Entretien exclusif avec Peter Wenham, chef décorateur de CAPTAIN AMERICA, LE SOLDAT DE L’HIVER - 2ème partie
Article Cinéma du Jeudi 17 Avril 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Anthony et Joe Russo nous ont dit qu’ils tenaient à montrer que Steve Rogers s’intègre de mieux en mieux au monde moderne. Comment reflétez-vous cela dans son appartement ? Le voit-on utiliser des appareils modernes ?

Ce que l’on voit chez lui est un mélange de deux époques. A côté de sa cantine, sa grande caisse en métal où tout son équipement de soldat était rangé, et qu’il emportait partout avec lui pendant la guerre, il y a des illustrations de modèles récents de Harley Davidson exposés sur les murs. Alors que nous utilisons tous des CDs et des fichiers numériques pour écouter de la musique, Steve est fasciné par les disques vinyles. Il les collectionne, probablement en les achetant sur le web. C’est une manière amusante de montrer qu’il s’intéresse aux technologies qui sont apparues après la seconde guerre mondiale. Posséder un vieux walkman des années 80 l’intéresserait certainement, ne serait-ce que pour connaître cette technologie-là et voir comment elle a évolué pour être remplacée par une autre. Steve est un garçon intelligent et curieux, et il a envie de comprendre comment toutes ces techniques sont apparues et se sont perfectionnées.

Il rattrape peu à peu son retard sur les 70 années qu’il a ratées en étant plongé en hibernation…

Oui, et il le fait également en lisant toutes sortes de livres, que l’on peut voir dans son appartement.

La création du quartier général du S.H.I.E.L.D., de ses meubles et de ses accessoires a-t-elle été complexe ? Avez-vous eu à établir une certaine continuité visuelle avec les environnements du S.H.I.E.L.D. vus dans les films précédents ?

Non. Le seul vrai point commun, c’est le logo du S.H.I.E.L.D., que nous avons réutilisé tel quel. En revanche, on n’avait encore pas vu le Triskelion installé à Washington, car dans les comics, il se trouve à New York. Dans LE SOLDAT DE L’HIVER, nous avons installé cette structure gigantesque sur l’île Roosevelt qui se trouve sur le Potomac. Et le pont dont je vous parlais précédemment est en fait un vrai pont d’autoroute qui se sépare en deux segments, dont l’un se dirige du côté de Washington qui se trouve vers la Virginie, vers Arlington. Nous avons intégré l’autre côté de cette voie d’autoroute dans le Triskelion, comme s’il s’agissait d’une rampe d’accès directe à l’immeuble. C’est intéressant que ce bâtiment qui abrite une des organisations les plus secrètes au monde soit desservi par une partie d’autoroute devant laquelle des millions d’automobilistes passent tous les matins. C’est un peu comme les vrais locaux du MI5 à Londres, qui sont installés au centre de la capitale, et que tout le monde peut voir. Bien sûr, cette voie est barrée par plusieurs postes de sécurité, car elle mène sous la structure de l’édifice qui repose sur ses trois supports, au-dessus de cette route. Vue du ciel, la tour centrale de forme circulaire est entourée par trois extensions en forme de couronnes. Les couleurs, les structures et les panneaux de verre du QG du S.H.I.E.L.D. sont très proches de ceux de beaucoup de bâtiments de Washington, ce qui l’aide à se fondre dans le vrai panorama. C’est d’autant plus important que le Triskelion abrite aussi des hangars colossaux dans lesquels se trouvent les héliporteurs géants, comme celui que l’on a vu dans AVENGERS, des « Quinjets » qui sont des navettes volantes utilisées par le S.H.I.E.L.D. qui peuvent voler à plus de deux fois la vitesse du son, et toutes sortes d’autres engins qui sortent des lieux par des trappes géantes. Les laboratoires les plus sensibles, les plus hauts dirigeants du S.H.I.E.L.D. se trouvent là aussi. Pour toutes ces raisons, concevoir cet immeuble pour qu’il puisse abriter tout cela a été un défi très épineux. Moins que s’il avait fallu le construire en vrai, certes, mais complexe quand même ! Et à l’intérieur, tous les décors annexes des bureaux, des ascenseurs et des couloirs du sont traités sans futurisme ostentatoire, sans aller vers des concepts architecturaux trop high tech qui nous auraient déconnectés de la réalité. On a presque l’impression de se trouver dans des bureaux comme les autres. Je dis presque, parce qu’il y a bien sûr des parties de ces lieux qui sont étonnantes, notamment en raison de l’échelle même de l’immeuble et de ses installations, qu’elles soient visibles ou cachées.

Il y a beaucoup de scènes de destructions dans le film, à la fois dans des décors intérieurs et extérieurs. Comment construisez-vous ces décors pour les préparer pour les explosions, les impacts de balles, les voitures font des tonneaux à vive allure dans une rue, etc ?

Tout dépend de ce qui se passe dans la séquence. Par exemple, nous avons eu à montrer un bateau qui est un lanceur de satellite au début du film. Dans une première version du script, c’était d’ailleurs un vaisseau d’espionnage déguisé en cargo. Bref, modifier un bateau normal pour lui donner l’aspect d’un tel engin aurait eu un coût prohibitif, disproportionné par rapport au temps de présence et à l’importance de cet élément dans le film. J’ai donc dû trouver une autre approche et par chance, j’ai localisé une société qui possède deux vaisseaux lanceurs de satellites civils, et qui est située à Long Beach, en Californie, non loin des bureaux de Marvel. Après avoir négocié avec eux, nous avons obtenu l’autorisation de tourner sur l’un de leurs vaisseaux et d’utiliser aussi l’autre dans la scène, car il y a un vaisseau lanceur et un vaisseau d’escorte. Nous avons reconstruit le poste de commande du bateau. Mais dans notre histoire, il y a une grande explosion à bord, trop grande pour que nous puissions la réaliser in situ. Nous avons donc tourné un maximum de prises de vues sur le vaisseau, pris beaucoup de photos de références, puis nous avons reconstitué une section d’une paroi du bateau sur un plateau muni d’un fond vert et l’avons faite exploser, avec des cascadeurs autour. Cette fausse paroi et les figurants ont été intégrés dans les prises de vues réelles du vaisseau, et le département des effets visuels a amplifié les effets de déflagration en 3D. Donc pour une destruction comme celle-là, il a fallu utiliser deux décors. On utilise souvent le même principe pour détruire d’autres environnements, ou pour faire exploser une voiture dans une vraie rue. Mais tout dépend de la scène. Aujourd’hui, il n’y a pratiquement plus de limites à ce que peuvent faire les équipes des effets visuels. Dans une scène cataclysmique comme celle des Héliporteurs qui s’écrasent dans le Potomac, tout est réalisé en images de synthèse, à part des portions de paysages qui sont réelles.

Avez-vous travaillé sur le design des ailes du Faucon ?

Non, c’est le département des costumes dirigé par Judianna Makovsky qui s’en est occupé. Le design est resté assez fidèle à l’apparence de l’équipement du Faucon dans les BDs. Marvel sait que les fans apprécient que les costumes des personnages respectent leur apparence originale, donc Judia a eu un peu moins de marge de manœuvre sur les costumes des superhéros que moi concernant les décors. Mais nous avons tous discuté de l’aspect que Captain America devrait avoir dans ce film, et convenu qu’il serait judicieux de ne pas le faire évoluer dans un uniforme aussi moulant que celui d’AVENGERS, compte tenu du contexte plus sombre du SOLDAT DE L’HIVER. Je crois que la tenue que porte notre héros dans cette aventure met son physique en valeur tout en étant crédible et vraiment très chouette. Elle convient parfaitement à un Captain America qui agit dans le monde actuel.

Avez-vous créé des décors particuliers pour les scènes qui montrent ce qui est arrivé à Bucky après son accident, et comment il a été transformé en soldat de l’hiver ?

En fait, on ne voit pas en détail comment cette métamorphose a lieu : elle est évoquée par le biais d’un montage qui joue davantage sur des effets graphiques que sur la description de détails précis. Il y avait une chambre d’hibernation et une salle de greffe de prothèses cybernétiques dans une autre version du script. Elles faisaient partie d’un complexe souterrain secret situé au Groenland, et c’est là que l’on devait montrer la transformation de Bucky. Mais le coût de la construction de ces deux décors était bien trop élevé par rapport à la brièveté de cette séquence de flashback. Il fallait faire des choix et décider où investir au mieux notre budget pour raconter notre histoire, et ces scènes ont été coupées. Nous n’avons pas donc créé de décors pour le montage qui apparaît dans le film. Les environnements que l’on entrevoit sont réalisés en 3D, et nous découvrons le soldat de l’hiver tel qu’il est devenu.

Pouvez-vous nous parler des décors des quelques scènes de flashbacks qui se déroulent pendant la seconde guerre mondiale ? Avez-vous eu accès aux éléments de décors et aux accessoires qui avaient été construits en Angleterre pour CAPTAIN AMERICA, LE PREMIER AVENGER ?

Oui, nous avons eu accès à tout cela, car Marvel est très méticuleux, et comme beaucoup de studio, prend soin de récupérer tous les éléments de décors et les accessoires qui peuvent être réutilisés. Mais en fait, ces accessoires-là n’ont pas été utilisés seulement comme on pourrait le croire, car il y a dans le film une scène où Steve Rogers se rend incognito dans le célèbre musée du Smithsonian, qui présente une exposition consacrée à Captain America. Nous avons donc réutilisé dans ce contexte des costumes et des accessoires qui permettent à Steve de revivre son passé, et qui rappelle au public toute l’histoire du héros de guerre qu’il a été. En ce qui concerne les décors que nous avons préparés pour les scènes de flashbacks dans les années 40, il y a une évocation de Brooklyn et de l’amitié entre Steve et Bucky pendant leur jeunesse.

Certaines idées de décors développées pour ce film mais finalement écartées pourraient-elles réapparaître dans CAPTAIN AMERICA 3, que les frères Russo vont réaliser ?

Il y a effectivement des idées que nous aimions beaucoup et auxquelles nous avons du renoncer, ce qui est toujours un crève-cœur. Au moment où nous parlons, je ne sais pas encore dans quelle direction Kevin Feige, Anthony, Joe et toute l’équipe de Marvel vont avoir envie d’aller dans CAPTAIN AMERICA 3. Tout dépendra de l’accueil qui sera réservé à cet épisode. Mais peut-être parviendrons-nous à ressusciter certaines de ces idées, qui sait ?

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