[Flashback] Entretien exclusif avec Joseph Kosinski, auteur et réalisateur d’OBLIVION - Première partie
Article Cinéma du Jeudi 09 Aout 2018

Après TRON L’HERITAGE, le talent visuel de Joseph Kosinski s’exprime dans un projet plus personnel. Initié sous la forme d’un roman graphique, OBLIVION est devenu une oeuvre aux images étonnantes, qui transpose des thèmes actuels, à l’instar des grands films d’anticipation des années 70. Retour sur ce film qui a su séduire les fans de SF, dans un entretien garanti sans « spoilers », pour ceux qui ne l’auraient pas encore vu !

C’est dans la réalisation de spots publicitaires que Joseph Kosinski, qui avait envisagé un temps de devenir architecte, a révélé son talent de metteur en scène. Il a su se faire remarquer en se servant habilement des images de synthèse pour tromper le regard du spectateur et instaurer un certain trouble. Dès son premier court-métrage, DESERT HOUSE, il décrivait déjà une maison dont les structures 3D apparaissaient furtivement, tout en utilisant de vrais bruits de pas sur des graviers, créait ainsi un décalage déstabilisant entre simulacre assumé et réalité. Fan de Kubrick, Kosinski a aussi reconstitué le décor de grand hall de l’hôtel de SHINING pour une bande-annonce télé, ne dévoilant la supercherie 3D que dans les dernière images. Mais ce sont deux spots publicitaires réalisés en 2007 pour les versions X-Box 360 des jeux HALO 3 et GEARS OF WAR qui vont le faire connaître des fans de SF, et attirer l’attention des studios Disney, à la recherche d’un nouveau talent pour diriger la suite de TRON. Après ses débuts au cinéma avec TRON L’HERITAGE, Joseph Kosinski a initié lui-même le projet OBLIVION, dont il nous raconte la création, du roman illustré initial jusqu’au film passionnant que nous nous apprêtons à découvrir…

Entretien avec Joseph Kosinski

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Le choix d’un second film est toujours une décision extrêmement importante pour un réalisateur. En découvrant le sujet d’OBLIVION, nous nous sommes demandés si c’est l’amalgame de vos deux passions pour la Science-Fiction et l’architecture qui vous a incité tout naturellement à créer un tel roman illustré avec la participation du scénariste Arvid Nelson et du dessinateur suédois Andrée Wallin? Les décors de cette histoire sont des environnements futuristes hautement stylisés, comme la « maison de verre dans le ciel », les ruines décrépites de célèbres monuments, et les structures cachées érigées par les rebelles. Ce récit semble être une parfaite occasion de créer un monde rempli de visions architecturales stupéfiantes…

En effet. Chronologiquement, ce projet de film a débuté sous la forme d’un traitement de quelques pages que j’ai écrit en 2005, 4 ans avant TRON L’HERITAGE. A cette époque, je venais tout juste de m’installer à Los Angeles, et je démarchais des agences de publicité pour essayer de trouver du travail sur le marché de la réalisation de spots télé. C’est un milieu professionnel dans lequel il est extrêmement difficile de percer puis de se faire une place quand on est un tout jeune réalisateur. Même si je multipliais les rendez-vous, je disposais de beaucoup de temps libre, et j’ai eu envie de développer l’idée d’histoire qui me trottait dans la tête depuis un certain temps. Je me suis dit qu’elle pourrait devenir un script, et peut-être mon premier long-métrage. Je l’avais conçue d’emblée avec un nombre très limité de protagonistes, en m’inspirant de la manière dont étaient construits les épisodes de la célèbre série de la fin des années 50 LA QUATRIEME DIMENSION (THE TWILIGHT ZONE). J’adorais ces épisodes, car en dépit des contraintes de budget et de rapidité de tournage imposés par la télévision, leurs intrigues abordaient toujours des thèmes passionnants, plus ambitieux que la plupart des séries de la même époque, et il y avait des rebondissements surprenants à la fin de ces intrigues. Dans mon projet de film, je voulais jouer sur l’opposition entre un tout petit groupe d’acteurs et un environnement d’une très grande ampleur, rempli de ces visions architecturales dont vous avez parlé. C’est ainsi que tout a commencé, par ce traitement de 5, puis de 10 pages. Pendant quelques années, je l’ai développé sous la forme d’un roman illustré, mais toujours en ayant l’objectif qu’OBLIVION devienne un jour un film. C’est ainsi que j’ai collaboré avec Arvid Nelson sur l’histoire et avec le jeune dessinateur suédois Andrée Wallin, qui n’a que 23 ans, mais qui possède déjà une remarquable maîtrise artistique. Il a d’ailleurs réalisé l’une des affiches du film…Nous voilà arrivés presque exactement 8 ans après que j’aie écrit ce premier traitement, et le film est en cours de finition en ce moment-même. Plus que quelques semaines avant d’être arrivé au bout de ce long chemin !

Et pour revenir sur ce point, l’aboutissement de ce projet et le tournage du film a-t-il été une sorte d’apothéose pour l’ex-étudiant en architecture que vous avez été ?

Oh oui, absolument ! (rires) Le tournage d’OBLIVION a été une expérience fantastique, vraiment jouissive. J’ai eu d’ailleurs beaucoup de chance, car les 2 films que j’ai réalisés à ce jour m’ont chacun permis de faire fabriquer des décors incroyables. Dans le cas de TRON L’HERITAGE, même si la plupart des environnements étaient virtuels, nous avons tout de même tourné dans une dizaine de très beaux décors construits sur des grands plateaux. Il y en a beaucoup plus dans OBLIVION.

Quel est votre décor préféré ?

Sans hésiter, celui de « La tour du ciel », que vous appeliez « la maison de verre dans le ciel » tout à l’heure. C’est sans aucun doute le décor le plus étonnant que j’aie pu filmer jusqu’à présent. Pas seulement en raison de son design, mais parce que c’est un endroit auquel j’ai songé depuis que j’ai écrit cette histoire, et parce que nous avons employé une technologie tout à fait inédite pour tourner ces moments-là du film. Je crois, enfin j’espère, que les gens vont être très intrigués par ce qu’ils verront au cours de ces séquences.

Les avez-vous tournées sur fond vert ou sur fond bleu ?

Non, et c’est justement ce dont je suis le plus fier : avoir évité d’utiliser les fonds verts ou bleus ! Nous avons employé une méthode vraiment atypique, en deux temps. Nous nous sommes d’abord rendus au sommet du plus haut volcan de l’île de Maui dans l’archipel d’Hawai. Ce volcan s’appelle le Haleakala et il culmine à 6096 mètres au-dessus du niveau de l’océan. Bien souvent, il domine aussi une mer de nuages qui se forme en dessous. Nous avons placé une équipe de tournage à son sommet pendant une semaine et les opérateurs ont utilisé trois caméras numériques de résolution 5K reliées les unes aux autres afin de réaliser des prises de vues panoramiques du ciel à plus de 180°. Ils ont filmé de toutes sortes de manières : à 24 images secondes mais aussi à des vitesses plus lentes afin d’accélérer les évolutions des nuages. Ils ont même utilisé la technique du « Time Lapse » en faisant fonctionner les caméras avec un dispositif automatique afin qu’elles ne prennent qu’une image par seconde, toutes les 10 secondes, ou à des intervalles encore plus grands, pour obtenir des accélérations bien plus importantes. Ils ont tourné à l’aube, le matin, l’après-midi, au crépuscule, la nuit, par beau temps, avec des ciels nuageux, orageux, cotonneux, pendant des averses, etc. Au bout d’une semaine, nous avons disposé d’une gigantesque banque de prises de vues panoramiques en très haute résolution. Nous avons tout visionné, et sélectionné les meilleurs moments de ce tournage. Ensuite, nous avons construit le décor de la tour du ciel, nous avons placé tout autour un énorme écran courbe, et nous avons utilisé 21 projecteurs numériques 4K pour projeter les prises de vues panoramiques en haute résolution sur cet écran. C’est un processus assez proche de celui que Stanley Kubrick avait utilisé pour tourner les séquences de l’aube de l’humanité avec les hommes singes dans 2001, L’ODYSSEE DE L’ESPACE. A l’époque, il avait envoyé des photographes en Afrique pour réaliser des prises de vues de vastes plaines sur d’énormes diapositives. Il s’agissait d’ektachromes qui mesuraient 20cm de haut sur 25cm de large. Il avait fait fabriquer spécialement un projecteur pour ces diapositives géantes, et l’avait doté d’un éclairage extrêmement puissant. Sur le plateau, un gigantesque écran ultra-réfléchissant en Scotchlite était placé derrière le décor de rochers et les acteurs portant les costumes de singes. Le procédé de projection frontale permettait que toute la lumière de ces photographies revienne vers l’objectif de la caméra. Ce qui était brillant dans l’idée de Kubrick, c’est que le support de base des images, ces énormes diapositives, était d’une résolution tellement supérieure à celle de la pellicule 70mm avec laquelle il tournait qu’il était impossible de détecter la moindre déperdition de qualité ou de luminosité entre ce qui était « vrai » sur le plateau, et ce qui était projeté sur l’écran géant. Eh bien nous nous sommes inspirés du même principe en multipliant et en « fondant » les sources de projection en 4K tout autour du décor pour diffuser ces vues des nuages en mouvements. Imaginez ce que donne la résolution d’un panorama généré par 21 projecteurs 4K qui fonctionnent ensemble : c’est ahurissant ! Du coup , nous avons pu tourner toutes ces scènes en direct, sans utiliser le moindre effet visuel en postproduction, et le rendu du ciel et les effets de transparence sur les parois vitrées sont bien meilleurs et plus naturels que si nous étions passés par un cyclorama vert et des incrustations.

Félicitations ! C’est une idée formidable, et c’est réconfortant de voir un tel retour aux sources des effets spéciaux, qui utilise astucieusement les trouvailles d’hier et les techniques de pointe d’aujourd’hui !

Merci ! On n’aurait pas pu envisager d’utiliser une telle méthode avant la mise au point des dernières générations de caméras numériques de très haute sensibilité, dotées d’objectifs spéciaux qui captent toute la lumière disponible. Et en plus de nous permettre de placer les images des nuages derrière les parois de verre, cette projection était si lumineuse qu’elle a été la source d’éclairage principale de tout ce décor ! Nous n’avons pratiquement pas eu besoin d’éclairages d’appoint, en dehors de quelques petites touches sur certains plans. A la base, ce sont les vraies images de ces ciels de Maui qui éclairent la tour ! Faire fonctionner ce dispositif et filmer ainsi ce décor a été un défi que mon directeur de la photographie Claudio Miranda et moi-même avons été très fiers de relever.

Petite parenthèse à propos de la manière dont vous avez réussi à vendre le projet aux studios Universal : est-ce que le fait de développer d’abord OBLIVION sous la forme d’un roman graphique était le seul moyen de vendre le projet à un grand studio ? Un film aussi ambitieux et particulier est-il plus facile à « pitcher » avec des images de nos jours, parce que les scripts ne sont plus toujours lus attentivement et « visualisés » comme ils devraient l’être ?

Oui. Je crois que c’était indispensable dans le cas d’un film comme celui-ci, qui se déroule sur une terre radicalement transformée, parce que j’avais des idées très précises de l’aspect que je souhaitais donner à chaque séquence. Avoir la possibilité de disposer des 20 à 30 images créées pour le roman illustré a constitué un énorme avantage quand j’ai eu l’occasion de présenter ma vision du film aux studios Universal. Quand vous ne disposez que d’un script, vous dépendez de l’imaginaire des gens qui le lisent, et qui visualisent à leur manière les scènes que vous décrivez. Et comme il est probable que l’imagination de chaque lecteur produise un résultat différent des autres, il valait mieux venir d’emblée avec un concept visuel bien défini pour éviter tout malentendu, et faire en sorte de faciliter ainsi l’aboutissement du projet.

Comme dans vos premiers courts-métrages et vos spots publicitaires, vous jouez avec le thème de la réalité dans l’histoire d’OBLIVION, et vous utilisez aussi des images de synthèse hyperréalistes de ruines de bâtiments célèbres comme le Pentagone ou l’Empire State Building. Pouvez-vous nous parler de ce thème récurrent dans vos projets, et de la manière dont il a influencé votre manière de réaliser ce film?

En effet, j’ai toujours été fasciné par le thème de la réalité. Au fond, qu’est-ce qui est réel ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Quelle est la part imaginaire de ce que nous considérons être la réalité ? Ce sujet se retrouve au cœur du film, ainsi que le thème de la vérité. Quelle est la vérité, et qu’est-ce que signifie le fait de vivre au quotidien dans l’oubli ou en niant la vérité ? Je crois aussi que c’est un thème qui convient particulièrement bien à un thriller ou à un film à l’atmosphère mystérieuse comme celui-ci, parce que son personnage principal sent que quelque chose « ne colle pas » et tente constamment de trouver des indices pour éclaircir ces zones d’ombres. Le voyage de notre héros est une quête de la vérité qui devient de plus en plus périlleuse, qui l’entraîne de rebondissements en retournements de situations, et le confronte à de nouveaux défis et à des personnages très particuliers. Ces films-là ont toujours été ceux que je préfère. Particulièrement les thrillers « paranoïaques » des années 70 dans lesquels les personnages se retrouvent plongés dans un monde d’intrigues où ils perdent tous leurs repères et ne peuvent plus faire confiance à personne. C’est la même ambiance que j’ai tenté de transposer dans un monde du futur. En fait, on retrouve tout ce qui m’a toujours intéressé dans ce film, car c’est un projet personnel que j’ai développé pendant très longtemps jusqu’à son aboutissement, d’ici quelques semaines. Cela a été un voyage assez incroyable pour moi aussi.

N’oubliez pas que la suite de cet entretien paraîtra rapidement sur ESI !

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