JACK LE CHASSEUR DE GEANTS : Entretien exclusif avec le grand Stanley Tucci, qui s’en donne à cœur joie dans le rôle du méchant Lord Roderick….
Article Cinéma du Vendredi 19 Avril 2013

[Retrouvez la précédente partie de ce dossier]


Notre entretien avec Richard Roberts s’achève et nous sommes conduits jusqu’à une grande tente dressée dans une clairière. C’est là que les membres de l’équipe de tournage viennent prendre leur petit déjeuner et leur déjeuner aux horaires traditionnels, ou plus simplement manger rapidement quand ils le peuvent, en profitant d’une petite pause entre deux plans, tout au long de la journée. L’excellent acteur américain Stanley Tucci, que les fantasticophiles ont pu apprécier récemment dans les rôles du présentateur télé Caesar Flickerman de HUNGER GAMES , du professeur Erskine qui transforme le chétif Steve Rogers en CAPTAIN AMERICA et du terrifiant George Harvey, assassin de l’héroïne de LOVELY BONES , nous rejoint et nous salue aimablement, en nous priant de bien vouloir l’excuser de manger des spaghettis tout en répondant à nos questions ! L’interprète du perfide Lord Roderick - le méchant principal de JACK LE CHASSEUR DE GEANTS - meurt de faim car il a été contraint de tourner pendant l’heure du déjeuner…

Entretien avec Stanley Tucci

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Parlez-nous de votre personnage, Lord Roderick…

Roderick est un noble qui est en position de succéder au roi Brahmwell s’il épouse sa fille la princesse Isabelle. Le roi lui a dit qu’il consentait à ce mariage, mais Isabelle, qui ne l’apprécie guère, en a décidé autrement. Alors que Roderick voyait sa destinée toute tracée, elle est soudainement remise en cause.

Il n’appartient pas à la cour, à l’origine ?

Non, je ne crois pas. C’est un personnage arriviste et corrompu, dans la lignée du shérif de Nottingham des AVENTURES DE ROBIN DES BOIS.

Et vous prenez donc un accent anglais pour jouer ce rôle ?

Oui. Vous l’avez entendu ? (rires)

Est-ce que vos partenaires anglais vous aident à prendre les bonnes intonations, vous conseillent, vous encouragent ?

Ils ne me disent pas un mot à ce sujet. Ils sont peut-être attérés par ce qu’ils entendent…(rires) Je travaille avec un coach spécialisé dans les dialectes anglais. L’entraînement a été un peu dur au départ, mais j’ai fini par prendre mes repères. Maintenant, j’ai acquis une certaine habitude et cela vient plus facilement. Ce qui m’aide, c’est que l’on me demande de prendre ce que l’on appelle ici l’accent « Posh », c’est à dire des intonations snob très affectées, typiques de la haute bourgeoisie et des milieux huppés.

Avez-vous été obligé de prendre des leçons d’escalade pour tourner les scènes où vous partez à l’ascension du haricot géant ?

Oui, mais seulement quelques-unes. Ce n’était pas très compliqué : il s’agissait juste de progresser sur un mur d’escalade en étant sécurisé par un harnais relié à des câbles. Des alpinistes professionnels nous ont appris les bons gestes et les réactions à avoir pour éviter les problèmes. Mais en fin de compte, nous n’avons pas passé autant de temps que je l’imaginais à tourner les scènes de l’escalade des tiges du haricot géant, à mon grand soulagement ! Tout s’est bien passé.

C’est probablement la première fois dans votre carrière que vous devez jouer dans des cycloramas verts, en regardant des balles de tennis oranges accrochées au bout de tiges qui représentent les yeux des géants… Comment avez-vous trouvé cet apprentissage des scènes destinées à être complétées par des décors et des personnages virtuels ?

Oh, c’est épouvantable ! Affreux ! Je déteste cela. Ce n’est ni amusant ni stimulant. Le processus de tournage sur fond vert est très lent, pénible, lassant et a tendance à vous faire perdre tous vos repères de comédien. Vous jouez dans le vide au lieu de réagir à la performance d’un partenaire. C’est vraiment très dur. Bien sûr, en tant qu’acteur, on doit être capable de visualiser dans son esprit tout ce qui est sensé se trouver autour de soi, mais cet exercice-là, à cause des contraintes techniques, vous oblige à vous concentrer beaucoup plus pour ne rater aucun point de mise en scène parmi tous ceux qui ont été établis. Tout en faisant cela, vous devez veiller à respecter des marques au sol, les bonnes directions de regard, le bon timing. C’est très technique et cela empiète sur la spontanéité de votre jeu d’acteur.

Est-ce que l’on vous a au moins montré les prévisualisations animées des scènes d’effets spéciaux avec les géants ?

Oui, et heureusement que nous avons pu nous y référer, car sinon, nous aurions eu beaucoup de mal à comprendre ce que l’on attendait des acteurs. Nous avions déjà visionné ces scènes de prévisualisation pendant la réunion de lecture du script, il y a huit mois de cela, au tout début du projet. C’était assez étonnant de visionner l’intégralité du film sous cette forme d’animation 3D schématique, avant même d’en avoir tourné une seule scène. Cela ne m’était jamais arrivé auparavant, et j’ai trouvé cela agréable et très utile.

Puisque vous nous avez parlé des parties les moins agréables du tournage, quelles sont celles que vous avez préférées ?

Tout ce qui était physique, comme les répétitions du combat à l’épée avec Ewan McGregor. J’ai failli découper un petit morceau d’Ewan par mégarde, mais en dehors de cela, cet entraînement a été très plaisant. Nous avons répété cette séquence pendant six ou sept sessions, et j’ai pu constater que Ewan était plus doué que moi. Visiblement, il n’avait pas oublié les leçons d’escrime qu’il avait prises pour se préparer au tournage des trois premiers épisodes de STAR WARS ! J’ai aussi beaucoup apprécié les leçons d’équitation que j’ai prises pendant deux mois afin d’âtre à l’aise sur un cheval. Cela fait partie des bons côtés de la préparation d’un film : apprendre à faire des choses que l’on n’avait jamais faites auparavant. J’ai retrouvé aujourd’hui le cheval avec lequel je m’étais préparé, et tout s’est bien passé. Il faut dire que tout le mérite revient aux gens qui l’ont merveilleusement dressé et préparé à bien réagir à ce qui se passe sur un plateau pendant un tournage. Du coup, mes camarades acteurs et moi avons tous l’air d’être d’excellents cavaliers, même si en ce qui me concerne, ce qui n’est absolument pas le cas. Mon plus grand mérite est d’arriver à rester assis sur ma monture sans tomber pendant les prises. (rires)

Comment décririez-vous le ton du film ?

Le scénario est écrit sérieusement, mais il y a beaucoup de moments de comédie au fil de l’histoire. Je crois que Bryan et les producteurs sont encore en train de rechercher l’équilibre le plus efficace entre l’action, l’émotion et l’humour. Le danger est évidemment d’aller trop loin dans les gags et de transformer le film en une parodie, ce qui n’est pas ce qui est prévu, ni souhaité. Nous cherchons souvent différentes options d’interprétations d’une scène, afin que Bryan puisse disposer de plusieurs choix au moment du montage.

Vous êtes passé derrière la caméra vous-même, en réalisant quatre longs métrages. Est-ce que votre participation à cette grosse production d’aventure pourrait vous donner envie de diriger un film du même registre ?

Non, car je n’en aurais pas la patience ! Je crois que je serais incapable de maîtriser autant d’éléments techniques liés aux effets visuels. Je préfère les projets plus intimes car je n’ai pas l’adresse intellectuelle de Bryan Singer, qui lui permet à de jongler avec la technique tout en dirigeant très bien les acteurs.

Qu’est-ce qui vous a incité à accepter ce projet ?

Le personnage de Lord Roderick… L’opportunité de tourner en Angleterre, car j’adore Londres. On y vit très confortablement… Et bien évidemment le plaisir de travailler avec Bryan, dont j’admire les films depuis longtemps. Cela a suffi à me convaincre. D’ailleurs, j’ai été le premier acteur du casting à être engagé.

Iriez-vos jusqu’à dire que Roderick est un méchant caricatural ?

Oh absolument ! Et c’est bien pour cette raison que j’ai eu envie de l’interpréter ! (rires) Il fallait qu’il se comporte ainsi, de manière outrancière, car nous racontons un conte de fées. Il y a les bons d’un côté, et lui de l’autre ! Si l’histoire n’était pas présentée ainsi, ce ne serait plus un conte de fées.

Comment Bryan Singer vous a-t-il décrit le personnage de Roderick quand il vous en a parlé pour la première fois ?

Il m’a simplement dit qu’il était « vraiment méchant » ! (rires) Et il a ajouté que pour le moment, c’était tout ce que j’avais besoin de savoir ! Roderick n’a aucune qualité qui lui permettrait de se racheter un tant soit peu : il est lâche, envieux, fourbe, veule, et c’est un menteur pathologique. (rires)

Est-ce un défi pour un acteur que de jouer un tel rôle ?

Non. Il faut juste arriver à se persuader de la réalité des situations et des motivations du personnage. Dès que l’on a compris qu’il ne reculera devant rien ni personne pour arriver à ses fins, on tient le personnage. Mais tout doit être accentué parce qu’il s’agit d’un conte de fées. On peut donc se permettre certaines outrances dans le jeu, ce qui est extrêmement plaisant. J’adore cela ! Interpréter un tel méchant, c’est un peu comme redevenir un enfant qui joue avec ses copains. Ou comme quand on tient le rôle du méchant en s’amusant avec ses propres enfants, quand ils vous disent « Papa, joue le rôle du méchant roi s’il te plaît ! » C’est le pur plaisir du jeu.

Comment avez-vous créé le personnage ? Avez-vous utilisé des sources d’inspiration particulières ?

Non. Vu ce que Bryan m’avait dit et le contenu du script, tout ce que j’avais à faire, c’était de mettre ma perruque, et j’étais prêt ! (rires) J’ai également demandé au département maquillage de me préparer des fausses dents, avec des incisives écartées…Des « dents du bonheur » comme on les appelle. Non, ne regardez pas mes dents, car pour manger, j’utilise les vraies, les miennes ! (rires) Tout ce dont j’avais besoin était déjà dans le scénario. Et comme nous avons une fantastique chef costumière, Joanna Johnston, mes tenues complétaient la panoplie idéale pour interpréter ce rôle.

Est-ce que le tournage en relief a changé quoi que ce soit à votre travail habituel d’acteur ?

Non, aucunement. De toutes manières, je ne suis pas suffisamment versé dans ces techniques pour les comprendre ! Je suis les indications de Bryan et je m’en remets à lui. J’ai vu les scènes que nous avons tournées en 3-D et le rendu est extrêmement impressionnant. C’est épatant de pouvoir voir un film ainsi, en étant immergé dans l’action. Le sujet de JACK LE CHASSEUR DE GEANTS est parfaitement adapté au relief. Bien sûr, les caméras relief sont encore un peu encombrantes et le processus ralentit le tournage, mais bien moins que je ne le craignais au départ. Cela étant dit, les mises en place sont plus lentes, les mises au point des mouvements de caméra aussi, et des 65 films auxquels j’ai participé, JACK est de loin celui qui se tourne le moins vite. Mais au final, quand on voit le résultat sur les moniteurs relief, on est bluffé par la qualité et la beauté des images. Bryan et son directeur de la photo, Newton Thomas Sigel, ont su filmer magnifiquement les paysages naturels dans lesquels nous nous trouvons. Les couleurs sont vives et chatoyantes, comme celles d’une enluminure du Moyen-âge filmées en technicolor !

Revenons au ton du film. Diriez-vous qu’il se rapproche du PRINCESS BRIDE de Carl Reiner, qui traitait aussi l’univers des contes de fées avec humour ?

Je dirais que le ton de JACK LE CHASSEUR DE GEANTS est très différent de celui de PRINCESS BRIDE, parce que dans le film de Carl Reiner, le conte est raconté avec beaucoup de malice par un grand-père à ses petits-enfants. Il s’agit donc d’une histoire dans l’histoire, traité en comédie, avec de nombreux éléments parodiques. Il s’agit plus d’une fable qui ne se prendrait pas au sérieux, tandis que dans Jack, on s’appuie sur la structure classique d’un film d’action, dans un contexte de conte de fées, avec des touches d’humour. C’est un film que l’on peut voir en compagnie de ses enfants, à condition qu’ils n’aient pas peur des géants qui dévorent les humains ! C’est une aventure destinée à toute la famille.

Quelle est la scène d’action la plus complexe que vous avez tournée jusqu’à présent ?

Les séquences les plus spectaculaires sont celles dans lesquelles apparaissent les géants. Elles seront donc représentées majoritairement en images de synthèse, avec quelques éléments en prises de vues réelles. De ce fait, nous avons tourné moins de cascades classiques que l’on ne pourrait le croire, en dehors des combats à l’épée avec les autres personnages humains. Je dirai que ces duels constituent l’essentiel de ma contribution aux scènes d’action. Comme vous le verrez dans le film, Lord Roderick est un bon escrimeur, mais aussi un tricheur sans scrupules. Il ne se déplace jamais sans sa petite canne / massue avec laquelle il frappe les gens en traître, sans leur donner la chance de se préparer à combattre. Et en poussant un bouton, une lame de poignard sort de la massue pour lui permettre de donner le coup de grâce.

Parlez-nous de vos partenaires dans ce film. Quand nous vous avons vu tout à l’heure, vous sembliez attendre dans la bonne humeur que la prise débute, en échangeant des plaisanteries…

Oui, nous nous entendons tous très bien, et nous rions beaucoup. Je m’estime très heureux de travailler avec des gens que j’admire depuis longtemps, comme Eddie Marsan, Ian McShane et Ewan McGregor. Et je vous assure que je suis sincère en disant cela. Ce sont des partenaires avec lesquels chaque prise est une expérience inédite. Ils essaient constamment de faire passer des choses nouvelles dans leur jeu et sont toujours ouverts à vos suggestions. Comme nous devons souvent patienter assez longtemps entre les prises, leur sens de l’humour permet de faire passer le temps beaucoup plus vite.

Allez-vous revenir à la réalisation prochainement ?

Oui, je m’apprête à réaliser une comédie intitulée MAMAN ET MOI, pour la Columbia, avec Meryl Streep et Tina Fey dans les rôles principaux. Tina est en train de retravailler le script. Tout ce que je peux vous en dire de plus, c’est que je ne la tournerai pas en relief ! (rires)

Stanley Tucci nous quitte en avalant rapidement ses derniers spaghettis, car on l’attend à nouveau sur le plateau !

La suite de cette immense dossier paraîtra bientôt sur ESI !

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