[Flashback] PACIFIC RIM : Entretien exclusif avec le réalisateur GUILLERMO DEL TORO ! Deuxième partie
Article Cinéma du Lundi 12 Mars 2018

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


A l'occasion de la sortie de Pacific Rim 2 : Uprising, le 21 mars prochain, Effets-speciaux.info a le plaisir de vous proposer la seconde partie d'un long entretien, réalisé en 2013 à Los Angeles, avec l’un des maîtres du cinéma fantastique actuel, Guillermo Del Toro. Le réalisateur, qui vient de recevoir les Oscars 2018 du meilleur film et du meilleur réalisateur pour La Forme de l'eau (The Shape of Water), évoquait notamment les raisons pour lesquelles il a choisi les images de synthèse – signées ILM - pour rendre hommage aux « Kaiju Eiga »…

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau



Parlons du choix des techniques d’effets spéciaux…Avez-vous envisagé même brièvement l’option technique et artistique de « l’homme dans un costume de Kaiju » et des décors miniatures typiques des classiques du cinéma japonais pour PACIFIC RIM, ou aviez-vous décidé d’emblée de recourir aux images de synthèse ? Et pouvez-vous expliquer les raisons qui vous ont poussées à choisir la seconde option et les effets visuels sophistiqués d’ILM ?

A la fin des années 90 et pendant les années 2000, les cinéastes japonais ont poussé la technique de « L’homme dans le costume » et de la destruction de maquettes aussi loin que c’était possible. Et ce qu’ils ont fait avait une très belle allure, mais il y a malheureusement certaines choses qui se produisent physiquement à l’échelle 1 que l’on ne peut pas réussir à reproduire en miniature. L’option qui aurait consisté a compléter des prises de vues de maquettes avec des images de synthèse n’aurait pas été satisfaisante non plus. Même si nous avons décidé de réaliser les effets en synthèse, nous rendons hommage aux proportions des Kaijus tels qu’ils étaient pendant la période des «hommes dans les costumes ». C’est la raison pour laquelle la première créature que vous verrez dans PACIFIC RIM a à peu près la même taille que Godzilla. Ensuite, nous ajoutons une seconde paire de bras aux Kaijus suivants, ou d’autres détails que l’on n’aurait pas pu animer avec les techniques classiques des costumes. L’une des règles que j’ai donné aux concepteurs des créatures était « Je veux être capable d’imaginer qu’il y a un type à l’intérieur de ce monstre. »

C’est formidable que vous leur ayez dit cela, car c’était indispensable pour garder l’esprit des films de Kaijus…

Oui. Il fallait que tout le monde se plie à cette règle. Et nous l’avons respectée pratiquement tout au long du film. Mais je reviens à ce que je vous disais à propos de limites de ce que l’on peut faire avec des maquettes. Si un Kaiju agrippe un robot et le projette contre un grand immeuble, la démolition de ce bâtiment – les vitres qui se brisent, les bureaux, les chaises et les ordinateurs qui tombent dans le vide – peut être parfaitement simulée dans ses moindres détails en images de synthèse. Mais si vous tentez de faire la même chose avec une maquette, et même si vous tournez à très grande vitesse pour ralentir l’action, les petits détails ne « passeront » pas bien à l’image : dans les gros plans, ils auront l’air de ce qu’ils sont, c’est à dire des jouets. Si nous avions préparé chaque plan ainsi, nous aurions pu en tourner un une fois, puis la remise en place et la reconstruction de tous les éléments pour la 2ème prise aurait demandé 2 semaines de travail ! Et faire une 3ème prise avec la même maquette aurait été impossible car elle aurait été trop endommagée… En raison de toutes les scènes que nous avions imaginées dans le script, recourir aux images de synthèse était la seule option possible. Je crois que quand on en arrive à un point où une technique comme celle des images de synthèse a atteint un niveau d’hyperréalisme tel qu’on ne l’a jamais connu avant, il ne faut pas hésiter à l’utiliser.

Vous nous avez parlé de vos idées sur les Kaijus, mais quelle était votre vision des robots ?

L’une des choses auxquelles je tenais absolument, avant même de développer leur aspect, c’était qu’ils ne bougent pas comme des hommes mais comme des machines. Comme des gratte-ciels qui seraient animés. Je voulais que l’on sente leur masse, leur poids colossal. Même si nous avions engagé le meilleur des mimes, la manière dont les membres du corps bougent et dont les articulations se compriment aurait été trop identifiable si nous avions utilisé de la capture de mouvements. C’est la raison pour laquelle j’ai voulu que ce soient des animateurs qui fassent bouger les robots avec de l’animation en poses-clé. Tous les Kaijus et tous les Jaegers sont animés ainsi, en « key frame » (poses-clés).

Où en êtes-vous de la post-production de PACIFIC RIM au moment où nous parlons ? (cet entretien a eu lieu à la mi-mars, NDLR)

Tout est en place. Nous avons déjà fait une projection-test du film avec des plans d’effets visuels inachevés, et les réactions ont été très enthousiastes. Cela a été un grand succès. Nous allons organiser une seconde projection-test dans quelques jours, et après, nous considérerons que tout restera tel quel jusqu’à la fin de la postproduction. A l’heure actuelle, les effets visuels sont réalisés à 70%, et les 30% restants sont en cours de finition et en train d’être livrés. Si vous voyiez le film aujourd’hui, ce que vous verriez correspondrait à 80% du film achevé. Ce qui est trompeur à propos des trucages d’un projet comme celui-là, c’est que la perfection réside dans les détails. Ma propre équipe de tournage et les acteurs qui ont participé au film ont tous la même réaction quand ils voient les effets visuels réalisés à 70% : ils me disent « Wow, c’est super, c’est parfait ! » et je leur réponds « Non, non, patience, attendez un peu, et vous verrez ce que cela donnera quand on aura ajouté tous les rendus de détails ! » Et 2 semaines plus tard, quand le plan finalisé arrive et qu’ils le voient, ils s’écrient « Oh mon dieu, la différence de qualité est hallucinante !! » (rires) Le calcul des rendus de toutes ces petites choses – les chutes de débris, les simulations des impacts dans l’eau, les craquelures dans un immeuble, etc - prend énormément de temps, et c’est pour cela que l’on me donne autant de versions successives d’un même plan jusqu’à l’étape ultime où tous les éléments sont réunis. D’une certaine manière, mettre en scène PACIFIC RIM a été une expérience assez proche de la réalisation d’un film d’animation pour moi, car il y a beaucoup de plans qui sont générés entièrement en synthèse. J’ai déjà été impliqué ou ai produit 4 films d’animation jusqu’à présent, le dernier en date étant LA LEGENDE DES GARDIENS pour Dreamworks. J’ai fait aussi un peu d’animation moi-même au début de ma carrière. J’avais fondé une société qui réalisait des effets spéciaux et des séquences en animation image par image, et cela m’a permis d’apprendre que l’on peut obtenir des effets très différents en modifiant très légèrement l’approche d’une scène animée. Tout dépend du timing et de la lisibilité de l’action. Il suffit d’une différence infime pour qu’un gag fasse rire ou laisse indifférent.

Savez-vous combien de plans d’effets visuels il y aura dans le film ?

Approximativement 1700 plans d’effets visuels, et parmi ceux-là 1000 plans réalisés à 100% en animation 3D. Je dois dire qu’une grande partie de la réussite du film dépendait de la capacité des animateurs à donner vie de manière convaincante aux personnages, et je suis extrêmement satisfait du résultat que nous avons obtenu. L’animation des personnages est excellente. Chaque Jaeger a sa propre personnalité, ses propres gestes, sa propre démarche. Touchons du bois (Guillermo Del Toro frappe sur la table) mais je pense que les spectateurs devraient être très impressionnés par tout cela.

Quels sont les éléments du film que vous avez passé le plus de temps à développer avant qu’ils soient parfaitement au point ? L’aspect des Jaegers et des Kaijus ? La chorégraphie des combats ? Leur animation ? Les paysages et différents environnements numériques ? La manière dont les pilotes contrôlent les mouvements des Jaegers ?

J’aurais du mal à vous répondre en ne vous citant qu’un seul exemple, car tout l’univers du film a été développé dans ses moindres détails, et la création de ces innombrables éléments a pris énormément de temps. Si vous zoomiez dans les images du film pour obtenir un très gros plan d’une partie d’une combinaison de pilote de Jaeger, vous verriez que nous avons créé les designs de la plus infime signalétique qui se trouve dessus. Par exemple, au-dessus d’une lanière, il y a une petite flèche d’une certaine forme et l’inscription « attacher ici ». Nous avons imaginé le design des vis des combinaisons, des pièces d’identité des pilotes, des visuels qui apparaissent sur chaque écran de la base de contrôle, des plaques de rues dans les décors de ville, la signalétique dans le porte-avion de guerre, les manuels qui se trouvent sur les bureaux, et les bureaux eux-mêmes ! Et si vous faisiez un zoom arrière pour obtenir un plan large, nous avons conçu aussi beaucoup d’environnements complexes, comme les bases militaires et les endroits où sont entreposés les Jaegers avant leurs missions… Il y a deux Kaijus particuliers qui nous ont donné plus de fil à retordre que les autres, et dont la finalisation du design a été nettement plus longue. Et du côté des Jaegers, je crois que c’est celui de nos héros, Gipsy Danger, qui a posé le plus de problème parce que c’était le robot principal du film. Comme c’est le Jaeger américain, je voulais qu’il ait vraiment l’air de venir des USA ! Nous avons donc mélangé l’esthétique de l’Empire State Building et la gestuelle de John Wayne pour obtenir Gipsy Danger ! (rires) La première approche de Gipsy Danger était d’ailleurs très « Art déco », puis nous l’avons rendu un peu moins esthétique et plus « pratique » pour qu’il paraisse plus réaliste. Ensuite, nous avons tenté de lui donner les proportions d’un cow-boy, et ça a été vraiment très dur. Tous ces designs ont demandé beaucoup de travail, mais tout a avancé très vite grâce à l’enthousiasme de l’équipe.

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