Entretien exclusif avec Doug Liman, réalisateur de THE EDGE OF TOMORROW - 2ème partie
Article Cinéma du Dimanche 15 Juin 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Les séquences de bataille du film sont très impressionnantes. Il y a des dizaines de navettes qui tentent de se poser sur la plage et de faire descendre les soldats équipés d’exosquelettes, certaines explosent en vol, les engins et les soldats aliens surgissent partout, bref, c’est le chaos total. Comment avez-vous chorégraphié tout cela afin que ce soit lisible à l’image et facile à suivre ?

J’ai eu la chance de travailler depuis le tournage de MR AND MRS SMITH avec un réalisateur de seconde équipe très brillant, Simon Crane. Simon a tenu les mêmes fonctions sur IL FAUT SAUVER LE SOLDAT RYAN, c’est lui qui a tourné la plus grande partie des scènes du débarquement de ce film. Il a également travaillé sur les grandes batailles de TROIE. Je dois dire que j’avais largement sous-estimé la complexité du tournage de la scène de débarquement de notre film. Au départ, nous étions sensés la filmer sur la plage de Saunton Sands, qui se trouve à cinq heures de Londres. C’est sur cette plage qu’à eu lieu la répétition des manœuvres du débarquement en 1944, car elle ressemble énormément aux plages de Normandie. Elle a la particularité d’être l’une des seules plages sur lesquelles on a le droit de conduire des véhicules et de tourner des explosions, parce que les militaires continuent à s’entraîner sur ce site. C’était comme si notre rêve avait été exaucé, parce que d’habitude, il y a toujours des mesures de protection de la nature très strictes qui s’appliquent aux plages, parce qu’on n’a pas le droit de s’approcher des zones où les oiseaux installent leurs nids et pondent, et qu’on essaie aussi de limiter tout risque de pollution. Nous avions donc prévu de tourner là-bas pendant deux semaines au grand maximum. Mais en vérifiant à l’avance les moyennes des précipitations pendant la période qui était prévue pour le tournage, nous avons compris que le climat anglais souvent humide risquait de transformer ces deux semaines en fiasco, car une fois installés sur place, s’il se mettait à pleuvoir, nous n’aurions pas la possibilité d’éviter de perdre du temps en allant filmer d’autres scènes en studio. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de reconstituer la plage sur les terrains à ciel ouvert des studios de Leavesden. Il s’agissait du plus grand décor que j’aie jamais fait construire. C’était une « vraie » plage, avec un océan ! Nous nous sommes félicités d’avoir pris cette décision, car au lieu des deux semaines de tournage qui étaient prévues, nous avons filmé ces scènes pendant six semaines. Nous avons commencé à tourner en octobre, et quand nous avons voulu réaliser les dernières prises de vues dans ce décor en décembre, il était totalement blanc car il avait été recouvert par la neige pendant la nuit ! (rires) Je me souviens que mon assistant s’est tourné vers moi et m’a dit « Je pense que c’est un message de Mère Nature pour nous faire comprendre que nous avons tourné bien trop longtemps dans ce décor, et qu’il est temps de finir ! » (rires) Les équipes des effets spéciaux ont utilisé des grands chalumeaux pour faire fondre la neige et ramollir le sable. Et après avoir tourné ce dernier plan, nous avons obéi à Mère Nature et déclaré que cette séquence était terminée !

L’une des tendances actuelles des studios est de produire de remakes des grands succès de la SF des années 80, comme TOTAL RECALL, THE THING ou ROBOCOP. Avez-vous senti que ce désir de se sécuriser en misant sur des remakes existait quand vous avez commencé à travailler sur THE EDGE OF TOMORROW, qui est un sujet original ?

Un studio est plus inquiet quand il mise sur un sujet complètement original, c’est indéniable. Mais la Warner a été courageuse et nous a dit dès le début qu’elle était convaincue qu’il y avait de la place sur le marché pour un film qui ne serait pas une suite, et qui serait différent des autres films de SF récents. Le service marketing se sentait en mesure de bien « vendre » le film. En même temps, le studio m’a annoncé qu’il ne me donnerait pas autant d’argent que ce que l’on pouvait estimer être le coût du film à la lecture du script, tout simplement parce que nous pouvions tous nous tromper ! Il lui fallait donc limiter ses risques en limitant le budget qu’il allait nous confier. Pour nous, c’était un pari audacieux, mais nous l’avons relevé. Nous avons commencé à tourner le film avec ce budget réduit, puis j’ai préparé un montage d’environ une heure de scènes que nous avons projeté aux dirigeants de Warner. J’ai un producteur vraiment formidable, Erwin Staff, qui a dit aux cadres du studio « Nous ne vous montrons pas cela simplement pour vous divertir. Sachez que juste après la projection, nous aurons quelque chose à vous demander. » Et quand les lumières se sont rallumées, nous leur avons expliqué ce que nous pourrions faire si le studio nous donnait un peu plus d’argent. Heureusement, la Warner a accepté, cela nous a permis d’ajouter les séquences que nous souhaitions, et nous les avons tournées. Quand nous sommes revenus avec de nouvelles scènes à montrer, nous avons expliqué au studio que THE EDGE OF TOMORROW était un film qui pouvait plaire à un public très large, et pas seulement au public masculin des ados et des jeunes adultes. Nous avons fait valoir que cette histoire n’est pas un récit d’invasion extraterrestre comme on a pu en voir d’autres : c’est surtout une histoire d’amour qui se passe derrière les lignes ennemies. En découvrant les nouvelles scènes avec Tom et Emily, les dirigeants du studio ont été d’accord et nous ont accordé une rallonge de budget supplémentaire. Et a présent, je peux vous dire que les toutes premières projections-tests qui ont été faites ont confirmé notre avis : les femmes aiment encore plus le film que les hommes. Ce qui prouve que le film a séduit un public féminin qui n’est pas forcément acquis d’emblée à la SF : il est sorti du cadre de son genre cinématographique pour devenir plus universel.

Savez-vous pourquoi Tom Cruise n’a pas hésité à jouer à nouveau dans un film de Science-Fiction juste après OBLIVION ?

Tom a tourné d’abord OBLIVION, puis THE EDGE OF TOMORROW. Je crois que sa décision est due au fait que même si ces deux films appartiennent au registre de la SF, ils sont totalement différents l’un de l’autre, narrativement et visuellement. De plus, OBLIVION est sorti bien longtemps avant nous. Bien sûr, nous aurions été plus inquiets si les deux films s’étaient retrouvés en compétition au même moment dans les salles, mais cela n’a pas été le cas. Tom ne prend jamais une décision basée sur la crainte. En lisant le script, il a dit « Je pense que c’est l’occasion de participer à un excellent film de SF, alors je suis partant ! »

Quelles ont été les suggestions de Tom Cruise et d’Emily Blunt à propos de leurs personnages ? Et d’autre part, révélez-vous les motivations qui ont poussé les extraterrestres à attaquer la terre ?

Non, nous ne révélons pas les raisons de l’attaque des aliens, parce que ce sont des êtres totalement différents de nous, mystérieux et incompréhensibles. Il est impossible de parvenir à établir un lien parce qu’ils ne parlent jamais, ils tuent. On peut toujours tenter de déduire pourquoi ils agissent ainsi en rassemblant des indices. Mais parvenir à comprendre leur mental, leurs raisons, est définitivement impossible. Et en ce qui concerne le développement des personnages de Tom et d’Emily , j’ai procédé comme à mon habitude en faisant des répétitions intensives des scènes avec les acteurs. Le casting est comme le prolongement du processus de l’écriture. Quand les comédiens sont choisis, nous répétons les scènes ensemble et nous les réécrivons, nous répétons encore et nous faisons des retouches supplémentaires, et ainsi de suite. J’ai commencé à procéder ainsi sur LA MEMOIRE DANS LA PEAU, car le script n’était pas prêt quand le tournage a commencé. Nous avons travaillé avec Matt Damon pour développer le personnage de Jason Bourne et finaliser le scénario tout en filmant. En fin de compte, nous avons réussi à créer un personnage très fort pour Matt, mais je dois avouer que je n’ai vraiment compris comment le traiter et le présenter qu’au moment où nous filmions les plans additionnels.Je filmais Matt avec une très longue focale, en plan beaucoup plus serré que je ne l’avais fait auparavant, et sa performance d’acteur était si intense et si sensible que j’ai réalisé que tout son personnage était là. Je suis allé le voir et je lui ai dit que ce qu’il venait de faire était la clé de tout le reste du film. Nous avons continué à tourner des plans additionnels, et grâce au montage, nous avons réellement créé le personnage à ce moment-là. Dans le cas de THE EDGE OF TOMORROW, nous avons disposé d’assez de temps de préparation pour pouvoir créer les personnages de Tom et d’Emily avec eux, pendant les répétitions. Mais encore une fois, c’est grâce au montage que nous avons apporté les dernières touches au personnage de Tom.

On sait que Tom Cruise est une vedette hyperactive. Comment les choses se sont-elles passées avec lui sur le tournage?

Pendant le premier jour de tournage, nous avons filmé une scène de jogging où le sergent que joue Bill Paxton entraîne l’escadron dont il a la charge. Nous avons tourné dans l’aéroport d’Heathrow, dont nous avions transformé trois sections entières en base militaire. L’équivalent de trois portes d’embarquement. Vous voyez le temps que l’on passe à marcher pour franchir l’espace de trois portes d’embarquement : c’est une très longue distance. Eh bien nous avons fait courir Tom, Bill Paxton et tous les acteurs qui jouaient les soldats sur cette distance, avec leur harnachement militaire, en les filmant avec deux caméras. Quand ils sont arrivés tout au bout, si loin qu’on ne pouvait plus les entendre, j’entendais encore la voix de Tom captée par son micro sans fil. Il s’est adressé à Bill, aux huit acteurs et aux cinquante figurants du groupe et leur a dit « J’ai cinquante ans. Essayez de voir si vous pouvez me rattraper ! » et il s’est mis à courir aussi vite que possible pour revenir au point de départ ! (rires) Il n’a été battu au finish que par un seul acteur, qui avait 18 ans ! Tom a réussi ainsi à faire revenir tout le monde en place en une minute pour tourner la seconde prise. Paxton est arrivé tout essouflé en disant « J’ai cinquante sept ans et je ne suis pas sûr de pouvoir continuer à faire ça ! » (rires). D’emblée, Tom a réussi à établir un climat qui était « investissons toute notre énergie pour que ce film soit le meilleur possible ». Après cela, même moi je me mettais à courir pour aller aux toilettes et revenir, afin de perdre un minimum de temps ! Je crois que l’on se rend compte de cette volonté de se dépasser qui a animé l’équipe quand on voit le film.

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