Entretien exclusif avec Louis Leterrier, réalisateur d’INSAISISSABLES
Article Cinéma du Mercredi 04 Septembre 2013

Thriller d’action imprégné de magie et de mystère, le dernier film de Louis Leterrier est indiscutablement LE succès surprise de l’été. Porté par un casting de haut vol, il a séduit autant par l’efficacité de son histoire que par la virtuosité de sa mise en scène. ESI s’est entretenu avec le réalisateur, qui consolide par ce succès sa belle carrière hollywoodienne et travaille déjà sur l’écriture de la suite d’INSAISISSABLES.

Propos recueillis par Pascal Pinteau

En découvrant Insaisissables, on comprend vite comment Jesse Eisenberg, Isla Fisher, Woody Harrelson et Dave Franco, les 4 illusionnistes mis en scène par Louis Leterrier, ont escamoté la superstar Will Smith et son AFTER EARTH  du boxoffice US cet été, en dépit d’un budget nettement inférieur (75 M$ contre 130 M$). D’emblée, le film se déroule comme un tour de magie mené tambour battant, qui capte l’attention du spectateur sans jamais la lâcher, pour mieux l’entraîner de fausses pistes en rebondissements astucieux et bien menés. On se prend au jeu, et on se laisse porter avec plaisir par ce brillant tourbillon. Produit par les excellents scénaristes que sont Alex Kurtzman et Roberto Orci (LA LEGENDE DE ZORRO, STAR TREK & STAR TREK INTO DARKNESS) INSAISISSABLES bénéficie d’un script conçu comme une mécanique de précision, qui gère de manière remarquablement fluide plusieurs intrigues parallèles, le déroulement des fantastiques exploits des « 4 Cavaliers », l’explication a posteriori des tromperies et trucages utilisés, le déroulement de l’enquête menée par un agent du FBI (Mark Ruffalo) et une policière française dépêchée sur place par Interpol (Mélanie Laurent), tandis qu’un animateur qui dévoile sans vergogne les secrets des magiciens à la télévision (Morgan Freeman) se lance dans une contre-enquête, en ayant toujours un temps d’avance sur la police. La narration avance vite, et les scènes de comédie très amusantes qui s’intercalent entre les séquences d’action permettent de cerner les personnalités de ces magiciens Robins des Bois, qui gagnent notre sympathie avant même d’avoir volé une riche crapule pour redistribuer son argent aux gens qu’il a spoliés. Le seul regret que l’on peut avoir concerne le traitement de l’histoire d’amour qui naît entre l’agent américain bourru et la policière frenchie qui ne se laisse pas marcher sur les pieds, qui semble trop précipité. Il aurait fallu quelques petits moments de connivence de plus pour que cette love story transatlantique semble naître plus naturellement. Mais ce petit défaut (peut-être dû à des coupes exigées par le studio : on en aura le coeur net en épluchant les bonus de l’édition vidéo, dont Louis Leterrier nous a longuement parlé dans l’entretien qui suit ) est vite éclipsé par l’efficacité du reste. Bien plus sophistiqué dans sa construction que la plupart des films d’action actuels, ce bel hommage au monde de l’illusion a l’élégance de ne jamais prétendre être plus qu’un simple divertissement. Et pourtant, il a dans son jeu de cartes des atouts qui le placent nettement au-dessus du lot : des dialogues vifs et percutants, des scènes de poursuites haletantes, de personnages au double visage, et une énigme bien troussée qui ne trouve sa résolution, pleinement satisfaisante, que dans les ultimes images. Ajoutons aussi que INSAISISSABLES est un hommage que l’on sent parfaitement sincère à la magie, et ce, sous toutes ces formes : prestidigitation, escamotages, mentalisme, tours de cartes ou grandes illusions. Si les coulisses de cet art merveilleux et plusieurs fois millénaire ont déjà été explorées sur le grand écran , jamais la magie à grand spectacle n’avait été aussi bien filmée. Et en disant « Chapeau ! » à Louis Leterrier et son équipe, on ne serait pas surpris que de ce simple mot, ils parviennent à faire surgir un lapin blanc.

(NOW YOU SEE ME) USA 2013. Réal : Louis Leterrier. Scén : Ed Solomon, Boaz Yakin et Edward Ricourt d’après une histoire de Boaz Yakin et Edward Ricourt. Prod : Alex Kurtzman, Roberto Orci et Bobby Cohen. Mus : Brian Tyler. Superviseur effets visuels : Nicholas Brooks / ILM. Consultants Magie et Mentalisme : David Kwong et Keith Barry. Distribution France : SND. 1h56. Avec : Morgan Freeman, Michael Caine, Jesse Eisenberg, Isla Fisher, Mark Ruffalo, Mélanie Laurent, Woody Harrelson et Dave Franco.



Entretien avec Louis Leterrier

Comment le projet INSAISISSABLES a-t-il débuté pour vous et qu’est-ce qui vous a séduit dans cette histoire ? Le côté groupe de « robins des bois » qui volent les banques pour redistribuer l’argent à des gens qui ont été spoliés ? Votre attirance pour la magie ?


Les 2 aspects que vous citez m’ont plu, et aussi le fait que tout est réaliste dans le film, c’est à dire que tous les tours de magie que nous montrons sont soit réalisables, soit directement effectués devant la caméra. J’ai rarement été captivé à la lecture d’un script comme je l’ai été quand j’ai découvert celui de ce film. Je l’ai lu d’une traite, puis relu dans la foulée en visualisant tout son potentiel. Comme à chaque fois que je m’engage dans un projet, j’ai réalisé INSAISISSABLES parce que c’était un film que j’avais envie de voir et qui, dans sa globalité, ne ressemblait à rien de ce que j’avais vu avant, même si d’autres films avaient abordé le thème de la magie. J’ai pensé que cela pourrait être un plat succulent à servir aux spectateurs !

Quel style visuel avez-vous eu envie de donner au film à la lecture du scénario ?

J’ai voulu faire l’inverse de ce que j’avais fait récemment. Simplifier ma mise en scène pour mettre la magie en exergue, sans renoncer à des effets plus sophistiqués pendant les scènes d’explications des tours qui pouvaient être un peu plus imagées. Mon but état de ne pas altérer la force de la magie qui réside dans l’immédiateté. Faire des effets de caméra tarabiscotés pendant que l’on filme un vrai tour casse le tour. En revanche, si l’on se cale sur les mouvements des magiciens, cela fonctionne bien. J’ai constaté qu’il fallait que je déplace ma caméra de la même façon qu’un magicien bouge ses mains, s’oriente par rapport au public, évolue sur la scène…La magie n’est pas statique, et la manière dont un tour est montré sous un certain angle au public, sous une certaine lumière, fait qu’il marche ou ne marche pas. C’est pareil au cinéma.

Quelles modifications du scénario avez-vous suggérées ? Avez-vous ajouté des scènes et des personnages ?

Le scénario était déjà assez solide quand je suis arrivé, mais j’ai suggéré de relier certaines intrigues parallèles et certains tours. Le côté « Robin des Bois » n’existait pas vraiment au départ, car les magiciens accomplissaient un vol d’argent impossible, puis le rendaient pour ne pas être poursuivis par la justice…J’ai proposé que ce soient des méchants qui soient volés. On pourrait croire que les scènes qui se passent à Paris sont issues de mes suggestions, mais elles existaient déjà. J’ai juste ajouté à la fin une explication sur la signification des cadenas qui sont fixés sur la passerelle du Pont des Arts à Paris, en créant une nouvelle mythologie autour de cela. J’avais écrit des notes sur les personnages, mais ils ont changé bien plus encore après le casting des acteurs. J’ai insisté pour qu’un des 4 magiciens du groupe devienne une magicienne pour que la distribution soit plus équilibrée. J’ai suggéré aussi que l’on aille tourner vraiment à La Nouvelle Orléans et à Las Vegas et non pas seulement en studio.

Comment vous êtes-vous préparé pour ce tournage ? Avez-vous vu beaucoup de grands shows de magie de Las Vegas ? Etudié les spectacles de David Copperfield ?

Oui. David Copperfield a été notre « parrain » en quelque sorte, même s’il n’a pas été notre conseiller technique sur le terrain. Les scénaristes se sont inspirés de ses shows pour écrire les scènes de magie. Et plusieurs de ses associés nous ont aidé à établir la technicité des tours que nous montrons dans le film, et à révéler en partie comment les choses sont faites sans trop en dire non plus, car sinon, ils se seraient mis à dos tous les autres magiciens ! (rires) Nous sommes restés en contact direct avec David et ses partenaires. Je suis allé voir tous les grands shows de magie présentés à Las Vegas, parce que je voulais les découvrir comme un spectateur lambda qui s’installe dans la salle. Je voulais voir comment les magiciens se comportent et se placent sur scène, quels types de musiques ils utilisent, la conception de la lumière, la durée de chaque tour, etc. Je voulais voir ce qui fonctionne bien « en vrai » et réfléchir à la meilleure manière de le filmer pour que cela passe bien sur le grand écran.

Quels sont les shows de Las Vegas qui vous ont particulièrement inspirés ?

Les illusions que présentent nos 4 magiciens dans le film sont des mélanges du show de David Copperfield et des moments magiques des spectacles du Cirque Du Soleil. D’ailleurs, quand on voit nos personnages en représentation la 1ère fois dans le film, ils se produisent à Las Vegas, sur une scène ronde, qui ressemble plus à celles du Cirque du Soleil. Les magiciens utilisent la plupart du temps des salles de théâtre avec un rideau ou un décor de fond, parce que dans beaucoup de tours, le fond de scène sert à dissimuler ou à escamoter discrètement des choses. Donc en montrant nos 4 magiciens sur une scène ronde, visible à 360°, je suggère aux spectateurs qu’ils emploient des techniques de magie très avancées qui n’ont plus besoin de s’appuyer sur les « trucs » traditionnels.

Quels étaient les principaux défis à relever pour mettre en scène cette histoire ? Arriver à entretenir une ambiance magique et épaissir le mystère sur la réalisation du hold-up tout au long du film ?

Non. Le plus important pour moi, c’était de mettre en valeur les personnages. La magie fait partie du film, on raconte d’abord une histoire très humaine. Je voulais réunir les meilleurs acteurs pour jouer ces personnages, et au-delà, assembler la meilleure « troupe » possible pour le film. J’avais envie de passer du temps avec eux, et de faire en sorte que les spectateurs soient encore plus séduits par les performances de ces acteurs que par les tours de magie. Comme ils sont tous très occupés, et je peux vous assurer que trouver des fenêtres de tournages pendant lesquels ils étaient tous disponibles en même a été un sacré travail !

Quels sont les films qui vous ont inspirés pendant la préparation de celui-ci ?

Evidemment LE PRESTIGE de Christopher Nolan, L’ILLUSIONNISTE de Neil Burger, mais aussi MAGIC de Richard Attenborough avec Anthony Hopkins, le documentaire F FOR FAKE de et avec Orson Welles…Ils m’ont aidé à faire en sorte que la structure d’Insaisissables soit construite comme celle d’un tour de magie, plutôt que d’élaborer un film avec quelques tours disséminés dans le récit. J’ai été inspiré aussi par les grands films où l’on voit des cambriolages audacieux, comme OCEAN’S 11 de Steven Soderbergh, ou DU RIFIFI CHEZ LES HOMMES de Jules Dassin. J’ai revu aussi beaucoup de film de Jacques Audiard, car j’admire la liberté, la légèreté et la justesse de ses mouvements de caméra. Quand je vois ses films, j’ai l’impression d’être à l’intérieur de la pièce, et je ne vois plus des acteurs, mais des personnages. Je me suis inspiré de sa démarche de mise en scène, de montage de direction d’acteurs pour voir comment je pouvais rester relativement en retrait tout en filmant l’histoire d’INSAISISSABLES de la manière la plus intéressante possible.

Vous avez visiblement travaillé beaucoup la crédibilité de l’explication du hold up… Est-ce que la difficulté de l’exercice n’était pas « le syndrome MISSION IMPOSSIBLE », c’est à dire mettre en scène des gadgets et des équipements si incroyablement sophistiqués qu’on aurait du mal à croire que le tour puisse être fait dans la réalité ?

Non, parce qu’encore une fois, tous les tours sont réalistes, et que l’on voit toutes les techniques qui sont employées. Elles sont finalement assez simples, comme beaucoup de grandes illusions. On détourne l’attention, on remplace une chose par une autre, on utilise des cachettes, des trappes, etc. D’ailleurs, à un moment du film, il y a une scène de combat entre le policier tenace qui mène l’enquête, incarné par Mark Ruffalo, et Dave Franco, qui fait partie de l’équipe des magiciens. Ils s’affrontent dans l’appartement où sont stockés les accessoires et les machines qui servent aux tours, et comme Dave Franco n’a pas été entraîné à se battre, il utilise ces gadgets de magie pour se défendre…En fait, on voit tous les équipements de nos héros dès le départ, et l’intérêt de suivre ce qu’ils vont faire ne vient pas d’une succession de révélations de « trucs » de plus en plus sophistiqués, mais de l’intelligence et de l’habileté avec laquelle ils vont les utiliser. Ce sont leurs touches personnelles et leur brio qui vont leur permettre de duper tout le monde, même s’ils utilisent des principes qui eux, sont simples et classiques.

La suite de cet entretien apparaîtra comme par magie la semaine prochaine sur ESI !

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