Oz, un monde extraordinaire – Bien avant Le Monde fantastique d'Oz, la première adaptation de l'univers de L. Frank Baum par les studios Disney
Article Cinéma du Samedi 27 Decembre 2014

Près de trois décennies avant la sortie du Monde fantastique d'Oz de Sam Raimi (disponible depuis peu en DVD et Blu-ray), Walt Disney Pictures proposait déjà une adaptation des romans de L. Frank Baum. Unique long-métrage réalisé par Walter Murch, Oz, un monde extraordinaire, trop effrayant pour les enfants, n'a assurément pas rencontré son public. Rétrospectivement, ce film méconnu, sorti en 1985, tient pourtant la comparaison avec d'autres œuvres typiques de la fantasy « jeunesse » des années 1980, dont Labyrinth, L'histoire sans fin ou encore, dans une moindre mesure, Dark Crystal. Cette fois-ci, Dorothy ne peut se contenter d'arpenter sereinement la route de briques jaunes...

Par Pierre-Eric Salard



Suite officieuse aux événements du film Le Magicien d'Oz, Oz, un monde extraordinaire (Return to Oz) est une libre adaptation des romans Le Merveilleux Pays d'Oz et Ozma, la princesse d'Oz, respectivement publiés en 1904 et 1907. L'histoire est bien plus sombre que dans le Magicien d'Oz de 1939  ; les numéros musicaux sont d'ailleurs aux abonnés absents. Le récit débute six mois après le retour de Dorothy au Kansas. Mélancolique, la jeune fille ne cesse de ressasser ses aventures dans la Pays d'Oz. A tel point qu'elle en devient insomniaque ! Sa tante Em, qui était si heureuse de la retrouver saine et sauve après le passage de la tornade, s'inquiète désormais pour sa santé mentale. Elle décide donc d'emmener sa nièce auprès d'un médecin spécialisé dans le traitement des troubles psychologiques... par électrochocs ! Mais le spécialiste, le Docteur Worley, n'est en réalité qu'un charlatan, à l'instar d'un certain magicien. A l'occasion d'un violent orage, et avec l'aide d'une mystérieuse fillette qui sait quelles horreurs se déroulent secrètement dans le sous-sol du laboratoire, Dorothy parvient à fuir l'inquiétante clinique. Elle échoue dans une rivière en crue, avant d'être emportée vers la mer... Elle reprend conscience sur les rives d'un Pays d'Oz qui a terriblement changé depuis sa précédente visite. Dévasté, le monde fantastique est désormais sous la coupe du Roi des Gnomes et de la princesse Mombi – qui est capable de modifier les traits de son visage. Deux créatures qui possèdent les traits du Docteur Worley et de son assistante... La Cité d’Émeraude est en ruine ; le bûcheron en fer blanc et le lion peureux ont été pétrifiés par un mystérieux sortilège ! Afin de rendre la liberté aux habitants du Pays d'Oz, Dorothy devra s'associer avec sa poule Billina, le robot Tik-Tok et de nouveaux compagnons... et affronter des situations effrayantes ! A l'instar du Sucker Punch de Zack Snyder, Oz, un monde extraordinaire se penche donc sur le voyage intérieur d'une fillette qui cherche désespérément à faire abstraction de la réalité. Un récit dont l'émouvant épilogue aura profondément marqué les jeunes spectateurs des années 1980.



Une nouvelle perspective

Ce projet trouve son origine près de trente ans plus tôt. En 1954, Walt Disney se procure les droits adaptation de onze des suites littéraires au Magicien d'Oz, écrites par L. Frank Baum. Trois ans plus tard, l'écriture de The Rainbow Road to Oz (un téléfilm en deux parties destiné à être diffusé dans l'émission Disneyland) est confiée à Dorothy Cooper. Le scénario séduit le créateur de Mickey Mouse, qui décide finalement de produire une véritable adaptation cinématographique. Mais le projet est rapidement abandonné. Walt Disney meurt en 1966 sans avoir réalisé l'un de ses rêves : revisiter le Pays d'Oz. Les dirigeants des studios Disney ne se pencheront à nouveau sur l'univers de L. Frank Baum qu'à l'orée des années 1980, alors que les droits des romans s'apprêtent à tomber dans le domaine public. Disney traverse alors une période pour le moins difficile de son histoire. Ses films d'animation ne séduisent plus les enfants, et le studio tarde à se renouveler. Et si l'avenir passait par le Cité d’Émeraude ? Tom Wilhite, alors responsable de la production, établit une liste de réalisateurs potentiels. « Tout a commencé lors d'une discussion entre Tom et moi », se souvient Walter Murch. « Il m'a demandé quel sujet m'intéressait, et j'ai répondu 'une nouvelle histoire du Magicien d'Oz'. Ces romans ont durablement marqué ma mère ; au début du siècle, la publication d'un nouveau tome était très attendue par les enfants. C'était, disons, l'équivalent de Star Wars à la fin des années 1970 ! Tom m'a donc expliqué que Disney souhaitait développer un nouveau film ». S'il n'a aucune expérience derrière les caméras, Walter Murch est un monteur émérite. Il a notamment collaboré avec Francis Ford Coppola sur Apocalypse now, Conversation secrète ou encore Le Parrain 2 ! Né en 1943, Walter Murch a étudié dans le département dédié au cinéma de l'Université de la Californie du Sud, où il a notamment rencontré John Milius et George Lucas. Ce dernier lui proposera de co-écrire THX 1138 (1971). Mais cela suffirait-il pour lui confier la réalisation d'Oz, un monde extraordinaire ? Le producteur du film, Gary Kurtz (Un Nouvel espoir, L'Empire contre-attaque), s'appuie sur l'influence de George Lucas pour l'imposer auprès des dirigeants du studio. L'obtention d'un Oscar, en 1979, pour le mixage sonore d'Apocalypse Now, aura sans doute été un atout supplémentaire... Tom Wilhite annonce ainsi en 1981 la mise en chantier de l'adaptation. Fort de son expérience sur THX 1138, Walter Murch est également chargé d'écrire le scénario en compagnie de Gill Dennis (Walk the line). Si l'intrigue est principalement tirée des romans Le Merveilleux Pays d'Oz et Ozma, la princesse d'Oz, certains éléments s'inspirent des autres livres – dont Les aventures de Tik-Tok (1914). Notons que si la MGM ne participe pas à la production film, les studios Disney sont obligés de payer des droits afin de pouvoir utiliser les fameux souliers rouges de Dorothy ! Le réalisateur prend rapidement une décision qui divisera autant le public que les dirigeants de Disney : élaborer une adaptation plus sombre que le film de 1939 – et, quelque part, plus proche du ton des romans. Les singes volants, les numéros musicaux et la majorité des protagonistes sont ainsi mis de côté. « « Le film original fait indéniablement partie de la culture populaire », explique Gary Kurtz. « Il a fallu attendre près de deux générations pour que nous puissions réinventer la manière dont cette histoire pouvait être racontée ». Deux ans plus tard, Walter Murch livre une première version du script. Si la vision du cinéaste inquiète les cadres des studios Disney, qui s'attendaient à un récit moins effrayant, un budget de vingt millions de dollars est néanmoins accordé. Le tournage est annoncé pour décembre 1983. Fairuza Balk (American History X), alors âgée de neuf ans, obtient le rôle de Dorothy. « La plupart des jeunes filles qui ont participé au casting essayaient de ressembler à Judy Garland », se souvient Walter Murch. « Cela ne m'intéressait pas. Dès le départ, Fairuza a compris qu'elle jouerait « sa » version du personnage ». Six semaines avant que le tournage ne débute, le responsable de la production des studios Disney, Tom Wilhite, est remplacé par Richard Berger. Ce dernier, réalisant que le coût prévisionnel du film approche désormais les 27 millions de dollars, met le projet en pause. « On m'a fait comprendre que si des passages du script pouvaient être supprimés - et si cela permettait de boucler le tournage en seize semaines - le film obtiendrait enfin le feu vert », explique le réalisateur. Vingt pages du scénario sont ainsi jetées à la poubelle, mais un budget de 25 millions est finalement accordé.



Une expérience frustrante

Le tournage est lancé au sein des décors créés par Norman Reynolds (L'Empire contre-attaque) sur les plateaux des studios Elstree, en Angleterre. Walter Murch prend cependant du retard sur le planning des prises de vues. « Walter est un merveilleux monteur, mais la spontanéité n'est pas l'une de ses qualités », explique Gary Kurtz. « Il prévoit tout méticuleusement, ce qui est l'un des talents des monteurs. Or en tant que réalisateur, vous devez être spontané ! Si un plan ne fonctionne pas, vous devez rapidement essayer autre chose ». N 'étant pas soutenu par les cadres du studio, la position de Walter Murch est compromise. « Pour un premier film, ces 117 jours de tournage furent éprouvants ! », se souvient Walter Murch. La production doit par exemple respecter les lois en rigueur : la jeune Fairuza Balk ne peut travailler que trois heures et demi par jour... alors qu'elle apparaît dans toutes les scènes ! « Selon un vieil adage, il ne faut jamais faire un film avec un enfant ou un animal... Non seulement nous avions un enfant et des animaux – dont une poule parlante -, mais aussi des marionnettes manipulées par trois ou quatre personnes, des personnages animatroniques radio-commandés, des créatures animées en claymation (ndlr : une technique d'animation de pâte à modeler, image-par-image, inventée par Will Vinton) lors de la post-production... En plus, les dirigeants du studio n'appréciaient pas les rushes. Sans oublier que nous prenions du retard ! » Walter Murch est finalement congédié le 28 mars 1984. « Les responsables craignaient que le pire soit à venir », précise le réalisateur. « J'ai vraiment eu peur que ce vieux rêve finisse pas s'évanouir ». Le soutien de Francis Ford Coppola, Steven Spieberg et George Lucas - parmi d'autres – lui permet cependant de retrouver son poste deux jours plus tard, et de terminer le film. « Ce sont de véritables amis », ajoute Walter Murch. « Ils m'ont soutenu au moment où je sentais le sol s'affaisser sous mes pieds ». En 1984, Michael Eisner et Jeffrey Katzenberg prennent la tête des studios Disney... et ne savent pas quoi faire de ce projet étrange et difficile à promouvoir, hérité des précédentes administrations. « S'ils avaient pu, ils l'auraient certainement annulé », se souvient Gary Kurtz. « Mais il était déjà trop tard : le tournage était quasiment terminé ». Oz, un monde extraordinaire sort le 21 juin 1985 aux Etats-Unis (puis le 23 octobre en France), sans provoquer d'enthousiasme. « Le désintérêt du studio m'a cependant permis d'obtenir le final cut », précise Walter Murch. Les premiers spectateurs s'avèrent surpris par la noirceur du long-métrage. Cette pseudo-suite au classique de 1939 ne tire ainsi aucun avantage d'un bouche-à-oreille pour le moins négatif, et récolte seulement onze millions de dollars au box office américain ! Seul l'auteur Harlan Ellison incite ses lecteurs à se rendre au cinéma avant que le film ne disparaisse de l'affiche. Non sans avoir accusé les dirigeants des studios Disney d'avoir délibérément saboté la – médiocre - campagne promotionnelle. « Paradoxalement, les parents le trouvaient plus effrayants que leurs enfants ! », ajoute Gary Kurtz. « Le Magicien d'Oz, le film, avait définitivement ancré une certaine perception du Pays d'Oz dans l'imaginaire collectif. Les spectateurs s'attendaient donc à retrouver l'ambiance de ce film. Cette expérience frustrante m'a définitivement éloignée de Hollywood ». Walter Murch, quant à lui, ne réalisera plus aucun film... mais continuera une brillante carrière de technicien oscarisé. « Il était probablement impossible que notre film ne soit pas comparé à celui de 1939 », déclare-t-il. « Cela faisait 45 ans qu'il était sorti, mais nous savions que nous prenions un risque. Je reste fier de mon film, et satisfait d'avoir pu concrétiser ce projet ». Notons que Oz, un monde extraordinaire obtiendra une nomination à l'Oscar des meilleurs effets visuels. En près de trente ans, ce long-métrage s'est finalement créé une image d’œuvre maudite, tout en gagnant l'estime des amateurs des romans de L. Frank Baum. Il n'est donc pas interdit de revivre en DVD ce voyage mélancolique de l'autre côté de l'arc en ciel...





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