Le Hobbit: un voyage inattendu : Entretien exclusif avec Ian McKellen, interprète de Gandalf – Première partie
Article Cinéma du Mardi 16 Avril 2013
En attendant la sortie des éditions DVD et Blu-ray du Hobbit: un voyage inattendu, prévues pour le 17 avril prochain, Effets-speciaux.info vous propose un entretien exclusif avec l'inoubliable interprète de Ganfalf, Ian McKellen...
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Dans ce premier épisode de Bilbo le Hobbit, le Gandalf le gris que nous avons retrouvé est-il quelque peu différent du magicien que nous avons découvert au début du Seigneur des Anneaux ?
Eh bien non, ou en tous cas le moins possible ! Le but que nous nous étions fixés était qu’il ait exactement la même apparence. Je suis certes un peu plus âgé tandis Gandalf, lui, est sensé être un peu plus jeune dans cette histoire, mais globalement, il est à peu près le même. Ce qui lui arrive pendant cette aventure est assez différent de ce qu’il vit dans Le Seigneur des Anneaux. Les enjeux ne sont pas aussi cataclysmiques dans ce récit de la quête menée par les nains et par Bilbo, si on les compare au véritable chemin de croix qu’entreprend Frodo pour sauver la terre du milieu, en acceptant de porter l’anneau maléfique. Le Seigneur des Anneaux était beaucoup plus sombre. En fin de compte, Frodo ne revient pas réellement de son voyage, car il l’a transformé à jamais…C’était une parabole assez limpide de Tolkien, qui évoquait en réalité tous ces jeunes hommes qui sont partis se battre pendant la première guerre mondiale, et ne sont jamais revenus. Ou qui en ont gardé de terribles traumatismes physiques ou mentaux. Bilbo le Hobbit est un récit d’aventure que Tolkien a écrit pour les jeunes lecteurs, et dont le ton est bien plus léger. Le Gandalf que l’on y voit est le même : il est bienveillant, aime boire un bon coup et fumer la pipe. Il participe volontiers à des fêtes où il fait apparaître des feux d’artifices, et plaisante avec tout le monde. Il lui arrive aussi d’éprouver des frustrations, de remarquer des choses étranges, de s’en étonner, puis de se faire du souci… Et comme il aime les gens, même s’ils ont des défauts agaçants et font des bêtises horripilantes, il prend les mesures appropriées pour les protéger. En plus de tout cela, il y a une question qui est posée dans Bilbo le Hobbit : où part Gandalf quand il disparaît un beau jour ? Pourquoi fait-il ce voyage mystérieux pendant que Bilbo et les nains mènent leur mission ? Ce sont des questions qui restaient en suspens dans le livre, mais auxquelles les trois films vont répondre. On saura pourquoi Gandalf a choisi d’entreprendre cette quête seul, et de laisser ses amis se débrouiller de leur côté. La raison, c’est qu’il a senti que quelque chose d’anormal est en train de se développer insidieusement… quelque chose de menaçant qu’il n’arrive pas encore à définir, et qui ne lui sera révélé que pendant l’histoire du Seigneur des Anneaux. Il y a donc une connexion thématique entre les deux trilogies de cinéma, mais l’ambiance de celle-ci est bien plus joyeuse et légère. Peter Jackson a même dit qu’il voulait que Gandalf soit ivre dans les scènes où il apparaît ! (rires) Et j’ai protesté en lui disant « Non, non Peter… Gandalf ne se saoûle pas ! » (rires) Je ne sais pas pourquoi j’étais si sûr de moi et si indigné ! Peut-être par égoïsme d’acteur, parce que bien faire semblant d’être ivre est très difficile quand on joue une scène… En fait, après y avoir bien réfléchi, je crois que Gandalf pourrait probablement remporter tous les concours de boisson de la terre du milieu, et resterait le seul debout, tandis que ses adversaires ronfleraient tous par terre, sous la table ! (rires)
Avez-vous été heureux de jouer à nouveau Gandalf ? Etait-ce un sentiment étrange que de se retrouver à nouveau dans l’univers de la « Terre du milieu », en Nouvelle-Zélande, dix ans après Le Seigneur des Anneaux ?
J’étais ravi. J’avais d’ailleurs déclaré d’emblée, dès la fin du tournage du Seigneur des Anneaux, que je serais prêt à jouer dans une adaptation du Hobbit si Peter s’en occupait un jour…Cela a pris plus de temps que prévu, mais le projet a abouti. Revenir en Nouvelle-Zélande est toujours un plaisir, parce que j’y ai beaucoup d’amis et que c’est un pays magnifique. Je n’irai pas jusqu’à dire que j’ai éprouvé un sentiment étrange en retrouvant l’univers de la terre du milieu, car je m’y étais préparé depuis longtemps. Non, ce qui était troublant, c’était de jouer dans des décors qui avaient été créés dans Le Seigneur des Anneaux, et qui ont été reconstitués à l’identique. Dans ces cas-là, oui, on a un peu l’impression d’être revenu dans le passé. Pour le reste, comme je vous le disais, l’ambiance du Hobbit est assez différente, moins sombre. Gandalf n’a pas encore à lutter contre une apocalypse annoncée. Pour l’instant, il observe les choses et les gens, pose des questions, et mène son enquête, quitte à se mêler de ce qui ne le regarde pas ! Il est en quelque sorte « les yeux et les oreilles des forces du bien », et je suppose que c’est ce que vous devez faire, si vous êtes magicien. Comme Gandalf a un tempérament énergique, il ne peut pas rester inactif quand il sent que quelque chose de mauvais se trame, même si cela n’a pas l’air bien important au début. Il est plutôt conservateur, et essaie toujours de faire en sorte que les choses restent comme elles sont. Et pour y parvenir, il doit savoir tout ce qui se passe et mettre son nez un peu partout…
Qu’est-ce qui vous a surpris le plus pendant le tournage du Hobbit ?
La performance de Martin Freeman ! Vous n’allez pas en croire vos yeux. Il est stupéfiant. C’est un privilège d’avoir pu le côtoyer pendant ce tournage. J’avais déjà admiré son travail au théâtre et à la télévision, et je dois dire que je craignais un peu que son style de jeu ne soit un peu trop individuel pour fonctionner au mieux avec le reste des acteurs du film. Je m’étais trompé : Martin est totalement crédible. La grande majorité des acteurs de théâtre et de cinéma ne l’est pas complètement, mais lui, si ! Vous retrouver en face de lui et le voir jouer avec une telle vérité est assez affolant. On se demande comment il réussit à faire cela. D’habitude, un acteur voit tout de suite quelles sont les techniques qu’emploie l’un de ses collègues, mais pas là. J’aimerais pouvoir jouer aussi bien que Martin Freeman. J’ai vu assez de scènes intégrées à un montage provisoire du premier épisode pour avoir compris que son côté individualiste est exactement ce qui était requis pour jouer Bilbo. Martin ne se comporte pas comme le reste du groupe : il en est le centre, le moteur dramatique. Et il fait aussi une composition extrêmement amusante, tout en réussissant à être très émouvant dans certaines scènes. Je crois que Martin sera la grande surprise du film et que beaucoup de gens se diront « Une star est née ! ».
Parmi les caractéristiques de Gandalf que vous avez énoncées, lesquelles correspondraient-elles le plus à votre personnalité ?
Voyons voir. (Ian Mc Kellen fait un pause et réfléchit) J’aime fumer…toutes sortes de choses. (rires) J’aime boire un verre (une attachée de presse apporte alors un verre de vin à Ian McKellen, qui en sirote une gorgée avec un petit sourire malicieux !)…et je crois être une personne plutôt sociable. Je protège les gens qui me sont chers. Je m’intéresse au monde qui nous entoure, notamment par le biais de la politique, dans laquelle je me suis un peu impliqué, à mon humble niveau. Hélas, je n’ai pas la perspicacité ni le don de divination de Gandalf. J’ai un peu trop tendance à me fier à l’apparence des choses, sans imaginer ce qui pourrait se cacher derrière elles. J’aime beaucoup faire de longues marches dans la nature, comme Gandalf…
…mais vous n’êtes pas aussi conservateur que lui.
(rires) J’espère que non ! (rires)
Quelles ont été vos sources d’inspiration quand vous aviez préparé votre interprétation de Gandalf, avant le tournage du Seigneur des Anneaux ? Par bien des aspects, Gandalf est comme un maître d’école ou un professeur pour les hobbits, les guerriers nains et les hommes des royaumes du Gondor ou du Rohan : il les aide à accomplir de grandes choses et à se surpasser. Avez-vous utilisés des souvenirs des mentors que vous avez eu dans votre propre vie ?
Non, je ne me suis pas inspiré de personnes en particulier. Je peux puiser en moi assez facilement cette facette de son caractère. Il y a aussi la question de l’âge qui entre en compte. Quand vous êtes plus âgé que la plupart des gens qui vous entourent, vous les regardez avec l’indulgence que vous confère votre expérience de la vie, et vous avez envie de les conseiller et de les aider si vous sentez qu’ils en ont besoin. Vous savez ce qu’ils ressentent parce que vous êtes déjà passé par là vous-même. Pour vous dire franchement les choses, le rôle de Gandalf est l’un des plus faciles que j’aie eu à jouer dans ma carrière, et de ce fait, j’hésite un peu à en parler comme si mon interprétation était le fruit d’un travail d’acteur particulier… Le personnage m’est apparu un beau jour, et dès cet instant-là, je savais parfaitement qui il était. Je me souviens de la manière dont cela s’est passé. C’était pendant la préparation du Seigneur des Anneaux, quelques temps avant le début du tournage. Nous étions en train de faire les essais de maquillage. La première barbe qui avait été faite correspondait exactement à la description de Tolkien : elle descendait jusqu’à mes genoux ! Je l’ai essayée, et même si je ressemblais ainsi aux portraits de Gandalf si joliment dessinés par John Howe et Alan Lee, nous avons tous constaté que cette barbe était si longue qu’elle m’empêchait de bouger normalement. Nous ne pouvions pas la laisser ainsi sans risquer de donner une allure ridicule au personnage : il fallait la raccourcir. Ensuite, nous avons fait des essais de sourcils, car selon Tolkien, ceux de Gandalf sont si longs et si fournis qu’ils dépassent presque des larges bords de son chapeau ! (rires) Nous avons fait d’autres tests, en essayant aussi différentes perruques et variantes de faux nez, et pendant ce temps-là je consultais des photos d’hommes célèbres hirsutes, à titre de référence, pour voir ce qui pourrait nous inspirer. Au fil des tests de faux nez et de barbes, je ressemblais successivement au Fagin d’Oliver Twist, à Ben Gunn de L’île au Trésor ou à Oussama Ben Laden ! (rires) Et puis au bout d’un jour ou deux, nous sommes enfin arrivés aux bonnes proportions de perruque, de sourcils, de nez et de barbe. Je me souviens que Peter Jackson est passé nous voir en coup de vent. J’ai mis alors mon grand chapeau de magicien sur ma tête et je l’ai regardé avec une petite étincelle de malice dans les yeux, en disant « Ah vous voilà, Bilbo Baggins… » avec la voix de Gandalf. Je ne sais pas d’où elle était sortie, mais elle a jailli comme cela, spontanément. J’ai pu voir dans les yeux de Peter que j’avais son approbation à ce moment précis. Nous avons senti tous les deux que nous tenions enfin le personnage. Et à partir de cet instant-là, tout le reste a été assez simple. L’histoire de Tolkien est si bonne et l’adaptation des livres si bien écrite par Philippa, Fran et Peter que les situations sont claires et les motivations des personnages bien exposées.
A-t-il fallu que vous vous surpreniez vous-même pour tenir le même rôle dix ans plus tard ? Vous êtes-vous lancé des défis ?
Oui, en quelque sorte… Après avoir parlé de cela avec Andy Serkis, je me suis rendu compte que nous avions tous les deux la crainte de nous répéter en nous bornant à reproduire notre façon de jouer ces personnages, ou pire encore, en nous inspirant des imitations qu’en font les gens ! Voilà ce que je me suis dit : « Je suis Gandalf et non pas ce que les gens attendent du Gandalf qu’ils connaissent déjà. » Je me suis aussi appuyé sur la vigilance de Peter Jackson. Au début du tournage, il lui est arrivé de me dire, en plaisantant, « Mais où est passé Gandalf ? » parce que je ne m’étais pas encore complètement glissé dans la peau du personnage. Quand cela se produisait, je lui disais « Oh, pardon Peter ! », je me ressaisissais, me concentrais, et alors, je retrouvais le ton juste. (rires) Mais en dehors de cette période d’échauffement, tout a été assez simple à jouer. L’aspect de Gandalf est très important. Une fois que je porte son nez, sa barbe et ses vêtements, j’ai l’impression qu’il y a une sorte de « transfusion d’ADN » et le personnage m’envahit naturellement. Je me mets à parler et à marcher comme lui. Mais en dehors de ce lien qu’il fallait retrouver, il n’y a pas eu de surprises. C’est le bon vieux Gandalf que l’on verra dans Le Hobbit !
Le public que vous aviez eu pour Le Seigneur des Anneaux va encore s’élargir cette fois-ci, car Le Hobbit va également s’adresser à des spectateurs plus jeunes. Comment pensez-vous qu’ils vont réagir en découvrant ces aventures projetées en relief, en très haute résolution et à 48 images par secondes ?
Oh, je crois que cela va être un sacré choc visuel pour eux ! Je ne serais pas étonné que les esprits de ces enfants soient marqués à tout jamais, dans un sens positif, bien sûr. Il y a certains films que l’on voit petit et que l’on n’oublie jamais. Je suis convaincu qu’il y aura une génération de fans du Hobbit qui se souviendra toujours de cette expérience en salles.
La suite de cet entretien sera publiée prochainement sur ESI.