Preview JACK LE CHASSEUR DE GEANTS : Entretien exclusif avec le réalisateur Bryan Singer - Troisième partie
Article Cinéma du Mercredi 13 Mars 2013
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
Les studios aimant développer des franchises, ce film pourrait-il être le premier d’une série dont Jack serait le héros ?
Je n’en sais rien ! (rires) La question se posera peut-être si le film marche bien.
Pourriez-vous nous dire ce que Chris McQuarrie et vous avez ajouté au script original ? La princesse était-elle déjà présente , par exemple ?
Oui, les personnages étaient déjà en place. Nous les avons retravaillés un peu, puis nous avons développé la mythologie du monde des géants. Nous sommes intervenus aussi sur l’arc narratif de l’évolution du héros, afin de clarifier certaines choses qui me laissaient perplexe. La nouvelle version du scénario est très différente.
Oui, mais en quel sens ? Est-elle plus sombre ? Ou traitée sur un ton plus humoristique ?
Je ne dirais pas que nous avons rendu le film plus sombre…Cependant, nous avons rendu les géants un peu plus inquiétants, et quelquefois même effrayants.
Est-ce que JACK LE CHASSEUR DE GEANTS sera un film très différent de ceux que vous avez réalisés avant ?
Oui. Habituellement, dans les films fantastiques que je réalise, comme les X-MEN ou SUPERMAN RETURNS, les relations amoureuses sont toujours complexes. Il y a des triangles amoureux et même des « carrés amoureux », si j’ose dire ! Ici, tout est limpide : notre héros est un jeune paysan qui tombe amoureux d’une princesse et qui se lance dans une grande aventure pour aller à son secours. Ils sont fous l’un de l’autre et Jack a - surtout quand il escalade la tige géante du haricot magique - « la tête dans les nuages » dès qu’il pense à elle ! Il est euphorique, et se sent pousser des ailes. J’aime ce genre de personnages.
Après avoir eu comme héros un personnage qui voulait tuer Hitler, celui-ci veut tuer des géants…
(rires) Oui ! Ce sont tous les deux, dans des registres complètement différents, des « héros malgré eux », des hommes ordinaires qui entreprennent des missions extraordinaires. Je les trouve plus intéressants que des personnages de justiciers professionnels, qui peuvent s’appuyer sur leur entraînement physique et mental. En choisissant ses héros parmi des gens de tous les jours, Hitchcock savait que le public s’identifierait plus facilement à eux, et c’est ainsi qu’il a si bien réussi à nous captiver et à nous faire frissonner dans ses films. Quand un « monsieur tout le monde » est entraîné malgré lui dans un aventure, on a beaucoup plus peur pour lui, parce que l’on sait qu’il est plus vulnérable, plus fragile. En revanche « le voyage du héros » des grands mythes, tel que l’a décrit Joseph Campbell dans son célèbre livre LE HEROS AUX MILLE ET UN VISAGES, est tellement inscrit dans notre conscience qu’il est assez prévisible.
Combattre des géants est une mission de survie difficile à mener. Comment Jack parvient-il à les affronter et surtout, à les vaincre ?
Jack va disposer d’un objet secret doté de pouvoirs magiques. Il s’agit d’une couronne enchantée. Dès qu’il la pose sur sa tête, elle va lui permettre d’exercer un contrôle mental sur les géants, qui lui obéiront. Mais bien sûr, Jack ne dispose pas de cette couronne au début de son aventure. Il va d’abord devoir trouver cet objet, et ce ne sera pas facile, car la couronne est tombée entre de mauvaises mains. C’est l’un des enjeux principaux du film.
Quelles sont vos sources d’inspiration visuelles ?
Gavin Bocquet, mon chef décorateur, a travaillé en compagnie d’une grande équipe de dessinateurs. Ils ont produit ensemble des centaines d’illustrations inspirées de la culture des druides, de l’univers celtique, et des aspects les plus romantiques de l’Angleterre médiévale. Et j’ai dit à Joanna Johnston, ma chef costumière, qu’elle pouvait s’inspirer des tenues de cette époque, tout en se sentant libre d’aller vers des choses plus fantaisistes, plus stylisées, plus créatives… Je vais vous montrer une autre partie de la scène que nous avions commencé à regarder tout à l’heure.
(Bryan Singer donne des instructions et nous voyons la suite de la séquence, toujours avec des trucages provisoires )
Quand cette scène sera achevée, on pourra voir toute la cathédrale des géants, qui sera évidemment colossale pour Jack… Nous l’avons tournée à Hampton Court. Toute la partie supérieure de l’architecture sera refaite en images de synthèse.
Selon vous, qu’est-ce qui explique qu’il y ait autant d’adaptations de contes de fées ou d’histoires qui se déroulent dans des pays imaginaires en ce moment ? Il y a eu ALICE AU PAYS DES MERVEILLES de Tim Burton, puis le BLANCHE-NEIGE de Tarsem Singh et son concurrent BLANCHE-NEIGE ET LE CHASSEUR, et vous tournez JACK LE CHASSEUR DE GEANTS alors que Sam Raimi filme LE MONDE FANTASTIQUE D’OZ…
Je crois que la réponse est simple : tous les studios ont remarqué que ALICE AU PAYS DES MERVEILLES avait rapporté plus d’un milliard de dollars au boxoffice ! (rires) Je n’ai pas d’autre explication à vous proposer !
Quel est le traitement que vous voulez donner aux couleurs du film ?
J’avais envie d’un film avec une palette de couleurs assez riche. Je ne voulais pas avoir recours à une approche réaliste avec des teintes désaturées, de la poussière, de la boue, de la grisaille… Cela n’aura rien à voir avec l’aspect du ROBIN DES BOIS de Ridley Scott, par exemple. Nous n’utiliserons ni des teintes trop vives, ni des nuances trop ternes. Il y aura aussi des petites touches de modernité, comme la veste en cuir de Jack, qui s’éloigne des canons de la mode médiévale. Cela lui donne un côté plus contemporain. A l’inverse, nous avons réinterprété les capuches des sweat shirts que nous portons tous dans la vie quotidienne et les avons « médiévalisés ». La chemise à capuche que porte Jack est un retour aux sources, en quelque sorte. Si vous regardez bien, vous pourriez voir un motif assez discret sur son vêtement : des armoiries de chevalier. Du coup, sa tenue est à la fois moderne et crédible dans l’environnement du film. Ah, voilà une autre scène…
(Nous voyons une autre séquence : un spectacle de pantomime est présenté à un groupe d’enfants ravis. Jack y participe. On y raconte l’histoire des géants et comment le roi les a affrontés.)
C’est au cours de cette scène que Jack et la princesse se rencontrent pour la première fois…
Est-ce que le fait de tourner en 3-D restreint le nombre de prises que vous pouvez faire ?
Non, car comme nous tournons en numérique, filmer 10 prises ou 30 prises coûte la même chose. Ce n’est pas comme si l’on consommait à chaque fois de la pellicule 35mm. De plus, en numérique, on peut visionner « gratuitement » chaque prise en HD, alors qu’en 35mm, pour économiser, on ne fait développer par le labo que les prises qui semblaient bonnes sur le moniteur vidéo. En ce qui concerne le coût, le relief est cependant plus cher, parce qu’il nécessite plus de réglages techniques, et vous contraint à organiser la mise en scène dans un espace en trois dimensions. On tourne donc un peu moins vite. Il faut veiller aussi à ce qu’un acteur ne s’approche pas trop de l’objectif de la caméra, car cela provoque des jaillissements hors de l’écran qui sont gênants.
Avez-vous l’habitude de tourner beaucoup de prises ?
Cela dépend. Quand c’est possible, et que j’obtiens d’emblée de bons résultats, j’essaie d’en filmer peu. Dans d’autres cas, comme avec ce plan, il faut continuer à tourner patiemment jusqu’au moment où l’on obtient enfin ce qui est prévu.
Avez-vous l’habitude d’organiser une lecture du script avec les acteurs réunis autour d’une table, avant le début d’un tournage ?
Oui, je le fais dans la plupart des cas, maintenant. Pendant la préparation de X-MEN LE COMMENCEMENT avec Matthew Vaughn, nous avons seulement fait lire aux comédiens une sélection d’extraits particuliers de certaines scènes. Il arrive que les acteurs ne soient pas disponibles assez longtemps avant un tournage pour être en mesure de participer à ces lectures de script, mais quand ils sont disponibles, c’est toujours mieux de procéder ainsi. Je dois dire que c’est depuis que je produis la série DR HOUSE que je me suis rendu compte de tous les avantages d’une lecture de script. Toutes les équipes de production de séries télé y ont recours, parce que cela permet de clarifier les intentions de mise en scène et la direction du jeu des acteurs en amont. Un tournage de série télé se fait à un rythme très rapide, en peu de prises, et on n’a pas de temps à perdre en hésitations. Tout doit avoir été prévu avant.
Faites-vous aussi des répétitions sur le plateau ?
Non. Nous nous réunissons le matin afin de répéter la ou les scènes du jour, mais nous le faisons dans le calme, avant d’arriver sur le plateau. Ce matin, nous avons répété le texte d’une scène où les acteurs arrivent à cheval près des racines de la tige géante du haricot. Evidemment, une fois qu’ils se sont retrouvés juchés sur leurs montures, tout a changé, parce que les chevaux ont voulu aussi jouer à leur manière ! (rires)
C’est l’illustration du fameux adage « Ne tournez jamais avec des animaux, ni avec des enfants »…
Oui. Mais il y a des animaux pires à diriger que des chevaux : les chats ! Ce film est le troisième dans lequel je dois mettre en scène un chat.
Comment intervient-il dans le film ?
C’est le chat de Jack, et il doit réagir de manière très précise quand la petite maison en bois de son maître est disloquée par le haricot magique qui se met à pousser à toute vitesse.
Vous travaillez toujours avec le même chef opérateur / directeur de la photographie, Newton Thomas Sigel…
Oui, nous collaborons depuis USUAL SUSPECTS, et nous avons également travaillé sur des projets de télévision comme DR HOUSE. Nous nous connaissons si bien l’un l’autre que dans bien des cas, nous n’avons même pas besoin de parler de la manière dont je souhaiterais traiter visuellement un plan, parce qu’il le devine d’emblée. C’est quasiment de la télépathie.
Vous comptez tourner tous vos prochains films avec lui ?
Oui. J’aime le travail de Newton et nous nous comprenons si bien que cela nous permet d’avancer très vite. Pour un réalisateur, avoir une telle relation avec son directeur de la photo est un atout formidable, extrêmement précieux.
Quels sont les projets que vous préparez en ce moment ?
Je développe un projet de téléfilm avec la chaîne HBO qui sera consacré aux premières années de la carrière du grand chorégraphe Bob Fossey. Cela n’aurait rien à voir avec le film musical ALL THAT JAZZ, qui lui était dédié, ce serait très différent dans le ton et la forme. Je travaille aussi sur une nouvelle version d’EXCALIBUR avec Universal. Je collabore égalment avec Warner Digital sur leur première websérie de SF, dont le tournage vient de s’achever au Chili . Elle s’intitule H+ et décrit un monde dans lequel les cerveaux des gens sont directement connectés à internet. Ce qui a des conséquences néfastes… (La série est diffusée depuis août 2012, NDLR) Je produis aussi un thriller à petit budget intitulé UWANTME2KILLHIM? dont le titre est écrit en langage SMS. Il est réalisé par Andrew Douglas et a été tourné ici en Angleterre. Ma société de production qui s’appelle « Bad hat Harry » vient de vendre 4 projets de télévision, dont le téléfilm sur Bob Fossey. Il y a aussi une série destinée aux chaînes du câble, et deux séries destinées aux grands réseaux de télé commerciaux. « Bad hat Harry » va se consacrer au développement de ces projets de télévision au cours des prochains mois. Cela représente déjà beaucoup de travail pour ma petite équipe de 6 personnes. L’un de mes associés m’a supplié d’engager une personne de plus pour faire face à tout cela. Il m’a dit « Tu es trop radin ! ». Je lui ai dit qu’il avait raison sur ce point. (rires)
(Tous les éléments du plan en cours de tournage ont été remis en place. On se prépare à tourner une nouvelle prise. Bryan regarde le moniteur et semble fasciné par l’image du bûcher, dont les flammes sont maintenant plus intenses.)
Je pourrais regarder cela pendant des heures. Quand j’étais gosse, je jouais à l’apprenti-pyrotechnicien : je faisais brûler des balles de base-ball, je manipulais des feux d’artifice… J’étais si imprudent que c’est un miracle que je n’aie pas eu d’accident.
(Une autre prise est tournée, à nouveau avec des détails précis difficiles à régler : la robe brûle trop vite, le médaillon n’est pas assez centré...Il faut reprendre et recommencer.)
La suite de cet entretien XXL paraîtra bientôt sur ESI !
