WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL en Blu-ray : Entretien exclusif avec le chef décorateur François Audouy – Seconde partie
Article Cinéma du Vendredi 27 Decembre 2013

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quels sont les principaux décors que vous avez construits en studio ? Pourriez-vous nous parler de leur conception artistique et technique, et aussi de la manière dont vous les avez créés autour de la mise en scène prévue par James Mangold ?

J’ai eu l’occasion de faire fabriquer de nombreux décors en studio. Le premier qui a été construit est celui de la maison de la famille Yashida. Il s’agit du plus grand décor que j’ai conçu dans ma carrière. Nous l’avons d’ailleurs installé dans le plus grand plateau disponible en Australie. Il représente une grande résidence très luxueuse, qui entoure un jardin japonais moderne, avec un bassin dans lequel se trouvent de vraies carpes Koï ! Hugh Jackman m’a fait un grand compliment en me disant que c’était le décor qu’il préférait parmi tous ceux de ses films. Tout le monde a beaucoup aimé ce décor, parce que dès qu’on entrait dedans, on avait l’impression de se retrouver au Japon, dans une maison privée. Nous avions mis en place des rampes d’eau pour que la pluie puisse tomber de manière réaliste dans le jardin, on voyait une autre partie de la maison au-delà du jardin par les fenêtres des autres pièces…C’était vraiment beau ! Je dois dire que je suis un grand fan de l’architecture japonaise et que c’est l’une des choses qui m’a particulièrement attirée dans ce projet. Ce film m’a permis de créer un habitat à la fois moderne et respectueux de l’esprit de l’architecture traditionnelle nippone.

Ce qui est fascinant dans cette architecture, c’est le rapport entre l’intérieur qui se projette à l’extérieur dans les perspectives du jardin, et vice-versa…

Exactement. Je pense que James Mangold m’a embauché parce qu’il a vu tout de suite que j’étais vraiment passionné par toute l’esthétique japonaise dans son architecture, son mobilier, sa nourriture, sa culture, sa mode, son style contemporain… Et j’étais enthousiaste à l’idée d’en apprendre plus sur tout cela en travaillant sur ce film. J’ai eu l’occasion de devenir peu à peu une sorte d’expert en architecture japonaise pendant les 2 ans que j’ai passés à préparer puis à participer au tournage de WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL. Quand on dessine une maison comme celle de la famille Yashida, on comprend a quel point les architectes modernes comme Le Corbusier ont été influencés par l’esthétique traditionnelle japonaise. Il y a une relation très forte entre l’architecture moderne et ce style traditionnel nippon, notamment dans le sens de l’épure. Nous avons construit également en plateau un énorme laboratoire, la tour Yashida, qui abrite un grand service de recherches et de développement. Ce bâtiment est isolé dans les montagnes au nord de Tokyo.

Est-ce que c’est là que se déroule le combat avec le samouraï d’argent ?

Oui. Wolverine a entrepris un voyage pour retrouver Mariko Yashida, la fille de l’inventeur, et il arrive dans un petit village de style traditionnel, et au-dessus de ce village se trouve cette tour très imposante. Il s’introduit dans cette tour pour en savoir plus, et c’est là qu’il se retrouve face à face avec le samouraï d’argent, et qu’il l’affronte. C’était également un décor intéressant à concevoir, car dans ce film, il y a tous les styles d’architectures du Japon, de l’esthétique traditionnelle au style moderne en passant par les structures industrielles high tech.

Quels sont les décors que vous avez créés au Japon ?

Nous avons tourné dans 2 endroits différents au Japon. D’abord à Tokyo, au temple de Zojoji et dans les rues du centre de la ville. Ce qui était assez amusant dans cette situation, c’est que nous tournions dans des rues où il y a beaucoup de monde, et nous ne savions absolument pas comment les passants allaient réagir en voyant une star comme Hugh Jackman et une équipe de cinéma tourner des scènes de poursuites. Est-ce que cela allait être difficile ou pas ? Tout le monde se posait cette question en redoutant des attroupements terribles ou des scènes d’hystérie avec des fans. Mais en fin de compte, tous les passants de ce quartier étaient tellement pressés et accaparés par leurs activités qu’ils n’ont prêté aucune attention à ce qui se passait ! (rires) C’était presque comme s’ils ne nous voyaient pas ! Nous avons pu tourner ces scènes en plein centre de Tokyo avec Hugh et de vraies passants, sans avoir à recourir à des figurants !

Est-ce que ce n’est pas le respect d’autrui et la politesse japonaise qui ont incité les passants à ne pas vous déranger pendant ce tournage ? Hugh Jackman est bien connu là-bas…

Oui, il doit s’agit d’un mélange de ces deux choses…Et aussi du fait que les japonais qui se trouvaient là ne pouvaient pas imaginer une seule seconde qu’ils se trouvaient à côté de Hugh Jackman courant avec une actrice en plein centre de Tokyo !

Quel était le second lieu du Japon où vous vous êtes rendus ?

Nous sommes allés au centre du Japon, vers Hiroshima, pour trouver l’endroit qui nous permettrait de tourner les scènes où l’on voit Wolverine vivre dans un petit village de pêcheurs. J’ai voyagé dans tout le Japon pour visiter plus de 50 villages et trouver celui qui correspondrait le mieux à notre histoire. En fin de compte, nous avons tourné dans 2 villages : le premier, Tomanura, est situé à côté de Fukiyama, et le second s’appelle Omishima. Ils sont perdus au milieu de nulle part… Dans le film, ce village est sensé se trouver à proximité de la maison de campagne de la famille Yashida, et nous avons justement eu la chance de trouver une belle maison qui avait une vue formidable sur un petit port de pêche…C’était superbe, et j’étais très fier d’avoir trouvé cet endroit que l’on n’a jamais vu avant au cinéma. Quel plaisir c’était de voyager dans tous ces endroits isolés pour rechercher le site idéal ! C’était génial ! Par contre, tous les intérieurs de ces décors ont été construits et tournés en studio, à Sydney.

On voit aussi Wolverine se battre à l’intérieur et à l’extérieur d’un train à grande vitesse japonais…

Oui, j’ai eu l’opportunité de faire construire un « bullet train » à taille réelle en studio pour cette séquence dans laquelle Wolverine se bat contre les Yakuza, sur le toit du train.

Vous avez aussi reconstitué l’explosion de la bombe atomique à Nagasaki pour une scène de flashback….

Ce flashback est la première scène du film. J’ai déjà vu le film plusieurs fois, et je trouve cette introduction vraiment très réussie. Je dirais même que c’est la meilleure séquence de début de tous les films de la série X-MEN ! On retrouve Wolverine dans un camp de prisonniers, au Japon en 1945, et on voit qu’il est tenu à l’écart des autres soldats. On découvre tout ce qui se passe par ses yeux, et quand la scène commence, on ne sait pas exactement où Wolverine se trouve, à quelle époque cela se déroule, et ce qui est sur le point de se passer…On ne comprend les choses que petit à petit et cela rend la scène d’autant plus efficace.

Comment prenez-vous en compte les contraintes budgétaires du film quand vous dessinez ? Vous basez-vous sur la taille des plateaux du studio pour déterminer d’emblée ce qui sera construit « en dur » et ce qui sera réalisé avec des fonds verts et des extensions de décors ?

Oui, absolument. Dessiner le décor, ce n’est qu’une petite partie de mon travail. Mon job consiste à utiliser au mieux les ressources budgétaires et la durée de tournage du film, afin de créer les meilleurs décors possibles. J’ai la possibilité de décider qu’une scène sera tournée dans un vrai décor extérieur au Japon, ou que ce serait mieux de la filmer devant un écran vert et de compléter l’image avec des effets numériques, ou de tout construire sur un des plateaux du studio… Mais je peux aussi dire au metteur en scène « Et pourquoi ne tournerions-nous pas cette séquence dans un combi Wolkswagen plutôt que dans un bar : émotionnellement, ça fonctionnerait mieux ainsi. » Cela veut dire que je peux proposer de changer certains endroits qui figurent dans le script pour mieux raconter l’histoire…Je cherche toujours des occasions d’accentuer l’impact émotionnel d’une scène , quitte à changer la nature du lieu où se elle se déroule. Et si je choisis un décor plus simple, comme l’intérieur d’une voiture, eh bien, cela me permet d’attribuer la partie de construction qui aura été économisée là à un autre décor très complexe à fabriquer. C’est ainsi que je peux gérer les différents postes du budget.

Pouvez-vous nous donner un exemple de décor du film que vous avez suggéré de changer complètement ?

Oui : celui de la fin du film. A l’origine, la séquence se déroulait dans une grande caverne située sous un château japonais, et j’ai eu l’idée de transformer cette scène et de créer un laboratoire de la compagnie Yashida. J’ai fait beaucoup d’autres suggestions de ce genre, parce que pendant un an, le scénario a beaucoup évolué. Quand on fait des repérages de décors, on trouve des endroits tellement beaux que l’on se dit qu’il faut absolument venir tourner là. On réalise alors une série d’illustrations basées sur ce lieu, cela inspire le réalisateur, et on modifie le script en fonction de cela. C’est une évolution très « organique », une chose en entraînant une autre.

Vous venez de parler à nouveau du laboratoire dans lequel a lieu le combat entre Wolverine et le samouraï d’argent…Pourriez-vous nous dire comment vous avez conçu les environnements autour de cet affrontement, et quels sont les matériaux que vous utilisez pour simuler les destructions provoquées par les griffes de Wolverine et par la puissance de l’exosquelette du samouraï d’argent ?

Je travaille en collaboration étroite avec le superviseur des cascades, car ces scènes de combat sont longues, complexes et importantes dans le film. Je vais revenir au décor du labo, mais nous avons construit tout un village couvert de neige et de glace pour une des scènes de la fin du film. Il fallait qu’il y ait de la fausse glace sur le sol des rues, afin que Wolverine puisse se déplacer en glissant dessus. Nous avons donc testé toutes sortes de matériaux qui ressemblaient à de la glace pour pouvoir faire cette cascade. Il y a aussi des dizaines de Ninjas qui interviennent dans cette séquence.

C’est une scène qui est très belle graphiquement, avec les silhouettes noires mates des Ninjas qui se détachent sur la neige éclairée en bleu nuit…

Merci. J’étais dessinateur au début de ma carrière, et j’essaie toujours de trouver des opportunités d’utiliser les couleurs et les contrastes pour créer des images très graphiques. Pour préparer cette scène, j’ai eu la chance de faire 6 voyages successifs dans les environs de Tokyo, afin de trouver des villages construits pendant la période Edo, et qui se trouvent à 2 heures de trajet de la ville. Ce sont des lieux très bien préservés, qui n’ont pratiquement pas changé en 500 ans. J’ai mesuré tous les bâtiments d’un de ces villages, et je les ai photographiés sous toutes les coutures en faisant des centaines de clichés, afin de pouvoir reconstituer ce site dans les studios en Australie. Et quand on voit le film, on a vraiment l’impression que ces scènes-là ont été tournées sur place, au Japon. Je reviens à la conception du labo : nous avons travaillé assez longtemps sur l’intérieur de la tour, car l’idée était que les cascades pendant le combat entre Wolverine et le samouraï d’argent se passent non pas de manière classique, horizontalement, mais verticalement, dans le cylindre central, traversé par des passerelles. Cela donnait la possibilité de mettre en scène une bataille avec les personnages qui sautent dans le vide et se repositionnent plusieurs fois sur d’autres niveaux de la structure. Nous avons construit une tour de 14 mètres de hauteur, et nous l’avons constamment redécorée pour donner l’impression que l’on découvrait d’autres niveaux situés plus bas. On suggère ainsi que la tour mesure plus de 30 mètres de hauteur. J’ai travaillé en liaison étroite avec James Mangold pour bien adapter le décor à la chorégraphie de cet affrontement, et pour jouer aussi sur le sentiment de vertige, afin de donner des frissons aux spectateurs.

Les dizaines de tubes métalliques qui soutiennent le personnage de Yashida sur son lit high tech alors qu’il est mourant rendent les images de cette scène étonnantes…

Merci ! C’est justement un exemple de scène de dialogues qui était assez classique au départ, et que l’on a pu transformer en moment plus mystérieux par l’apport de cet élément de décor…

Quand on voit cette scène, on devine tout de suite qu’il s’agit d’un lit extraordinaire que Yashida a imaginé et fait construire pour lui-même parce qu’il agonise et n’a plus les ressources physiques qui lui permettraient de bouger sans assistance…

C’est exactement ça ! Je suis ravi que vous ayez compris toutes ces informations grâce à cet accessoire. Il était mon seul moyen de communiquer tout cela aux spectateurs pendant ce moment du film. Il fallait faire passer l’idée que Yashida, même alors qu’il est en train de mourir, dispose de moyens technologiques et financiers tellement considérables qu’il peut se faire construire un lit unique au monde, qui le maintient en vie…Et au-delà, cela incite le public à se demander « Mais s’il a pu construire une telle chose pour répondre à ce besoin précis, qu’a-t-il créé d’autre ? » (rires)

Ce design est visiblement inspiré de ce gadget composé d’épingles coulissant entre deux feuilles de métal trouées, et qui reproduisent ainsi des « empreintes »… Mais avez-vous fait construire un lit qui fonctionnait vraiment ou est-ce un effet visuel ?

Oui, c’est bien ce gadget-là qui m’a donné cette idée. Et en fait, à chaque fois que le lit bouge dans le film, il est réalisé en images de synthèse, et à chaque fois qu’il reste immobile, c’est un vrai lit avec les vrais tubes métalliques placés un par un dans cette position fixe.

Quels sont les éléments de décors que vous dessinez en 2D, et ceux que vous créez en images de synthèse ?

Je travaille en utilisant les 2 approches. Ce qui est intéressant avec la 3D actuelle, c’est que l’on peut programmer la caméra virtuelle en lui mettant les objectifs que l’on souhaite pour voir le décor comme si on l’observait au travers d’un vrai viseur, sur le plateau. Cela me permet de collaborer très étroitement avec le directeur de la photographie et de trouver les perspectives de décors qui marcheront le mieux. J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir aux mouvements de caméra et aux cadres de l’image en fonction des différents objectifs prévus. James Mangold attache beaucoup d’importance à la chorégraphie de l’image, et à la manière dont on révèle les décors. Le design de la grande maison des Yashida a été dessiné scène par scène, en tenant compte des mouvements et des emplacements de la caméra, afin que chaque scènes puisse être filmée au mieux dans ces décors. Chaque composition de l’image dans le cadre a été prévue de manière très précise, longtemps à l’avance.

Avez-vous conçu des décors qui n’ont pas été fabriqués, ou d’autres qui l’ont été, mais qui ont été coupés au montage ?

Non, tous les décors ont été conservés. WOLVERINE, LE COMBAT DE L’IMMORTEL est vraiment un « road movie » avec une succession ininterrompue de nouveaux décors, car le film commence aux USA dans le Yukon, puis on va à Tokyo, à Osaka, puis dans un petit village au sud du Japon, puis dans les montagnes… En fait, les problèmes que j’ai eu à gérer n’étaient pas des suppressions de décors, mais des ajouts continuels de nouveaux décors, comme celui du « bullet train » qui n’était pas prévu. Quand James Mangold est venu me voir pour me dire « J’aurai besoin d’un train à grande vitesse et d’une gare construits en plateau dans quelques semaines », ça a été un sacrée surprise !

Sur quel nouveau projet travaillez-vous ?

Je m’apprête à partir à Belfast pour travailler sur la nouvelle version épique de DRACULA que produit Universal. Elle sera inspirée de la vie de Vlad l’empaleur, et se déroulera au 16ème siècle. Cela nous donnera l’occasion d’avoir une autre conversation pour présenter ce projet aux lecteurs d’Effets-speciaux.info ! (rires)

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