[Archives] WALL-E: Entretien avec l'animateur Victor Navone
Article Animation du Samedi 27 Fevrier 2016

"Objets inanimés, avez-vous une âme?" La réponse à cette célèbre question de Lamartine est "oui" sans hésiter quand il s'agit de Wall-E. Si ses congénères sont inanimés à plus d'un titre, c'est bien une âme qui se dessine derrière les deux optiques de ce petit robot. Une âme que l'on doit notamment à ses animateurs (littéralement, pourvoyeurs d'âme!) qui ont su donner cette personnalité irrésistible et ô combien touchant à un simple assemblage de métal. Eh bien, c'est tout le génie des artistes de Pixar que d'avoir su nous émouvoir avec Wall-E, et parmi eux, Victor Navone, génie de l'animation autodidacte, que nous avons eu le privilège d'interviewer pour vous !

Par Jérémie Noyer

Pouvez-vous nous parler de votre parcours à Pixar ?

J'ai commencé chez Pixar en 2000 dan le département de Développement pour travailler sur un projet qui a finalement été supprimé. A partir de là, j'ai rejoint le départment Animation pour travailler sur Monstres & Cie, et j'y suis resté depuis. J'ai participé au Monde de Némo, Les Indestructibles, un petit peu de Ratatouille et beaucoup de Wall-E. Je suis en train de co-réaliser des spots pour Disney Channel avec les personnages de Cars. Chaque film sur lequel j'ai travaillé a son propre style, ses propres règles et ses propres défis. Sur Monstres & Cie, j'ai appris à animer dans le cadre d'une grande production. Sur Némo, nous avons dû apprendre comment faire en sorte qu'un poisson donne l'impression qu'il évolue dans un milieu aquatique, ce qui signifiait rompre avec certaines des règles d'animation que nous avions apprises. Les Indestructibles a été notre premier film impliquant des humains comme personnages principaux, ce qui fait que nous avons dû faire pas encore plus de recherche et de planification. Les personnages de Cars étaient beaucoup plus simplifiés, bien sûr. De fait, le challenge était de trouver des moyens de leur permettre de s'exprimer sans membres ni colonne vertébrale, tout en respectant leur spécificité de voitures. Ratatouille a demandé un emploi du temps très ramassé et une maîtrise de l'animation de personnages très organiques. Sur Wall-E, enfin, ce fut un challenge assez proche de celui de Cars, sans le luxe de dialogues et de contrôles faciaux.

Vous avez absolument tenu à travailler sur Ratatouille, en dépit de ce timing très précipité. Vous avez animé la scène de patins à roulette entre Linguini et Colette...

Comme je l'ai découvert sur Les Indestructibles, travailler avec Brad Bird est une expérience fantastique. Je savais que Ratatouille serait un film génial et je ne voulais pas qu'il m'échappe totalement!

Cela fut-il un choix personnel de travailler sur sur Wall-E ?

Après Cars et un projet publicitaire, j'ai littéralement imploré Pixar de me prendre sur Wall-E! J'avais entendu dire combien c'était un film différent. Je suis un vrai fan de science fiction et il me semblait que ce film me correspondait parfaitement. Je cherchais également à participer le plus tôt possible à un film afin de pouvoir avoir le plus grand impact du point de vue créatif.

De votre point de vue, quels défis, tant techniques qu'artistiques, représentait Wall-E ?

Nous avons commencé par essayer de faire en sorte que Wall-E et tous les autres robots ressemblent à des machines avec des tâches spécifiques. Puis nous nous sommes inquiétés de la façon dont nous pourrions les faire ressentir des choses et s'exprimer. Il fut souvent difficile de rendre leur processus de pensée clair et nous avons sans cesse essayé de trouver des mouvements qui soient propres à la physiologie de chaque robot, de telle sorte que leur animation ne se réduise pas à une simple imitation de mouvements humains.



Dans The Art of Wall-E, Andrew Stanton, le réalisateur, a écrit: "tous les éléments essentiels pour produire un film jouent un rôle vitale et unique dans la narration. Si vous en retirez un (dans notre cas, ce fut les dialogues qui ont été drastiquement réduits), les éléments restant doivent combler le vide. Le travail sur la communication devient alors un impératif dans chaque détail." Les dialogues vous ont donc été quasiment supprimés, mais également certains paramètres fondamentaux de l'animation comme le "squash and stretch" (la déformation de personnage) dans la mesure où il s'agit que de créatures de métal. Comment avez-vous géré ces contraintes ?

Aussi impressionnant qu'il paraisse, c'est vraiment le genre de défin que les animateurs adorent! Nous aimons donner vie à des objets inanimés et raconter des histoires du point de vue visuel plutôt qu'avec des dialogues. Luxo Jr. en est le parfait exemple, et ce personnage a beaucoup de points communs avec Wall-E. Wall-E est le premier film pour lequel nous avons véritablement pu explorer l'idée de pantomime à grande échelle, sachant que nous avons toujours travaillé là-dessus dans le passé. Il y a toujours une dimension non-verbale dans nos productions. Simplement, le public s'en rend davantage compte quand on lui retire les dialogues. Pour nous y préparer, nous nous sommes plongés dans toutes sortes de films muets, particulièrement ceux de Buster Keaton et bien sûr ceux de Charlie Chaplin. Ils nous ont été d'une grand inspiration en termes de mise en scène et de communication d'idées et de situations complexes sans le secours des dialogues ou même d'expressions faciales. En tant qu'animateurs, nous imaginons tous ces dialogues intérieurs dans notre têtes avant d'essayer de jouer ce dialogue visuellement à l'intérieur d'une séquence d'actions claire du point de vue de la communication. Par exemple, quand Wall-E découvre le laser rouge sur le sol, sa première réaction est la curiosité, puis il a un petit peu peur quand le point se met à bouger. Tandis qu'il le poursuit, il essaie de le saisir dans ses mains, puis il commence à penser que le point essaie de jouer avec lui, alors c'est Wall-E qui essaie de lui faire peur pour s'amuser! C'est alors que commence la course-poursuite. Pour cette séquence, j'ai essayé de donner à Wall-E une progression de pensée et d'émotions naturelle. J'ai également utilisé la métaphore du chat poursuivant un jouet pour établir un lien à la fois plus réaliste et plus amusant avec le public.

Avez-vous également étudié de vrais robots ?

Nous avons fait beaucoup de recherches et d'observation de vrais robots et de machines en tous genres pour établir un vocabulaire du mouvement mécanique. La mission d'Andrew était de faire en sorte qu'on ait une vision claire de l'emploi fonctionnel de chaque robot en premier, et de la personnalité en second. A partir de là, nous avons fait des tests d'animation pour chaque robot pour essayer de trouver leur personnalité et en même temps les rendre vraiment mécaniques. Parfois, il ressortait de ces tests des idées que le réalisateurs aimait et souhaitait utiliser dans son film.

A cette époque, vous veniez tout juste d'avoir votre deuxième enfant. Vous êtes-vous inspiré de sa façon de communiquer, au-delà des mots, pour animer Wall-E ?

Pas du tout de ce point de vue. Son inspiration fut toute autre! On m'avait confié la scène où Wall-E se réveille le matin et essaie de mettre ses chenilles comme on le ferait pour des pantouffles. A cette époque, je ne dormais pas beaucoup, précisément à cause du bébé. De ce fait, j'avais une certaine expérience du fait de tourner dans ma maison dans le noir, à moitié endormi, butant sur toutes sortes d'objets! Ce qui me fait dire que, pour moi, Wall-E n'a pas les expressions d'un bébé mais plutôt d'un enfant. Il est innocent. Je pense que c'est ce qui le rend si touchant car il est toujours amusant et intéressant de voir le monde avec des yeux d'enfant!

Comment avez-vous animé Wall-E ?

Ce serait plus facile de vous le montrer que de vous l'expliquer, mais je vais essayer! Avec un personnage aussi limité que Wall-E ou Eve, vous devez plutôt compter sur des changements subtils et sur le timing dans la mesure où vous n'avez pas de membres ou de moyens d'expression faciaux pour permettre au public de comprendre le sens de leurs attitudes. Vous pouvez seulement suggérer cette attitude par l'inclinaison de la tête, le plissement du cou et la position de ses épaules, mais le mouvement est ce qui "vend" réellement l'idée. Les changements entre deux poses sont aussi importants que la pose en elle-même. Les Muppets sont en cela en très bon exemple. Ils n'ont pas d'expression faciale complexe –il s'agit la plupart du temps d'une bouche qui s'ouvre et se ferme –et souvent, ils n'ont même pas de mains expressives. Mais en se basant simplement sur la vitesse de leurs mouvements, l'angle du corps et l'angle de leur tête par rapport à leur corps, on peut dire ce qu'ils ressentent, même quand il n'y a pas de son.

A la différence de la méthode d'animation traditionnelle avec un animateur superviseur par personnage, chaque animateur de Pixar avait en charge une séquence complète, avec tous les personnages que cela implique...

C'est bien ainsi que nous fonctionnons chez Pixar sur chaque film. C'est génial parce que cela nous permet de travailler sur toutes sortes de personnages et de trouver ainsi nos forces et nos préférences. Au final, un ou deux animateurs vont présenter une forte adéquation avec un certain personnage et ils deviendront le superviseur non-officiel de ce personnage. Le réalisateur utilisera souvent leur travail comme référence et les autres animateurs pourront aller les voir pour avoir des conseils. Il dépend du réalisateur et des animateurs superviseurs que toutes les animations d'un même personnage soient cohérentes pour l'ensemble du film. Bien évidemment, deux animateurs n'auront jamais la même solution pour une scène, mais s'ils utilisent le même vocabulaire au niveau des mouvements pour decrire cette solution, l'animation aura cette cohérence.

Comment travaillez-vous sur une scène ?

Nous commençons généralement par les storyboards ainsi qu'avec la version "layout" de la scène qui contient la caméra digitale (CG camera), l'environement et les accessoires prêts pour l'animation. Le réalisateur vous explique ce qu'il souhaite qu'il arrive dans cette scène et quels sont les moments forts de l'histoire et des émotions. A partir de là, je planifie généralement ma scène au travers d'esquisses et de croquis qui me permettent d'établir les poses que je réalise ensuite sur ordinateur. Parfois, quand j'ai une idée vraiment précise en tête, je passe tout de suite sur l'ordinateur. Une fois qu'il y a assez d'éléments dans ma scène pour exprimer mes idées, je la présente au réalisateur pour avoir son avis. Il me fait ses commentaires et j'y travaille de nouveau pour faire les ajustements nécessaires en fonction de ce qu'il m'aura dit. En général, je lui présente une scène 3 à 4 fois avant qu'elle soit définitive.

Quelle fut votre séquence la plus difficile ?

La séquence la plus difficile fut celle où Eve réactive Wall-E et s'aperçoit qu'il a perdu la mémoire. Wall-E en lui même était assez simple à faire –à ce moment, c'était juste une machine sans personnalité. Mais Eve fut beaucoup plus difficile. J'ai dû planifier toute ces séquence en fonction de ses émotions et de comment elles allaient évoluer sur plus de 13 plans. J'ai donc fait un plan de la séquence dans son entier et pointé son état émotionel pour chaque plan. Puis je me suis interrogé sur la façon de communiquer tout cela à travers son langage corporel et la forme de ses yeux. J'ai beaucoup travaillé en partenariat avec le réalisateur et j'ai fait beaucoup de changements. Il avait une idée très précise de la façon dont il souhaitait que cette séquence évolue et je devais coller le plus possible à cette vision. Souvent, il m'a demandé d'en faire moins ou d'aller moins vite car il ne fallait pas qu'elle soit frustrée ou triste trop tôt. Il voulait qu'elle ait un véritable cheminement émotionel pour en arriver à un point, une émotion très précis, toute une série d'étapes très précises avant qu'elle en arrive à l'affliction. Ce fut un équilibre très difficile à trouver. Au final, cette séquence va tellement vite que même moi, j'ai du mal à remarquer tout le travail que j'y ai fait!

Quelle fut votre séquence préférée ?

Probablement celle durant laquelle Eve est en veille et où Wall-E et elle sont sur un banc à admirer le coucher de soleil tandis qu'il essaie de lui prendre la main. Andrew m'a laissé toute latitudde pour explorer cette action et la jouer comme un gars qui va à son premier rendez-vous et qui essaie de mettre son bras autour du cou de la fille! Pour cela, j'ai dû aller beaucoup plus loin que ce qui était prévu sur le storyboard!

Comment est-ce, de travailler avec Andrew Stanton ?

Andrew est génial. C'est vraiment quelqu'un d'ouvert à toutes les bonnes idées, d'où qu'elles viennent. Il m'a souvent permis d'ajouter du temps à un plan afin que je puisse y inclure davantage d'idées au niveau du jeu d'acteur et du divertissement. En tant qu'animateurs chez Pixar, nous échangeons toujours directement avec le réalisateur, pour avoir son avis sur nos interprétations. Comme des acteurs dans un film en prises de vue réelles!

Beaucoup d'artistes Pixar ont une vie artistique en dehors de l'animation. Qu'en est-il pour vous ?

Je n'ai pas vraiment de projet artistique en dehors de Pixar parce que je n'en ai pas le temps. Ma famille et mon travail m'occupent à plein temps. Je dessine un peu et j'apprends la guitare, mais c'est tout. Je donne aussi des cours sur AnimationMentor.com, ce qui me demande beaucoup de mon énergie créative en dehors de Pixar.

Vous avez fait une partie de vos études en France. Comment cela s'est-il passé ?

J'ai passé ma cinquième année d'études supérieures à Bordeaux, principalement parce que je cherchais un prétexte pour aller dans un pays étranger et m'amuser avant de trouver un job. J'ai fait mes études en Arts et non en animation. J'ai appris l'animation par moi-même et tandis que mon diplôme en Arts m'a servi au début de ma carrière, l'enseignement que j'ai reçu ne m'a pas beaucoup aidé. J'ai dû combler ces lacunes par moi-même au fin des années. En tout cas, j'ai beaucoup aimé la France et j'ai beaucoup appris en termes de relation aux autres. Je recommande à tous de vivre dans un pays étranger, tout spécialement aux Américains!

Sur votre signature, on peut lire "2-4D artist". Que voulez-vous dire par là ?

Quand je créé des œuvres sur ordinateur, c'est en 2D et en 3D. La quatrième dimension, c'est le temps. C'est ce qui rend l'animation possible. Et mon travail en 3D et 4D est très influencé par les principes de l'art 2D, spécialement en matière de composition, de design et de pose.

Artworks by Victor Navone, all rights reserved. Illustrations (c) Disney/Pixar

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