Entretien exclusif avec le superviseur des cascades James Armstrong et avec William Spencer ; la doublure cascades d’Andrew Garfield dans THE AMAZING SPIDER-MAN 2, LE DESTIN D’UN HEROS – 4ème partie
Article Cinéma du Lundi 05 Mai 2014
Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau
L’expérience du clan Armstrong dans le domaine des cascades est impressionnante…Votre père Andy, votre oncle Vic sont des légendes de la profession, et vous suivez brillamment leurs traces…
James Armstrong : Merci ! C’est vrai que depuis mon enfance, je baigne dans cette ambiance et cette tradition familiale. Les enfants de Vic sont eux aussi dans le métier, et nous sommes tous passés par les mêmes phases : assistants de nos pères pour les aider dans des petites tâches et apprendre le métier, puis cascadeurs, et superviseurs de cascades. Le temps est passé très vite et je suis devenu père à mon tour…Je sais que j’ai énormément de chance de faire partie de cette compagnie familiale, et je me rends compte davantage de l’importance de la transmission du savoir de génération en génération depuis que je suis marié et que j’ai un enfant. Même dans mes souvenirs lointains de ma petite enfance, j’ai toujours eu envie de travailler dans le cinéma et de participer à des films.
Travaillez-vous souvent en tandem avec votre père ?
James Armstrong : Nous travaillons séparément sur des productions de taille moyenne, et ensemble sur des superproductions, car les tâches à accomplir sur les gros films sont si nombreuses et réparties sur tellement de plateaux qu’une seule personne ne peut pas tout superviser. Il faut travailler au moins avec un superviseur principal plus un ou deux co-superviseurs. THOR, LE MONDE DES TENEBRES est le premier film que mon père et moi avons co-supervisé ensemble. Cela a été une superbe expérience.
Allez-vous travailler ensemble aussi sur le show MARVEL UNIVERSE LIVE, que l’on pourra voir dans les grandes arènes de spectacle, aux USA d’abord, puis en Europe ?
James Armstrong : Non, je ne crois pas. J’aurai déjà beaucoup de travail à faire sur les films et les séries à venir, comme AGENTS OF S.H.I.E.L.D. sur laquelle je suis intervenu récemment, sur les épisodes 2 à 7 de cette saison.
Diriez-vous qu’il y a plus d’effets spéciaux réalisés en direct dans ce volet d’AMAZING SPIDER-MAN que dans le précédent ?
James Armstrong : Beaucoup plus. Cet épisode a une plus grande ampleur que le précédent. C’est un tournage à grande échelle, et c’était incroyable de travailler sur un tel projet. Il faut garder la tête froide, ne pas se laisser dépasser par tout ce que l’on a à faire, et passer d’une tâche à une autre. A peine avez-vous fini de superviser une scène d’action importante et potentiellement dangereuse que vous vous rappelez que la prochaine est encore plus complexe et plus risquée ! (rires) Je peux vous dire que quand j’arrive à la fin de la semaine, et que je peux arracher et déchirer les feuilles de tournage avec la liste des scènes de cascades qui ont été filmées, je le fais avec un immense bonheur ! Bien sûr, il arrive aussi que l’on soit obligé de tourner à nouveau une action parce que tout n’a pas marché aussi bien que prévu. On fait alors deux pas en avant et un pas en arrière. Mais dans la plupart des cas, tout se passe bien dès les premières prises, grâce aux répétitions que nous faisons auparavant de notre côté.
Vos cascades sont mêlées à des effets pyrotechniques…
James Armstrong : Oui, il y a beaucoup d’explosions et de flammes. Le directeur de la photographie Dan Mindel a conçu des prises de vues fantastiques. Le film a été tourné en 35mm, et à bénéficié d’un éclairage superbe. Je suis impressionné par la manière dont les grands directeurs de la photographie comme Dan arrivent à donner un style très particulier à leurs images en prenant des décisions audacieuses. C’est une manière de travailler qui devient plus rare de nos jours, car beaucoup de chefs opérateurs ont tendance à miser sur la sécurité, en plaçant des éclairages qui montrent tout. Dan Mindel a fait des choix très originaux, qui ont été validés par Marc Webb et qui ont donné des résultats sensationnels.
Le premier combat qui oppose Electro, encore un peu déboussolé, à Spider-Man au centre de la place de Time Square à New York est très spectaculaire. Comment avez-vous travaillé avec Jamie Foxx et ses doublures cascades pour tourner ces scènes ?
James Armstrong : Nous avons réalisé de nombreux tests pour établir la meilleure manière de le faire voler.
William Spencer : Le problème aujourd’hui, c’est que l’on voit des superhéros voler dans énormément de films : dans X-MEN LE COMMENCEMENT, MAN OF STEEL, THOR LE MONDE DES TENEBRES, etc… Il devient de plus en plus difficile de trouver une manière originale de déplacer un acteur dans les airs.
James Armstrong : Marc en était conscient et nous a demandé de nous différencier de ce que l’on avait vu récemment dans ces autres films. Nous avons donc passé plusieurs semaines à développer une machinerie et un système d’attache pour Jamie, avant même que sa doublure cascade soit choisie. Le système que nous avons mis au point fonctionne avec des câbles reliés à un harnais et un ensemble de treuils. Nous pouvions manipuler Jamie ou sa doublure un peu comme une marionnette à fil, par exemple en levant un peu plus ses jambes par rapport à son corps, comme s’il prenait appui sur les éclairs qui en sortent pour s’élever. En jouant avec les différents câbles et avec les attitudes de Jamie, nous sommes arrivés à établir une certaine gestuelle d’Electro quand il se déplace.
Le système que vous décrivez a l’air assez complexe. Vous en serviez-vous surtout pour tourner des plans en studio, ou pouviez-vous l’employer aussi pendant les tournages en extérieurs ?
James Armstrong : Nous avons simplifié les choses pour les tournages en extérieurs, de manière à filmer ces plans plus rapidement. Il n’y avait plus qu’un seul câble fixé à une grue, qui permettait de faire monter et descendre Jamie, et aussi de le déplacer latéralement sans système de travelling. Plan par plan, nous soumettions nos suggestions à Marc chaque soir précédant une cascade et vérifiions que nous étions bien en phase avec ce qu’il souhaitait.
Vous êtes-vous chargé aussi des destructions provoquées par les éclairs que projette Electro ?
James Armstrong : Nous avons collaboré avec le département des effets spéciaux, qui avait placé des charges explosives et des systèmes produisant des étincelles dans les endroits du décor où étaient sensés aboutir les impacts des éclairs. Au signal donné par les gestes de Jamie ou de sa doublure cascade, ils déclenchaient les explosions et les effets d’étincelles voulus, qui étaient embellis ensuite par le département des trucages numériques.
William Spencer : Déplacer Jamie n’était pas toujours évident, car il y avait des tas de fils électriques qui pendaient sous lui et qui étaient reliés aux LEDs disséminées un peu partout dans son col et sur la face intérieure de sa capuche, afin de donner un aspect lumineux à son visage.
Jamie Foxx a-t-il effectué beaucoup de cascades lui-même ?
James Armstrong : Assez pour que Marc Webb, les producteurs et les dirigeants du studio soient préoccupés à l’idée que nous lui demandions de faire tout cela ! (rires) Il y a notamment une scène où Electro est précipité vers un des écrans de télé géants qui sont fixés sur les immeubles de Time Square et s’encastre dedans. Il reste K.O. pendant quelques instants, puis s’en extrait en volant. Les gens du studio et les producteurs nous demandaient « Mais comment va-t-il pouvoir faire cela ? Est-ce que ce ne sera pas trop difficile, ni trop pénible ? » C’est normal que l’on se fasse du soucis pour les acteurs du film et que l’on veille à leur sécurité et leur confort. Il faut apprendre à les connaître, puis établir des liens de confiance avec eux.
William Spencer : Quand on joue en étant suspendu par un harnais, c’est toujours désagréable et douloureux, car plus longtemps on reste en l’air, plus on sent la pression des sangles.
James Armstrong : On surveille constamment l’acteur pendant ces moments-là, et dès qu’on le peut, on le fait redescendre pour lui permettre de s’asseoir et de se reposer. Je dois dire que Jamie a été formidable pendant le tournage des cascades. C’est un garçon qui est en très bonne forme physique et qui a su rester simple en dépit de son succès. Il est sympathique, détendu et garde toujours son sang froid. Il ne se plaint pas, mais quand nous sentons qu’il est épuisé à la fin d’un longue journée, plutôt que de le suspendre avec le harnais et les câbles, nous allons voir le réalisateur pour lui suggérer de placer Jamie debout et solidement attaché sur une grue, en ne cadrant que le haut de son corps pour tourner les derniers plans moyens. Nous sommes attentifs au bien-être des acteurs tout en trouvant des solutions qui conviennent au réalisateur, afin que tout le monde se sente bien sur le plateau et travaille dans les meilleures conditions possibles.
Les harnais que vous utilisez sont-ils fabriqués sur mesure pour chaque acteur et pour sa doublure cascade ?
James Armstrong : Absolument. Nous prenons leurs mensurations et notre équipe de couture les fabrique. Dans le cas d’Andrew et de William, nous avons même réalisés des moulages de leur corps. Les harnais sont constitués de pièces de nylon extrêmement résistantes, de morceaux de coton, de différentes fibres, et il y a un peu partout des lanières avec des boucles métalliques sur lesquelles on peut venir accrocher les boucles des câbles. Nous pouvons suspendre les gens dans des tas d’axes différents pour les torturer ! (rires)
Vous parliez tout à l’heure des chefs opérateurs qui prennent des décisions artistiques audacieuses. Mais quelles sont les meilleures manières de filmer une cascade, pour la rendre la plus impressionnante possible sur le grand écran ?
James Armstrong : C’est une question capitale, que nous nous posons chaque jour, en abordant la préparation de chaque scène que l’on nous confie. Evidemment, tout dépend de la cascade. Je dirais que ces derniers temps, les gens ont tendance à s’appuyer sur des montages trop serrés, avec des plans ultra-courts. Ce style de prise de vues s’accompagne aussi de mouvements de caméra rapides qui tremblent en suivant l’action. Personnellement, je pense que les gens en ont assez et ont envie de mieux voir ce qui se passe pour bien suivre le déroulement de la scène.
Absolument ! Cette attitude va à l’encontre de votre travail en le rendant moins lisible. De plus, elle est typique des films dans lesquels on ne veut pas montrer en détail ce qui se passe, tout simplement parce qu’il n’y a pas grand’chose d’intéressant à voir
James Armstrong : Oui, c’est souvent le cas ! Mais il arrive aussi que l’inverse se produise, et que l’impact de très belles actions que l’on aurait gagné à filmer normalement soit affadi par le choix des prises de vues et le rythme du montage. Un de mes amis a réglé les combats de THE DARK KNIGHT RISES et il a été terriblement frustré de voir la façon dont ces scènes avaient été montées dans le film. Il faut laisser au public le temps de suivre un action, le temps de respirer, et la meilleure manière d’y parvenir est de placer la caméra là où l’on obtiendra le meilleur ressenti de la scène.
William Spencer : Il faut aussi réfléchir dès le départ à quels moments on va couper et changer d’angle. Et à ceux où on va faire sortir l’acteur principal du cadre une seconde et faire entrer sa doublure pour qu’elle effectue une cascade plus dangereuse. Ce sont des « trucs » simples mais qui apportent beaucoup de crédibilité aux scènes d’action, car le public croit que l’acteur principal fait toutes ses cascades.
James Armstrong : C’est une manière de procéder à laquelle nous tenons beaucoup, mon père, mon oncle et moi. Et c’est la raison pour laquelle nous passons énormément de temps à préparer les cascades puis à les filmer pour les présenter sous cette forme au réalisateur, en ayant déjà résolu la plupart des problèmes de tournage, et en ayant testé puis trouvé les angles les plus efficaces pour décrire l’action. Nous avons eu la chance que les chefs opérateurs aiment beaucoup nos tests vidéo et adoptent nos idées avec enthousiasme. C’est très rassurant pour eux, pour le réalisateur et pour les producteurs de limiter ainsi au minimum les imprévus pendant le tournage des séquences d’action.
Vous arrive-t-il souvent de collaborer aussi avec le chef opérateur pour peaufiner les mouvements de caméras pendant une cascade ?
James Armstrong : Oui. Je l’ai souvent fait avec Colin Anderson, qui travaille sur ce film et qui est l’un des meilleurs chefs opérateurs au monde. Par exemple, je faisais un test de cascade en compagnie de Colin pour une scène où Jamie est supposé tomber. En voyant le résultat des premières prises de vues vidéo, nous nous sommes dits que ce serait encore plus spectaculaire si la caméra pouvait accompagner Jamie, et tomber avec lui sans que l’on utilise des effets 3D. Mark a adoré cette idée et nous avons fabriqué une plateforme accrochée à des câbles où étaient placées trois caméras et un opérateur. Au signal donné, la plateforme et Jamie faisaient une chute de près de 12 mètres, avec une décélération rapide dans les 4 derniers mètres pour amortir l’arrêt. Il fallait que opérateur ait le cœur bien accroché mais il a parfaitement fait son travail. Marc et les producteurs ont adoré ce plan ! L’essentiel de la scène était déjà sur la pellicule, il n’y avait plus que des petites retouches et embellissements à ajouter numériquement. Tout cela est un travail d’équipe très gratifiant.
Pouvez-vous nous donner d’autres exemples de cascades filmées grâce à des innovations techniques ?
James Armstrong : Volontiers. Par le passé, quand on tournait une action avec une voiture qu’un acteur est sensé conduire, on filmait en plans larges un cascadeur habillé et coiffé comme l’acteur qui conduisait le véhicule. D’autre part, on plaçait l’acteur principal dans une voiture identique posée sur une remorque, et on le filmait pendant que ce dispositif roulait.. Bien entendu, les plans obtenus avec la remorque étaient beaucoup plus lents et statiques que les premiers, et la différence sautait aux yeux. L’une des techniques que nous utilisons pour éviter cela consiste à greffer sur le véhicule une sorte de capsule de commande extérieure avec un siège, un volant, un levier de vitesse et un frein. Cette capsule est déportée sur le côté ou sur le toit du véhicule, et le pilote de précision s’installe dedans pour diriger l’automobile, pendant que l’acteur dans l’habitacle fera semblant de conduire tout en se concentrant sur ce qu’il a à jouer. Du coup, la scène paraît totalement réaliste. Il y a aussi un autre équipement que nous aimons beaucoup, une grue articulée qui permet de bouger la caméra et qui est fixée sur le toit d’une Porsche Cayenne. C’est ce que nous appelons « Le bras de poursuite ». En roulant à côté de la voiture où se trouve l’acteur et en déplaçant le bras, on peut filmer le comédien de profil dans l’habitacle, ou de face au travers du pare-brise, puis s’écarter pour voir une action se dérouler en plan large sans avoir à arrêter la prise.
William Spencer : C’est très important d’avoir fait ces tests et de savoir tout ce que l’on peut faire avec les équipements qui sont à notre disposition, car au cinéma et plus encore à la télévision, il faut tourner vite et bien, en sachant exactement où placer la caméra pour obtenir le meilleur résultat.
James Armstrong : C’est une garantie de bons résultats pour nous, même s’il peut nous arriver d’intervenir sur des films dont la préparation manque de précision. Heureusement, ce n’est pas du tout le cas de AMAZING SPIDER-MAN 2, qui a été planifié avec soin, et dont les scènes sont très bien filmées.
William Spencer : Je dois dire qu’il y a vraiment un bon esprit et un respect mutuel qui règnent au sein de l’équipe. C’est très agréable.
Comment le travail sur les effets de destruction est-il réparti entre vous et l’équipe chargée des effets spéciaux de plateau ?
James Armstrong : Si l’on doit tourner une scène où un véhicule roule au travers d’une boule de feu, l’équipe des effets spéciaux va gérer les flammes et les explosions, et nous préparons l’action avec le véhicule et le pilote de précision, en faisant en sorte qu’il soit en sécurité. La répartition des tâches a lieu pendant les réunions préparatoires, quand Marc Webb nous montre les animatiques ou les storyboards qui ont été préparés pour les scènes. De notre côté, nous montrons les séquences vidéo test que nous avons tournées. Nous discutons tous de la meilleure manière de tourner cela. Marc nous donne des indications complémentaires pour modifier ou affiner ce que nous avons testé en vidéo, et à l’issue de la conversation, chaque partie du travail est attribuée aux différentes équipes.
De même, comment les tâches sont-elles réparties entre vous et le département des effets visuels ?
James Armstrong : Dès le début de la préparation d’un film comme celui-ci, le producteur des effets visuels analyse attentivement le script, et recense les plans qui vont nécessiter des trucages numériques afin d’estimer le budget qui devra leur être alloué. Mais par la suite, pendant les réunions avec le réalisateur, il peut arriver que l’on se dise qu’un plan que l’on avait prévu de créer en 3D pourrait être tourné avec des cascades et seulement quelques retouches numériques comme l’effacement des câbles qui soutiennent les acteurs ou l’assemblage de deux prises pour n’en faire qu’une, comme un acteur filmé au milieu d’une rue vide, puis un autre plan sans acteur et avec des voitures qui roulent à toute allure, pour obtenir une scène du comédien au beau milieu du trafic. Les différentes équipes qui se retrouvent autour de la table – les effets visuels, les effets spéciaux de plateau et nous pour les cascades – font toutes des propositions valides, sans essayer d’accaparer un plan à leur profit, au détriment des autres. Chacun respecte les compétences et l’apport des autres départements.
La suite de ce Spider-Dossier paraîtra bientôt sur ESI !