements naturels sont relativement réalistes. On peut voir les textures des pierres et des portes en bois des bâtiments, les brins d’herbes et les feuilles des arbres dans la forêt, etc. Je voulais que les silhouettes comiques aux formes géométriques extrêmes des personnages se détachent ainsi par contraste des arrière-plans réalistes.

Quels ont été les principales difficultés de la réalisation des designs d’HOTEL TRANSYLVANIA ?

Il a fallu se battre un peu contre l’ordinateur pour qu’il nous laisse faire ce que nous avions envie de faire ! Quand on travaille en 3D, on modélise des personnages sous la forme de marionnettes virtuelles, qui sont animées ensuite de manière « logique », comme si elles étaient construites avec des matériaux solides. On peut les « tasser » ou les « étirer » un peu, mais dans certaines limites. Ce n’était pas ce que je voulais faire. Je voulais que l’on s’affranchisse de toutes ces contraintes, et que l’on puisse reproduire n’importe quelle posture extrême que je pouvais dessiner sur une feuille de papier, comme s’il s’agissait d’un cartoon. Il arrive parfois que les mains de Dracula ou de Johnny deviennent deux fois plus grandes que dans leur apparence normale. Bien sûr, le spectateur ne s’en rend pas compte, parce que cet effet est intégré dans une posture extrême, comme celle d’un cartoon de Bugs Bunny réalisé par Chuck Jones, ou comme une posture fixe dans un dessin animé de Tex Avery. A cette époque-là du cartoon, les animateurs n’hésitaient pas à changer complètement les proportions d’un personnage d’une scène à l’autre, pour amplifier l’impact comique d’un gag.

Avez-vous été contraint de soumettre les designs de vos personnages au service juridique de Sony, afin d’être sûr que vous n’auriez pas de problèmes avec Universal au sujet de leurs monstres ?

Oh oui, absolument ! Nous avons pris soin de soumettre tous les dessins à Universal à l’avance, afin de nous assurer qu’ils ne voyaient pas d’inconvénient à ce que nous caricaturions ainsi leurs personnages. Bien sûr, ils nous ont fait quelques remarques dont nous avons dû tenir compte. Par exemple, nous n’avons pas eu le droit de représenter les boulons des électrodes fichées de part et d’autre du cou du monstre de Frankenstein, ni d’utiliser la couleur rouge pour l’envers de la cape de Dracula, ni les mèches blanches en forme d’éclairs sur la coiffure de la fiancée de Frankenstein, qui est devenue son épouse dans notre film ! (rires) Mais de manière générale, les choses se sont bien passées.

Universal a été fair-play. Cela se comprend, car comme il s’agissait d’une parodie, le droit à la caricature vous protégeait…

Oui, mais Universal a fait preuve de bonne volonté et ne nous a pas imposé trop de contraintes.

Bien que vous n’ayez pas écrit le scénario du film, quelles sont les idées autour des personnages et les gags que vous avez imaginés pour ce projet ?

En effet, le script existait déjà quand je suis arrivé, mais j’ai été en mesure de le retravailler, et de l’adapter à ma vision du film. Ensuite, Adam Sandberg, qui est l’un des producteurs du film, est intervenu sur ma nouvelle version du scénario, ainsi que son équipe d’auteurs. Au final, la plupart des gags visuels et des postures des personnages qui figuraient dans les storyboards que j’ai dessinés ont été conservés dans le film. Bien que je ne sois pas crédité officiellement en tant que co-scénariste, comme cela arrive à beaucoup de réalisateurs, beaucoup de mes idées sont toujours là.

Adam Sandler a-t-il été impliqué aussi dans la création des gags visuels du film ?

Oui, et lui et son équipe ont aussi « poussé » certains gags que j’avais écrits au-delà de ce que j’avais prévu. Bien que nos sensibilités soient assez proches, elle sont différentes. Cela a permis à Adam d’ajouter des modifications intéressantes, quelquefois en « tordant » juste un peu une situation pour amplifier son côté comique. Ensuite, quand nous passions à la transposition visuelle de ce gag écrit, je réintervenais à nouveau à l’étape du storyboard pour l’adapter à l’animation. Ce que j’ai trouvé passionnant dans le processus de création de ce film, c’est la possibilité de faire des projections-tests du film non achevé. Quand on travaille pour la télévision, on réalise un épisode du mieux qu’on le peut, puis il est diffusé et on n’a plus jamais la possibilité de le retoucher pour corriger des erreurs dont on s’est rendu compte avec le recul…En revanche, nous avons pu présenter HOTEL TRANSYLVANIA au public à plusieurs reprises pendant sa réalisation, ce qui nous a permis de vérifier gag par gag ceux qui fonctionnaient bien et ceux qui ne provoquaient pas de rires. Je pouvais alors réintervenir en changeant le rythme de la scène ou l’effet sonore qui accompagnait le gag, puis on le testait à nouveau lors de la projection suivante. Et je peux vous dire que quand tout le monde se met à rire alors que le gag ne marchait pas auparavant, c’est un soulagement et un plaisir merveilleux !

Avez-vous improvisé de nouveaux gags ou de nouvelles répliques amusantes pendant les sessions d’enregistrement des voix avec les comédiens ?

Un petit peu, mais pas autant que l’on pourrait le croire. Cela m’a d’ailleurs surpris, car beaucoup d’acteurs du casting vocal original sont des humoristes : Il y a Adam Sandler, Andy Samberg et Jon Lowitz qui viennent tous les trois de la célèbre émission SATURDAY NIGHT LIVE, Fran Drescher est une vedette de sitcoms, David Spade aussi, etc. Je m’attendais donc à ce qu’ils se lancent souvent dans des petites improvisations, mais ils n’ont pas réagi ainsi. En fait, c’était bon signe, car les dialogues leur ont plu tels qu’ils étaient écrits, et ils se sont donné beaucoup de mal pour faire honneur à ces répliques. Toute leur énergie a été investie dans la sincérité et l’efficacité de leur jeu d’acteur.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour réaliser la préparation du storyboard et la prévisualisation du film ?

J’ai commencé à travailler sur le film il y a un peu plus de deux ans. La création du storyboard s’est faite en six mois environ. J’ai travaillé dessus avec l’aide d’une équipe. Sinon, je dirais que de la réécriture du script jusqu’à la postproduction, HOTEL TRANSYLVANIA a représenté un an et demi de travail.

Comment avez-vous utilisé les formes, les lumières et les couleurs pour exprimer les atmosphères des principales séquences du film ?

L’un des principaux enseignements que j’ai tirés de ma carrière de réalisateur de séries animées, et tout particulièrement de SAMOURAI JACK, c’est qu’il faut prendre des décisions drastiques quand on met en scène un personnage sans lignes de contour noires. Si le personnage a des teintes claires, il faut le placer sur un fond sombre, et inversement sur un fond assez lumineux si ses vêtements sont foncés. Nous avons agi de la même manière dans HOTEL TRANSYLVANIA, notamment en ce qui concerne Dracula, qui est tout de noir vêtu. Cela permet au spectateur de bien voir les contours de la silhouette d’un personnage d’animation. Cela dit, ce procédé est également utilisé très fréquemment dans les films en prises de vues réelles, pour mettre en valeur les acteurs. C’était important que je garde cela en tête, car HOTEL TRANSYLVANIA étant créé en images de synthèse, c’était la première fois que j’utilisais de l’éclairage « réel », ou plutôt une simulation d’éclairage hyperréaliste. Mais c’était très intéressant de transposer mon esthétique 2D dans un univers en volume, avec un éclairage identique à un vrai. Je crois que le résultat final fonctionne de manière très satisfaisante, car les personnages sont lisibles, nets, et les couleurs sont toujours bien saturées. Grâce au savoir-faire de Sony Animation, nous disposions de nombreux outils pour que les personnages se détachent toujours très bien des arrière-plans, et apparaissent de manière limpide, en 2D comme en 3-D Relief.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt en 2D sur ESI !

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