THOR, LE MONDE DES TENEBRES : Entretien exclusif avec Anthony Hopkins (Odin) – 2ème partie
Article Cinéma du Vendredi 08 Novembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Pour les amateurs de fantastique qui se souviennent avec émotion de vos rôles dans des films comme MAGIC ou LE SILENCE DES AGNEAUX, il semble que vous vous impliquiez avec la même passion dans tous vos projets, y compris dans des divertissements comme THOR, alors que d’autres acteurs qui ont eu une carrière aussi longue que la vôtre prennent plus de distance avec leur métier, et travaillent moins, pour profiter de leur semi-retraite…

Oh, je ne crois pas avoir forcément plus de passion pour cette profession que d’autres acteurs, mais quand je fais quelque chose, je le fais totalement. Vous parlez de films fantastiques, eh bien je viens justement de tourner un thriller fantastique qui s’intitule SOLACE. Il s’agit d’une histoire très intéressante où un médium et un policier font équipe pour traquer et capturer un tueur en série. C’est un film indépendant, dont le budget était très limité. Il a fallu attendre que le montage financier puisse se faire. Le réalisateur a été contraint de s’adapter au budget qui a été finalement disponible, et nous espérons que le film sera réussi en dépit de cela. J’ai souvent pu voir à quelles pressions les réalisateurs sont soumis et comment cela peut affecter leur travail, les moyens qui leur sont donnés ou retirés, le nombre de jour de tournage dont ils disposent, les scènes qu’ils doivent couper du script par manque de budget, etc. Ce matin, je parlais avec une amie que je connais de longue date, et elle me disait « Quand vous produisez et réalisez un film, c’est dur d’avoir affaire à certaines personnes qui sont capables de profiter de vous et de vous voler votre argent en toute légalité. Il y a des gens extrêment malhonnêtes dans ce métier. » Personnellement, je n’aurais pas l’énergie d’accepter cette responsabilité et d’affronter tous ces problèmes. Kenneth Branagh tourne actuellement un film pour Paramount à Londres et il m’expliquait que tous les cadres du studio avec lesquels il travaille ont leur propre vision du projet…Je ne voudrais pas me retrouver dans cette position et être contraint de tourner à nouveau certaines scènes parce qu’un cadre du studio s’est senti créatif. Heureusement, les choses se passent différemment avec les studios Marvel, car Kevin Feige et toute son équipe connaissent les personnages de Thor sur le bout des doigts, et ont une vision très cohérente des choses. Ils tiennent le gouvernail fermement entre leurs mains, mais avec eux dans le poste de pilotage, on peut être sûr que le bateau reste sur le bon chemin. Mais franchement, quand les dirigeants d’un studio ne restent pas à leur place et se mêlent de tout, les choses peuvent tourner au cauchemar…Ils sont même capables d’aller demander l’avis du chef de la cantine de plateau quand ils sont pris d’un doute sur un élément du film ! (rires) Et là, on touche le fond…

A vous entendre parler ainsi des coulisses du cinéma, on peut se demander comment vous avez réussi à survivre aussi longtemps dans ce métier et à participer à autant de très grands films…

Comment j’ai réussi à survivre ?.. Oh, je crois que j’y suis parvenu parce que j’ai de l’énergie, et parce que j’ai une telle expérience de tout cela que j’arrive à voir assez clairement les choses au-delà des apparences, et de ne pas croire toutes les bêtises que l’on essaie de me faire gober. On ne me berne pas facilement et je me débrouille pour faire savoir que je ne supporte pas les imbéciles, quel que soit leur statut au sein d’un studio. Il m’arrive souvent de rencontrer des gens qui vivent dans la crainte, et qui se sentent obligés de faire des compromis pour continuer de travailler…C’est bien triste. En ce qui me concerne, je dois dire que je suis reconnaissant des opportunités que ce métier m’a données. Il m’a permis de jouer de beaux rôles et de mener une vie extrêmement agréable. Il y a probablement autant de corruption, de coups en traître, et de politique de bas étage dans d’autres professions comme la finance, l’industrie, les médias…Au-delà de tout cela, je crois que ce qui m’a permis de survivre, c’est la joie que m’apporte l’interprétation de ces personnages. J’aime tellement cela que je pourrais presque accepter de lire l’annuaire téléphonique si on me le proposait ! Heureusement pour moi, je n’ai pas à en arriver là, car j’ai un excellent agent qui sait trier les scripts qu’il reçoit et qui ne m’envoie que des projets vraiment intéressants à lire. Une fois que je les ai lus, il me demande « Es-tu sûr et certain de vouloir faire ce film-là ? » et si j’hésite un tant soit peu à lui répondre oui, cela signifie que c’est probablement un projet qu’il vaut mieux laisser passer. Mes réponses n’ont rien à voir avec les cachets qui me sont proposés. Si un script est excellent et que mon agent me dit que la production ne dispose que d’un petit budget, je n’hésite pas à dire « OK, je le fais ! » surtout si le tournage ne se déroule pas trop loin de Los Angeles et s’il n’est pas exténuant. Dieu merci, j’ai toujours assez de motivation et d’énergie en moi pour avoir l’envie de tourner. Et de m’amuser comme ce fut le cas pendant les 2 épisodes de THOR. Si je délaissais les plateaux de cinéma, je suis certain que je tomberais malade. Je sais qu’il faut que je travaille pour rester en forme. Ma force vitale vient de là. Ma femme me dit souvent « Tu es un acteur. Tu l’as été toute ta vie. Tu ne vas pas renoncer maintenant à ce métier qui représente tant de choses pour toi ! »

Vous avez bien connu Laurence Olivier, qui avait incarné lui aussi un dieu de la mythologie - Zeus dans LE CHOC DES TITANS – dans la seconde partie de sa longue carrière, en 1981…

Oui, et nous avions d’ailleurs travaillé ensemble un peu plus tard, en 1984 sur le film LE BOUNTY, qui était la 3ème adaptation des MUTINES DU BOUNTY, avec Mel Gibson dans le rôle de Fletcher Christian. Laurence Olivier incarnait l’amiral et je jouais l’impitoyable Lieutenant William Bligh qui malmène son équipage. Laurence Olivier avait 76 ans à l’époque et de nombreux problèmes de santé. Il n’était pas si âgé que cela, mais sa mémoire commençait à lui faire défaut. Je le revois dans sa caravane de tournage, révisant sans cesse son texte, et se tournant vers moi pour me dire : « Je sais pourquoi je fais tout cela… Si j’arrêtais de jouer, je mourrais. » Je lui ai dit « Vraiment ? » et il m’a répondu « Absolument. Et je continuerai à jouer même si j’en arrive au point où je dois lire mon texte sur un téléprompteur caché quelque part dans les décors. Je l’ai déjà fait au théâtre… Il faut que je me retrouve sur un plateau de cinéma le matin ou sur une scène le soir pour continuer à vivre. » Et quelques années plus tard, quand il en est arrivé au point où il ne pouvait plus du tout jouer, il est effectivement mort peu après. Mais tant qu’il jouait, il était un géant, un Goliath, un colosse parmi les acteurs. Il était vraiment l’un des plus grands. Je me le disais encore en revoyant SPARTACUS récemment : quel charisme, quelle prestance, quel charme ! Quand il jouait dans une scène, il dominait le plateau avec une aisance incroyable. Et en plus de cet immense talent, il avait aussi la ténacité d’un lion. Si j’avais l’audace d’essayer de me comparer à lui, je dirais que j’ai la même ténacité farouche. Kenneth Branagh, que je connaissais bien avant qu’il ne me dirige dans THOR, appartient à la même catégorie d’artistes d’exception. On lui a proposé d’assurer la direction du Théâtre national anglais et je pense qu’il devrait accepter cette offre car j’irais volontiers y travailler avec lui ! Je crois que Kenneth est l’un des derniers grands acteurs et metteurs en scène romantiques de la scène anglaise.

En tant qu’acteur, que trouvez-vous le plus intéressant et le plus amusant quand vous incarnez un personnage fantastique comme Odin ? Et quels thèmes de la saga cinématographique de THOR trouvez-vous les plus intéressants ?

Eh bien cela me donne l’occasion de jouer dieu, ce qui n’arrive pas si souvent ! (rires) C’est très plaisant, et toujours intéressant. Travailler avec Alan Taylor était une très bonne expérience, car il fonctionne comme Kenneth Branagh : il arrive sur le plateau en étant extrêmement bien préparé et en connaissant exactement la marge de manœuvre dont il dispose en tant que metteur en scène. Comme l’histoire est clairement déterminée par le script, il n’a pas la possibilité d’en dévier beaucoup et de s’écarter de ce qui a été prévu, même s’il a de nouvelles idées. En raisons des moyens mis à la disposition du tournage et des effets visuels qui sont prévus, il doit chorégraphier les choses en restant dans le cadre prédéterminé du récit. Ou en s’adaptant aux changements de scènes que Marvel a décidés. Le fait que tout soit prévu à l’avance facilite le travail des acteurs. Mais Alan explore de manière très créative la manière dont il va créer les images qui vont servir à raconter l’histoire et à exprimer les sentiments des personnages. Quand j’arrivais sur le plateau, le matin, il m’expliquait, par exemple « Vous vous trouvez ici, puis vous avancez de ce côté du décor pendant que la caméra vous suivra. » Et quand je lui demandais « Est-ce que pourrais passer plutôt de l’autre côté de cette table ? », il me répondait « Comme vous voulez. Voyons ce que cela va donner. » Ce genre de film est un exercice essentiellement visuel pour le réalisateur. Il raconte le film avec sa caméra. Et en tant qu’acteur, c’est assez facile de prendre place dans ce grand dispositif et de s’y trouver à l’aise. Vous n’avez pas à puiser de grandes ressources en vous pour interpréter quelque chose de compliqué. Vous suivez les indications du réalisateur, et vous vous lancez et dites votre texte. Comme Kenneth Branagh et Alan Taylor savent très bien ce qu’ils font pour donner le plus d’impact à vos répliques, s’il vous disent qu’à la fin d’une phrase, l’objectif de la caméra va se retrouver à dix centimètres de votre visage, vous pouvez leur faire confiance, car vous savez que cela fonctionnera très bien dans le film. Il nous est aussi arrivé de ne pas être d’accord, Alan et moi, quand je voulais réduire certaines phrases et les simplifier en ajoutant une touche d’humour. Je le voyais disparaître dans un coin et chuchoter avec un des membres de l’équipe de Marvel, puis revenir pour me dire si ma suggestion était retenue ou non. Quelquefois j’avais gain de cause, d’autres fois non. Je considérais qu’un dieu aussi âgé qu’Odin, qui a vu tant de choses, doit forcément avoir un regard un peu ironique sur le monde, et ne peut pas être sérieux tout le temps. Quand une réplique me semblait vraiment trop austère, je protestais en disant que je ne pouvais pas la jouer ainsi, et j’insistais pour tourner au moins une prise avec ma version du texte, pour rendre les choses un peu plus légères. J’ai beaucoup apprécié les scènes que j’ai jouées avec Nathalie et avec Chris, et avec tous les acteurs de ce film. C’était une équipe très talentueuse et très agréable.

Quelles sources d’inspiration de la vie réelle utilisez-vous pour apporter du réalisme à votre interprétation d’Odin ?

Je le fais parler comme un homme.

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