A l'occasion de la sortie en Blu-ray de Godzilla, entretien exclusif avec le réalisateur Gareth Edwards - 2ème partie
Article Cinéma du Jeudi 09 Octobre 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Comment avez-vous préparé et mis en scène les combats de monstres, et les interactions entre l’armée et les créatures, comme ce moment ou la flotte de l’US Navy se retrouve face à Godzilla, près des côtes de Hawaï ?

Eh bien nous avons essayé d’imaginer des situations qui seraient sensationnelles à voir sur le grand écran. Des scènes très impressionnantes par leur ampleur, qui puissent vous donner la chair de poule. L’écriture a été une phase du développement du film particulièrement agréable car nous avons imaginé une liste de scènes complètement délirantes comme celle que vous venez de citer, en nous disant ensuite qu’on n’arriverait probablement jamais à les concrétiser parce qu’elles coûteraient beaucoup trop d’argent. A notre grande surprise, nous avons appris que grâce au budget investi par Legendary Pictures et par Warner, nous allions pouvoir faire pratiquement tout ce que nous avions rêvé ! C’était inespéré et assez incroyable… Comme nous avions désormais carte blanche, nous avons continué à concevoir de grandes séquences, et nous sommes passés à la phase de la prévisualisation en animation 3D schématique. De cette manière, nous avons disposé en quelques semaines des prévisualisations des principales scènes du film, ce qui a permis à l’équipe de production de comprendre exactement comment étaient les plans que nous avions imaginés et comment nous voulions les mettre en scène. Après cela, on a pu déterminer les moyens techniques et artistiques nécessaires pour filmer tout cela et pour assurer la postproduction. Je dois avouer qu’avant de me frotter à cet exercice, j’ai craint que le processus de previz ne vole l’âme du film, car c’est bizarre de réaliser un film en 3D plusieurs mois avant d’avoir rencontré les acteurs ! (rires) Cela semble tout figer avant même que l’on puisse créer le film avec les comédiens… J’ai découvert ensuite que je me trompais, car travailler sur la previz ressemble beaucoup à un tournage « à l’arrachée » réalisé rapidement, caméra à l’épaule. On est assis à côté d’un animateur et on lui raconte ses idées qui prennent forme rapidement dans l’ordinateur. On affûte ainsi ses idées, et cela ne vous empêche pas de continuer à les développer ensuite avec les acteurs. C’est juste une base très utile pour communiquer avec toutes les autres personnes et leur expliquer le film que vous voulez réaliser. Et c’est un outil particulièrement précieux pour faire comprendre des idées visuelles difficiles à expliquer sur le papier. Quand vous ne disposez que d’un script, il est souvent difficile de faire visualiser aux dirigeants d’un studio la manière dont vous concevez les grandes scènes d’action. En revanche, quand vous avez préparé une previz, il vous suffit d’appuyer sur le bouton « lecture », et tout le monde visionne ce que vous avez imaginé et comprend vos intentions. Et là, quand les patrons du studio vous disent « Super. Allez-y, tournez le film comme ça ! », vous disposez d’une liberté formidable. Grâce à cette validation des prévisualisations, les séquences du film achevé sont pratiquement identiques aux scènes de previz que j’avais conçues, car j’ai bénéficié d’une liberté créative totale pendant le tournage.

Vous avez débuté votre carrière dans la création d’effets visuels. Cette expérience vous a-t-elle beaucoup aidé à réaliser MONSTERS, puis à chercher un sujet de second film ?

Oui. Quand nous avons tourné MONSTERS, nous n’étions que cinq personnes qui se déplaçaient ensemble en camionnette pour tout faire. Nous étions tous « multifonctions » ! (rires) Et pendant le long voyage qu’à été ce tournage, nous parlions souvent de ce que nous aimerions faire si nous avions la chance que MONSTERS soit bien accueilli. Les comédiens disaient qu’ils espéraient se faire remarquer et obtenir d’autres rôles au cinéma, et moi je me disais que ces deux à trois ans d’efforts seraient déjà bien récompensés si on me confiait ensuite des téléfilms à réaliser en Angleterre. Je ne m’attendais absolument pas à ce que le succès de MONSTERS m’amène un projet aussi colossal que GODZILLA. Si vous m’aviez dit cela à l’époque, je vous aurais pris pour un fou ! Bien sûr, j’ai eu une grosse responsabilité sur les épaules, mais les exigences du studio et les attentes des fans n’étaient rien comparé à la pression que je me suis imposée à moi-même pour faire le meilleur film possible. C’était une occasion exceptionnelle et je n’avais pas le droit de rater mon coup. Il n’y a pas de moyen de répéter les grandes étapes de votre vie, et comme j’ai toujours voulu réaliser des films, c’était ma grande chance de créer un divertissement qu’un très grand nombre de spectateurs pourrait aller voir. Je voulais présenter au public la meilleure expérience cinématographique de deux heures que l’on puisse apprécier tout en mangeant du popcorn ! (rires) Et au fond, la pression que l’on ressent quand on vous donne votre chance est toujours la même, quel que soit le budget dont vous disposez.

Avez-vous eu cependant un petit moment d’hésitation avant d’accepter de réaliser un second film consacré à des monstres géants ?

J’ai été rapidement rassuré en rencontrant l’équipe de Legendary Pictures et en discutant du projet avec elle. Je n’avais pas envie de réaliser un blockbuster superficiel, écrit à la va-vite , et que l’on oublie une heure après l’avoir vu en salle. C’est la raison pour laquelle, quand Legendary m’a demandé quelle était ma vision de GODZILLA, j’ai dit que je voulais le traiter de manière totalement sérieuse, épique, et émouvante. Par bonheur, Legendary avait exactement la même intention. C’est pour cela que nous avons souhaité travailler ensemble. Bien sûr, il est facile de s’accorder sur des mots échangés dans une salle de réunion, mais il est bien plus complexe de les concrétiser en un script qui atteigne tous ces objectifs. Nous nous sommes donnés un an pour développer un scénario, et à l’issue de ce processus, nous avons obtenu une version dont nous étions tous complètement satisfaits.

La saga japonaise de Godzilla est composée de 28 films, et a inspiré aussi CLOVERFIELD. Avez-vous visionné certains de ces films pour rechercher des sources d’inspiration quand vous avez commencé à travailler sur GODZILLA ?

Oui, mais je suis allé au-delà, car pour moi, LES DENTS DE LA MER sont aussi un film de monstre, comme JURASSIC PARK. Je pense que j’ai du voir l’un et l’autre de ces films une bonne centaine de fois ! En ce qui concerne les films de la Toho, j’ai « fait mes devoirs » et j’en ai vu beaucoup pour être sûr d’avoir bien compris quels étaient les ingrédients que les fans de la série s’attendaient à retrouver dans mon film. Mais je ne voulais pas recopier ce qui avait été fait auparavant, car notre but était de réinventer Godzilla pour l’adapter au public d’aujourd’hui, comme Christopher Nolan l’avait fait si brillamment avec BATMAN. Après les deux premiers Batman assez sérieux réalisés par Tim Burton , il y a eu deux autres épisodes parodiques qui ont malheureusement terni l’image du personnage au cinéma. Heureusement, Nolan lui a fait retrouver son éclat dans ses films que je trouve remarquables. Notre but est de suivre très humblement sa démarche en traitant Godzilla sérieusement. Je crois que si on procède ainsi, on obtient une histoire vraiment étonnante. Si on imagine que des créatures aussi gigantesques pourraient surgir un jour et venir ravager nos grandes cités, ce serait sans aucun doute l’un des évènements les plus marquants de toute l’histoire de l’humanité. Le tout est de trouver le moyen de présenter cela de la manière la plus crédible possible, sans jamais succomber à la tentation d’insérer de l’ironie ou du second degré. D’ailleurs, nous avions tellement cette crainte en tête qu’en préparant certaines scènes de grande ampleur, il nous est arrivé de nous dire « Ah, là nous sommes certainement allés un peu trop loin. Les gens vont trouver que c’est délirant et ils vont peut-être se mettre à rire en voyant ces images… » Mais nous avons constaté qu’en faisant tous les efforts nécessaires à chaque étape pour traiter ces scènes folles comme si elles se déroulaient vraiment dans la réalité, on arrive à obtenir un résultat crédible qui fonctionne bien quand on projette ces scènes à un public test.

A propos de crédibilité, Godzilla crache-t-il encore des flammes « nucléaires » dans ce film ? C’est une de ses caractéristiques les plus difficiles à rendre réaliste…

Oui, en effet ! Je préfère ne pas gâcher le plaisir de vos lecteurs en vous répondant directement, car en tant que fan, je suis ravi d’avoir des surprises quand je vais découvrir un film en salles. Mais quand nous avons dit que nous voulions faire un vrai Godzilla, cela impliquait forcément certaines choses…(rires) Bon, là je ne peux vraiment pas ajouter un mot de plus !

Comment avez-vous convaincu Juliette Binoche, qui avait refusé de jouer dans JURASSIC PARK, de participer à GODZILLA ?

Quand nous lui avons fait parvenir notre proposition et le script, Juliette était en train de tourner à Vancouver. Elle a parlé du projet à son fils et sa réaction a été immédiate. Il lui a dit « Maman, il FAUT que tu fasses ce film ! » (rires) Il avait l’air si déterminé qu’elle a pensé qu’elle devrait s’intéresser à cette offre et lire le script. Elle l’a lu, a aimé son personnage et les scènes qu’elle devait jouer, et elle a dit oui. Je dois dire que nous avons conçu les scènes dramatiques avec les protagonistes humains pour qu’elles fonctionnent bien indépendamment du reste, et ce même si on remplaçait toutes les scènes avec Godzilla par l’arrivée d’un ouragan. Je pense que c’est ce qui a séduit les acteurs, même si cette histoire est délirante par ailleurs, avec ces monstres colossaux.

La suite de cet entretien avec Gareth Edwards paraîtra bientôt sur ESI !

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