WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL en Blu-ray : Entretien exclusif avec le chef décorateur François Audouy – 1ère partie
Article Cinéma du Mercredi 25 Decembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Vous êtes né en 1974 à Toulouse, puis vous avez grandi dans une petite ville proche de Los Angeles. Est-ce que ce passage de la province française aux USA a été un choc culturel qui vous a rapproché du monde du cinéma et de l’imaginaire ?

Arriver à Los Angeles a été un bouleversement dans ma vie, parce que j’ai découvert un monde avec 50 chaînes de télévision, des films visibles toute la journée, des cartoons…J’ai passé beaucoup de temps devant le petit écran à ce moment-là ! Mon beau-père était un écrivain et un grand fan de cinéma, et il m’a permis d’avoir déjà un pied dans cet univers. J’avais 2 passions à cette époque : le cinéma et l’art. Et c’est à l’âge de 17 ans que j’ai compris qu’il était possible de travailler en mêlant ces 2 domaines.

A quel moment avez-vous pensé que votre passion du dessin pourrait vous permettre de gagner votre vie en dessinant des ambiances de scènes et des décors pour le cinéma ?

J’ai décroché mon premier boulot quand j’avais 22 ans, en travaillant sur le 3ème Batman, BATMAN FOREVER, au sein de l’équipe de John Dykstra, qui s’est rendu célèbre en créant les trucages de STAR WARS. Son studio d’effets spéciaux s’appelait Apogee. J’ai travaillé avec John pendant un an, et cela a vraiment été mon école de cinéma. C’est là que j’ai découvert ce que l’on faisait dans les départements de conception artistique des films aux Etats Unis, et que j’ai décidé que c’était dans cette branche que je voulais me spécialiser, pour collaborer en tant qu’illustrateur avec les directeurs artistiques qui créaient les atmosphères et les décors des films.

Vous disiez que ce déclic qui vous a fait comprendre qu’il était possible d’exercer un travail artistique dans le cinéma a eu lieu quand vous aviez 17 ans…

Oui. Ma mère travaillait à Apogee, dans le département des effets optiques, où elle découpait les caches noirs qui servaient à préparer la réalisation des matte paintings. Je suis allé visiter le studio avec un groupe de copains, et j’ai vu une maquette originale d’un chasseur X-Wings de STAR WARS exposée dans le hall d’entrée, ainsi que plusieurs illustrations du film. J’étais émerveillé de voir tout cela ! C’était magique, et cela m’a tellement marqué que ma vocation s’est concrétisée à ce moment-là. Plus tard, quand j’ai travaillé avec John, qui est un homme très sympathique et très ouvert, il m’a fait découvrir toutes les facettes du cinéma, et toutes ses techniques. C’était un formidable professeur. Après cela, je suis entré dans l’équipe du chef décorateur Bo Welch, qui est lui aussi très gentil et qui est devenu un ami proche. Notre collaboration a duré 7 à 8 ans, puis j’ai travaillé avec le chef décorateur Alex McDowell. J’ai eu ainsi l’occasion d’avoir des maîtres tout au long de mon chemin professionnel, et d’apprendre énormément de choses grâce à eux.

Quels sont les avantages que vous donne votre double culture française et américaine dans l’exercice de votre profession ?

J’ai toujours constaté que le fait d’avoir beaucoup voyagé, non seulement de la France vers les USA, mais aussi dans le reste de la planète, a été un énorme avantage. Cela m’aide à dessiner d’autres mondes. Dans WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL, on raconte l’histoire d’un voyageur, car notre héros se retrouve au Japon, et découvre cette culture petit à petit. On pourrait d’ailleurs dire que le Japon a une telle importance dans le film qu’il en devient un personnage à part entière. Mon parcours me permet de me mettre à la place de Wolverine, et de comprendre ce que l’on ressent quand on découvre un pays de cette manière, parce que chaque été pendant mon enfance, je revenais dans une partie différente de la France pour l’explorer en compagnie de mon père. C’était une expérience très chouette de vivre dans une petite ville proche de Los Angeles, et de passer tous les étés en Europe. Quand on est jeune, cela permet d’ouvrir les yeux sur beaucoup de choses.

Depuis 1996, sur 24 films auxquels vous avez participé, 17 sont des œuvres du cinéma Fantastique ou de Science-Fiction… Est-ce un choix délibéré de votre part ? Quelles sont les opportunités que ces genres cinématographiques vous apportent en tant qu’artiste ?

J’ai toujours aimé travaillé sur des films dont les histoires donnent l’opportunité de créer des mondes encore jamais vus, et d’entraîner le public dans des expériences immersives. Ce sont plutôt les récits de Science-Fiction et de Fantastique qui donnent les plus grandes occasions de créer des univers entiers. Mais il se trouve que ce parcours professionnel même s’il me plaît beaucoup, n’est pas un choix mais la conséquence du fait que j’ai travaillé avec les mêmes artistes tout au long de ma carrière à Hollywood, et que ce sont les films de ces genres-là qui nécessitent de constituer les départements de conception artistiques les plus importants, et donc d’embaucher le plus d’illustrateurs.

Etiez-vous familier de l’univers des X-Men et de Wolverine dans les comics, et connaissiez-vous déjà la minisérie de Chris Claremont et Frank Miller dont le film s’inspire avant de travailler sur WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL ?

J’ai grandi en lisant plutôt les bandes dessinées franco-belges comme Tintin, Lucky Luke et Astérix, et je les adorais. Ce n’est que plus tard que j’ai découvert les univers de Marvel et DC comics. Je me souviens avoir lu quelques magazines X-Men publiés en France, quand mes copains me les prêtaient. Ensuite, quand je suis arrivé aux USA, je me suis rendu compte que c’était difficile de suivre des aventures de BDs à suivre, parce cela signifiait qu’il fallait acheter ces magazines tous les mois pour savoir ce qui se passait ensuite. Ces magazines étaient assez chers, et je n’avais pas assez d’argent de poche pour acheter une douzaine de comics par mois. Les BDs publiées en récits complets étaient beaucoup plus abordables en France, parce que l’on trouvait en intégralité dans un seul numéro une aventure qui était parue en trois ou quatre mois aux USA. Cependant, je connaissais les couvertures dessinées par Frank Miller pour cette minisérie, comme celle qui représente Wolverine avec des flèches dans le dos ou avec l’épée de samouraï, parce qu’elles sont devenues des icônes dans le monde des comics…mais je ne connaissais pas le déroulement de l’histoire.

Donc sans avoir lu ce récit, vous connaissiez déjà bien le style graphique de Frank Miller…

Oui, j’avais lu et beaucoup aimé 300 et BATMAN : THE DARK KNIGHT RETURNS. Frank Miller est vraiment un grand auteur/dessinateur.

Comment votre implication dans le projet a-t-elle débuté ? Procède-t-on à des « castings » de production designers pour des projets comme celui-ci ? Avez-vous fait des tests d’illustrations pour proposer votre approche ?

Je crois que le mot casting convient bien à la description du processus, et au début de mes rencontres à propos de ce projet. Quand la préparation d’un film comme celui-là est lancée, on organise effectivement un casting de « production designers ». La production a rencontré plusieurs personnes et les a interviewées longuement. Ce qui rend cette situation unique quand on la vit, c’est que les chefs décorateurs font partie des premières personnes à être embauchées au sein de l’équipe. Le metteur en scène James Mangold a été engagé le premier, puis le producteur principal, puis on est passé à la sélection du production designer. C’était une grande opportunité pour moi, parce que cela me donnait la possibilité de parler directement avec le réalisateur pendant le rendez-vous, à un moment de la vie du projet où strictement rien n’a été dessiné, et où bien souvent , la version finale du script n’est même pas encore prête. On se retrouve donc dans une position où l’on est totalement libre de proposer des choses originales et créatives. Les échanges avec le metteur en scène sont très libres et très spontanés, et le but à atteindre est de communiquer ce rêve visuel que l’on a du projet , sans tenir compte d’aucune contrainte technique, logistique ou financière. C’est une période que l’on surnomme « Blue Sky » aux USA, parce qu’à ce moment-là, il n’y a pas l’ombre d’un nuage dans le ciel bleu : tout est possible. J’aime énormément ces discussions qui se passent au début d’un projet, parce qu’elles font rêver et sont particulièrement enthousiasmantes.

Qu’avez-vous dit à James Mangold au cours de cette première discussion ?

Je lui ai proposé une sélection d’images que j’avais trouvées. Les atmosphères et les émotions qui s’en dégageaient me semblaient bien correspondre aux thèmes de l’histoire.

Est-ce que vous savez ce qui a fait que la balance à penché de votre côté ? James Mangold ou Hugh Jackman, qui produit aussi le film, vous l’ont-ils dit ?

Oui. Je pense que quand un réalisateur engage un chef décorateur, il recherche 3 choses : 1/ quelqu’un qui a des idées créatives intéressantes et qui peut proposer des designs audacieux 2/ une personne avec laquelle il sent à l’aise pour communiquer et dialoguer artistiquement, et à laquelle il pourra faire entièrement confiance pendant la production du film et 3/ un chef d’équipe capable de réunir autour de lui des artistes, illustrateurs et designers de très haut niveau. Je pense que c’est sur la base de ces critères qu’il m’a embauché.

James Mangold et Hugh Jackman vous ont-ils demandé de vous inspirer des graphismes de Frank Miller, ou avez-vous eu « carte blanche » pour créer les décors et les atmosphères du film ?

Travailler sur ce film était une opportunité géniale pour moi en tant que designer, parce que James et Hugh m’ont laissé totalement libre de créer un nouveau monde de A à Z. Ils ne m’ont jamais demandé de m’inscrire dans la continuité visuelle des films précédents de la saga X-MEN, ni de respecter l’aspect des dessins de Frank Miller. J’ai pu commencer à créer à partir d’une feuille blanche, ce qui est le point de départ idéal pour tout projet. Je crois qu’ils avaient envie que le film existe en tant que tel, sans s’appuyer sur des références ni recopier ce qui avait été fait avant.

Quels sont les premiers décors que vous avez conçus pour le film ?

Les premiers dessins que nous avons produits n’étaient pas destinés à un décor, mais au personnage du Samouraï d’argent, qui a un peu changé par rapport à son apparence de la BD originale…

Oui, justement, il ne porte pas une simple armure de métal, mais un exosquelette à la Iron Man, et qui plus est, de grande taille…

Nous sommes partis de la mythologie établie par la BD, puis nous avons créé un personnage qui correspondait mieux à notre histoire. J’ai travaillé avec 4 illustrateurs pour établir ce nouveau design.

Etait-ce difficile d’éviter qu’il ne ressemble à Iron Man ?

J’avais une peur bleue de cela ! Les designs d’armures créés pour la trilogie d’IRON MAN et pour AVENGERS sont tellement beaux que j’étais assez anxieux de m’attaquer à ce travail, car il fallait réussir à obtenir un résultat qui soit à la fois original, jamais vu auparavant et moderne…

Est-ce que l’idée principale du design qui a été retenu a consisté à faire du samouraï d’argent une sorte de statue géante de métal ?

Au début, je voulais créer une silhouette surprenante, car ni James ni moi ne voulions aller vers les clichés et concevoir simplement un samouraï de métal, parce que c’était trop facile, trop attendu. Notre objectif était de créer un personnage unique, qui ait un aspect assez sophistiqué, car c’est une armure cybernétique qui a été créée au Japon par la société Yashida. Dans le film, on apprend que Yashida est le Tony Stark japonais, un inventeur génial, multi millionnaire, qui jouit d’un énorme pouvoir. Il a créé cet exosquelette pour lui, et nous avons voulu que ce soit une armure à la fois imposante, de très haute technologie, et au design sophistiqué.

Le film a été tourné essentiellement en Australie, dans les studios Fox de Sydney et aussi dans certains lieux où se trouvaient déjà des architectures et des jardins évoquant le Japon . Pouvez-vous nous parler du travail que vous avez réalisé sur ces environnements japonisants pour donner l’impression que l’on se trouve au Japon et non plus à Sydney, par exemple dans le « Chinese Garden of Friendship » du port touristique de Darling Harbour ?

Volontiers. Trouver en Australie des décors extérieurs qui puissent faire penser au Japon a été un défi assez rude. D’ailleurs, la plupart des décors qui ont été filmés là-bas ont été entièrement construits en studio. Nous avons cependant tourné quelques scènes en extérieurs dans des rues de Sydney que nous avons transformées en rues japonaises, ce qui nous a contraint à y greffer toute une signalétique routière et urbaine. Tous les véhicules, tous les panneaux, tout le graphisme de la route, toutes les façades des magasins ont été modifiés.

Avez-vous fait venir plusieurs containers d’accessoires du Japon ?

Non, nous avons construit 80% des accessoires sur place à Sydney. Nous avons engagé aussi un atelier de menuiserie local pour construire des meubles, des lampes et des accessoires de décoration japonais. Il n’y a pas de magasins où l’on peut acheter « tout fait » ce que l’on voit dans le film : tout a été construit spécialement pour raconter visuellement cette histoire, car cela me donnait beaucoup plus de maîtrise du résultat artistique final. Je reviens à la question que vous posiez sur la manière dont nous avons utilisé les « Chinese Garden of Frienship » de Darling Harbour, c’est dans cet endroit que nous avons tourné une partie de la scène des funérailles de Yashida. La 1ère partie de la scène a été tournée à Tokyo, dans le temple bouddhiste Zojoji, qui est un endroit très important pour les japonais, classé comme un trésor national. Ce temple est connu pour ses statuettes qui sont dédiées aux enfants décédés, ainsi que pour sa superbe porte principale en bois, construite au 17ème siècle, la porte Sangedatsumon. Le temple tel qu’on peut le voir aujourd’hui date de 1974, car il a été brûlé et reconstruit plusieurs fois. Seule sa porte d’entrée principale a survécu aux bombardements américains de la 2ème guerre mondiale. C’est la plus ancienne structure en bois de Tokyo, et elle est typique de l'architecture du début de la période d'Edo, qui remonte à 5 siècles. En montrant que les funérailles de Yashida se déroulent dans un lieu aussi prestigieux, on souligne qu’il était une personnalité très importante et très puissante. Ce qui est amusant dans cette scène, c’est que l’arrivée des protagonistes a été filmée à Tokyo, puis ils traversent le temple, et quand ils en ressortent en accédant aux jardins, on se trouve dans le décor du temple reconstitué à Sydney ! J’ai eu l’idée de tourner dans ces jardins de Sydney qui sont en fait chinois et non pas japonais, et d’utiliser l’étang qui se trouve au milieu pour construire une structure flottante sur laquelle nous avons érigé notre réplique de la partie arrière du temple Zojoji. Nous avons aussi fabriqué le cercueil en bois de Yashida, sculpté à la japonaise, et décoré d’assortiments de fleurs typiques des cérémonies bouddhistes. Et nous avons créé des façades de style japonais pour cacher les structures architecturales chinoises du jardin, comme un pont en ciment qui reliait deux bâtiments.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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