En 1993, sept ans après la série Histoires Fantastiques (Amazing Stories), le prolifique Steven Spielberg, qui supervise alors la post-production de Jurassic Park tout en tournant La Liste de Schindler, se lance dans la production d'une nouvelle aventure télévisée. Créée par Rockne S. O'Bannon, SeaQuest, police des mers lorgne du côté de la série Star Trek : The Next Génération, qu'elle transpose au fond des océans... avec plus ou moins de réussites !

Par Pierre-Eric Salard



De la rentrée télévisuelle 1993 au printemps 1996, le réseau NBC diffusa trois saisons de SeaQuest, police des mers (SeaQuest DSV -pour Deep Submergence Vehicle- outre-atlantique, puis SeaQuest 2032 pour la troisième saison). Les amateurs français de science-fiction maritime ont pu découvrir la série sur TF1 dès juillet 1995 – bien qu'il ait fallu attendre 2008 pour jeter un œil sur la déplorable troisième saison, diffusée sur Sci Fi Channel. Se déroulant dans « un futur proche », les deux épisodes de 90 minutes (dont le pilote) et 55 épisodes de 43 minutes de SeaQuest, police des mers mêlaient originellement de la SF réaliste à des intrigues dramatiques portant sur des sujets environnementaux. C'est le producteur et scénariste Rockne S. O'Bannon, créateur des séries Alien Nation (1989) et Farscape (1999-2004), scénariste d'un épisode d'Histoires Fantastiques (1986) et réalisateur du téléfilm L'invasion des abeilles tueuses (1995), qui proposa cette resucée de Star Trek : The Next Generation à NBC et Steven Spielberg. Ce dernier exprima immédiatement son intérêt, ce qui incita les dirigeants de NBC à ajouter SeaQuest dans leur grille des programmes. Sans même avoir vu le moindre pilote, une première saison de 22 épisodes fut commandée, avec un budget de 1,2 à 1,5 millions de dollars par épisode ! Le cinéaste devient ainsi le producteur exécutif d'une nouvelle série – mais pour seulement deux ans ! En effet, les téléspectateurs de l'époque se souviennent peut-être que le trajet télévisuel du SeaQuest, imposant navire sous-marin, fut chaotique... à l'instar du monde décrit dans la série ! A l'orée du 21ème siècle, afin de rétablir la paix, une confédération internationale, l'U.E.O., est créée. Sa principale mission est la recherche scientifique. Afin de protéger les fonds marins, l'U.E.O. fait construire en 2015 un puissant sous-marin, le SeaQuest, qui dispose de technologies de pointe. Mais promouvoir la paix maritime reste une tâche ardue. Alors que les Hommes ont pratiquement épuisé toutes les ressources naturelles de la planète, de nombreuses colonies ont été établies au fond des océans. En 2018, ces avant-postes aiguisent l'appétit d'avides fédérations. Si une guerre nucléaire fut évitée de peu, l'avenir de la planète n'est pas garanti... Bien qu'il ait quitté les rangs de la Marine il y a plusieurs années, le capitaine Nathan Hale Bridger (créateur original du SeaQuest, qui était au départ un navire de guerre) reçoit une offre qu'il ne peut pas refuser : prendre le commandement du sous-marin. Sa mission lui permettra de mêler recherches scientifiques et protection de la paix. Ce qui faisait dire au personnage lors du générique ouvrant chaque épisode de la première saison : « Au 21ème siècle, l’espèce humaine a colonisé le seul endroit inexploré de la Terre : les océans. Moi, commandant du seaQuest, ainsi que mon équipage, en sommes les gardiens. Notre avenir est lié à la sauvegarde des océans ». Cette voix n'était pas inconnue aux fans de Steven Spielberg. En effet, en octobre 1992, lorsque NBC annonça le développement de la série, deux noms accompagnèrent le communiqué de presse : ceux de Steven Spielberg et du regretté Roy Scheider. Le chef Brody des Dents de la Mer, qui avait si peur de l'eau, devient le capitaine du plus grand navire ayant exploré nos océans...



20000 lieux sous les mers

Le personnage du capitaine Nathan Hale Bridger est inspiré par le véritable médecin, écrivain et psychothérapeute John Cunningham Lilly, décédé en 2001. Membre important de la contre-culture américaine des années 1960, ce dernier était un pionnier dans l'étude de la conscience – qu'il étudiait à l'aide de drogues psychédéliques, voire en communiquant avec des dauphins ! Une idée qui sera reprise par les scénaristes de la série, comme nous le verrons bientôt... Roy Scheider sera rejoint au casting par des habitués du petit écran, dont Stephanie Beacham (Beverly Hills), Stacy Haiduk (Superboy, Prison Break, Heroes), Don Franklin (N.C.I.S.), Ted Raimi (Legend of the Seeker) ou encore le jeune Jonathan Brandis (L'Histoire sans fin 2, l'adaptation TV du roman de Stephen King 'Il' est revenu). Cerise sur le gâteau : la production fit appel au célèbre officier de l'US Navy et explorateur sous-marin Robert Duane Ballard, découvreur des épaves du Titanic et du cuirassé Bismarck chers à James Cameron, pour être la caution scientifique de la série. Durant la première saison, Robert Ballard animait ainsi, au terme des épisodes, un court segment de vulgarisation scientifique en relation avec les événements de l'intrigue ! Le tournage de la série débuta en mars 1993 à Los Angeles, dans les studios Universal. Parallèlement, les plans extérieurs du sous-marin furent conçus en images de synthèse, sur des ordinateurs Commodore Amiga, à l'aide des logiciels Lightwave 3D et Video Toaster. Ce qui n'empêcha pas l'utilisation de plans issus d'autres séries et films, dont A la poursuite d'Octobre Rouge et SuperCopter... Plutôt réussie, cette première saison de SeaQuest, police des mers mêle une certaine rigueur scientifique et des intrigues proches de Star Trek : The Next Generation. Des extraterrestres y feront même une apparition remarquée ! Les fans se souviendront du rôle attribué à Darwin, un dauphin (animatronique) précédemment sauvé par Nathan Bridger et avec qui ce dernier a appris à communiquer... Mais dans les coulisses, cette première fournée rencontra un certain nombre de difficultés : disputes « créatives » entre les producteurs, voire un tremblement de terre stoppant temporairement la production ! Lors de l'ultime épisode de la saison, la capitaine du SeaQuest sacrifie son navire afin d'empêcher une catastrophe environnementale...

Les chiffres d'audience n'étant pas faramineux (Arabesque battant parallèlement tous les records), tout indiquait que la série ne bénéficierait pas d'une seconde saison. Pourtant, les dirigeants de NBC acceptèrent de continuer l'aventure – mais sous certaines conditions ! NBC et son propriétaire, les studios Universal Pictures, profitèrent de cette opportunité pour exiger d'importantes modifications, sur le fond comme sur la forme. Afin de rajeunir la casting, plusieurs comédiens furent remplacés. L'actrice Stacy Haiduk refusa de reprendre son rôle. Stephanie Beacham, qui jouait 'un des personnages les plus importants de la première saison, avoua que les conflits réguliers entre les producteurs et les cadres de NBC avaient également consumer sa patience. Elle déserta définitivement les plateaux quand elle apprit que la production de la seconde saison se déroulerait à Orlando, en Floride. A l'époque, il était rare qu'une série hollywoodienne soit tournée ailleurs qu'à Los Angeles. Les temps ont changé ! Au printemps 1994, tout la production – y compris les décors répartis sur cinq plateaux de tournage - déménagea ainsi pour la Floride. Un nouveau sous-marin SeaQuest fut imaginé (le précédent ayant été détruit) et les décors furent modifiés en conséquence. Des scènes furent plus souvent tournées en extérieur, notamment au Florida Southern College - dont les locaux avaient été dessinés par l'architecte Frank Lloyd Wright. Alors que la base principale du sous-marin était Pearl Harbor durant la première saison, une ville fictive de la Floride, New Cape Quest, accueillit le navire. Mais les plus grandes modifications exercées sur la série concernaient ses intrigues....



Sans faire de vagues

Si SeaQuest, police des mers tentait originellement de peindre une vision réaliste du proche avenir, les dirigeants de NBC décidèrent d'orienter la série vers le fantastique. Si les extraterrestres firent logiquement leur retour, l'équipage du sous-marin découvrit également des civilisations depuis longtemps disparues... et même le dieu grec Poséidon ! Les thèmes qui firent le sel de la première saison, tels le message écologique, l'exploration des océans, l'essor des technologies ou encore les intrigues politiques, firent place au surnaturel, aux voyages dans le temps, à la parapsychologie... sans oublier la triste et habituelle formule du « monstre de la semaine » ! Les crocodiles préhistoriques et autres plantes tueuses ont rapidement trahi la faiblesse des scénarii... En outre, des intrigues se déroulaient régulièrement à la surface – et non dans le sous-marin ! Plus que jamais, les mauvais chiffres d'audience de cette seconde saison sanctionnèrent cette baisse de qualité globale. « La première saison abordait principalement l'écologie », explique l'actrice Stacy Haiduk. « Mais lorsque la production déménagea en Floride, la série changea de cap. Elle se déroulait d'ailleurs plus souvent hors de l'eau ! Don Franklin et moi avions l'habitude de plaisanter en disant qu'il s'agissait désormais de SeaWatch, une série plus proche de Baywatch (ndlr : Alerte à Malibu) que de SeaQuest... » Roy Scheider, qui vivait à New York, appréciait l'idée de travailler sur la côte est des Etats-Unis. Mais il n'acceptait pas la nouvelle orientation de la série... et n'hésita pas à le dire haut et fort ! « J'ai honte de cette seconde saison », assénait-il durant le tournage. « C'est un énorme gâchis ! Les cadres de NBC n'auraient jamais dû se mêler de l'écriture de la série. Au départ, SeaQuest abordait de véritables problématiques. Maintenant, il ne s'agit que d'une série fantastique comme cent autres... Quand j'ai découvert le contenu narratif de la seconde saison, j'ai essayé de quitter la production. Mais je ne souhaitais pas embarrasser mon ami Steven Spielberg, ainsi que les membres de sa société de production, Amblin Television. SeaQuest me tenait véritablement à cœur ! Je me sens trahi... J'ai signé pour jouer dans une série qui fait réfléchir les téléspectateurs quant à l'état de la planète. NBC a préféré mettre l'accent sur les gadgets, l'action et les femmes sexy... C'est pitoyable. Ce n'est même plus une bonne série fantastique. Star Trek : The Next Generation le fait bien mieux que nous ! » L'un des producteurs de la série, David Burke, avoue alors comprendre la rancœur de Roy Scheider. « Les interventions des dirigeants de NBC posent problème », affirmait-il. « Roy Scheider a tort », déclarait quant à lui le producteur Patrick Hasburgh. « Ses propos sont insultants envers toutes les personnes qui travaillent sur SeaQuest. Les acteurs se conduisent dès fois comme des enfants. Je suis désolé qu'il soit en colère, et j'espère qu'il changera d'avis. SeaQuest est une série géniale, et il a de la chance d'en faire parti... » Deux jours plus tard, Roy Scheider fit rassembler toute l'équipe de production afin de s'excuser, exprimant son admiration pour leur travail commun. Mais la mal était fait, et l'acteur délaissa le fauteuil du capitaine dans la troisième saison. Cette ultime fournée faillit ne jamais voir le jour (une nouvelle série devait la remplacer avant d'être annulée) et subit des modifications drastiques... à commencer par le titre de la série, SeaQuest 2032 !



Steven Spielberg ne reprenant pas son rôle de producteur exécutif, et la saison ne brillant pas par ses qualités, inutile d'y revenir. Sachez simplement qu'après la mystérieuse disparition du SeaQuest (transporté sur une autre planète !) en 2021, à la fin de seconde saison, le navire réapparaît en 2032. Et c'est un nouveau capitaine, joué par Micheal Ironside (V, Terminator Renaissance), qui prend la barre... Les scénaristes auront beau essayer de retrouver la veine de SF réaliste de la première saison, les téléspectateurs ne seront pas au rendez-vous. La série disparaîtra en 1996, sans faire de vagues... Star Trek : The Next Generation est restée intouchable, alors que SeaQuest a sombré dans l'oubli. Notons toutefois les nombreuses guest stars qui firent des apparitions, dont Yaphet Kotto (Alien), Charlton Heston, David McCallum (N.C.I.S.), Seth Green (Austin Powers), Mark Hamill (Star Wars), Michael York (L'Âge de Cristal) et l'inoubliable capitaine de l'USS Enterprise, William Shatner ! Si vous en avez l'occasion, n'hésitez pas à découvrir la première saison, qui reste un intéressant témoignage de la vision que nous avions alors de la SF et de l'avenir de la planète...

[En discuter sur le forum]