THOR : LE MONDE DES TÉNÈBRES : Entretien exclusif avec le réalisateur Alan Taylor – 3ème partie
Article Cinéma du Jeudi 19 Decembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Apocalypse nordique

Le héros d'Asgard revient pour faire face à un danger tel qu'il est contraint de s'allier avec l'ennemi d'hier, Loki et à tout risquer pour sauver la Terre.


Suite de notre longue conversation avec Alan Taylor sur les enjeux de ce nouveau chapitre où Thor est contraint de s’allier avec son frère renégat Loki, et risque tout pour sauver la terre. Natalie Portman nous parle de l’évolution de Jane Foster, la fiancée du dieu du tonnerre, et le chef décorateur Charles Wood nous raconte comment il a réinventé l’aspect d’Asgard, en lui donnant une patine plus crédible.

Cinéaste très expérimenté, Alan Taylor a signé la direction de nombreux épisodes de séries télé aussi remarquées que "Oz", "Lost", "Rome", "Les Sopranos", "Mad Men" ou "Game Of Thrones", et il devrait réaliser le reboot de TERMINATOR actuellement en préproduction.

Quelles idées avez-vous ajoutées, changées ou supprimées dans le script quand vous avez commencé à travailler sur le film ?

En fait, même en dehors des modifications que j’avais suggérées, le script était constamment retravaillé par l’équipe de Marvel. Il fallait suivre son évolution et s’y adapter tout au long du tournage, ce qui n’était pas évident. Je me souviens que quand je suis arrivé, j’avais préparé des notes à propos d’une scène, et l’équipe de Marvel m’a dit "Oh, de toute manière, elle a été abandonnée !". Et ces pages-là sont parties directement à la poubelle ! J’ai pu garder quand même trois idées que j’aimais bien dans cette séquence et les transférer dans une autre. Ensuite nous avons reçu une version du script écrite par un nouvel auteur, mais elle ne convenait pas, et comme la date de début du tournage approchait, nous avons retravaillé le script précédent, toute l’équipe de Marvel et moi, et apporté de nombreuses idées qui nous semblaient bonnes, en ne conservant que les meilleures. Enfin, je l’espère ! (rires). On a également ajouté quelque chose que j’aime beaucoup et qui concerne le personnage du Docteur Selvig, que joue Stellan Skarsgard, ce savant dont Loki avait réussi à contrôler l’esprit dans AVENGERS. Nous avons suivi l’évolution du personnage depuis le premier THOR et AVENGERS, et nous le retrouvons donc affecté par tout ce qu’il a vécu dans LE MONDE DES TENEBRES. Et en ce qui concerne la trajectoire de Loki, nous sommes allés plus loin, dans des directions encore plus profondes et plus sombres, et je suis très content du résultat. Quand j’ai commencé à travailler sur le film, il n’y avait que très peu d’éléments du récit qui étaient en place : le "méchant principal" avait été choisi, il était établi que Thor allait renouer le contact avec Jane Foster et éventuellement l’amener jusqu’à Asgard, mais en dehors de cela, tout le reste a été retravaillé à un rythme très soutenu, car nous devions absolument terminer cette course contre la montre d’écriture avant le début du tournage.

En voyant IRON MAN 3, on avait l’impression qu’il s’agissait de la manière dont Marvel s’appropriait et adaptait à sa façon l’univers de James Bond. Y a-t-il également une volonté de faire du MONDE DES TENEBRES la version Marvel du SEIGNEUR DES ANNEAUX, avec des batailles à grande échelle et des créatures d’heroïc-fantasy ?

Oui, je crois qu’ils ont bien une démarche comme celle-là en tête. Je ne m’en rendais pas compte au début, mais il est vrai que les Studios Marvel sont très ambitieux et qu’ils ont l’intention d’explorer tous les genres de la culture populaire. De cette manière, que vous ayez envie de voir un film de super-héros, une aventure de SF, un film d’espionnage, un thriller sur fond de guerre froide, une comédie ou une grande fresque d’heroic-fantasy dans le registre du SEIGNEUR DES ANNEAUX, vous pouvez aller trouver tout cela chez Marvel. C’est une brillante stratégie ! Il n’y a pratiquement pas un seul genre cinématographique qui leur échappe. Et je dois dire qu’il y a un ton et une volonté de qualité dans toutes leurs productions qui force le respect, et que j’apprécie. Ils savent insérer de très bonnes idées, des surprises et de l’humour dans tous leurs films. C’est d’ailleurs l’une des différences entre le traitement sérieux du SEIGNEUR DES ANNEAUX et celui du MONDE DES TENEBRES : il y a davantage de touches de comédie et de situations drôles dans notre film.

Un univers plus réaliste

Quelles instructions avez-vous données à votre chef-décorateur Charles Wood pour conférer un aspect réaliste aux environnements fantastiques du MONDE DES TENEBRES ? Le plan où l’on voit Jane Foster, incarnée par Natalie Portman, découvrir le panorama d’Asgard et ses superbes chutes d’eau semble prouver que vous avez largement modifié l’aspect de la cité…


Effectivement. Je dois dire que l’un des plans que j’aimais le moins dans le premier THOR était justement ce plan large de présentation d’Asgard, pour toutes les raisons que nous avons déjà évoquées [voir entretien dans notre précédent numéro] : c’était trop clinquant, trop neuf, et franchement, on sentait trop le recours aux images de synthèse. Mais comme Charlie est un merveilleux designer et chef-décorateur, il sait utiliser à la fois les méthodes de fabrication de décors les plus sophistiquées et les bons vieux trucs à l’ancienne, avec du bois, du plâtre, du métal, des patines et des trompe-l’oeil. Il essaie d’employer le moins possible de plastique. Il y avait une centaine de menuisiers qui s’affairaient sur les structures de bois et de métal des décors du MONDE DES TENEBRES pendant leur fabrication, ainsi que des spécialistes du façonnage du plâtre capables d’imiter toutes sortes de textures à la perfection. Charlie connaît parfaitement les ficelles de son métier, et à ma demande, il s’est immergé dans l’imagerie des cultures celtiques et norvégiennes, en y puisant des détails que l’on retrouve dans le film. Nous avons ajouté aussi divers éléments tirés de l’architecture arabe, comme certaines colonnes qu’il aime beaucoup, mais assez peu, car nous ne voulions pas mélanger trop de sources différentes. Il fallait aboutir à un résultat harmonieux et cohérent. On a procédé de même avec le décor de la cellule dans laquelle Loki est enfermé, à l’intérieur du donjon d’Asgard…

Celle avec les motifs géométriques dorés qui se dessinent sur la paroi transparente, dès qu’on la touche ?

Oui. Je voulais lui donner un aspect à la fois ancien, avec ces énormes blocs de pierre noirs et sculptés, et une allure très "scène finale de 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE" avec des murs lumineux blancs et immaculés. C’était une manière d’illustrer la cohabitation de très hautes technologies et d’architectures millénaires dans cette cité d’Asgard. Nous avons essayé d’utiliser la même méthode à d’autres moments du film. Par exemple pendant une bataille, je montre à la fois des guerriers à cheval qui pourfendent leurs ennemis à coups d’épées, et des tirs de laser autour d’eux. Je voudrais aussi mentionner quelque chose à propos des chutes d’eau dont vous parliez. Notre superviseur des effets visuels est parti filmer des chutes d’eau et des montagnes en Norvège et en Islande, afin que les paysages d’Asgard soient constitués à partir de vrais panoramas. Les chutes d’eau que vous voyez dans le film sont donc réelles et absolument pas des simulations en images de synthèse.

Vous avez donc essayé d’ancrer le plus possible les plans du film dans des prises de vues réelles ?

Absolument. Il est facile de se laisser entraîner à ajouter des images de synthèse absolument partout, et je voulais éviter cela.

Quel style de réalisation avez-vous souhaité donner aux grandes scènes de batailles et quelle est la proportion de trucages réalisés "en direct", devant la caméra, que vous avez voulu utiliser, comparée à celle des effets visuels ? Dans LE TRONE DE FER, on voit généralement seulement le début de la bataille, puis on fait vite une ellipse pour montrer les dépouilles des soldats vaincus après les combats !

C’est juste ! (rires). En fait, les batailles ne sont pas si difficiles à filmer qu’on pourrait le croire. C’est dur quand vous n’avez pas d’argent, dans le cadre d’une série, mais quand vous disposez d’un budget correct, vous pouvez vous appuyer sur le travail d’excellents superviseurs des cascades qui dirigent des dizaines des figurants, et aussi sur les réalisateurs de seconde équipe. C’est ce j’ai appris en découvrant comment se tournent ces superproductions : un réalisateur délègue beaucoup de travail à d’autres personnes qui se chargent seuls de cette partie du film. Je pense notamment aux superviseurs des effets visuels, aux superviseurs des cascades, aux maîtres d’armes qui ont déterminé les chorégraphies des combats à l’épée, etc. Je sais que certains réalisateurs sont ravis d’être aidés ainsi et délestés d’une partie de la supervision du film. Personnellement, je n’aime pas trop cela, et j’ai plutôt tendance à vouloir tout suivre de près. La plus grande scène de bataille que l’on voit dans LE MONDE DES TENEBRES était une séquence relativement facile à mettre en scène, car je me suis occupé uniquement de diriger les acteurs principaux au premier plan, tandis que les figurants reproduisaient les combats que les superviseurs de cascade leur avaient appris. Ce n’est pas comme dans les films où Akira Kurosawa chorégraphiait lui-même les actions d’une petite armée de 100 hommes se battant contre des milliers d’adversaires ! Lui, c’était un maître dans l’art de mettre en scène et de filmer des batailles avec des foules de guerriers. Moi, j’en suis resté à des combats avec quelques acteurs à l’avant-plan ! (rires). Mais cela fonctionne dans le cadre de notre histoire. L’important était que ces combats paraissent âpres, violents, viscéraux et qu’ils se déroulent dans la boue et la poussière du champ de bataille, tout en étant très esthétiques. Donc, oui, j’ai préféré tourner le plus possible en images directes, en limitant le recours aux effets visuels au strict nécessaire. Nous avons veillé à ce que les images soient toujours de très belle qualité. J’ai d’ailleurs demandé au directeur de la photo qui collaborait avec moi sur LE TRONE DE FER , Kramer Morgenthau, de venir travailler sur Thor. Il a beaucoup de talent.

Des personnages pleins de relief

Avez-vous laissé les acteurs vous suggérer de nouvelles répliques ou même de nouveaux moments dans certaines scènes ?


Oui. Venant de la télévision où l’on n’a généralement pas le temps d’essayer des répliques improvisées et où le script est vénéré comme un texte divin que l’on doit respecter à la virgule près, j’ai saisi l’occasion d’aborder différemment LE MONDE DES TENEBRES. D’abord parce que j’avais envie d’un peu plus de liberté pendant que je travaillais sur les scènes avec les acteurs, et aussi parce que le script du film a été en constante évolution tout au long du tournage. J’étais toujours ravi d’entendre les suggestions que les acteurs avaient à me faire, particulièrement celles de Tom Hiddleston, qui étaient souvent excellentes.

Que vous proposait-il ?

Il tenait à ce que les expressions utilisées par Loki ne soient pas trop modernes, afin que l’on puisse croire que ces mots sortaient bien de la bouche d’un asgardien âgé de 5000 ans ! Et les répliques alternatives qu’il proposait étaient très bonnes. Il veillait aussi à éviter les références trop proches de la culture américaine contemporaine… Le rythme de tournage du film nous a laissé la possibilité d’essayer beaucoup de nouvelles idées.

La suite de cet entretien-fleuve avec Alan Taylor paraîtra bientôt sur ESI !

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.