Preview JACK LE CHASSEUR DE GEANTS : Entretien exclusif avec le réalisateur Bryan Singer - Première partie
Article Cinéma du Lundi 25 Fevrier 2013
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Angleterre, 31 Mai 2011. C’est dans une forêt située à une heure de Londres que Bryan Singer tourne un film qui sort des registres cinématographiques qu’il affectionne habituellement, les thrillers et la Science-Fiction. Cette fois-ci, il s’agit de l’adaptation de deux contes de fées – JACK ET LE HARICOT MAGIQUE & JACK LE TUEUR DE GEANTS - réunis en une seule histoire intitulée JACK LE CHASSEUR DE GEANTS. Naturellement, nous gardons aussi à l’esprit JACK LE TUEUR DE GEANTS , réalisé en 1962 par Nathan Juran dans la foulée du superbe 7EME VOYAGE DE SINBAD , dirigé par lui en 1958, mais entièrement conçu par Ray Harryhausen. Si la féérie signée Harryhausen reste un chef d’œuvre du merveilleux, JACK LE TUEUR DE GEANTS ne fut hélas qu’un plagiat réalisé au rabais, sans génie, et dont les marionnettes de monstres animées image par image étaient incroyablement laides et bâclées. Difficile d’imaginer que la superproduction que prépare Bryan Singer puisse s’inspirer d’un tel film…Le fond de l’air étant froid et humide en cette fin d’après-midi, une tente chauffée a été installée au bord d’une clairière afin que le réalisateur puisse s’y installer. Nous y entrons et découvrons Singer et sa scripte, tous deux équipés de lunettes polarisées, en train d’observer les moniteurs relief placées devant eux. Nous y voyons les images des répétitions des mouvements des acteurs et des déplacements de la caméra montée sur grue. Singer nous accueille poliment et nous présente sa scripte en nous disant que nous l’avons tous vue au cinéma, à ses débuts : dans LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE, c’est elle qui joue l’étudiante si amoureuse du professeur Jones qu’elle a écrit « love you » sur ses paupières ! La scène en cours de tournage est un plan-séquence : alors qu’il n’est qu’un garçonnet de 10 ans, Jack assiste aux funérailles de ses parents. Leurs vêtements jetés en vrac sur une charrette sont prélevés grâce à des fourches et jetés dans les flammes par des hommes vêtus de toges et de cagoules blanches « à bec », afin de se protéger d’une contamination. Les images font comprendre que les parents du héros ont été victimes d’une maladie hautement contagieuse de l’époque médiévale, probablement la peste. Caler les déplacements des hommes qui jettent les vêtements sur le bûcher, le mouvement de la grue, et la fin du plan, qui se focalise sur un médaillon, est un exercice de synchronisation difficile où tout se joue au quart de seconde. Bryan Singer donne ses indications au Talkie Walkie, tout en scrutant le moniteur, prise après prise. Le plan en cours de calage est déjà efficace, même si le réalisateur n’a pas encore obtenu le résultat parfait qu’il recherche : en un seul plan, on comprend les origines modestes du héros, un petit paysan, on découvre la campagne où il a vécu pendant son enfance et l’on apprend les circonstances tragiques de la disparition de ses parents, sans qu’un seul mot n’ait été prononcé. Il est évident qu’un metteur en scène de talent est à l’œuvre…Bryan Singer donne patiemment de nouvelles indications aux acteurs et à l’opérateur qui manie la caméra montée sur grue afin d’ajuster la coordination de toutes les actions dans l’image. Les prises se succèdent, et grâce aux efforts de tous, le réalisateur obtient une première prise utilisable, mais dont il n’est pas pleinement satisfait. Il continue, ayant le sentiment qu’il sera possible d’obtenir mieux avant que la lumière naturelle ne soit trop faible pour continuer à tourner. L’autre compte à rebours qu’il faut respecter est celui du nombre d’heures de travail d’un jeune acteur par journée de tournage. Et là, il faut avancer vite avant de dépasser cette limite…Une seconde prise est « dans la boîte », et pendant que l’on remet tout en place dans le décor, l’entretien peut commencer.
Avez-vous été impliqué dans la conception de ce film dès le début ?
Non. Il a été initié il y déjà plusieurs années par David Dopkin et Darren Lemke , qui sont respectivement réalisateur et scénariste. J’ai lu le projet, il m‘a intéressé, et j’en ai réécrit une grande partie avec Christopher McQuarrie et Dan Studney.
Qu’est-ce qui vous a incité à vous impliquer dans ce projet ?
J’ai aimé son côté « conte de fées », odyssée d’un héros que son voyage et ses aventures changent à tout jamais. Et c’était aussi l’opportunité pour moi de travailler avec les toutes dernières technologies dans le domaine de la capture de performance.
Cela faisait longtemps que vous n’aviez plus tourné un film…
Oui, depuis WALKYRIE, en 2008. Mais j’ai aussi une société de production qui a produit X-MEN LE COMMENCEMENT l’année dernière, ce qui m’a contraint à faire beaucoup d’allers-retours entre Los Angeles et Londres. Mes activités de production de séries télévisées m’ont aussi énormément occupé. C’est l’enchaînement de ces circonstances qui m’a éloigné pendant un temps de la réalisation d’un nouveau film.
Parlez-nous du casting que vous avez réuni…
Nicholas Hoult, qui joue Jack, est un jeune acteur dont j’avais remarqué le travail depuis un certain temps déjà. Il a été l’un des comédiens autour duquel nous avons construit le casting de X-MEN LE COMMENCEMENT , et j’ai été extrêmement content de sa performance dans le rôle de Hank McCoy / le Fauve. Quand j’ai décidé de réaliser JACK LE CHASSEUR DE GEANTS , j’ai rapidement pensé à lui pour tenir le rôle principal. Je me suis dit que ce serait bien de pouvoir travailler avec lui à nouveau sur ce projet… J’ai eu l’occasion de rencontrer Ian McShane, qui incarne le roi Brahmwell, par l’intermédiaire d’amis communs. J’avais déjà pensé à lui pour jouer dans WALKYRIE, mais le rôle ne lui correspondait pas vraiment. Ce nouveau film m’a enfin permis de l’engager... Idem pour Stanley Tucci, qui joue Lord Roderick . J’ai toujours été fan de ces deux grands acteurs… Ma collaboration avec Bill Nighy pendant le tournage de WALKYRIE avais été une expérience si merveilleuse que je voulais retravailler au plus vite avec lui. Je lui ai demandé de jouer l’un des géants, car je savais qu’il avait déjà eu l’occasion d’interpréter brillamment le personnage de Davey Jones en capture de performance dans les épisodes 2 et 3 des PIRATES DES CARAÏBES… La ravissante Eleanor Tomlinson a été absolument remarquable pendant son audition pour le rôle de la princesse Isabelle. Et Ewan McGregor, qui joue Elmont, est un acteur fantastique. Il était plutôt calme et réservé quand nous nous sommes rencontrés, mais je connaissais bien les films dans lesquels il avait joué et je savais déjà de quoi il était capable. Il était important qu’il puisse apporter une touche d’humour personnelle au personnage d’Elmont, qui est le chef de l’élite de la garde royale, chargée de combattre les géants.
Comment s’est passée votre toute première journée de tournage avec les Red EPIC 5K, ces nouvelles caméras numériques 3-D Relief de très haute résolution ?
Ce fut…intéressant ! Le relief vous contraint à changer un peu la manière dont vous filmez habituellement, les objectifs que vous préférez et le choix de l’emplacement de la caméra, mais nous avons obtenu de bons résultats dès le départ. J’aime beaucoup l’aspect des images 3-D que nous avons créées, et la technologie qui fait fonctionner le support des deux caméras numériques est très performante. C’est un matériel de très bonne qualité. Au départ, c’est un peu déconcertant de mettre en scène, de filmer et de visionner les plans en relief, mais on s’y habitue relativement vite.
Est-ce très différent d’un tournage classique ?
Nous avançons un peu plus lentement afin de bien régler le relief de chaque plan, mais pour l’instant, nous avons respecté le plan de tournage prévu. Nous n’avons pratiquement pas de retard.
Comment avez-vous adapté votre manière de filmer à ce tournage en relief ?
En bien il a d’abord fallu que j’utilise des objectifs avec des focales plus larges. Dans la composition des plans, j’évite de placer des acteurs sur les bords gauches et droits du cadre, car en relief, cela donne l’impression dérangeante qu’ils débordent de l’image, et se retrouvent dans l’espace de la salle de cinéma. Il faut aussi éviter les plans tournés par-dessus l’épaule, en légère plongée, car cela provoque une rupture de perspective avec les autres plans qui est désagréable à visionner en relief. J’ai également tendance à tourner la plupart des plans avec la caméra principale, sans m’appuyer autant sur la caméra secondaire. J’ai eu la chance de pouvoir passer du temps sur le tournage de HUGO CABRET avec Martin Scorcese afin d’observer la manière dont il employait le relief. Martin a été très aimable avec moi et m’a permis de comprendre comment il intégrait la 3-D dans sa mise en scène. Il m’avait invité à venir le voir, et j’ai eu la grande chance de pouvoir rester assis à ses côtés pendant qu’il réalisait ce film. James Cameron m’a également prodigué de précieux conseils pour me permettre de me familiariser avec ce procédé, et cela m’a beaucoup aidé. Il m’a expliqué la manière dont il avait tourné AVATAR, et plusieurs de ses collaborateurs d’AVATAR travaillent avec nous sur JACK LE CHASSEUR DE GEANTS. J’ai essayé d’apprendre le plus de choses possibles sur la capture de performance et sur la 3-D Relief avant d’entamer ce tournage.
Peter Jackson tourne LE HOBBIT avec la même caméra numérique haute résolution 5K, mais il a choisi la cadence de 48 images/seconde. Pourquoi n’avez-vous pas utilisé cette option-là ?
Nous y avons pensé pendant un moment, mais quand notre film sortira, il n’y aura pas encore assez de salles de cinéma équipées de projecteurs adéquats. En ce qui concerne Peter, c’est différent, car le premier épisode de sa trilogie sortira 6 mois plus tard. (NB: depuis cet entretien, la sortie de JACK LE CHASSEUR DE GEANTS a été décalée au 6 mars 2013, soit 3 mois après LE HOBBIT : UN VOYAGE INATTENDU. NDLR) Et pour les sorties des épisodes 2 et 3, il y aura encore beaucoup plus de projecteurs très haute résolution disponibles. Le cas du HOBBIT est donc très différent du nôtre, et c’est la raison pour laquelle nous n’avons pas tourné à 48 images/seconde.
Comment décririez-vous votre vision du film et le style visuel que vous voulez lui donner ?
Il s’agit d’un conte de fées romantique. L’action est traitée sérieusement, au premier degré, mais de temps en temps, nous nous permettons de faire quelques clins d’yeux humoristiques discrets au public. JACK LE CHASSEUR DE GEANTS n’est pas pour autant une comédie dans la lignée de PRINCESS BRIDE, ni une parodie. Il s’agit d’une aventure traitée de manière sincère et ludique, avec un brin de fantaisie. C’est la raison pour laquelle nous avons pris soin de ne représenter aucune époque précise de l’histoire réelle, ni dans les designs des décors, ni dans ceux des costumes. Le récit nous entraîne dans un univers imaginaire proche de celui du 13ème siècle en Angleterre, dans un royaume mythique, inspiré par les personnages des légendes.
Etait-ce important pour vous de venir tourner en Angleterre, afin de filmer ces paysages ?
Oui, absolument. Tout comme je n’imaginais pas aller tourner Walkyrie autre part qu’en Allemagne. Cela nous a aidé à donner plus d’authenticité à ce deux projets.
La suite de cet entretien géant paraîtra bientôt sur ESI !
