THOR, LE MONDE DES TENEBRES : Entretien exclusif avec le réalisateur Alan Taylor – 2ème partie
Article Cinéma du Lundi 04 Novembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quelle a été votre vision initiale du projet, les toutes premières images qui vous sont venues en tête quand vous avez pensé aux nouveaux éléments à apporter à l’univers cinématographique de THOR après le 1er épisode ?

Eh bien je dois dire que j’ai été surpris par la liberté d’apporter des idées que l’on m’a accordée. Nous avons changé le costume de Thor, modifié l’aspect d’Asgard, varié le ton du traitement de certains personnages, et tout cela s’est passé dans une ambiance très positive, où l’équipe dirigeante des Studios Marvel accueillait ces idées en faisant preuve d’une grande ouverture d’esprit. Je n’avais pas non plus les mains totalement libres, bien sûr. Marvel est une marque très forte, à la longue histoire. Ses dirigeants connaissent leurs personnages sur le bout des doigts, et ils n’hésitent pas à vous donner leur avis. Cela étant dit, j’ai été très agréablement accueilli, et je leur suis reconnaissant de m’avoir laissé apporter ma contribution à leur univers en y apposant mon empreinte. Pour revenir à votre question, la toute 1ère chose qui m’est venue en tête, c’était comme je vous le disais de retirer tous les éléments visuels qui paraissaient flambants neufs, et de jouer sur des architectures et des objets patinés par le temps pour suggérer l’histoire passée d’Asgard. Une partie des épisodes du TRONE DE FER que j’ai réalisés ont été tournés en Croatie, en tirant partie de véritables sites médiévaux qui s’y trouvent encore, des châteaux et des villages qui n’ont que très peu changés au fil des siècles. Je pense que tout cela m’a d’autant plus marqué que cela me rappelait mes études et mon diplôme d’histoire. Je voulais apporter cette touche d’authenticité à la suite de THOR. Sinon, l’autre aspect du film qui m’intéressait beaucoup était la perspective de travailler sur les designs et le traitement visuel du monde des Elfes des ténèbres, que l’on n’avait encore jamais vus dans une production Marvel. Il s’agissait donc d’un « territoire vierge » qui me donnait l’opportunité de donner une certaine beauté à ces personnages et ces armements terrifiants et très dangereux. C’était l’occasion de sortir de l’éternel cliché qui consiste à enlaidir les « méchants ». Même les extraterrestres qui apparaissaient à la fin d’AVENGERS étaient laids et avaient un comportement chaotique… Je préfère l’idée d’un être élégant, qui a un beau visage, mais qui n’hésitera pas une seconde à vous anéantir ! (rires) C’est la raison pour laquelle j’ai voulu donner aux elfes de beaux visages avec des yeux ronds. Ce n’est que dans un second temps que je me suis rendu compte que Guillermo Del Toro donnait lui aussi des yeux ronds à beaucoup de créatures de ses films, et obtenait de très bons résultats…Je dirais donc que le visage de l’ennemi principal a été l’une des premières images qui ont surgi dans ma tête. Mon plan initial pour le film était aussi de ne jamais pénétrer dans le palais d’Asgard, sauf pour le faire exploser ! C’était mon plan pour me débarrasser des décors dorés et immaculés que je n’avais pas du tout aimés dans le 1er film, comme l’immense trône d’Odin ! (rires) J’avais l’intention de montrer plutôt les salles et les terrains où les guerriers d’Asgard s’entraînent à combattre. Je dois dire qu’en fin de compte, cette idée n’a pas fait l’unanimité et que je ne suis pas parvenu à mes fins. (rires) Il y a donc un certain nombre de scènes qui se déroulent dans le palais. Mais j’ai tenu à en montrer aussi les coulisses, et non pas seulement les lieux de cérémonie.



Mais vous avez été quand même satisfait de la liberté créative qui vous était accordée ?

Oh oui, d’autant plus que quand je suis arrivé, je m’attendais à ne pas en avoir du tout ! Je me disais « Ne te fais pas d’illusions, tu n’es qu’un petit réalisateur qui vient du monde de la télévision, et tu vas travailler pour des gens qui ont créé une franchise colossale qui a généré plusieurs blockbusters qui ont triomphé au boxoffice, et ces gens sont eux-mêmes employés par un autre studio qui est lui aussi passé maître dans l’art d’exploiter des franchises. Tu n’auras pas ton mot à dire ! » Et pourtant, à ma grande surprise, ce n’est pas du tout comme cela que les choses se sont passées. Personne n’est venu regarder ce que je faisais par-dessus mon épaule pour me dire comment je devrais filmer ou faire bouger la caméra. Toutes les options étaient ouvertes.

Sauf pour le palais d’Asgard !

Ah, j’ai quand même réussi à le rendre moins brillant et doré qu’auparavant, et à y ajouter plus de détails architecturaux ! (rires) Et il explose bel et bien dans le film ! (rires) Vous savez, je crois que j’aurais mauvaise grâce à me plaindre. Marvel prend des risques audacieux en misant sur des réalisateurs peu connus, auxquels on ne confie généralement pas de blockbusters, et qui se retrouvent soudain à la tête de films à très gros budgets. Ils vous laissent vous exprimer et apporter des idées fraîches qui renouvellent leur univers, mais en acceptant de travailler avec eux, vous savez qu’ils auront aussi leur mot à dire, et ce de plus en plus au moment de la finition du film. Autant j’ai pu faire pratiquement tout ce que je voulais pendant le tournage, autant il y a eu des discussions assez soutenues pendant le montage. Mais au final, je suis très content de ce que nous allons montrer au public, parce que le film a bien le style que je voulais lui donner.

Quelles sont les autres opportunités et défis à relever qui vous ont attirés ?

La possibilité de nous inspirer encore plus des cultures et des mythologies celtiques et nordiques pour créer le film et approfondir le personnage de Thor et ses rapports avec ses proches. Je voulais le décrire un peu moins comme un superhéros et davantage comme un guerrier viking et un prince. Dans le 1er film, en se basant sur les BDs originales, on présentait les personnages de manière très astucieuse en disant « Ce ne sont pas des dieux, mais des extraterrestres hautement évolués qui disposent de technologies qui nous dépassent tellement qu’elles ressemblent à de la magie. » C’est un concept génial, mais dont l’inconvénient est que tous les décors devaient sembler modernes, neufs, brillants, toujours en état de marche, parce que supportés par des machines auto-entretenues…Il ne pouvait pas y avoir la moindre égratignure sur les objets peints, et les uniformes semblaient tous neufs. Comme je voulais être plus proche de la mythologie des Vikings, j’ai eu envie que l’on sente que la cité d’Asgard avait été fondée 10 000 ans auparavant par Borr, le père d’Odin, et que les vestiges de l’ancienne cité étaient encore visibles dans les fondations des bâtiments de la nouvelle ville construite par-dessus, comme cela arrive toujours dans la réalité. J’espère que les spectateurs comprendront cette idée et que ce monde leur paraîtra plus crédible à cause de cela…Bref, mes suggestions concernaient en partie cette nouvelle approche visuelle. J’ai suggéré aussi d’aller en Islande pour y filmer certains paysages naturels grandioses, plutôt que de tourner devant les éternels fonds verts. Mais même en ayant eu gain de cause, il a fallu que je veille à la manière dont ces images de vrais panoramas islandais étaient traitées, car le département des effets visuels avait commencé à les retoucher énormément, et à repeindre d’autres paysages par-dessus ! Quand j’ai vu ça, j’ai poussé des cris d’horreur : « Nooon, ne touchez surtout pas aux paysages naturels !! Laissez-les tels qu’ils sont ! » Ils voulaient rajouter un bâtiment futuriste dans un coin, un vaisseau spatial un peu plus loin…(rires)

Qu’avez-vous trouvé le plus intéressant dans l’histoire de Malekith et des Elfes maléfiques qui est intégrée au récit du film ? Comment avez-vous travaillé avec Christopher Eccleston sur le personnage de Malekith, le chef des elfes ?

L’opportunité de montrer des personnages très importants que l’on n’avait jamais vus auparavant m’a beaucoup plu. Cette fois-ci, Thor et ses alliés ne se battent pas contre n’importe quels ennemis, mais contre des êtres qui existaient à l’origine du monde, à l’origine du temps. On les croyait disparus depuis 5000 ans, et ils réapparaissent soudain… Il fallait tenter de les représenter de manière crédible, et choisir aussi un acteur qui soit capable de jouer un chef arrogant, qui regarde toutes les autres créatures de haut, et Christopher Eccleston fait cela très bien ! (rires) C’est une boutade, bien sûr : Christopher est très sympathique et ce fut un plaisir de travailler avec lui. Je lui ai donné involontairement du fil à retordre, car j’avais envie que les elfes parlent leur propre langue, et cette idée a été validée à la toute dernière minute avant le tournage. Je pense que c’est le fait d’avoir pris tant de plaisir à réaliser des scènes du TRONE DE FER avec des acteurs qui parlaient la langue Dothraki qui m’a poussé à insister auprès de Marvel pour faire de même avec les elfes ! Cela ajoute vraiment du réalisme quand on met en scène des êtres d’un autre monde. Mais pour Christopher, qui arrivait en Islande pour y tourner ses scènes, découvrir à la dernière minute que tous ses dialogues étaient écrits non plus en anglais mais dans la langue des elfes a été une surprise assez rude ! (rires) C’était très compliqué à mémoriser et à réciter phonétiquement, mais il s’en est très bien sorti. Nous avons travaillé aussi avec Christopher sur les motivations du personnage de Malekith, pour sortir un peu de l’image du « méchant » et le rendre plus complexe. Je me souviens qu’après avoir vu passer les premiers communiqués de presse qui décrivaient LE MONDE DES TENEBRES, j’ai failli m’étouffer en lisant que l’on y parlait du « méchant » Malekith. J’ai pris un feutre rouge, et j’ai aussitôt rayé rageusement cet adjectif, en demandant à ce qu’il ne soit plus jamais utilisé ! Je n’aime pas qu’on réduise un personnage à de tels archétypes, même si c’est l’ennemi acharné du héros. C’est trop facile. Dans notre cas, cela donnait à croire que nous allions nous contenter d’utiliser des clichés plutôt que des motivations crédibles. Malekith, lui, pense agir pour le bien. Il croit même être un héros, le sauveur de son peuple. En tant que chef des elfes des ténèbres, il ne peut pas accepter l’inexorable déchéance des siens depuis le big bang. Son but est de faire en sorte que la civilisation de ses ancêtres retrouve son importance et sa puissance originelle…

Parlez-nous de votre collaboration avec Anthony Hopkins…

Comme je le dis souvent, Anthony est un tel vétéran du cinéma qu’il était le seul acteur de l’équipe qui m’impressionnait et au sujet duquel je me demandais avec une certaine angoisse comment les choses allaient se passer. C’est une énorme vedette, et je l’avais vu dans tant de films inoubliables que la perspective de le diriger était intimidante. Anthony a une telle autorité naturelle qu’il peut être très impressionnant dans certaines circonstances. Mais en fait, il m’a mis à l’aise dès notre première rencontre et tout s’est bien passé. Il faut que je rappelle que pour incarner Odin, nous demandons à Tony de porter une armure superbe mais un peu encombrante, une barbe, et un bandeau sur l’œil droit. Du coup, il ne lui reste plus que l’œil gauche pour jouer ! (rires) Ce n’est pas une plaisanterie, mais une constatation : il y a certaines circonstances chargées d’émotion dans ce film, et quand je filmais des gros plans du visage d’Anthony, il arrivait à être bouleversant et à vous faire monter les larmes aux yeux juste avec son œil gauche ! Quand vous assistez à de telles performances, vous vous dites qu’il mérite vraiment son statut de légende du cinéma. Mais en dehors de cela, Anthony est un compagnon de travail très agréable, et assez facétieux. Comme il est un formidable imitateur et a des dons de ventriloque, il aime bien produire des bruits d’animaux sur le plateau. Il imite si bien les aboiements de fox terrier, sans bouger les lèvres, qu’il arrive à convaincre les équipes de sécurité qu’un chien errant s’est faufilé dans le studio et risque de ruiner les prises ! (rires) Anthony est très généreux avec les autres acteurs, très disponible. Il se met au service de la vision du réalisateur. L’une des clés de son immense talent est sa capacité à jouer de manière extrêmement subtile, en retrait, avec des regards et des gestes restreints qui ont d’autant plus d’impact qu’ils ne sont jamais exagérés, même d’un millimètre. Tout sonne juste. Il sait aussi utiliser sa voix de manière impressionnante, comme quand il jouait les moments où Odin se met en colère. Là, on avait l’impression que tout le plateau tremblait ! Ce qui me sidérait le plus, quand je l’observais de loin pendant qu’il jouait une scène, c’est qu’il semblait presque ne rien faire. Mais quand je visionnais ensuite le résultat sur le moniteur, je constatais qu’Anthony avait joué exactement en fonction du cadrage choisi et de l’objectif utilisé, et qu’il avait réussi à faire passer toutes les émotions du personnage, bien au-delà de ce que l’on aurait pu imaginer. Et nous en avions tous le souffle coupé ! Il adore ce métier, et c’est toujours une joie d’aller regarder avec lui ce que l’on vient de tourner. Il observe attentivement la prise, et généralement, il se tourne vers vous avec un petit sourire et dit « C’était plutôt bien, n’est-ce pas ? » (rires)

Certaines des scènes que nous avons découvertes en avant-première étaient plutôt légères, et ponctuées de répliques qui ont beaucoup fait rire les spectateurs pendant la présentation organisée par Marvel. Ce n’est pas nécessairement représentatif du ton général du film, mais en tous cas, cela semble indiquer que vous n’avez pas négligé l’humour dans LE MONDE DES TENEBRES…

Absolument. C’est capital de veiller à cela. Je l’ai constaté encore récemment en voyant mes filles éclater de rire pendant qu’elle regardaient AVENGERS. Il y a beaucoup de moments amusants dans LE MONDE DES TENEBRES, même si le ton général est plus sombre que celui du 1er épisode, et même si nous tuons certains personnages auxquels nous nous étions attachés… Je ne crois pas que nous pouvons prétendre que ce 2ème volet est plus drôle que le premier, mais nous avons tenu à préserver l’esprit de cette saga. L’humour apporte du réconfort entre des moments de tension ou des coups durs assez tristes, il permet au « moteur » du film de continuer à tourner rond et de ne pas laisser retomber l’attention des spectateurs.

La suite de cet entretien paraîtra à la vitesse de l’éclair sur ESI !

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.