Entretien exclusif avec Federico D’Alessandro, créateur des storyboards animés d’IRON MAN 3 - Première partie
Article Cinéma du Mercredi 25 Septembre 2013

Si IRON MAN 3 s’est aisément installé au sommet du boxoffice mondial, ce n’est pas seulement grâce à son scénario souvent drôle (même s’il a fait hurler les fans des BD Marvel choqués par le traitement iconoclaste réservé au personnage du Mandarin, et par la désinvolture avec laquelle Tony Stark se débarrasse de ses précieuses armures !) et à son casting irréprochable : ses scènes d’action spectaculaires ont largement contribué à attirer et à satisfaire pleinement les spectateurs. Pour en savoir plus sur la conception et la préparation des morceaux de bravoure de ce 3ème opus, nous nous sommes entretenus avec Federico D’Allessandro, storyboardeur et créateur de séquences animatiques sophistiquées pour les studios Marvel, avec lesquels il collabore depuis THOR. D’Allessandro ne les réalise pas en 3D schématique comme d’autres, mais en animation dessinée à la main, et agrémentées d’effets, de bruitages et même de musiques. Grâce à son talent graphique et à son sens de la dynamique de l’image, les scènes prennent vie avant même d’avoir été tournées, et le résultat est spectaculaire…

Entretien avec Federico D’Alessandro superviseur des Animatiques et des storyboards.


Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous débuté dans la conception d’animatiques?

Je voulais devenir dessinateur de BD, et je suis allé étudier à New York, la capitale américaine des comics, pour me former à ce métier. C’est en suivant par hasard un cours de storyboard que je me suis pris de passion pour cette discipline cinématographique. Je suis parti à Los Angeles et j’ai commencé par travailler sur des petits spots de publicité destinés aux stations de télé locales, puis je suis passé aux films à petits budgets, puis à des films plus importants, et enfin à une première superproduction qui était I AM LEGEND, avec Will Smith. Comme mon travail a été apprécié, à partir de là, j’ai été engagé pour travailler sur des films à gros budgets avec beaucoup d’effets visuels comme la saga des CHRONIQUES DE NARNIA, puis sur THOR, qui a été ma première collaboration avec les Studios Marvel.

Vous avez acquis une expérience impressionnante dans le domaine des storyboards et des animatiques décrivant des superhéros Marvel en action : après THOR, CAPTAIN AMERICA, AVENGERS et IRON MAN 3, vous êtes aujourd’hui au travail sur THOR, LE MONDE DES TENEBRES et CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER. Pouvez-vous nous décrire le processus d’apprentissage de ce travail, et la manière dont vous avez découvert ce qui était efficace et ce qui ne marchait pas dans les séquences d’action avec des superhéros, à la fois dans les storyboards et dans les animatiques ?

Quand je commence à travailler sur l’animatique d’une scène d’un film de superhéros ou d’aventures, j’évite de partir sur une séquence longue de 10 minutes, qui intègre tous les détails de chaque étape de l’action, parce que dans ce cas-là, on est submergé par les éléments anecdotiques, et on perd la vision d’ensemble de la scène… Je préfère aller vers une version épurée de la structure de la séquence, plus compacte et plus précise, conçue en trois actes comme un mini-film au sein du film principal, avec une introduction, un problème à surmonter et une conclusion. Depuis que je travaille sur des films de superhéros, j’ai pris conscience de l’importance qu’il faut donner à l’équilibre entre action pure et description de la personnalité du héros et de ses émotions pendant qu’il agit…C’est capital. Autant que de veiller à ne pas être trop long ! Comme je travaille en m’aidant de bruitages et d’extraits de bandes originales de films, cela m’aide à donner d’emblée à mon animatique un rythme, une émotion et une énergie proches de ce que souhaite le réalisateur. Mon but est de lui donner l’impression qu’il regarde déjà une scène terminée de son film, avant qu’il ne l’ait tourné. Cela aide aussi les producteurs à imaginer ce que le film va être. Et cela permet bien sûr de faire des corrections utiles en amont, avant de se retrouver sur un plateau avec une équipe de 200 personnes.

Ajoutez-vous les bruitages et les musiques vous-même ?

Non, je travaille sur les animatiques avec un monteur qui s’occupe de cela.

Pouvez-vous utiliser des références directes d’images de comic book quand vous reproduisez les postures de superhéros comme Iron Man, Thor ou Captain America dans des scènes d’action ? Peut-on transposer ainsi des poses de BDs sur le grand écran ?

Je ne cherche pas de références directes dans les comics quand je travaille, car ayant suivi une formation artistique de dessinateur de BD, mon style personnel est déjà assez proche des effets dynamiques que l’on emploie dans ces histoires, en jouant sur les avant-plans et les arrière plans, l’accentuation des perspectives, les poses des personnages, etc. Dès que je me mets à travailler, j’anime déjà l’animatique comme une aventure de comic book, parce que c’est ce qui me vient spontanément. Du coup, je n’éprouve pas de difficultés à dessiner Iron Man, Thor ou Captain America en action, car j’ai toujours « fonctionné » ainsi. De plus, comme j’utilise des mouvements dans mes séquences animatiques, il me serait difficile de reprendre des dessins fixes de BD, car ils ne correspondraient ni aux mouvements, ni aux sentiments ou à l’énergie que je dois exprimer dans une scène spécifique. Les « trucs » que l’on utilise pour représenter les mouvements dans les BDs consistent à dessiner les personnages dans des positions extrêmes, et à ajouter des traits pour évoquer le flou provoqué par un déplacement rapide. Ce n’est qu’une approximation de ce que l’on pourrait voir si l’on observait vraiment cette action. C’est ce qui fait que l’animatique est beaucoup plus proche d’une scène de dessin animé que des cases d’une bande dessinée : je n’ai pas à exagérer les postures des personnages, parce que j’ai la possibilité de les animer vraiment si je le désire. Par exemple quand Iron Man donne un coup de poing à un méchant, je peux le montrer en train de prendre son élan, puis l’impact du poing sur le menton du criminel, puis ce dernier qui s’envole pour atterrir sur le sol, complètement sonné. Et tout cela est montré avec le même tempo que des prises de vues réelles. Le processus est donc très différent de l’approche des comics. En revanche, je peux tout à fait m’inspirer des techniques de BD quand je choisis les angles de vue des plans et la mise en place des personnages et des décors pour leur donner des significations précises. Vous savez, les règles de la narration visuelle sont les mêmes dans tous les types de médias, qu’il s’agisse de BD, de dessin animé ou de films en prises de vues réelles. Cela consiste à varier les angles et à choisir la bonne succession de plans pour adapter la signification de chaque image au récit que l’on raconte.

Que vous a dit Shane Black au sujet du style visuel qu’il souhaitait donner aux scènes d’action d’IRON MAN 3 ? Comment avez-vous collaboré avec lui, étape par étape, sur les animatiques ?

J’ai rencontré Shane dès le début de la préparation des animatiques. Il aime une manière particulière de décrire l’action que l’on surnomme ici « A tit for a tat »(Que l‘on pourrait traduire par « un prêté pour un rendu » ou par « du tac au tac », NDLR)…

C’était le célèbre rituel de Laurel & Hardy dans les scènes où on les voyait se disputer : Laurel appliquait un pinceau plein de colle sur le menton de Hardy, Hardy perçait alors le chapeau de Laurel d’un coup de poing, puis Laurel répliquait, et ainsi de suite en amplifiant à chaque fois d’un cran l’escalade comique…

Exactement. Shane est un fan de cette mécanique comique, et il l’applique aux scènes d’action en utilisant aussi l’alternance « bonne nouvelle / mauvaise nouvelle ». Cela veut dire qu’un événement qui va être positif pour le héros va être immédiatement suivi par un rebondissement négatif, puis Iron Man va reprendre le dessus, et un autre danger survenir, et ainsi de suite… J’avais déjà tendance à organiser les scènes de combat ainsi avant de travailler avec Shane, mais il m’a demandé de me focaliser vraiment sur cette structure. Quand nous nous sommes rencontrés la première fois, nous avons parlé de la scène de l’attaque de la maison de Tony Stark, et de sa destruction par des missiles. La principale indication que Shane m’a donnée a été : « Quoi que Tony fasse pendant cette scène, il faut toujours montrer à quel point il réfléchit vite, en ayant toujours 2 ou 3 coups d’avance par rapport à ce qui se passe autour de lui, et à ce que font les méchants pour l’anéantir. » L’animatique devait montrer à la fois le déroulement de l’action et toutes les idées qui fusent dans l’esprit de Tony, qui improvise pour survivre et pour protéger Pepper, tandis que les murs et le sol se fissure, que la villa bascule dans l’océan et qu’une pluie de débris de verre s’abat sur les protagonistes. Le défi principal était de réussir à montrer tout cela de manière fluide et crédible, en jouant seulement sur quelques plans ralentis pour laisser au public le temps de voir ce que Tony fait en un éclair. Il a fallu découper la scène en plans très courts et très lisibles. J’ai changé beaucoup d’angles par rapport à ce qui était décrit initialement dans le script, afin d’accentuer le suspense et les sensations de danger et de vertige que devait ressentir le public. Quand il a vu l’animatique, Shane a semblé être très satisfait du résultat.

Jusqu’à quel point un animatique peut-il aider le réalisateur à décider si une scène est prédécoupée avec des plans trop longs ou trop courts ? Ces décisions sont-elles laissées en suspens puis affinées plus tard, au moment du montage des prises de vues ?

En fait, l’animatique est vraiment un outil merveilleux pour vérifier cela avant le tournage, car il restitue très bien le timing d’une scène. Un storyboard ne peut pas faire cela, puisque le passage d’une image à l’autre dépend du regard de celui qui l’observe. D’ailleurs, quand un animatique est validé par un réalisateur, le montage final de la scène lui ressemble énormément dans la plupart des cas. Les quelques variations qui peuvent survenir dépendent des idées nouvelles qui ont surgi au cours du tournage. De plus, quand on peaufine un animatique détaillé avec le réalisateur, on peut déjà effectuer des retouches, raccourcir ou allonger les plans, les déplacer à d’autres endroits de la scène…Shane était donc en mesure de travailler comme s’il se trouvait déjà dans la salle de montage et manipulait des prises de vues réelles. Donc pour répondre à la seconde partie de votre question, le réalisateur peut déterminer la longueur exacte des plans dès la finition de l’animatique.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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