Entretien exclusif avec Peter Wenham, chef décorateur de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER
Article Cinéma du Mercredi 16 Avril 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La carrière de Peter Wenham a débuté à la BBC, où il a créé les superbes environnements « Art Déco » de la série des Hercule Poirot avec David Suchet dans le rôle du détective belge. Au cinéma, il a signé notamment les décors de LA MEMOIRE DANS LA PEAU, LA VENGEANCE DANS LA PEAU, THE QUEEN, BLOOD DIAMONDS, WORLD INVASION : BATTLE LOS ANGELES, FAST AND FURIOUS 5 et INSAISISSABLES avant d’entrer dans l’univers Marvel avec CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER.

Comment votre premier contact avec Anthony et Joe Russo s’est-il passé et comment vous ont-ils choisi ? Est-ce votre travail récent sur les décors urbains dévastés de WORLD INVASION : BATTLE LOS ANGELES et sur les scènes d’action d’INSAISISSABLES qui vous a aidé à les persuader que vous étiez l’homme de la situation ?

Dans la plupart des cas, c’est soit par le biais d’un contact personnel soit via votre agent que vous êtes amené à postuler pour un travail comme celui-là. Quand vous connaissez directement le ou les réalisateurs, cela peut vous amener aussi à collaborer à nouveau avec eux, mais encore faut-il que leur timing de début de production corresponde avec vos disponibilités, ce qui n’est pas toujours le cas. En ce qui concerne LE SOLDAT DE L’HIVER, c’est Justin Lin, qui a réalisé FAST AND FURIOUS 5, dont j’avais fait les décors, qui m’a présenté à l’un des producteurs de Marvel. Deux semaines plus tard, j’étais à Los Angeles pour rencontrer Anthony et Joe Russo, car Justin les connaîssait bien et il leur avait recommandé mes services. Ce que je leur ai proposé en termes de réalisme et d’ampleur des décors, ainsi que mes suggestions de traitement des structures technologiques leur ont plu, et ils m’ont proposé le job.

La saga de BDs LE SOLDAT DE L’HIVER écrite par Ed Brubaker a-t-elle été une source d’inspiration et de références visuelles pour vous, ou avez-vous imaginé les designs des décors en réinventant tout ?

Pour être tout à fait honnête, je ne me suis pas vraiment servi des illustrations de la BD, je me suis appuyé sur le script, dans lequel de nombreux éléments des comics et son contexte général ont été intégrés. En fait , j’ai proposé à Anthony et Joe d’appliquer un traitement réaliste et crédible à tout ce que nous allions montrer, afin de réussir à bien intégrer cela dans le monde d’aujourd’hui où se déroule notre histoire. Autant la première aventure en solo de Captain America était dédiée à la description de ses origines, de ses exploits pendant la guerre et de son sommeil cryogénique de 70 ans, autant cet épisode nous montre comment son état d’esprit change peu à peu et comment il s’adapte à l’époque actuelle. Au fond de lui, sa sensibilité est encore celle d’un jeune homme issu de la seconde guerre mondiale, tout comme sa conception de l’armée. Steve Rogers vient d’une époque où il avait constamment quelque chose à faire pour combattre l’ennemi, et où ses périodes de pause consistaient à entretenir son matériel et cirer ses chaussures, comme tous ses camarades qui se pliaient à cette discipline militaire très stricte. Tout cela lui manque et il se sent terriblement seul. Mais il essaie de s’intégrer peu à peu dans le monde moderne, en assimilant les révolutions culturelles et technologiques qui se sont produites après la fin de guerre : on peut voir Steve écouter les Beatles dans son appartement, par exemple. Et il aime autant les motos Harley Davidson d’aujourd’hui que celles qu’il conduisait pendant les années 40. Nous avons placé des références nostalgiques issues de son passé dans son appartement, à côté d’autres choses plus récentes. Mais on sent malgré tout qu’il s’agit d’un lieu où vit une personne solitaire, qui est en train de se reconstruire peu à peu. Pour revenir à votre question, le problème qui se posait avec les dessins des comics du SOLDAT DE L’HIVER, c’est qu’ils sont toujours une exagération de la réalité, alors que dans le film, nous devions réussir à convaincre les spectateurs que ce qui se passe arrive aujourd’hui, dans le monde réel. En ancrant tous ces environnements dans le réalisme, on rendait d’autant plus crédible les actions de Captain America quand il utilise ses pouvoirs, et le public peut s’amuser à croire qu’il existe vraiment.

C’est aussi ce que vous avez fait en montrant que le QG du S.H.I.E.L.D. est situé dans la région de Washington, non loin de la Maison Blanche, du sénat américain, et des locaux de la CIA…

Effectivement. Le QG du S.H.I.E.L.D. qui s’appelle le Triskelion (nom d’un volume en spirale reposant sur trois jambes courbées, NDLR) est situé sur un île au milieu du fleuve Potomac et on y accède par des ponts qui mènent directement dans l’immeuble. C’est très important de le voir intégré aux véritables paysages de Washington DC, et que son apparence lui permette de se fondre de manière convaincante dans cet environnement. Si nous lui avions donné un design très accentué comme dans les comics, cette intégration n’aurait pas marché aussi bien.

Vous êtes-vous inspiré de vrais locaux des services secrets pour atteindre ce réalisme dont vous parlez ? Si oui, quelles ont été vos références ?

Ayant déjà travaillé sur des décors de bâtiments des services secrets pour LA MEMOIRE DANS LA PEAU et LA VENGEANCE DANS LA PEAU, j’avais encore bien en tête les références architecturales des vrais locaux de la CIA, ou du haut commandement de l’armée américaine. Je connais plutôt bien ces lieux pour une personne qui ne fait pas partie des services secrets…

Ça, c’est ce que vous prétendez…

Si j’en dis plus, je serais obligé de vous tuer. (rires) Cette authenticité des décors doit aider à nous persuader que Captain America existe bel et bien et qu’il évolue dans ce monde d’espionnage. Quand on le voit passer de son appartement décoré de manière chaleureuse à ces environnements impressionnants, à l’efficacité froide, cela le rend encore plus sympathique. Et on cerne mieux sa personnalité.

Où son appartement est-il situé ?

Eh bien c’est une question que nous nous sommes longtemps posée. Captain America est l’un des membres les plus précieux qui soit au sein du S.H.I.E.L.D., l’un des atouts majeurs dont ils disposent pour mener des missions à bien. En réfléchissant à cela, on aurait tendance à imaginer qu’il soit protégé 24h sur 24 dans une sorte de cocon ultra sécurisé aménagé spécialement pour lui à l’intérieur du Triskelion…Mais nous avons pensé que quelqu’un comme Steve Rogers ne pouvait pas vivre ainsi, et qu’il voudrait probablement se mêler à la population pour avoir des rapports normaux avec les gens. Et voir comment ils se comportent dans la vie de tous les jours. Dans le film, nous montrons qu’il s’est installé dans un appartement de DuPont circle, un vieux quartier qui se trouve dans le Nord-Ouest de Washington DC. Il vit là comme une personne normale, pas du tout comme une star de cinéma ou une célébrité médiatique isolée dans son manoir. Il croise les gens dans la rue et reste accessible. Nous voulions montrer qu’il vit là comme tout le monde, et qu’il doit faire ses courses, se préparer à manger, etc. La description de sa vie quotidienne devait être aussi crédible que le reste.

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.