La Grande Magie : Entretien exclusif avec Dani Lary - Seconde partie
Article Spectacles du Dimanche 07 Juillet 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis par Nicolas Jonquères.



Combien de personne employez-vous dans votre atelier de Bourg-de-Péage ? Et à quel poste ?

Nous sommes 7 permanents : 2 constructeurs-soudeurs, 1 peintre, qui est extraordinaire, c'est lui qui fait toutes les toiles peintes en trompe-l’œil du spectacle, il peint, décore et patine tout le matériel que l'on fabrique, 1 couturière, 2 secrétaires et moi. Et en tournée, on emploie 50 personnes. Nous avons 4 semi-remorque et 2 bus, ce qui fait 7 chauffeurs, puisque la loi interdit qu'un chauffeur charge et décharge le camion, ou assure un trajet de nuit. 1 régisseur plateau, 1 régisseur général, 2 régisseurs son, 1 régisseur lumière, 10 personnes au plateau en coulisse, 8 comédiens, le catering, parce que toute cette petite armée doit être nourrie. Pour limiter les frais, on engage 10 manutentionnaires, à chaque ville, qui vont charger et décharger le camion. On arrive ainsi à 48 personnes, presque 50.

Vous faîtes de grandes tournées, qui nécessitent une certaine logistique... Comment gérez-vous la maintenance des accessoires et appareils ? Avez-vous des doubles ?

Non. J'ai des doubles, mais qui sont dans mon atelier. Du coup, ce serait très compliqué de les rapatrier sur le lieu de tournée. Par exemple, on a cassé un miroir sur la tournée et on a remué ciel et terre pour en trouver un nouveau, mais on n'a pu l'avoir que quelques jours après. Et ensuite, pour le changer, il faut démonter toute la boîte. D'une manière générale, quand quelque chose se casse, il faut le réparer, et on a ce qu'il faut pour cela. C'est rarement cassé à vie, c'est plutôt une charnière qui s'arrache, un pied qui se tord, ou un miroir qui se brise... Il faut avoir des bons bricoleurs, et quand ils ne savent pas faire, c'est moi qui fait ! Je sais tout faire, parce c'est nécessaire de savoir tout faire. Je peux couper et monter une bande-son, coudre avec une machine à coudre, pour réparer un costume, coudre un rideau, faire de la menuiserie - évidemment, car c'était mon métier- de souder, de faire de la mécanique... Quand on monte une illusion chez moi, je sais exactement comment elle est faite. Et je mets la main à la pâte.

Comment communiquez-vous avec votre équipe ?

Avec l'équipe de l'atelier ? Parce qu'en tournée, l'équipe découvre l'illusion le jour où je la répète. Quand on crée une illusion, on fait en sorte que des enfants de 7 ans puissent monter le matériel. Il n'y a pas deux possibilités pour mettre une pièce, parce que cela fait une de trop. Quand il faut appuyer sur 1 bouton, il faut 1 bouton, et pas 2, parce cela fait 1 de trop. En limitant les possibilités, on arrive à avoir du matériel qui fonctionne. Pour faire voler mon piano, j'ai un accessoire qui se monte sans aucun boulon, aucune vis, ni aucun tournevis. Il est composé uniquement de pièces qui s’emboitent ou qui se crochètent les unes dans les autres. Il n'y a pas besoin d'outillage. Une barre, par exemple, ne peut aller qu'à une place précise, car à un autre endroit, elle serait trop courte ou trop longue. Tout est pensé comme cela. C'est très compliqué de faire simple !

C'est plus compliqué que de créer l'illusion en elle-même !

Exactement. Nous travaillons toujours en 2 étapes : nous créons d'abord l'illusion pour la télévision, qui fonctionne parfaitement, et ensuite, elle repasse à l'atelier, où on casse tout le matériel et on la refabrique exprès pour le spectacle.

Comment s'est passé la rencontre avec Copain ? A-t-il créé son personnage dans le cadre de votre collaboration ?

Il a totalement créé le personnage, car ce n'est pas son métier ! C'est mon voisin. Il était clown pour ses amis, le boute-en-train de la bande. Un jour, j'ai fais appel à lui parce que j'avais besoin de pièces spéciales, car il a un atelier de mécanique générale. Il est réparateur de machines à coudre spécialisées dans la maroquinerie. Parce qu'on habite à Romans, et que c'est le pays des maroquiniers. Et au moment de le payer, il prend un dentier dans sa poche, et il me dit : « Maître, prenez-moi avec vous ! » (Dani Lary fait des mimiques de suppliques. Rires.) Il se jette à mes pieds et il continue. Il m'a fait tellement mourir de rire que j'ai décidé de l'engager sur un spectacle. 1 mois plus tard, se jouait un spectacle médiéval, que j'avais monté, L'élu du Diable, où je jouais le diable, avec une immense abbaye comme décor, c'était fabuleux ! Et, je lui ai demandé de m'accompagner, habillé en gueux. Il a d'abord refusé, car il n'avait jamais fait de spectacle. Je lui ai dit : « Fais exactement ce que tu m'a fais ! » Il n'avait pas vraiment de rôle dans le spectacle, il m'agrippait, comme l'elfe dans Harry Potter. Ensuite, je l'ai amené une ou deux fois à la télévision, je lui donné l'idée de se maquiller en blanc et de jouer ce rôle-là. Le nom est venu plus tard. Un jour, en tournée dans le nord de la France, un garçon m'interpelle avec un très fort accent : « Eh comment il s'appelle le copain ? Ton copain ? » Et le nom est resté.

N'est-il pas parfois source de fou-rire ?

Il en rajoute tous les jours, et je suis obligé de serrer les boulons. Il ne joue pas de personnage, car il n'a pas apprit, mais, par contre, il ne sait faire que cela, il ne pourrait pas jouer un rôle sérieux par exemple. Si on lui enlève ses dents, c'est fini, il ne sait plus où il en est. C'est un petit rôle qu'il a apprit tout seul et depuis longtemps. Et dès que le spectacle est finit, il retourne à ses machines, car ce n'est pas un professionnel de la scène. Et c'est aussi mon copain, depuis 30 ans. Dès fois, il le sait quand il en fait trop ! Je lui fais les gros yeux et il me dit : « J'le ref'rai p'us !J'le ref'rai p'us ! » (rires)

L'ambiance musicale est très importante, que ce soit dans les numéros ou dans votre spectacle. Comment travaillez-vous avec votre compositeur ?

Il s'appelle Dan Bern. C'est un petit compositeur, qui jouait dans un groupe. Il est mon voisin, et un jour je lui ai demandé de m'écrire une mélodie pour un numéro. Au début, c'était gentil, puis après j'ai demandé des chœurs, pour mes apparitions dans un cercueil, puis du gros orgue, et comme j'ai été exigeant avec lui, maintenant, il pourrait faire des musiques de films. Cela fait 17 ans que nous travaillons ensemble ! Sinon, il gagne sa vie en faisant du piano-bar.

Comme Lisa Angel ?

Exactement ! J'étais dans un bar à Nice, et elle chantait. Sa voix dans les aiguës était magnifique. Je suis allé la voir et je lui ai proposé de travailler pour moi. Quand je lui ai dit que je travaillais à la télévision et dans les Zénith, elle ne m'a pas crue ! (Rires.) Elle pensait que je la baratinais, juste pour avoir ses coordonnées ! Et puis un jour, je lui ai dit : « Écoute, faisons une expérience ! J'aimerais que tu m'écrives une chanson pour un numéro ! » C'était le numéro de l'orgue de barbarie ! Je lui parle du thème, de l'évocation de Montmartre. Le numéro est passé à la télévision, puis elle m'en a écrit d'autres, pour la lévitation sur le lit, la double lévitation. Maintenant, elle s'est faite repérer, et elle chante avec Serge Lama. Pour le prochain spectacle, elle m'a proposé d'écrire des chansons, qui seront diffusées sur disque, mais elle ne sera pas sur scène. Et en travaillant avec Lisa Angel, j'ai fait avec elle, ce que Patrick Sébastien a fait avec moi. Je l'ai poussée. Je lui ai dit : « J'ai 5 numéros à monter, écris-moi 5 chansons. » Elle a travaillé et le rendu était fort.



Comment travaillez-vous avec votre metteur en scène ?

En fait, j'ai deux metteurs en scène. Il y en a un qui s’appelle Alain Carré, qui a trouvé l'histoire et qui met en scène en général. Et un deuxième qui s’appelle Julian Fortuna, qui est plutôt un metteur-en-mouvements ! Il a un œil qui voit tout de suite l'esthétisme d'une action, d'un mouvement : « Respire ! Regarde Valériane ! Non, tu la regardes trop vite !... Commence à partir en la regardant ». Il a cet œil-là, parce que c'est un marionnettiste et qu'il connaît tous les effets des mouvements. Ce n'est pas un chorégraphe pour autant, mon chorégraphe s’appelle Bernard Dolle, qui apprend aux danseuses, à rentrer en même temps, au même rythme... C'est l'amalgame de ces 3 personnes qui fait que le spectacle tient la route. Pour un spectacle de magie, on ne peux pas avoir un metteur en scène qui gérerais tout de A à Z. J'ai également un metteur-en-magie, qui est Jean Régil. Son rôle est de me signaler si l'enchaînement des tours est bon, si les effets ne s’annulent pas les uns les autres, si le même principe est utilisé plusieurs fois, ou si je dois présenter un effet plus vite, pour profiter du climat instauré par ce qui précède. Tous ces éléments-là, seul un magicien les connaît et pas un metteur en scène.

Vous avez conçu une illusion pour le film de Chabrol LA FILLE COUPEE EN DEUX (2007), êtes-vous en contact avec des spécialistes d'effets spéciaux au cinéma ? Ou est-ce un univers totalement séparé du votre ?

Non, c'est complètement différent ! La production du film m'avait appelé pour louer une boîte pour couper une fille en deux. Claude Chabrol voulait faire un clin d’œil au titre du film, et couper Ludivine Sagnier en 2. Je leur ai dit que je n'avais pas la boîte, mais que je pouvais leur fournir des adresses pour la trouver. Je leur ai dit aussi que je pouvais peut-être faire mieux, parce que couper une fille dans une boîte, c'est pas très finaud ! A une époque les magiciens coupaient des filles en 2 sans boîte ! C'était à l'époque de Blackstone, où Horace Goldin coupait une fille en deux avec une énorme scie circulaire électrique. Et depuis, les magiciens utilisent des boîtes. C'est pour cela que je dis que la magie a régressé en Grande Illusion. Maintenant, en grande illusion on fait de l'abatage et du fast-food ! L'assistant de la production était très intéressé, et il en a parlé à Claude Chabrol. Claude Chabrol m'a demandé si je pouvais le faire sur une scène. J'ai répondu que oui, et qu'il pourrait filmer tout autour avec sa caméra, et que ce serait mieux qu'une boîte, où l'on ne verrait que la tête et les jambes de Ludivine Sagnier sans être sûr que ce soit ses vraies jambes ! Je lui ai fabriqué le numéro, que j'ai présenté plus tard à la télévision, et il était aux anges !



Après le cinéma, vous avez créé des effets pour un spectacle du Puy du Fou...

Avec Bertrand Loth (NDLR : le magicien du Futuroscope, dont nous avons parlé sur ESI), nous avons travaillé sur les effets magiques du spectacle des CHEVALIERS DE LA TABLE RONDE. Par exemple, Merlin qui passe à travers une herse, la table ronde qui sort de l'eau et se met à voler, la boule d'eau, que j'utilise dans le spectacle, où une sirène apparait. Et c'est mon fils, Albert, qui joue le rôle de Merlin et qui gère les effets magiques. Sinon, il fallait que je forme quelqu'un là-bas, et j'ai dit en rigolant : « Mon fils sera magicien, il a été formé pour cela. » Et ils l'ont embauché. Du coup, il ne participe plus à mon spectacle, où il était en coulisses.

Vous vendez également des illusions à des confères ?

Je n'ai pas grand chose à dire là-dessus. Je leur fourni le matériel, ils passent 2 heures avec moi pour que je leur explique comment il fonctionne. Souvent ils reprennent la même présentation que moi. Il n'y a pas de droits d'auteur, ou de copyright sur le matériel que je vends !

Pour revenir rapidement sur votre prochain spectacle, vous êtes-vous inspiré des films de Méliès ?

Oui tout à fait, c'est exactement la période ! Je ne me suis pas inspiré d'aventures de Jules Verne, mais c'est ce dont on parle parce les gens ne connaissent pas trop le mouvement steampunk. Est-ce que j'ai des images steampunk à vous montrer ?(Il pianote sur son smartphone) Voilà l'affiche du spectacle : RETRO TEMPORIS. Avec toutes les machines, les rouages, les éclairs...

Vous qui faîtes rêver les gens, qu'est-ce qui vous fait rêver ?

Ce qui me fait rêver, au-delà de ma passion pour les voitures et leur restauration, qui me permet de décompresser, c'est de continuer à créer et présenter des spectacles dans des grandes salles. J'aime bien voir mon haut d'une affiche, pas parce que je suis avare de gloire, mais parce que c'est l'aboutissement d'un travail acharné. J'ai la chance de me produire au Casino de Paris et dans les Zénith et de voir 4000 personnes debout dans un Zénith, qui m'applaudissent, c'est cela qui me fait rêver.

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