[Flashback] PACIFIC RIM : Entretien exclusif avec Guillermo del Toro - Troisième partie
Article Cinéma du Mardi 13 Mars 2018

[Retrouvez toutes nos interviews consacrées à Pacific Rim]


A l'occasion de la sortie de Pacific Rim 2 : Uprising, le 21 mars prochain, Effets-speciaux.info a le plaisir de vous proposer la troisième partie d'un long entretien, réalisé en 2013 à Los Angeles, avec l’un des maîtres du cinéma fantastique actuel, Guillermo Del Toro - qui vient d'obtenir les Oscars 2018 du meilleur film et du meilleur réalisateur pour La Forme de l'eau (The Shape of Water).

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Combien de monstres avez-vous développés en tout pendant la phase de création des designs de Kaijus? 20 ? 30 ? Davantage ?

Si je compte tous ceux que nous avons dessinés depuis le début du projet, je pense que l’on doit arriver à un total de 50 à 60 Kaijus. En vérité, nous avons été tellement occupés que n’avons tout simplement pas pensé à les compter ! Ensuite nous les avons mis « en compétition » en plaçant les designs des Kaijus les uns à côté des autres, puis à côté des designs des Jaegers, un peu comme dans un jeu de télé réalité. (rires) Nous en avons éliminé beaucoup pour n’en retenir que 9 pour le film !

Y a-t-il dans les designs des Jaegers certains détails qui sont des clins d’oeils aux robots géants des films et des séries animées Japonaises que vous aimez tant ?

J’ai engagé des designers qui aiment ces robots-là autant que moi, mais je leur ai demandé spécifiquement de ne pas penser en termes d’hommage ou de références. Je leur ai dit « Vous avez les robots géants dans votre sang et dans vos cœurs, mais basez-vous sur cette passion pour imaginer des designs originaux pour les Jaegers. Ne réagissez pas en tant que fans, en réinterprétant des choses formidables du passé, même si vous les aimez beaucoup. » Pendant qu’ils travaillaient, je voyais quand même resurgir de temps en temps des petites réminiscences des robots d’APPLESEED ou de PATLABOR, en dépit du fait que je leur avais demandé d’éviter d’aller dans ces directions-là. Je les encourageais à reprendre différemment leurs designs quand je remarquais ces petites citations volontaires ou inconscientes. Heureusement, comme j’avais engagé des gens passionnés par les robots, ils étaient toujours prêts à essayer d’autres options. D’ailleurs, au début du projet, j’avais songé à engager une équipe de designers japonais pour travailler sur les Jaegers, mais cela a malheureusement coïncidé avec le drame du tsunami. En cette période épouvantable de cataclysme et de deuil, ce n’était hélas pas le moment de contacter des artistes nippons pour leur proposer de venir travailler aux Etats-Unis…

Vous nous disiez que la préproduction et la production de PACIFIC RIM ont avancé très vite… Êtes-vous parvenu à ce résultat parce que toute votre équipe était aussi passionnée que vous par ce projet ?

Oui, mais aussi parce que quand le projet AT THE MOUNTAINS OF MADNESS s’est arrêté parce que Universal a pris peur, Warner m’a proposé de réaliser PACIFIC RIM après que j’aie travaillé en tant que producteur pendant 7 mois sur la préparation du film. J’ai répondu que j’accepterais de réaliser PACIFIC RIM à une seule condition : que nous commencions à tourner avant la fin de l’année, parce qu’après une aussi longue attente, il n’était pas question que je fête mon 46ème anniversaire et qu’une autre année passe sans que je me retrouve derrière une caméra ! (rires) Warner a accepté et nous avons donc travaillé aussitôt de manière intensive sur la préparation du tournage proprement dit.

Même si vous n’avez pas tourné depuis 5 ans, vous avez été très actif, et vous avez quand même préparé de nombreux autres projets de films pendant ce temps-là…

Effectivement. Pendant cette période d’inaction en tant que réalisateur, j’ai produit 7 films, j’en ai écrit 5, et j’ai co-écrit 3 livres. Mais rien ne remplace la réalisation…De toutes mes activités, c’est de loin celle qui m’apporte le plus de satisfaction, d’épanouissement personnel. Si je produis, c’est parce que j’aime donner leur chance à des réalisateurs débutants, et leur permettre de franchir l’étape du premier long-métrage, qui est toujours la plus difficile. C’est ma motivation et mon but principal en tant que producteur. J’aime intervenir auprès de réalisateurs de tous les horizons, de toutes les cultures, si je suis en mesure d’être utile.

Comment sentez-vous si un projet a de bonnes chances d’avoir du succès ? Quels sont les critères qui vous donnent envie de vous impliquer dans un projet ?

Oh, vous savez, j’ai été impliqué dans la création de films qui ont très bien marché, mais aussi dans d’autres long métrages qui ont été des échecs. On ne peut pas penser dans les termes que vous venez d’évoquer quand on travaille sur un projet, car au moment où on vous le présente, il est rarement assez abouti pour que vous puissiez faire un pronostic aussi infaillible sur ses chances de réussite. Au mieux, vous pouvez sentir s’il vous attire ou pas, et s’il a un bon potentiel. Ce que vous pouvez faire en tant que producteur, c’est parler avec le réalisateur ou la réalisatrice, écouter ce qu’il a à dire sur le projet, sur sa vision, et si vous trouvez l’idée intéressante et que vous vous entendez bien avec cette personne, vous pouvez vous lancer. Ensuite, votre responsabilité de producteur consiste à réunir la bonne équipe artistique, et à faire en sorte que le tournage débute dans de bonnes conditions. Si par la suite le réalisateur fait fausse route, vous pouvez tenter de l’aider pour corriger les choses, mais vous ne vous appuyez que sur votre instinct pour l’aider…Quand les choses ne se déroulent pas comme prévu, vous n’arrivez pas forcément à sauver le film…Quand je réalise, je lis la description écrite du projet, souvent sous la forme d’un résumé ou d’un traitement de quelques pages et c’est ce qui attire mon attention. Dans la plupart du temps, j’écris moi-même ou je co-écris le script final, mais au départ, il faut vraiment que j’éprouve une passion immédiate pour le traitement ou le script qu’on me propose. Après l’avoir lu, si je me sens prêt à affronter la lèpre, les pires maladies, et même à mourir pour que ce film existe, alors cela vaut la peine que je le réalise ! (rires) Il faut vraiment être persuadé que le projet doit voir le jour. Préparer, mettre en scène et assurer la postproduction d’un film représente 2 à 3 ans de votre vie. Pour vous donner un exemple, cela fait 16 ans que j’essaie de monter le projet AT THE MOUNTAINS OF MADNESS d’après Lovecraft… Et j’ai travaillé pendant plus de 12 ans pour monter CRONOS, mon premier long-métrage…Ce genre de film est très long à monter. Aujourd’hui encore, j’essaie de trouver les moyens de faire exister AT THE MOUNTAINS OF MADNESS après l’abandon d’Universal. Je rencontre toujours des gens et je leur fais « la danse des 7 voiles » pour les séduire et les convaincre de financer le film ! (rires) Réaliser un film, c’est comme s’engager à se marier. Au début du projet tout est excitant, nouveau, stimulant, comme les premières rencontres, le flirt et la lune de miel. Mais quand le véritable travail commence sur le film, cela veut dire que vous vous installez dans les contraintes du mariage et que vous devrez passer des centaines d’heures à sortir les poubelles le soir, à tondre la pelouse et à faire la vaisselle ! (rires) Contrairement à ce que les gens croient, ce n’est pas un job qui se déroule constamment dans une ambiance « glamour ». Ce n’est pas l’équivalent d’une liaison excitante dans un décor de vacances de rêve…Cela représente beaucoup de travail et un engagement total sur le long terme.

Dans beaucoup de films de Kaijus, on trouve des thèmes récurrents comme le sacrifice des héros, des savants maléfiques manipulant les monstres à leur profit, un « bon » Kaiju qui se bat contre des « méchantes » créatures pour protéger une ville ou le Japon tout entier, ou même des extraterrestres qui ont trouvé le moyen de contrôler les Kaijus pour préparer l’invasion de notre planète… Avez-vous joué avec ces nombreux clichés dans PACIFIC RIM ?

Oui, mais pas sur tous. Je n’ai utilisé que celui du sacrifice du héros…En ce qui concerne le concept de « bons » et de « mauvais » Kaijus, c’est encore trop tôt dans la présentation et la découverte de l’univers de PACIFIC RIM pour aller jusque là…mais je peux vous dire que nous explorerons ce thème à coup sûr plus tard. Pour l’instant, dans ce premier épisode, nous établissons déjà la mythologie des Jaegers et celle des Kaijus, et nous ne voyons le récit que d’un seul point de vue : celui des Jaegers et de leurs pilotes humains. L’arrivée de ces monstres, cette invasion qui a surpris la terre entière, se produit pour des raisons qui semblent d’abord mystérieuses. Mais il existe bel et bien des entités malfaisantes qui contrôlent ces créatures.

Quand les héros de PACIFIC RIM s’en rendent-ils compte ?

Le rôle de ces entités devient évident vers le milieu de ce premier volet, car on trouve la preuve que « quelque chose d’autre » les manipule à distance. Une intelligence extérieure à notre univers avance des pièces sur l’échiquier, et envoie les Kaijus pour détruire l’humanité.

Il y a donc un « plan global », préparé à l’avance dans tous ses détails, dont le génocide de l’humanité est le but final…

Absolument.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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