THOR LE MONDE DES TENEBRES : Entretien exclusif avec le chef-décorateur Charles Wood – 2ème partie
Article Cinéma du Mercredi 01 Janvier 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quand vous travaillez en amont du tournage avec le directeur de la photographie, convenez-vous avec lui des endroits où il faudrait incorporer directement certaines sources d’éclairage dans vos décors ?

Oui, car mon but en tant que décorateur est de l’aider du mieux que je le peux à éclairer le film comme il a prévu de le faire. Kramer Morgenthau, notre directeur de la photographie sur THOR, LE MONDE DES TENEBRES, avait une idée très précise du choix des types de projecteurs et de la manière dont il voulait placer les éclairages sur les plateaux. Car Kramer, tout comme moi, devait tenir compte du fait que dans le monde d’Asgard, la magie et la technologie sont mêlées. Il fallait donc retrouver cette idée dans le style de l’éclairage, et réussir à le rendre crédible. Mais je précise que beaucoup d’éléments technologiques d’Asgard ont été ajoutés en postproduction.

Concrétiser l'imaginaire

Quels sont les matériaux que vous avez utilisés pour construire les décors d’Asgard et quels sont les trucs et astuces que vous avez utilisés pour leur donner un aspect réaliste et pour les vieillir ?


Pour être le plus réaliste possible, l’une des techniques les plus efficaces consiste à partir d’éléments architecturaux réels, en les moulant et en les dupliquant, comme je vous le disais. Nous avons pu réaliser ainsi des murs et des colonnes extrêmement crédibles, car un moule en silicone peut reproduire des textures extrêmement fines, jusque dans la granulation de la pierre ou les veines du bois. Pour réussir à tromper les yeux des spectateurs, qui sont de plus en plus avisés, il faut devenir un illusionniste. Et en ce qui concerne les autres "trucs" que nous utilisons, je dois dire que mon principal atout est d’avoir constitué autour de moi l’une des meilleures équipes de construction de décors de toute l’industrie du cinéma. Ils sont chacun passés maîtres de leurs disciplines respectives, qu’il s’agisse de l’utilisation du plâtre, des structures en bois ou de patines de peinture et trompe-l’œil. Dans ce film, nous avons utilisé des techniques classiques en construisant des structures de bois recouvertes de grillages métalliques puis de fibres imbibées de plâtre, et en faisant les finitions en plâtre. Nous n’avons utilisé que très peu de mousse ou de résine et fibre de verre. En Grande-Bretagne, le plâtre est le matériau que l’on utilise le plus dans les décors, parce qu’on se le procure facilement, qu’il est très solide, et qu’il permet de reproduire des surfaces avec une grande qualité de définition. Il est également très facile à peindre et très durable. Notre équipe de plâtriers utilise ce produit depuis plusieurs décennies, et ils arrivent à obtenir des rendus incroyablement différents en le travaillant avec beaucoup de talent.

Comment avez-vous conçu les décors et les accessoires pour Malekith et les elfes des ténèbres ? Quelles ont été vos inspirations et l’approche choisie pour donner une apparence cohérente à tout ce qui est issu de leur civilisation, depuis leurs armures et leurs armes jusqu’à leurs vaisseaux ?

Nous avons commencé à travailler sur eux en dessinant leurs vaisseaux, c’est-à-dire le vaisseau principal, et celui qui se trouve à l’intérieur. Nous avons cherché des idées de matériaux dont l’aspect serait tout de suite inquiétant et étrange, pour souligner le danger immédiat représenté par ces êtres. Nous nous sommes inspirés des textures du bois brûlé, du charbon, de la pierre d’ardoise, et nous avons ajouté à cela une couleur légèrement iridescente et huileuse. Ces vaisseaux et les objets des Elfes devaient sembler mystérieux et effrayants, particulièrement pendant les moments où l’éclairage allait être très faible. Et il fallait qu’on puisse retrouver ce rendu partout sur leurs accessoires, leurs machines… Une fois que nous avons établi cet aspect et qu’il a été validé, nous avons cherché les formes et les designs qui allaient permettre de raconter l’histoire et le caractère de ces personnages.

Mais quels matériaux réels avez-vous utilisés pour créer ce matériau imaginaire ?

Nous avons fabriqué nos propres mixtures en mélangeant de la pierre d’ardoise et du charbon. Nous savions que ces textures s’adapteraient très bien à l’aspect naturel des étendues de roches et de sable volcanique que nous allions filmer en Islande, dans des paysages de toundras magnifiques, mais dénués de toute forme de vie. Nous avons aussi observé les formes des coulées de lave refroidies quand nous nous sommes rendus sur place. Les éléments que nous avons ajoutés à ce panorama réel devaient exprimer l’idée que la civilisation des elfes des ténèbres a longtemps décliné et se meurt, et qu’il ne reste plus que quelques ruines de leur glorieux empire, et de leurs cités. Ces textures fissurées et iridescentes qui évoquent la lave et le bois calciné devaient se retrouver partout autour des elfes, des structures de leurs vaisseaux à leurs postes de commande en passant même par leurs vêtements.

Face à l'épreuve du climat

Avez-vous employé des peintures avec des pigments iridescents pour obtenir exactement les rendus que vous souhaitiez ?


Quelquefois. Mais avec précaution et parcimonie, car ce type de peinture peut vite donner un aspect kitsch multicolore à un décor ou un accessoire. L’essentiel de notre travail a consisté à sculpter les textures très particulières que nous avions choisies sur tous les accessoires, les meubles, les décors et les vaisseaux des elfes des ténèbres. Cela représentait une énorme quantité de détails à produire, et nous avons employé des centaines et des centaines de sculpteurs pour y parvenir. Nous avons produit un grand nombre de parois, de frises sculptées et de hiéroglyphes pour donner un aspect riche et crédible à ces environnements.

Avez-vous conçu des décors modulaires qui pouvaient apparaître soit intacts soit ravagés, en fonction du tournage non chronologique des scènes de bataille et d’attaque d’Asgard ?

Non, car la majeure partie de ces effets de destruction a été réalisée en postproduction avec des trucages numériques. Mes équipes ont seulement fabriqué des débris, des bases de colonnes brisées, et des éléments de mobilier cassés, mais rien de plus. Les décors que nous avons construits étaient si grands que les modifier pour simuler leur destruction aurait été trop coûteux, et aurait nécessité trop de journées de fabrication supplémentaires. Je précise que nous avons construit d’emblée les décors en mettant cette procédure au point avec les équipes des effets visuels. Tout cela avait été discuté et validé de longue date, car pendant que nous construisions nos décors "en dur", l’équipe des VFX construisait ses répliques virtuelles de nos décors, qu’elle amplifiait en leur greffant des éléments architecturaux supplémentaires : le haut des colonnes, des étages supplémentaires, les perspectives des décors extérieurs, etc.

Comment avez-vous fabriqué les éléments des décors en extérieurs comme les piliers géants que l’on voit pendant les scènes de batailles ?

Là encore, il fallait obtenir des rendus qui semblent patinés par le temps et les intempéries, et qui résistent bien à la pluie et aux rafales de vent de l’été anglais ! (rires). Quand vous dirigez des équipes qui construisent des structures de 7 à 12 mètres de haut, ces averses sont un vrai cauchemar logistique. Et de plus, il faut aussi respecter les exigences des autorités locales, qui ont leur mot à dire sur ce que vous pouvez ou ne pouvez pas faire dans le cadre d’un paysage naturel.

Est-ce que vous êtes passé de l’emploi du plâtre à celui du ciment pour construire ces décors extérieurs, afin de les protéger davantage des intempéries ?

Non, car le plâtre était suffisamment résistant et durable après avoir été peint et patiné par nos équipes. Le grand décor de la Médina a été arrosé presque tous les jours par la pluie pendant le tournage, mais il a parfaitement tenu le coup. Ce qui est construit en plâtre résiste bien mieux que des éléments en polystyrène sculpté, recouvert de résine et de fibre de verre, car ce matériau-là est plus poreux et a tendance à se déformer quand il est constamment exposé au soleil et à la pluie. Je suis un grand fan du plâtre ! (rires).

Avez-vous utilisé des logiciels 3D pour créer les plans des décors et avez-vous construit également des maquettes pour aider Alan Taylor à visualiser et à choisir à l’avance quels angles de prises de vues il allait utiliser dans chaque scène ?

Oui, nous avons employé chacune de ces méthodes. Nous avons dessiné les plans des décors en 3D, et les avons représentés aussi avec des textures et des rendus par ce biais, mais parallèlement, nous avons aussi réalisé beaucoup d’illustrations dessinées "à la main". Je pense qu’un dessin manuel est bien supérieur à ce que l’on obtient en 3D quand on doit représenter un décor de palais ou des architectures avec de nombreuses références historiques. En quelques coups de pinceau, vous pouvez aisément suggérer le caractère et l’atmosphère des lieux, alors qu’une modélisation est beaucoup plus longue et "mécanique" à faire. En revanche, une fois que l’on a abouti au design de décor validé par le réalisateur et les producteurs, les modélisations en 3D sont plus faciles à lire et à transposer pour les équipes de construction. J’ajoute que nous avons construit aussi beaucoup de grandes maquettes en carton-plume afin que le réalisateur et toutes les personnes qui participaient aux réunions de production puissent les voir en volume et bien comprendre ce que cela donnerait une fois fabriqué grandeur nature. Nous y placions aussi des mini-caméras pour avoir déjà une idée des angles de vues que l’on pourrait obtenir. Quand le réalisateur voulait aller encore plus loin et se promener virtuellement dans les décors, il le faisait dans les modèles 3D construits par l’équipe des effets visuels, car il pouvait les voir avec des rendus de textures et de couleurs plus proche de l’aspect final des vrais décors construits. Ces modélisations nous étaient très utiles aussi, car elles nous permettaient de vérifier que la hauteur des murs que nous avions prévus de construire suffisait, ou s’il fallait ajouter encore deux ou trois mètres de plus pour pouvoir filmer un maximum de plans possible en direct, sans avoir à ajouter des architectures 3D partout. En étant prudents, nous avons pu éviter ainsi des retouches numériques inutiles.

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