Grâce au distributeur SND/M6, LA BELLE ET LA BÊTE de Jean Cocteau est ressorti en salle le mercredi 25 septembre et en DVD/BLU-RAY le 09 octobre. Ce chef-d’œuvre du cinéma français a été conçu et produit avant la fin de la seconde guerre mondiale. Les difficultés d'accès à la nourriture, aux matières premières compliquèrent énormément le projet, avant même le tournage. On aurait tendance à l'oublier, à cause de l'interprétation mémorable de Jean Marais, de la musique de Georges Auric, des effets spéciaux uniques, qui font de ce film un joyau de la production française.
par Nicolas Jonquères
Une production difficile
L'idée de faire un film sur LA BELLE ET LA BÊTE, viendrait de Jean Marais lui-même. Alors que Jean Cocteau donnait lecture d'une pièce dont il venait d'achever l'écriture. «Jean Cocteau ne lui a pas encore trouvé de titre, écrit le comédien. Il propose (...) LA BELLE ET LA BÊTE. Oh non, Jean, m'écriais-je, j'aimerais tant que tu fasses un film avec LA BELLE ET LA BÊTE. Il appela la pièce L'AIGLE A DEUX TÊTES et écrivit le scénario de la LA BELLE ET LA BÊTE. »
Le film devait être produit par la Gaumont, mais après avoir lu le scénario, les dirigeant rompirent tous les contrats afférant au film. Ce fut André Paulvé qui reprit la production du film. « Je m'engageai dans la Division Leclerc et le film fut repoussé, rapporte Jean Marais. A mon retour, Paulvé, ne voulait plus entendre parler de la LA BELLE ET LA BÊTE. Il pensait que personne ne s'intéresserait à un acteur déguisé en bête. Jean Coteau lui proposa de faire un essai. Paulvé accepta. (…) A la projection, la femme [de Paulvé] pleura. Ce fut notre chance, le film fut accepté. »
Il serait fastidieux d'énumérer tous les problèmes que rencontra l'équipe du film. Au delà, des incidents « normaux », comme le cheval qui fait des siennes, le tournage eu lieu avec différents stocks de pellicules, ne rendant pas toutes le même résultat à l'écran. Le tournage, aux studios d'Épinay-sur-Seine, se fit parfois avec une lumière vacillante, dues à l'instabilité du réseau, n'oublions pas que nous étions en 1945, ou encore avec des avions survolant le tournage et couvrant tout de leurs vrombissements . De plus Cocteau tomba gravement malade durant le tournage. « Pendant le film, il eut presque en même temps de l'impétigo, de l'urticaire, de l'eczéma des furoncles des anthrax et un phlegmon. Les sunlight le blessaient, il ne pouvait plus se raser. Il travaillait avec un chapeau sur lequel il fixait avec des épingles à linge, un papier noir percé de deux trous pour les yeux. »
Jean Marais parle du tournage de la Belle et Le Bête
Malgré tout, il semble que ce tournage ait été un bon moment. L'équipe s'entendait plutôt bien. Cocteau employait une méthode de tournage proche de l'improvisation. Il lui arrivait d'imaginer des plans non marqués dans le scénario. « A six heures un quart, je tourne un plan qui me vient en remarquant la tête de lion qui termine les accoudoirs du fauteuil. La main du Marchand [le père de la belle] dort sur cette tête de lion. Le rugissement lointain de la Bête se fait entendre. La main s'éveille et se sauve. »
Une Bête fantastique
Le personnage de la bête a marqué les mémoires de tous ceux qui ont vu le film. Jean Marais voulait dans un premier temps que la bête ait une tête de cerf avec des bois majestueux. « [Christian] Bérard, qui devait faire les costumes et les décors, m'expliqua que ce ne pouvait pas être un herbivore, mais un carnassier. Les cornes, mêmes les magnifiques bois d'un cerf, feraient rire les salles populaires. La bête doit effrayer. Il avait raison. »
Hagop Akralian, qui réalise les maquillages du film est confronté à un défis, car à cette époque les maquilleurs français n'utilisent pas de mousse de latex. C'est Jean Marais qui solutionna le problème : « J'allais chez Pontet, un grand perruquier. Je lui donnai comme exemple le pelage de mon chien Moulouk. La nature diversifie les coloris du poil. Pontet fit un travail extraordinaire et mon masque prit une tournure tragiquement réelle. » Chaque jour Jean Marais doit passer 5 heures au maquillage, trois heures pour le visage, et une pour chaque main.
Jean Cocteau voulait dans un premier temps que la voix de Jean Marais soit remplacée par une autre. Il note dans son journal : «A une heure et demi, nous avons vu la projection des premières images [tournées au Château]de Raray. Je les trouve très belles et la voix de Marais me semble impressionnante. Un voix d'infirme, de monstre douloureux. ». Quelques mois plus tard, il renchérit : « Je songeais à doubler Marais dans le rôle de la bête, à changer sa voix, à la faire imiter par une voix profonde. L'expérience me prouve que c'est impossible. La singularité vocale qu'il apporte au rôle est inimitable. Dès qu'on le double, même avec exactitude, l'image ne fonctionne plus. Jacques Lebreton [ndlr : ingénieur du son sur le film] va composer un filtre qui enregistrera et déformera sa voix. »
Des effets spéciaux uniques
Ce film, composé d'images fascinantes, regorge d'expérimentation d'effets spéciaux en tous genres. Cocteau s'est toujours refusé de faire appel à des effets spéciaux dit « de laboratoires ». Il n'y dérogera que pour le plan final où Jean Marais et Josette Day s’envolent dans les airs. « (...) cela m'oblig[e] à vaincre les facilités que donne le cinématographe dans l'ordre du merveilleux, à rendre ce merveilleux direct, à n'employer jamais le laboratoire, à ne prendre dans la boite pour ce que je voyais et voulais faire voir aux autres. »
Il écrivit encore « Mes trucages ne sont pas plus des trucages que le fait de se servir de l'encre pour écrire(...). Ce qui prouve bien qu'il s'agit d'une seconde nature chez Cocteau, que les trucages font partie intégrante de son cinéma. Il filme les trucages comme des images réelles.
Le trucage le plus souvent employé dans le film est la projection à l'envers. Par exemple dans la scène où le marchand rentre dans le château pour la première fois, les chandelles s'allument sur son passage. Sur le tournage, le comédien Marcel André marchait à reculons et les chandelles étaient éteintes une à une, avec un système de soufflerie. Les chandeliers, qui semblent flotter dans les airs, quand ils ne sont pas tenus par des bras fantomatiques, sont accrochés au plafond avec un fil fin peint en noir pour se confondre avec le décor. Combiné au ralenti, le filmage à l'envers permettra de créer le beau plan où le collier de perles se forme dans la main de la Bête.
Pour créer les plans où Jean Marais, à la fin du film se transforme en Bête, Cocteau souhaitait dans un premier temps maquiller Jean Marais par petites touches, et filmer les différentes étapes sans que Marais bouge. Le tournage de cette façon aurait nécessité au moins trois heures et le sacrifice des deux masques de bête. Henri Alekan, directeur de la photographie, suggéra de combiner à la prise de vue grâce à une vitre l'image de Marais sans maquillage, à celle d'un assistant maquillé en Bête de l'autre côté de la vitre, et en variant l'éclairage sur les deux.