Entretien exclusif avec Ryan Meinerding : De IRON MAN 1 & 2 à THOR, CAPTAIN AMERICA, AVENGERS et IRON MAN 3, la saga d’un designer aux superpouvoirs artistiques ! Troisième partie
Article Cinéma du Jeudi 30 Mai 2013

[Retrouvez tous nos articles consacrés à Iron Man 3 et aux productions Marvel]


Entretien avec Ryan Meinerding, Illustrateur conceptuel & designer pour les Studios Marvel

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous collaboré avec Legacy Effects pour peaufiner le design de l’armure réelle qu’ils avaient fabriquée ?

Le processus qui a été établi depuis Iron Man est le suivant : nous créons les designs en 2D, puis ils étudient ces concepts et les transposent ensuite en 3D avec le logiciel Maya sur leurs ordinateurs, en concevant alors les mécanismes qui vont permettre à toutes ces articulations complexes de bouger réellement. Ensuite, nous revenons jeter un coup d’œil à ce qu’ils ont fait, et à cette étape-là nos recommandations portent essentiellement sur le traitement des détails et des textures sur les surfaces des armures. Sur le premier IRON MAN, l’aspect définitif de l’armure principale est essentiellement basé sur les designs de Phil Sanders et Avi Granov. Sur IRON MAN 2, les armures ont été essentiellement basées sur mes illustrations. J’ai donc passé beaucoup de temps chez Legacy Effects, afin de voir avec eux comment obtenir les rendus de surface les plus beaux possibles. Je ne crois pas que les spectateurs aient la moindre idée de la quantité de travail phénoménale qui est investie afin de donner un aspect aussi parfait à ces armures. En fait, le public remarque à peine que les armures évoluent de film en film. Quand nous allons voir les films en salles, nous entendons dire « Tiens, l’armure a l’air un peu différente, cette fois-ci. » alors que nous avons pratiquement tout changé dans les articulations, les formes et le rendu de toutes les surfaces ! (rires) En dehors de la partie frontale du casque à laquelle nous avons peu touché, car elle est l’identité du personnage, tout le reste est radicalement différent, parce que tout a été refait de A à Z. En ce qui concerne les autres aspects de notre collaboration avec Legacy, ils leur arrive aussi de modifier légèrement nos designs pour faire en sorte que les articulations des armures bénéficient d’une plus grande amplitude de mouvement, ou que les plaques soient téléscopiques pour ajouter plus de souplesse à l’ensemble, afin que Robert Downey Jr ou Don Cheadle aient plus de facilité à bouger avec leur costumes d’Iron Man et de War Machine. Nos conversations tournent souvent autour de certaines pièces de métal qui posent problème : nous nous demandons alors si l’on peut les remplacer par des pièces d’aspect souple ou par des éléments segmentés et articulés. Ou s’il est important de conserver l’aspect lisse et impeccable de cette partie-là. Mais tout le monde y met du sien, et nous parvenons toujours à trouver une solution pratique et esthétique qui nous satisfait tous. Cela fait longtemps que nous collaborons avec Legacy Effects et ce sont toujours les mêmes piliers du studio tels que Shane Mahan et John Rosengrant que nous retrouvons avec plaisir de film en film. C’est toujours un plaisir de collaborer avec eux, et de voir nos dessins prendre vie grâce à ce qu’il construisent.

Qu’avez-vous appris sur IRON MAN 1 qui vous a permis de travailler différemment sur les designs crées pour IRON MAN 2 et IRON MAN 3 ?

Pour être franc, comme Phil Sanders et Avi Granov ont été les designers principaux des armures « Mark 2 » et « Mark 3 » d’IRON MAN 1, les différences que vous avez pu voir dans IRON MAN 2 étaient surtout des choses que j’essayais pour obtenir des formes nouvelles qui fonctionnent bien. Avi Granov a travaillé aussi sur ce film, mais à distance, car il se trouvait en Angleterre à cette époque, et c’est moi qui ai du prendre toutes les décisions déterminantes. IRON MAN 2 m’a permis d’apprendre énormément, du fait que ma position dans la chaîne de décision n’était plus la même. Du coup, je devais « réinventer la roue », car en avançant je découvrais que beaucoup d’éléments de l’armure avaient été dessinés pour des raisons bien précises par Phil et Ari, et qu’un changement radicale de forme n’était souvent pas possible. J’ai beaucoup appris en refaisant à ma manière les mêmes démarches qu’eux, et en découvrant les mêmes problèmes. Je me souviens notamment que j’avais voulu redessiner l’articulation du bras au niveau du coude, et que mon design, même s’il me plaisait beaucoup, s’est avéré impossible à mettre en œuvre, car un des angles de rotation du coude était bloqué…Je dirais donc que les designs que j’ai créés pour ce second film étaient le fruit de cet apprentissage, de ce processus d’essais, d’erreurs et de corrections. Je suis très content de l’aspect de l’armure « Mark 3 », et j’ai conçu aussi l’armure qui se déplie à partir d’une malette.

Cette scène est l’une des plus réussies de ce second volet, et on sent que le design de cette armure portable colle plus au corps de Tony Stark…

Merci. Oui, il fallait rendre crédible l’idée que l’armure avait été allégée et ses équipements électroniques et mécaniques encore plus miniaturisés que ceux de la « Mark 3 ». Compte tenu de la difficulté de sa mise au point, je dirais que c’est l’armure d’IRON MAN 2 dont je suis le plus fier. Et pour revenir à votre question, cet apprentissage d’IRON MAN 2 m’a beaucoup aidé pendant mon travail sur les nouvelles armures d’IRON MAN 3, notamment pendant la mise au point de Iron Patriot et de la nouvelle armure de War Machine.

Nous reviendrons à IRON MAN 3, mais pour suivre le fil de votre carrière au sein des Studios Marvel, nous aimerions savoir s’il a été difficile de mettre au point la combinaison rétro si réussie de CAPTAIN AMERICA dans sa première aventure ? Combien de versions différentes du costume avez-vous dessinées avant d’arriver au design définitif approuvé par Joe Johnston et les dirigeants des studios Marvel ?

Oooh…je crois avoir arrêté de compter au bout d’un moment… Je dirais entre 15 et 20 illustrations poussées, sans compter les dizaines d’esquisses préliminaires, ni la dizaine de variations de couleurs de chaque dessin finalisé ! (rires) Mais je dois dire que ce qui est particulièrement gratifiant dans ce film, c’est la manière dont chaque étape de l’évolution du costume est justifiée. On parvient même à montrer le premier costume des comics de 1941 dans la séquence où l’on voit Captain America se produire en spectacle pour divertir les troupes de l’armée américaine. Ensuite, il part au combat en portant son costume de spectacle sous un uniforme et quand il revient, l’uniforme militaire est déchiré et l’on voit le costume au travers, ce qui ouvre la voie au look hybride, mi-tenue de superhéros, mi-uniforme de la combinaison finale. En tant qu’artiste, je pouvais puiser dans un grand nombre d’éléments très intéressants qui étaient déjà présents dans le script, et ce fut une vraie joie de travailler sur cette tenue, ou plutôt ces tenues. Je crois que j’ai commencé à travailler sur les designs du costume de Captain America presque deux ans avant que la production du film ne commence. J’ai systématiquement tenté d’y intégrer des éléments très identifiables de l’uniforme et des accessoires d’un soldat américain de la seconde guerre mondiale. On ne pouvait pas se contenter de reprendre le design original de Joe Simon & Jack Kirby, car il avait été simplifié pour pouvoir être dessiné facilement de case en case dans les comics, et aussi pour pouvoir être reconnu en un clin d’œil, même au cas où il serait reproduit sous le forme d’un dessin minuscule, sur un petit cadeau inséré dans une boîte de céréales. Je me suis donc référé aux matériaux, aux textures et aux méthodes de fabrication des uniformes de la seconde guerre mondiale pour donner un aspect plus réaliste à la combinaison de Captain America, qui rejoigne ces archétypes des uniformes de l’époque. Les tissus sont devenus plus épais et plus rigides, ce qui a permis d’accentuer les formes athlétiques des épaules, et nous avons changé les bandes décoratives rouges et blanches qui se trouvent sur le ventre en véritables lanières de tissus…

Ce détail était particulièrement judicieux et efficace. Il fait partie des choses qui « sonnent juste » et qui font que le costume fonctionne parfaitement à l’image !

Merci ! Avec le recul, je dirais que le processus a été complexe parce que c’était la première fois que je travaillais sur un costume destiné à être porté directement par un acteur, et non pas une armure ou un équipement technologique. Il fallait que Chris Evans se sente à l’aise dedans, que ses mouvements ne soient pas entravés par la structure du costume, et que l’aspect de la tenue soit toujours beau quelles que soient les postures de « Cap »pendant les scènes d’action. La différence avec l’armure d’Iron Man, c’est que si quelque chose n’est pas pratique à faire avec la vraie armure, on peut avoir recours aux effets numériques d’ILM et faire corriger le mouvement en animant le clone 3D d’Iron Man. Dans le cas de Captain America, ce n’était pas possible. Je peux vous assurer qu’entre les photos de la première séance d’essayage du premier costume et la tenue définitive que vous avez vue dans le film, il y a d’énormes différences. Je dois dire que même si j’avais été très heureux quand cette première illustration du look du costume a été approuvée, j’étais TRES loin d’imaginer toutes les versions qu’il allait falloir imaginer avant d’arriver au costume définitif du film !

La transposition des comics de Thor était en soi un gros défi, car dans cet univers, on mêle les références visuelles de la mythologie nordique et de la culture des vikings avec de la haute technologie de SF. D’où le risque de basculer dans le kitsch… Vous êtes-vous inspiré du travail de Jack Kirby quand vous avez commencé à travailler sur ce film ?

Oui. Je dois dire que l’une des indications que Kenneth Branagh et la direction des Studios Marvel nous a données d’emblée était justement d’évoquer nettement le style de Jack Kirby dans le film, aussi bien dans le design du costume de Thor que dans celui du monde d’Asgard. L’idée était de suggérer que Thor et la population d’Asgard bénéficiait d’une haute technologie et ne vivaient donc pas comme des Vikings de l’Antiquité nordique, en étant habillés de cuir et de peaux de bêtes. Il fallait que Thor ait l’allure d’un guerrier de l’espace. Cette l’idée était déjà bien présente dans le design de Kirby, notamment avec les 6 disques de métal présents sur le torse et le bassin de Thor, le traitement de son pantalon et de ses bottes métalliques. Nous nous sommes inspiré aussi des designs d’Olivier Coipel, qui est un de vos compatriotes, et de Marko Djurdjevic dans les BDs scénarisées par J. Michael Straczynski en 2007, car la tenue de Thor était représentée avec des manches. D’une manière générale, il y a un résurgence du style de Kirby dans beaucoup d’aspects des derniers films des Studios Marvel. Je pense que l’on s’en rend compte notamment en voyant le design de Hulk dans AVENGERS, car il est beaucoup plus proche de l’aspect imaginé par Kirby que dans les deux films précédents où on avait pu le voir. Idem pour la tenue de Captain America, et la nouvelle tenue de Thor.

Quel a été le tout premier travail que vous avez fait pour AVENGERS ?

Je me trouvais en Angleterre, où j’étais en train de travailler sur Captain America, et il a fallu que je saute dans un avion pour participer dès le lendemain à une réunion consacrée à AVENGERS. La première chose que nous devions présenter au cours de cette réunion, c’était notre idée de design de Hulk, car tout le monde était impatient de contribuer à la conception visuelle du personnage. Joss avait des idées très précises de ce qu’il voulait. Généralement, plus tôt nous travaillons sur un des éléments d’un film, plus cela signifie que le réalisateur et les dirigeants des Studios Marvel se font du souci à son sujet ! (rires) Mais Joss nous a mis sur la bonne voie en nous disant qu’il fallait que l’on reconnaisse les traits de Mark Ruffalo, et que Hulk ait la silhouette massive dessinée par Jack Kirby.

Sur une énorme production comme AVENGERS, travaillez-vous autant pendant la phase de préproduction qu’après que la production ait débuté ?

Charlie Wenn et moi avons co-supervisés l’équipe d’artistes qui ont travaillés sur AVENGERS. Habituellement, l’essentiel du travail de notre équipe se déroule pendant la préproduction, car il est destiné à servir de base à la fabrication d’un accessoire, d’un costume ou à la modélisation d’un véhicule 3D par ILM. Tout cela doit être approuvé avant que la production ne commence, car une partie du travail doit commencer avant le tournage, comme la préparation de l’effigie 3D de Hulk et des doublures numériques des personnages principaux. Donc à la base, nous intervenons avant, puis le tournage a lieu, et ensuite, il nous arrive d’intervenir à nouveau pendant la postproduction. Il arrive à ce moment là que certains choses que l’on commence à ajouter dans les prises de vues réelles fonctionnent moins bien que prévu et que des modifications de designs soient demandées en urgence. J’étais employé aussi pendant la production du premier IRON MAN, mais c’était uniquement dû au fait que nous n’avions pas eu le temps de créer auparavant les designs de quelques-uns des accessoires secondaires que l’on allait filmer pendant la seconde partie du tournage.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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