MAN OF STEEL : Entretien exclusif avec le chef décorateur Alex McDowell – Seconde partie
Article Cinéma du Dimanche 11 Aout 2013

[Retrouvez la première partie de cet entretien]


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Le design de la maison des Kent, les parents adoptifs de Clark, devait-il représenter une Amérique nostalgique et rassurante contrastant avec l’univers des grandes villes, ou devait-il refléter un contexte résolument moderne, lui aussi ?

La propriété des Kent a l’aspect traditionnel des fermes nord-américaines. Nous avons eu la chance de trouver une ferme dont la maison principale correspondait exactement au style architectural classique que nous recherchions, et comme sa grange avait brûlé récemment, et n’avait pas encore été remplacée, cela nous a permis de la reconstruire en lui donnant exactement les dimensions et les caractéristiques que nous souhaitions...afin de pouvoir la faire sauter dans une des scènes du film ! Le paysage environnant était lui aussi parfait : légèrement vallonné, avec des champs qui s’étendaient jusqu’à l’horizon. Mais même si la ferme des Kent a un visage rassurant et intemporel quand nous la découvrons, elle est touchée elle aussi par cette crise qui n’épargne personne, et qui ravage le monde agricole. On apprend que la famille Kent a de grosses difficultés financières. La ferme, lourdement hypothéquée, est sur le point d’être saisie pour être mise en vente…Comme beaucoup de petites villes de province, la paisible bourgade de Smallville est en proie à de graves difficultés économiques. Les entreprises locales mettent la clé sous la porte ls unes après les autres, les commerces périclitent et ferment, les familles déménagent dans l’espoir de trouver du travail dans une grande vielle…Toute cette description reflète de manière réaliste le contexte économique aux Etats-Unis.

Vous avez probablement eu fort à faire sur les décors des scènes de combat entre Superman et Zod, ou entre l’homme d’acier et les autres Kryptoniens…

Ces affrontements ont lieu dans une petite ville, car Superman veut éloigner les kryptoniens des mégapoles où les combats mettraient en danger des dizaines de millions de gens. Nous avons trouvé une petite cité dont la rue principale toute en longueur est en réalité une demi-rue, car l’autre côté est occupé par une voie ferrée. Pour nous, c’était une formidable aubaine, car cela nous a permis de construire tout l’autre côté de la rue, par-dessus la voie ferrée, afin de pouvoir le faire exploser et le détruire à notre guise ! La ferme des Kent et cette petite ville sont traitées toutes les deux dans le style traditionnel du Midwest, mais en gommant l’aspect pimpant « années 50 » que l’on cultive souvent dans ces endroits pour inciter les touristes de passage à rester un peu. Les façades que nous montrons dans le film sont vieillissantes, un peu décaties, parce que l’on sent que les gens n’ont plus les moyens de les entretenir en faisant les travaux de réparation et de peinture qui s’imposent. Nous montrons vraiment le Midwest américain de 2014, en plein désarroi économique, avec des boutiques quasiment vides, sans clients.

Quel aspect avez-vous donné aux bureaux du Daily Planet, le journal où travaille Loïs Lane ?

Nous nous sommes rendus à Chicago, et nous y avons cherché un grand bâtiment à la façade de métal et de verre typique du style architectural des années 70 à 90, qui puisse passer pour le siège de la rédaction d’un grand journal. Mais on peut voir aussi les conséquences de la crise dans les décors du Daily Planet. Comme partout ailleurs, les chiffres de vente des grands quotidiens américains s’effondrent parce que les gens passent de plus en plus de temps sur internet. Nous nous sommes rendus dans les locaux du quotidien The Los Angeles Time, et nous avons pu constater que plusieurs étages de son immeuble avaient été vidés et sous-loués, parce que le nombre de journalistes avait été réduit de manière drastique… Chaque année, plusieurs titres de presse disparaissent, et nous voulions montrer un Daily Planet lui aussi en déclin. Autour du poste de travail de Lois Lane, plusieurs bureaux sont vides, et l’on sent bien que le journal lutte au jour le jour pour survivre…

Pouvez-vous nous parler du travail que vous avez effectué sur les décors et les environnements des scènes au cours desquelles on utilise beaucoup d’effets spéciaux de plateau ? Nous pensons notamment au feu qui se déclenche sur la plateforme de forage en haute mer…

Beaucoup d’effets de plateau avaient été prévus pour tourner ces différentes séquences, et le processus de préparation a été très intéressant, car il a fallu décider le plus judicieusement possible à quels moments précis on allait employer des trucages en directs, et à partir de quelle étape les effets visuels devaient prendre le relais. Zack souhaitait que nous réalisions le plus souvent possible les trucages devant la caméra, afin de pouvoir garder le contrôle artistique de l’image. Nous avons érigé deux ou trois étages de l’intérieur de la plateforme au milieu d’un immense parking de Vancouver, et nous avons construit aussi une section à taille réelle de l’extérieur de la plateforme. Ce décor-là a été fabriqué entièrement avec de vraies poutrelles d’acier, afin de pouvoir y mettre le feu, puis l’éteindre sans que les structures ne soient endommagées. Ce décor a été conçu pour pouvoir être filmé sous plusieurs angles, afin de représenter différents endroits de la plateforme. Il suffisait de greffer de nouveaux modules de décor, de déplacer des murs et des machines comme des grosses grues et des grands chariots élévateurs pour changer complètement l’aspect général de la structure. La piste d’atterrissage de l’hélicoptère a été construite à côté de cela, et un immense fond vert installé tout autour. Par contre, le décor de l’intérieur de la plateforme était fait en un seul bloc et il a été filmé avec des trucages directs, sans apport d’effets numériques.

Revenons à l’affrontement contre les kryptoniens dans la rue principale de Smallville…Quels types de dégâts avez-vous simulés ?

Sur place, il y avait une route en « T », une intersection avec la rue principale dont je vous expliquais que nous avons créé un des côtés. Nous l’avons recouverte pour y construire un faux magasin de l’enseigne « Sears », avec une façade qui occupait toute la largeur de la route. Nous avons rempli l’intérieur de ce faux magasin avec des rayonnages de vêtements et de produits divers, sur une trentaine de mètres de profondeur. La raison pour laquelle nous avons reconstitué ce magasin dans les moindres détails, c’est que Zod s’empare d’un train, le soulève et le projette dans ce bâtiment. Tout ce décor avait été conçu pour s’effondrer au moment de l’impact. Nous avons d’abord filmé l’impact « à vide » sans la locomotive, puis nous avons passé deux jours à réparer la façade et à assembler une fausse locomotive qui avait été pré-construite. Nous avons tourné à nouveau la destruction du magasin, mais cette fois-ci en propulsant la locomotive pour qu’elle défonce la façade. Et quand ce plan-là a été validé, nous avons construit de nouveaux éléments de décor pour représenter la façade effondrée autour de la locomotive, alors que des explosions se produisent dans le bâtiment. A ce moment-là, les militaires sont sur place et une bataille géante a lieu entre eux et les kryptoniens menés par Zod. Cela nous a contraint à construire énormément de façades factices de maisons et de magasins pour représenter toutes les destructions qui ont lieu pendant ces affrontements.

Quels matériaux avez-vous utilisés pour fabriquer cette fausse locomotive ?

La structure a été construite principalement en bois, comme un accessoire géant. Nous avons greffé certaines pièces en métal sur les portions de la loco que l’on allait voir le plus en détail. Le reste des éléments était constitué de mousse taillée, et d’autres formes en métal ont été ajoutées partout où l’on devait voir des points d’impact. D’ailleurs, dans la majorité des cas, à chaque fois qu’il y avait des points d’impact sur un décor ou une façade de maison, ces dégâts étaient sculptés en mousse, puis recouverts de différents matériaux et « jus » de peinture pour prendre l’aspect du métal, du béton ou du bois. Je ne sais pas si vous vous souvenez de cette image de la porte en acier du coffre de la banque, qui a servi pour la première image officielle du film ?

Si. Henry Cavill posait devant, dans son costume de Superman…

Oui. Eh bien cette porte et le mur défoncé qui l’entoure ont été fabriqués essentiellement avec de la mousse sculptée.

Quels matériaux employez-vous pour fabriquer des murs qui doivent s’écrouler sous les coups des acteurs, ou des poutrelles d’acier que Henry Cavill doit plier ?

En fait, cela varie énormément en fonction des accessoires et des effets à utiliser. Dans la grande majorité des cas, le point d’impact est simplement conçu dans des matières molles pour éviter que les acteurs ne se blessent en le frappant, et c’est le département des effets visuels qui crée numériquement une simulation de destruction. Il y a donc un décor intact au début, puis le tournage du point d’impact avec l’intervention des effets visuels, puis les traces du point d’impact que nous rajoutons ensuite dans le décor. Pour laisser le plus de latitude possible à l’équipe des trucages 3D, il nous est souvent arrivé de démonter entièrement un mur pour que les acteurs puissent mimer les gestes de sa destruction pendant le combat. Ensuite, nous remplacions le mur intact par un mur « détruit » dans lequel nous avions sculpté un énorme trou, avec des failles dans le béton, ou des briques disloquées. Mais il nous est arrivé aussi d’utiliser des matériaux utilisés depuis des lustres pour tourner des scènes de bagarres, comme du « breakaway glass » une résine translucide qui se pulvérise comme du verre, mais qui fond au contact de la peau sans la couper, ou du balsa. C’est impossible de vous répondre de manière globale, car il a fallu trouver des solutions sur mesure pour chaque petit effet de destruction du film, et il y en a eu des milliers.

Avez-vous construit des fausses poutrelles d’acier pour la scène de la plateforme pétrolière ?

Non, car Superman se déplace si vite que l’on n’a pas le temps de le voir agir. Par exemple s’il est en train de voler et détruit quelque chose en passant au travers, il est représenté entièrement en synthèse, et l’on n’a pas besoin d’accessoires spéciaux, car ces impacts-là sont créés eux aussi en 3D. Et quand il se pose et se retrouve dans les décors, à ce moment-là on voit Henry Cavill au milieu d’éléments déjà détruits. Le défi perpétuel de ces scènes de combats, c’est la vitesse à laquelle Superman, Zod et les Kryptoniens se déplacent tous. Ils sont infiniment plus rapides que des humains. C’est la raison pour laquelle il a fallu réfléchir longtemps pour savoir ce que l’on pouvait tourner en prise de vues réelles, et ce qu’il valait mieux concevoir d’emblée avec des effets visuels.

Combien y avait-il de personnes en tout dans vos équipes de design et de construction, et pendant combien de temps ont-elles travaillé sur MAN OF STEEL ?

J’avais deux équipes complètes : l’une était basée à Chicago, et l’autre à Plano, une petite ville de l’Illinois située à 100 Km de Chicago. C’est à Plano que nous avons réaménagé la ferme des Kent et construit la rue principale où se déroule l’affrontement avec les kryptoniens. L’attaque dans la grande ville et dans la rédaction du Daily Planet a été tournée à Chicago. Je dirais qu’il y avait environ 60 personnes dans l’équipe de construction, 5 designers, et une équipe de 20 personnes pour s’occuper de l’accessoirisation et de la maintenance, car pour tourner à nouveau les grandes scènes de batailles, il fallait remettre à chaque fois en état les décors. C’était un travail colossal qui devait être réalisé pendant la nuit, afin de pouvoir faire une nouvelle prise dès le lendemain matin. Pendant les 10 ou 11 jours de tournage des scènes d’affrontements dans la petite ville, nous remettions tout dans l’état précédent chaque nuit ! A Vancouver, nous avions une équipe plus importante, qui devait compter 200 charpentiers, une bonne cinquantaine de sculpteurs et de peintres, et une vingtaine d’illustrateurs et designers, qui travaillaient tous soit à la palette graphique, soit en 3D sur ordinateur. Nous travaillions aussi en collaboration étroite avec les 10 personnes du département de prévisualisation 3D qui préparaient le terrain pour l’équipe des effets visuels. Et il y avait environ 20 personnes chargées de l’accessoirisation des décors construits à Vancouver. A Chicago, les équipes ont travaillé pendant 3 mois, et à Vancouver, environ 6 mois. Et comme les travaux de préproduction puis les tournages ont eu lieu simultanément à Vancouver et à Chicago, j’ai fait sans cesse l’aller-retour en avion entre ces deux villes pendant un an et demi !

Est-ce que les décors construits pour MAN OF STEEL ont été stockés afin d’être utilisés dans les suites du film ?

Je dirais que nous avons établi dans ce film tout le langage graphique et esthétique qui pourra être utilisé dans les suites. Je sais que le studio a déjà pris une option pour pouvoir réutiliser la ferme qui représente celle des Kent, et que les éléments de décors et accessoires qui pouvaient être stockés l’ont effectivement été.

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