[Flashback] Richard Matheson : les œuvres moins connues d’un géant de la littérature pour la télévision
Article TV du Vendredi 07 Aout 2020

Richard Matheson a été non seulement l’un des plus grands auteurs de SF et de Fantastique, mais aussi un scénariste de télévision à la carrière longue et fructueuse. Voici une sélection de quelques-unes de ses œuvres beaucoup moins connues que DUEL ou son formidable travail pour LA 4EME DIMENSION, mais qui ont néanmoins marqué l’histoire du Fantastique sur le petit écran.

Par Pascal Pinteau

ATTENTION AUX SPOILERS !! : nous racontons en détail les histoires mitonnées par Matheson dans cet article, mais vous souhaiterez peut-être visionner ces téléfilms en vidéo (on les trouve facilement sur le web) avant de le lire en entier…A vous de choisir !

STAR TREK, LA SERIE ORIGINALE : L'IMPOSTEUR (THE ENEMY WITHIN - 1966)



Dans ce 5ème épisode de la 1ère saison de STAR TREK, Matheson imagine un incident de téléporteur provoqué par la poussière fortement magnétisée qui recouvre la surface d’une planète. Quand le capitaine Kirk regagne son vaisseau avec son uniforme couvert de poussière, le téléporteur déboussolé reconstitue 2 fois les atomes du modèle original : on voit ainsi apparaître d’abord un Kirk doux, gentil, mais indécis, puis un second Kirk violent, agressif, dominé par ses pulsions. Tandis que le « gentil » Kirk regagne le poste de commande avec Spock, le « méchant » Kirk, tel un Mr Hyde en goguette, confisque au Docteur McCoy une de ses bonnes bouteilles d’alcool, s’enivre et essaie de violenter la jolie Janice Rand. La confusion règne avant que l’on comprenne qu’il y a 2 capitaines à bord. Pendant ce temps, la température tombe vite sur la surface de la planète et l’équipage - que l’on ne peut pas téléporter avant d’avoir compris l’origine de la panne - risque de mourir de froid… Le double suspense mis en place par Matheson fonctionne bien et permet à William Shatner d’incarner 2 facettes de la personnalité de Kirk. Matheson conclut cette aventure par une touche d’humour sarcastique, car c’est le méchant Kirk qui trouve le moyen de résoudre la situation, tandis que son aimable alter ego est dépassé !

NIGHT GALLERY : SEGMENTS A BIG SURPRISE (1971) & THE FUNERAL (1972)

6 ans après leur ultime collaboration sur LA 4EME DIMENSION, Richard Matheson retrouve Rod Serling aux commandes d’une nouvelle série d’anthologie fantastique, NIGHT GALLERY. Au début de chaque épisode, Rod Sterling invite les téléspectateurs à entrer dans cette « Galerie de nuit » et leur présente les tableaux et sculptures symbolisant les segments qui se succèdent pendant les 50 minutes de ce voyage dans l’imaginaire. Au cours de la 2ème saison, dans l’épisode 14, Matheson adapte lui-même sa nouvelle de 1959 BIG SURPRISE , dans laquelle Hawkins, un vieil homme toujours planté devant sa maison délabrée (incarné par le vétéran de l’horreur John Carradine), promet une grosse surprise à 3 garçons s’ils acceptent de creuser un trou très profond pour lui. Les gamins se représentent déjà un trésor enterré là depuis des lustres. Mais un seul a le courage et l’endurance de creuser jusqu’au bout. Il découvre alors une boîte oblongue qui lui réserve effectivement un choc, puisque c’est Hawkins lui-même qui en jaillit, sourire carnassier aux lèvres, en criant « Surprise ! » Bien réalisé par le français Jeannot Szwarc, ce segment fidèle à la nouvelle ne déçoit pas. (Rappelons que Szwarc retrouva Matheson en 1980, afin d’adapter au cinéma son roman QUELQUE PART DANS LE TEMPS, avec Christopher Reeves et Jane Seymour dans les rôles des amoureux vivant à des époques différentes. Ce film bouleversant fut le chef d’œuvre de Szwarc.) Dans l’épisode 15 de la saison 2, Matheson transpose sa nouvelle humoristique LES FUNERAILLES, parue en 1955. L’obséquieux Morton Silkline, directeur d’une prestigieuse entreprise de pompes funèbres, se vante de pouvoir concrétiser tous les souhaits de ses clients. Un jour, un certain Ludwig Asper lui demande d’organiser une somptueuse veillée mortuaire, et de prévoir un cercueil décoré à l’or fin, fabriqué à ses mesures, car ces funérailles…lui sont destinées ! Silkline s’indigne, croyant à un canular. Mais Asper précise « Chacun de mes enterrements précédents a été bâclé et pour une fois, je veux que les choses soient faites à la perfection » et sourit en révélant des canines pointues. Dès qu’une date est convenue, Asper se transforme en chauve-souris et s’envole par la fenêtre. Le jour venu, Silkline accueille les invités du vampire – d’autres vampires, une sorcière, un assistant bossu nommé Igor, un loup-garou – et découvre qu’il n’est pas facile d’assurer le bon déroulement d’une cérémonie avec de tels invités…Mollement réalisé par John Meredyth Lucas, ce segment mineur de Matheson rend toutefois un hommage sympathique aux monstres des studios Universal. NIGHT GALLERY était produite par Universal, et tournée dans le fameux « backlot » Hollywoodien arpenté jadis par la créature de Frankenstein, Dracula et le loup-garou, les maquillages et les tenues des invités du vampire sont inspirés du look des « monstres sacrés » du studio !

THE NIGHT STALKER (1972)

Si Richard Matheson n’est pas le créateur de Carl Kolchak, infatigable enquêteur du paranormal, il l’a aidé à venir au monde et l’a rendu célèbre. Ce personnage avait été inventé par Jeff Rice dans un roman inédit, THE KOLCHAK PAPERS, dont la chaîne ABC avait acquis les droits. Matheson fut chargé d’adapter de manière moderne et effrayante les aventures de ce journaliste désabusé mais efficace officiant à Las Vegas. Kolchak (incarné par l’excellent Darren McGavin) se lance ici sur la piste d’un tueur en série qui s’attaque à de jolies jeunes femmes. Tous les indices attestent que le criminel est un authentique vampire, mais même après l’avoir longuement criblé de balles pendant une interpellation qui se solde par sa fuite, la police locale reste sceptique ! Soutenu par son rédacteur en chef, Kolchak lutte contre le chef de police qui lui met des bâtons dans les roues, et tente de dénicher la tanière du vampire avant qu’il ne fasse de nouvelles victimes… Grâce à l’impeccable scénario de Matheson, mêlant habilement humour, mystère et suspense, ce téléfilm réalisé par John Llewellyn Moxey et produit par Dan Curtis remporta un tel succès que la chaîne commanda immédiatement une suite ! THE NIGHT STALKER valut à Richard Matheson de recevoir en 1973 l’Edgar Award du meilleur scénario de téléfilm, distinction remise par la guilde des auteurs de romans policiers américains (Mystery Writers of America).

THE NIGHT STRANGLER (1973)

Dans ce second téléfilm, qui est cette fois-ci une histoire entièrement originale, Matheson s’amuse à chroniquer la déchéance de Kolchak, qui a été contraint de quitter Las Vegas après que la police locale ait étouffé les conclusions de son enquête, et même détruit les preuves de l’existence du vampire pour ne pas effrayer le public. Le journaliste exilé échoue à Seattle, où il retrouve son ancien rédacteur en chef, qui a subi lui aussi les conséquences de cette débâcle. Peu rancunier, il arrive à faire engager Kolchak dans le journal local. Notre héros se lance sur la piste d’un autre tueur en série, et découvre que cet individu qui a assassiné 7 à 8 jeunes femmes frappe…tous les 21 ans ! En remontant les fils des indices et en fouillant les archives du journal, Kolchak découvre des meurtres similaires en 1952, mais aussi en 1931, en 1910 et même en 1889… Encore plus réussie que la précédente, cette nouvelle enquête 100% « Mathesonienne » cette fois-ci réalisée & produite par Dan Curtis entraîne Kolchak dans les vestiges souterrains de la vieille ville de Seattle, rendue plus fantastique que dans la réalité, puisque Matheson imagine que des quartiers entiers datant du 19ème siècle ont été recouverts par les structures modernes de la cité, et sont restés intacts. C’est dans ce décor irréel que Kolchak traque le tueur, un médecin alchimiste qui a trouvé le secret de l’immortalité : un élixir dont il prélève les ingrédients sur les corps de ses victimes, et qu’il doit absorber tous les 21 ans à une heure bien précise pour ne pas vieillir… Aussi bien accueilli que le précédent opus, THE NIGHT STRANGLER permit à ABC de lancer en 1974 la série KOLCHAK THE NIGHT STALKER (DOSSIERS BRULANTS en VF) à laquelle Matheson ne participa pas. Signalons une curiosité : le scénario original de Matheson pour le second téléfilm fut adapté en roman par le créateur de Kolchak, Jeff Rice, en une étrange inversion du processus habituel !

THE STRANGER WITHIN (1974)

C’est un cauchemar vécu par un couple tranquille que Matheson transpose ici d’après sa nouvelle de 1953 d’abord intitulée MOTHER BY PROTEST (mère en dépit de ses protestations) par l’éditeur, puis rebaptisée TRESPASS (INTRUSION) par l’auteur. Ann Collins (Barbara Eden, rendue célèbre par son rôle de génie sexy sorti d’une bouteille dans la sitcom I DREAM OF JEANNIE, produite de 1965 à 1970) est une artiste peintre et son mari David Collins (George Grizzard) un homme d’affaires. Ils forment un couple solide depuis 11 ans, mais quand Ann tombe enceinte, David ne peut que la soupçonner d’infidélité, ayant subi une vasectomie. Les époux se murent pendant des jours dans le silence. Finalement convaincu que sa femme, qui jure ne l’avoir jamais trompé, lui dit bien la vérité, David lui demande d’avorter, ce qu’elle accepte. Mais à chaque fois que le couple prend la voiture pour se rendre à l’hôpital, Ann est prise de douleurs atroces, qui mettent sa vie en péril et contraignent les médecins à tout abandonner. De retour chez elle, la jeune femme avale des litres de café, consomme de la viande crue et du sel en grandes quantités, et règle l’air conditionné de la maison pour y faire régner un froid polaire. Tantôt indifférente ou agressive, elle passe son temps à lire à grande vitesse des traités de physique, d’histoire et d’astronomie, et s’impose des marches épuisantes dans les collines environnantes. Quand le médecin de famille découvre que le bébé se développe anormalement vite et qu’il est doté de 2 cœurs, David comprend que l’être qui se développe dans le ventre de son épouse ne vient pas de cette planète…Bien réalisé par Lee Philips, et soutenu par la musique inquiétante composée par Charles Fox, THE STRANGER WITHIN parvient à rendre crédible l’inimaginable. La fin du téléfilm s’écarte toutefois de ce que Richard Matheson avait rédigé dans son script. Après avoir accouché seule dans une cabane abandonnée, Ann traverse les bois avec son nouveau-né et se retrouve aux côtés de dizaines d’autres mères et de bébés hybrides, avançant vers l’aura d’un vaisseau spatial, tandis que dans leur maison, David voit les paysages d’autres planètes peints par sa femme prendre feu. Matheson a déclaré ironiquement « ne pas avoir tout compris » à cette ultime séquence, et à la curieuse autodestruction des tableaux ! La fin de la nouvelle originale, sans doute trop dure pour un téléfilm des années 70, était rédigée ainsi : « “Un hôpital. Dans le couloir, le père fait les cent pas. Une porte s’ouvre. Un médecin apparaît, détache son masque et regarde l’homme. “Votre femme se porte bien”, dit-il. Le père agrippe le praticien par le bras. “Et l’enfant ?” “L’enfant est mort”. “Dieu soit loué”, dit le père”… »

La seconde partie de ce dossier sera prochainement publiée sur ESI !

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