Entretien exclusif avec Scott Stokdyk, superviseur principal des effets visuels du MONDE FANTASTIQUE D’OZ - Seconde partie
Article Cinéma du Dimanche 31 Mars 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Sam Raimi avait-il envisagé initialement de rendre un double hommage au MAGICIEN D’OZ de 1939 au cours des premières scènes du MONDE FANTASTIQUE D’OZ, en les montrant à la fois en noir et blanc et en 2D, puis en passant à la fois à la couleur et au relief quand le personnage d’Oscar Diggs arrive au pays d’Oz ?

Sam Raimi, les producteurs et nous avions effectivement songé pendant un moment à les présenter en noir et blanc et en 2D, mais comme tout a été filmé en 3-D native dès le début du tournage, Sam est tombé comme nous sous le charme du relief et de son rendu en monochromie. Après avoir vraiment pesé le pour et le contre, nous avons unanimement décidé qu’il était dommage de sacrifier la découverte en relief de toutes les scènes qui se passent au Kansas, comme le numéro de magie d’Oscar Diggs, son évasion en ballon pendant l’arrivée de la tornade, puis son expérience dans l’œil du cyclone, juste pour préserver ce court effet de transition 2D / 3-D. C’est pour cette raison que le film est présenté en relief du début à la fin.

LE MONDE FANTASTIQUE D’OZ est de toutes évidences un énorme travail d’effets visuels, puisqu’il vous a fallu créer tout un monde imaginaire, avec ses paysages, ses cités et ses créatures, et inventer aussi de nombreux trucages autour des pouvoirs magiques des trois sorcières. Comment avez-vous entamé ce travail avec Sam Raimi, et choisi ensemble quels décors et personnages seraient réalisés «en vrai » et quels environnements et créatures seraient représentés en images de synthèse ?

Nous avons convenu très tôt de tourner uniquement en studio, et de ne jamais filmer de vrais paysages en extérieurs, y compris pour représenter le monde réel au cours des scènes qui se déroulent au Kansas. Ce choix esthétique a influencé tout le reste de ce que nous avons fait. Et notamment la décision de donner au film l’aspect d’une production hollywoodienne de jadis, dans le sens où l’on allait construire autant de décors en dur que le budget le permettait, et que tout ce que l’on montrerait serait stylisé artistiquement, de la forme des plantes jusqu’à la moindre poignée de porte. De même, nous avons établi qu’il y aurait beaucoup de vrais acteurs et de figurants sur le plateau, et une grande équipe technique présente pendant le tournage, notamment pour s’occuper des maquillages spéciaux. Conformément aux habitudes et aux préférences de Sam, nous avons tourné en prises de vues réelles tout ce qui pouvait être filmé ainsi avec les décors, les comédiens, les maquillages et les effets spéciaux de plateau. Concernant la conception des décors, ils ont été construits aussi grands que possible, mais nous avons toujours veillé à réserver au moins une large ouverture avec un fond bleu, afin de pouvoir incruster ultérieurement un paysage et une ligne d’horizon qui donneraient de l’ampleur à la scène, car il fallait que nous puissions bénéficier de l’effet de profondeur apporté par la 3-D. Pour prendre l’exemple de la cour du château de Glinda, nous avons construit les trois quarts du décor avec des murs formant une enceinte dans laquelle les acteurs pouvaient évoluer et interagir, tandis que le dernier quart était ouvert sur le paysage fantastique d’Oz. Le même principe a été appliqué à tous les autres décors : s’il n’y avait pas de larges ouvertures, il y avait toujours au moins des grandes fenêtres ou des portes permettant de montrer l’horizon.

Parlons de la création des extensions de décors et des panoramas virtuels. Comment avez-vous collaboré avec Robert Stromberg sur la création de l’aspect général des paysages du monde d’Oz ?

Robert a joué un rôle-clé avant, pendant et après le tournage, parce que sa vision d’Oz était extrêmement précise. Généralement, nous procédions ainsi : Robert nous présentait l’illustration conceptuelle d’un environnement, puis nous ouvrions un débat pour déterminer ce qu’il fallait construire « en dur » et ce qui gagnerait à être réalisé en images de synthèse et ajouté en postproduction. Une fois que tout le monde était d’accord sur la manière de procéder, Robert et ses équipes construisaient ce décor, et le tournage y avait lieu. Ensuite, nous donnions les prises de vues réelles à Robert, et il les retouchait sur palette graphique en dessinant par-dessus les écrans bleus les parties de décor ou de paysages qui restaient à ajouter. Cela nous permettait d’avoir à la fois un objectif très clair, et un guide artistique précis pour réaliser les modélisations des décors virtuels.

A-t-il été délicat de mettre au point le bon équilibre entre un aspect onirique de pure Fantasy et le réalisme des textures et du rendu des arbres, des collines, des montagnes et des abords de la route de briques jaunes ?

Fondamentalement, le traitement et les textures de tout ce que nous avons créé en synthèse est issu de l’aspect des décors réels, qui ont été eux-mêmes stylisés dans leurs moindres détails par Robert Stromberg et son équipe de fabrication, et qui ont été éclairés et filmés par Peter Deming, le directeur de la photographie. C’est cela qui a établi l’esthétique de tout le reste du film. Comme je le disais auparavant, comme aucune prise de vue en extérieurs n’était souhaitée pendant le tournage, nous ne nous sommes pas rendus non plus dans de vrais paysages pour photographier et scanner de quoi créer les abords de la route de briques jaunes. Tous les éléments virtuels ont été pour ainsi dire « fabriqués à la main »et créés par nos artistes infographistes. Par exemple, quand nous avions à créer un paysage 3D de chemin de terre battue avec une clôture, nous appliquions un traitement de stylisation identique à celui de Robert, dans le sens ou tout dans l’image, des textures du bois à l’emplacement des touffes d’herbe en passant par les perspectives des champs allant jusqu’à l’horizon, était le fruit d’une série de choix graphiques très précis. Nous avons repris ainsi le plus fidèlement possible le style des décors établi par Robert et ses équipes. Pour répondre à votre question sur l’équilibre entre pure Fantasy et réalisme, je dirais que ce que nous montrons dans les décors virtuels est une sélection précise d’éléments issus de la réalité, auxquels sont appliqués des stylisations volontairement marquées. C’est une démarche à l’opposé du « cinéma vérité » qui s’appuie sur des tournages dans de véritables environnements extérieurs, en n’utilisant que les sources d’éclairage artificielles et la lumière naturelle disponibles à ces endroits-là. Dans LE MONDE FANTASTIQUE D’OZ, les décors, les textures et la lumière ont été systématiquement façonnés et sculptés. Je crois que compte tenu du fait que nous avons reproduit l’esthétique et l’éclairage des décors sur nos extensions de décors et paysages plus lointains – qui ont été quelquefois réalisés sous la forme de Mattes numériques - les images finalisées ont un aspect très homogène, sans rupture apparente entre ce qui a été construit sur le plateau et ce qui est virtuel. C’est la même sensibilité, la même approche artistique qui s’applique partout.

Justement, à propos des décors, avez-vous utilisé les modélisations en 3D réalisées par Robert Stromberg et son équipe sur AutoCad et Maya, afin de créer ensuite les extensions de ces environnements dans vos effets visuels ?

Nous n’avons pas été en mesure d’utiliser souvent les fichiers Maya que le département de la décoration nous envoyait. Notre approche consistait généralement à scanner le décor du plateau en 3D, puis à créer les modélisations de nos extensions en nous basant sur les illustrations conceptuelles de Robert, ou quelquefois sur les éléments de prévisualisation qui avait été réalises par le studio The Third Floor. Il nous est arrivé aussi de procéder « à l’envers », en partant de ce que Robert dessinait à la palette graphique sur les prises de vues, par-dessus les parties de fond bleu aménagées dans le décor. Nous travaillions ensuite avec Steve Messing, qui a supervisé tous nos Mattes paintings, et nous lui demandions de transformer le dessin de Robert en Matte couvrant tout le fond de l’image. Ensuite, nous construisions des formes géométriques correspondant à ce dessin dans l’ordinateur, afin de pouvoir donner du volume à ces parties peintes, de telle manière que l’image finalisée soit en relief du premier plan jusqu’à l’horizon lointain, même si la perception de la 3-D s’atténue un peu à partir d’une certaine distance. Je précise que si l’on place un décor 2D trop près de la caméra pour représenter l’horizon dans un film en relief, le spectateur attentif s’en rendra compte même pendant un plan fixe. Et si jamais il y a un mouvement latéral de la caméra, alors là, le rendu plat du fond d’image lui sautera aux yeux.

Avez-vous également pris des photos haute résolution des décors en plateau pour recouvrir vos extensions 3D avec ces vraies textures ?

Non, nous n’avons pratiquement pas employé cette méthode, car avec l’approche graphique de Robert, des textures peintes transposées sur des volumes 3D fonctionnaient mieux que le placage de photos des décors. Par contre, nous avons réalisé énormément de scans 3D des éléments de décor, afin de placer ces modélisations dans notre banque d’accessoires virtuels. Nous y avons ajouté les arbres, les arbustes, les plantes et les surfaces de sols conçus par Robert, ainsi que tous les éléments d’architecture construits pour les différentes cités du film. De cette manière, nous pouvions puiser dans ce stock toutes les pièces en volume dont nous avions besoin pour construire nos extensions en 3D.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le travail que les équipes de Sony Imageworks ont accompli sur les décors suivants, et nous préciser aussi de quels éléments en prises de vues réelles vous disposiez au départ ? Commençons par le décor du cirque, au Kansas…

En ce qui concerne le Kansas, les scènes qui avaient été tournées dans les studios Raleigh s’appuyaient essentiellement sur un sol recouvert de terre d’un bout à l’autre du plateau, sur lequel était construit le décor du cirque avec les baraques foraines, le tout étant entouré à 360° par un énorme cyclorama bleu. Donc à chaque fois que le haut du cadre n’était pas caché par le chapiteau du cirque ou par les structures d’une tente ou d’une baraque foraine, nous devions ajouter le paysage des plaines du Kansas s’étendant jusqu’à l’horizon, avec des champs, des petites collines, des moulins à vents, pour composer une description un peu stylisée de cette région au début du 20ème siècle.

Vous avez créé aussi des paysages de gorge rocheuse, de rivière et de chute d’eau, avec des simulations d’eau…

C’est exact. Notre approche a consisté à construire le plus possible d’éléments sur le plateau pour tourner ces scènes, puis de compléter en 3D ce qui sortait des limites physiques du studio. Même si les plateaux dans lesquels nous nous trouvions étaient très grands, nous ne pouvions pas disposer d’une largeur supérieure à 76 mètres, ce qui posait forcément problème quand il fallait filmer des scènes de voyage pendant lesquelles les personnages franchissaient de grandes distances, notamment quand le ballon d’Oscar/Oz évolue dans les airs, puis se retrouve précipité dans l’eau. C’est ce qui nous a contraint à créer presque 100% des paysages autour de la rivière en synthèse, afin de raccorder cela avec les mouvements de la nacelle en osier dans laquelle se trouvait James Franco. Cette nacelle était fixée sur un gimbal, une plateforme hydraulique animée pour reproduire toutes sortes de mouvements, des plus doux aux plus violents. La plus grande difficulté de cette scène consistait à créer les déplacements d’Oz et de la nacelle dans les courants rapides de cette rivière. En plus de la création des paysages, il y a fallu aussi simuler les mouvements de l’eau autour de James Franco, les éclaboussures autour de ses bras quand il se débat, etc.

La création en 3D de la majeure partie de la cité d’émeraude avec sa porte principale, son boulevard, sa salle du trône, ses vues intérieures, extérieures et aériennes a dû être représenter aussi beaucoup de travail…

Certes, mais ce qui est intéressant dans le cas d’Imageworks, c’est que nous avons acquis une telle expérience dans le domaine de la création des paysages urbains de New York en travaillant sur les films des sagas SPIDER-MAN et MEN IN BLACK que nous maîtrisons tous les tenants et les aboutissants de la création du décor d’une grande cité, qu’elle soit réelle ou imaginaire. Ici, tout le monde peut s’appuyer sur ses connaissances et celles de ses collègues pour réaliser ce type de travail. Nous savons comment simuler des décors intérieurs de pièces au travers des centaines de fenêtres d’un gratte-ciel, ainsi que des reflets de l’environnement immédiat sur toutes sortes de surfaces. Nous savons quels types de petits détails , de textures et de patines permettent de donner un aspect hyperréaliste à une grande cité construite en 3D. De ce fait, en abordant la création de la cité d’émeraude, nous savions que la difficulté principale consistait à bien transposer la vision artistique de Robert Stromberg, mais que nous n’aurions pas de problèmes techniques majeurs à résoudre. Nous sommes partis d’esquisses assez simples d’une cité de style art déco avec de grands immeubles, tous verts, bien évidemment, mais rehaussés de lignes dorées, comme les architectures construites en plateau. Quand nous avons tourné dans les studios Raleigh, nous avons photographié en détail les décors de la cité d’émeraude, comme les portes d’accès, les rues principales, les allées et les entrées des principaux bâtiments, et nous avons utilisé ces documents comme nos textures de base. Nous avons assemblé ces séries de photos pour obtenir des « peaux » que nous avons appliquées sur les modèles 3D très simples qui avaient servi à la prévisualisation, puis nous avons tout repris pour ajouter les détails exacts des volumes, les textures et les couleurs, afin d’obtenir un paysage urbain qui semble réaliste.

Le décor de China Town, la ville constituée de tasses et de théières en porcelaine, est particulièrement poétique et étonnant…

Oui. China Town a été un environnement particulièrement gratifiant à réaliser en 3D pour notre équipe parce que beaucoup de choses rendent ce lieu unique. Robert Stromberg a imaginé que le peuple de porcelaine qui vit là a constitué ses habitations avec des assemblages de tasses, de soucoupes et d’assiettes surdimensionnées. Toutes ces pièces sont faites de porcelaine, avec des ornementations aux thèmes bavarois. Robert a ajouté des éléments de décor en bois et en tissu pour atténuer le côté dur et froid de la porcelaine. Si les habitations sont spacieuses pour la petite population de China Town, quand James Franco / Oz les découvre, elles ressemblent à des miniatures remarquablement détaillées. Nous avons créé beaucoup de surfaces et de textures différentes pour ce décor, afin que le rendu de la porcelaine soit beau et semble parfaitement réaliste en images de synthèse. Nous disposions d’une maquette en volume du décor, ce qui est toujours très utile. Et Robert a fait appel au studio New Deal, avec lequel nous avons déjà collaboré auparavant, afin de fabriquer des maquettes à taille réelle de certaines habitations, pour nous servir de références.

Suivez la route de briques jaunes sur ESI pour lire la suite des confidences du magicien des effets visuels d’Oz !

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