Entretien exclusif avec Tim Alexander, superviseur VFX de THE LONE RANGER - Première partie
Article Cinéma du Lundi 16 Septembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment un grand studio d’effets visuels comme ILM a-t-il « auditionné » pour qu’on lui confie la réalisation des trucages de THE LONE RANGER ? Qu’avez-vous fait pour obtenir cette commande ?

Nous venions de terminer le film d’animation de Gore Verbinski, RANGO, quand ce projet s’est présenté, et il se trouve que j’en étais le superviseur des effets visuels. Je pense que le fait que Gore ait aussi travaillé avec ILM sur tous les films de la série des PIRATES DES CARAÏBES et ait été très satisfait de notre travail a joué en notre faveur. Quand Gore a entamé la préparation de THE LONE RANGER, il est venu nous voir et nous avons décortiqué le script ensemble pour déterminer exactement quels effets seraient requis et comment il voulait les mettre en scène. Nous sommes passés comme d’habitude par la préparation d’un devis, qui a dû être validé. Je crois que notre longue collaboration a pesé dans la balance. Gore voulait vraiment travailler à nouveau avec ILM et avec les équipes qu’il connaissait.

Le « fonctionnement » d’ILM est-il différent maintenant que Disney en est le propriétaire ? Par exemple, cela signifie-t-il que ILM interviendra désormais systématiquement sur toutes les productions Disney et Marvel ? Ou au contraire, est-ce que Disney engagera ILM au cas par cas, presque comme n’importe quel autre studio ?

Nous fonctionnons exactement comme avant. Nous sommes disponibles pour effectuer des prestations pour tous les studios, et nous continuerons à travailler ainsi. Par exemple, si Disney nous contacte pour l’un de ses films, le processus d’analyse du script et de préparation du devis est le même. Et une fois que nous le leur avons soumis, ils ont le choix soit de passer par nous, soit de s’adresser à autres prestataires. Ce rachat n’a donc eu aucun impact sur nos relations avec les autres studios et les autres réalisateurs avec lesquels nous collaborons régulièrement.

Pouvez-vous nous parler de la création des scènes d’action du film ? Avez-vous créé des doublures numériques des acteurs principaux et de leurs chevaux ? Et si tel est le cas, comment avez-vous procédé ?

Oui, nous avons effectivement créé des clones numériques des comédiens, et plus spécifiquement de John Reid/le Lone Ranger, Tonto, ainsi que quelques personnages secondaires comme Butch Cavendish, Latham Cole, Rebecca et le jeune Danny, son fils. Silver est le seul cheval dont nous avons fait une doublure numérique. Un autre prestataire qui s’appelle MPC a réalisé les autres chevaux animés en 3D. Pour créer les clones du Lone Ranger et de Tonto, nous avons employé ce que l’on appelle le « Light Stage », c’est à dire cette sphère dont les parois internes sont tapissées d’appareils photo haute résolution, d’éclairages et de scanners 3D. Quand un acteur se fige dans une expression, on utilise le système pour prendre en quelques secondes des centaines de photos de sa tête dans tous les axes et avec tous les angles d’éclairage possible. On recommence le processus pour chaque expression – visage neutre, sourire, moue, crispation, etc – et cela nous permet ensuite de disposer de reproductions 3D parfaites des têtes des acteurs, sur lesquelles nous plaquons les images de leurs visages, et sur lesquelles nous pouvons faire jouer la lumière comme nous le voulons. C’est le meilleur moyen qui existe pour prélever des détails, des textures, des couleurs réelles, des lumières et des ombres, et de les reporter ensuite sur un clone 3D. Mais nous disposons aussi d’un équipement portable que nous avons appelé « CloneCam » qui nous permet de prendre des vues d’un acteur et d’obtenir à la fois la géométrie 3D de son corps et les textures photographiques en haute résolution. Nous l’avons emmené sur le tournage de THE LONE RANGER, et l’avons installé à l’intérieur de l’un des bâtiments de la petite ville de Colby, qui a été construite pour les besoins du film, au Nouveau Mexique. Ce qui était assez amusant dans cette situation, c’était de se retrouver vraiment au cœur du tournage, dans un des décors de western, et de saisir les occasions d’agripper les acteurs entre 2 prises pour les scanner, en profitant du fait qu’ils étaient maquillés et portaient leurs vêtements et leurs accessoires du film. L’équipement CloneCam est composé de plusieurs appareils photos de très haute résolution qui prennent des vues en même temps pour que nous puissions en extraire la géométrie 3D et les textures des images des acteurs. Nous complétons ces vues par des centaines de photos de référence des détails de leurs costumes, leurs accessoires et leurs visages.

Quels sont les progrès qui ont été réalisés ces dernières années dans la création de clones 3D ?

L’utilisation des doublures numériques est toujours délicate, car nous avons recours à elles uniquement dans les cas où les acteurs ne peuvent pas accomplir eux-mêmes ces cascades, ni se tenir dans des endroits trop dangereux. Et comme ces personnages virtuels se retrouvent de ce fait toujours dans des situations extraordinaires, cela a tendance à attirer l’attention du public sur les moments où on doit les utiliser. Je considère que la manière la plus discrète et la plus efficace de les employer consiste à les cadrer de façon réaliste, comme s’ils avaient été vraiment filmés sur le plateau, et à soigner énormément leur animation. Nous avons utilisé beaucoup de références des acteurs et du cheval Silver en mouvement quand nous sommes passés à cette étape, pour nous assurer que les clones auraient exactement la même gestuelle et le même aspect. Et j’ajoute que quand nous savons que les acteurs ne pourront pas faire telle ou telle cascade, nous les filmons dans un environnement neutre, en train de faire des mouvements très proches de ceux qu’ils auraient faits si cela avait été possible, par exemple en leur faisant mimer l’action de sauter d’une grande hauteur. Cela nous permet de disposer d’une bonne référence pour l’animation des doublures 3D. Il faut toujours rester vigilant même après avoir pris toutes ces précautions, car si les clones 3D ont un bon aspect vu de près, grâce à l’échantillonnage de textures photographiques, ils ont un peu tendance à ressembler à des figurines miniatures quand on les voit de loin. Les détails ne se voient plus à ce moment-là, et nous travaillons beaucoup pour corriger ces défauts. Cela passe par des corrections des rendus de la peau vue à une certaine distance. On doit procéder ainsi parce que la plupart des logiciels de rendu suppriment les détails fins d’un personnage quand il devient minuscule dans l’image, et c’est cette simplification qui pose des problèmes. Elle nous oblige à passer par des résolutions de rendus plus élevées, et à refaire les rendus de peau et de vêtements pour obtenir à nouveau un bon résultat.

On image que comme chaque acteur a une structure corporelle différente – des os d’une longueur bien précise, des masses musculaires particulières, réparties à des endroits qui varient – vous ne pouvez pas vous contenter d’utiliser des modèles de corps « tout faits », mais que vous devriez presque en passer par un scan 3D complet de l’intérieur du corps de l’acteur à « cloner » !

Oui, tout à fait. Sans avoir recours à des équipements hospitaliers, nous faisons ce type de reconstitutions ultra-précises pour les acteurs principaux. Bien souvent, nous nous rendons compte qu’un excellent scan 3D d’un acteur, qui n’est qu’une empreinte de son enveloppe extérieure, ne permet pas forcément de fabriquer un modèle qui restituera sa personnalité et sa manière de bouger. Ayant passé plusieurs mois sur le tournage de THE LONE RANGER en compagnie de Johnny Depp et Arnie Hammer, je connais très bien leur gestuelle et leur aspect dans ces rôles. Cela m’a permis d’être impitoyablement critique quand nous avons commencé à créer les plans avec les clones des comédiens, et de dire aux animateurs, « Non, on n’a pas vraiment l’impression de voir Arnie Hammer… » Nous nous sommes énormément appuyés sur les scènes de références que nous avions tournées à part avec les acteurs, en leur faisant faire des sauts, des contorsions et diverses actions. Pour arriver à un résultat réaliste, il a fallu réintervenir dans les modélisations des clones, et presque les « resculpter » image par image pendant l’animation, même si les volumes enregistrés initialement étaient exacts, afin que les personnages 3D ressemblent toujours aux acteurs.

Dans quels plans particuliers avez-vous utilisé les doublures numériques ? Quand le Lone Ranger et son cheval Silver sautent sur le toit du train ? Et aussi quand ils sautent sur un wagon-plateforme plus bas, afin d’éviter de justesse le haut de l’entrée d’un tunnel ?

Oui c’est bien cela. Et il y a aussi des plans avec les clones pendant la scène qui se passe sur le toit du train de Colby, où John Reid et Tonto se retrouvent suspendus par les liens à un de ces crochets qui servait jadis à déposer les sacs de la poste à certains endroits sans que le train ne s’arrête. Mais pour revenir aux plans avec le Lone Ranger et Silver sur le toit du train, nous avons quand même trouvé des astuces pour tourner le plus possible en prises de vues réelles. Nous nous étions imposés une règle dès le début du tournage : ne jamais remplacer plus de 50% de l’image réelle par des éléments numériques, afin d’ancrer toujours le film dans la réalité. Ainsi, quand nous avons tourné la scène avec le vrai cavalier et le vrai cheval – qui s’appelait déjà Silver avant le tournage ! – nous avons eu recours à différents trucs. Le principal a consisté à tourner la scène en immobilisant le train, et en prévoyant des barrières de chaque côté du toit pour empêcher l’animal de tomber pendant qu’il galopait. Et ensuite, nous avons ajouté un paysage en mouvement de chaque côté du train. Nous avons utilisé aussi des astuces de prises de vues comme des contreplongées montrant surtout le ciel derrière le cheval au galop sur le toit, afin que l’on ne puisse pas voir que le train était statique. Nous alternons constamment les plans 100% réels et ceux avec les doublures numériques pour tromper le regard des spectateurs. Nous nous sommes également servis d’un cheval animatronique monté sur un véhicule, avec lequel nous avons tourné beaucoup de gros plans d’Arnie Hammer qui ont été intercalés dans les scènes d’action. Généralement, on ne voit que la crinière du cheval, ou alors sa tête de profil. Ce dispositif nous a permis de tourner des plans sur n’importe quel type de route, quand nous en avions besoin, sans avoir à solliciter Silver.

Avez-vous ajouté des effets visuels à d’autres cascades ?

Oui, car nous sommes intervenus sur beaucoup de plans. Il fallait par exemple que nous allongions le train en lui ajoutant des wagons virtuels, ou que nous changions l’environnement autour du train parce que nous ne pouvions pas l’amener là où nous le souhaitions. Dans ce cas-là, nous nous rendions dans le paysage prévu, nous tournions la scène comme si le train était là, et nous ajoutions un train virtuel en postproduction. Nous avons aussi ajouté des roues et des rails 3D dans les plans qui ont été tournés sur de simples routes, avec une réplique du train posé sur une plateforme de camion.

L’un des moments les plus spectaculaires du film est le déraillement d’une locomotive, qui saute par-dessus un aiguillage, tombe sur le flanc et glisse sur le sol en direction de Tonto et du Lone Ranger, qui sont assis contre un bâtiment. Comment avez-vous complété les effets de plateau réalisés par John Frazier ?

Nous avons utilisé beaucoup de techniques différentes au cours de cette séquence. Le moment précis où le train déraille a été réalisé en 3D par nous, à partir d’un plan où l’on voyait uniquement la portion d’aiguillage et les rails, et tous les ouvriers du chantier qui s’enfuient en courant. Nous avons été contraints d’employer le train 3D dans ce plan parce que l’angle de prise de vue souhaité par Gore impliquait que la caméra se trouve juste à côté de l’endroit du déraillement, ce qui empêchait John Frazier d’installer ses équipements pour déplacer le vrai train et simuler l’accident. Nous avons aussi eu recours à des portions de sol reconstituées en miniature pour tourner des effets de nuages de poussière et des débris qui volent. Le plan final est donc un mélange d’un fond d’image réel, d’un train 3D, et d’éléments miniatures filmés au moment de la postproduction. Et plus tard, quand le train se couche et glisse sur le côté, l’essentiel a été réalisé avec la machinerie construite par John Frazier, avec une loco posée sur le flanc, qui se déplaçait comme si elle glissait, dont les roues tournaient, et qui laissait échapper des panaches de vapeur. Sur ces plans-là, qui étaient d’emblée très spectaculaires, nous nous sommes contentés d’effacer les rails de guidage de la machinerie, et d’ajouter de la fumée et des débris qui se détachent du train.

Hi ho, Silver ! La suite de cet entretien arrivera bientôt au grand galop sur ESI !

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