Visite du tournage de La momie 3, la tombe de l’empereur dragon : Entretien avec le directeur du département de conception artistique
Article Cinéma du Dimanche 23 Mars 2008

La découverte du tombeau d’un empereur chinois, une armée de soldats de terre cuite qui prend vie, la cité enchantée de Shangri-la, de nouvelles créatures, de nouveaux dangers, voici ce que nous réserve le troisième opus de la Momie. ESI s’est rendu sur le tournage du film, au Canada, pour en rencontrer les principaux créateurs. Aujourd’hui, c’est le travail impressionnant du décorateur et du directeur artistique que nous allons découvrir, ainsi qu’une des héroïnes de cette aventure. Une belle occasion d’en apprendre plus sur les morceaux de bravoure du film, en avant-première...

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

La résurrection d’une momie…et d’une franchise

20 Septembre 2007. Nous approchons des plateaux des Mel’s studios, de grands bâtiments blancs visibles depuis l’autoroute que notre bus a emprunté. Situé à quelques minutes à peine de Montréal, ce studio bien équipé est choisi de plus en plus souvent par des productions américaines (The Spiderwick Chronicles, Aviator, 300, etc..) et accueille à présent les équipes de La momie 3, la tombe de l’empereur dragon. Ce nouvel opus, qui sortira dans les salles françaises le 6 août 2008, sera t’il le dernier épisode de la franchise initié en 1999 par Stephen Sommers, ou constituera-t’il un nouveau départ pour cette saga ? Si cette troisième aventure connaît le succès espéré par Universal, la machine pourrait être relancée et générer une nouvelle série de films.

L’action de la tombe de l’empereur dragon se déroule pendant les années 1940, soit une dizaine d’années après l’épisode précédent. Alex (Luke Ford), le fils de l'aventurier Rick O'Connell (Brendan Fraser) et de son épouse Evelyn (Maria Bello, qui reprend le rôle tenu auparavant par Rachel Weitz), est à présent un jeune homme audacieux qui marche sur les traces parentales : il est devenu lui aussi archéologue. L’histoire débute alors que le couple O’Connell mène une existence un peu trop paisible, et commence à s’ennuyer ferme. Le beau-frère de Rick, Jonathan (John Hannah) est le seul à n’avoir pas changé : il mène toujours une vie insouciante, partagée entre la dégustation de bonnes bouteilles et la recherche de nouvelles conquêtes féminines. Alex rêve de nouvelles aventures et décide de voler de ses propres ailes. Le destin du jeune O’Connell bascule lorsqu’il est victime d’un sombre complot : sans le savoir, il va permettre à une momie vieille de 2000 ans de mettre en place son projet d’asservissement du monde. Cet être diabolique est l’empereur Han (Jet Li), jadis condamné par une magicienne (Michèle Yeoh) à passer l’éternité figé sous la forme d’une statue d’argile, au milieu des effigies de ses 10 000 soldats. Emprisonné dans un tombeau dont l’emplacement a été tenu soigneusement secret, Han attend l’heure de sa revanche. Inconscient du danger qu’il encourt, Alex participe à la recherche de la sépulture de l’empereur et touche rapidement au but. La joie de la réussite a peine estompée, il comprend qu’il a été manipulé, et que ce tombeau est bien plus qu’une découverte archéologique. Le jeune homme fait alors appel à ses parents. Découvrant avec horreur que le monarque maléfique revient à la vie, la famille O'Connell réalise que son désir de domination n'a fait que grandir au fil des siècles, tout comme le pouvoir de son armée ! L'empereur sera bientôt en mesure de réveiller ses soldats d’argiles et de lancer ses invincibles légions de morts-vivants à l’assaut du monde…si la famille d'aventuriers ne trouve pas un moyen efficace de contrecarrer ses plans. Des catacombes de la Chine plusieurs fois millénaire jusqu'aux sommets les plus mystérieux de l'Himalaya, les deux générations de O’Connell vont se consacrer à la plus périlleuse de leurs missions communes : une lutte acharnée contre l’empereur dragon !

Un bureau Top Secret

Après avoir franchi le hall d’entrée des studios, nous traversons un labyrinthe de couloirs et d’escaliers pour accéder à la partie la plus confidentielle des bureaux de production de la tombe de l’empereur dragon. Une porte barrée de pancartes dissuasives - Les appareils photos sont proscrits dans cette zone « top secret » - s’ouvre et nous pénétrons dans l’antre de Nicolas Lepage, qui dirige le département de conception artistique où sont conservés tous les documents visuels qui décrivent les principales scènes du film . Lepage fait partie de la nouvelle génération des directeurs artistiques canadiens. Il a déjà acquis une belle expérience en quelques années grâce à ses interventions sur les thrillers Confessions of a dangerous mind (George Clooney - 2003) et Gothika (Mathieu Kassowitz - 2003) sur la comédie dramatique de Spielberg Le Terminal (2004) et dans le registre du Fantastique, en participant à Godsend (Nick Hamm - 2004), 300 (Zack Snyder - 2006) et The Fountain (Darren Aronofsky - 2006). Pendant qu’il nous souhaite la bienvenue, nous découvrons sur les murs et sur les bureaux les illustrations et les maquettes de ce qui s’annonce être une grande aventure fantastique, bénéficiant de décors superbes et de créatures inspirées par la mythologie chinoise que ne renierait pas un certain Ray Harryhausen. Tout ce qui s’offre à nos yeux semble extrêmement prometteur...

Entretien avec Nicolas Lepage, Directeur du département de conception artistique

Nicolas, pourriez-vous nous parler des locaux où nous nous trouvons et de l’équipe qui travaille autour de vous ?

Nicolas Lepage : Avec plaisir. Nous nous trouvons dans les bureaux du département de conception artistique des décors, qui emploie entre 10 et 15 artistes en période de pointe de travail. Pendant la plus grande partie de la production, nous employons 5 illustrateurs et 6 maquettistes à temps plein. Les décors dont vous voyez les dessins affichés sur les murs ont été conçus par Nigel Phelps, le décorateur du film, qui ne pouvait malheureusement pas être avec nous aujourd’hui. Nigel travaille déjà en Chine, sur la préparation des décors qui seront utilisés pendant la seconde partie du tournage.

A en juger par le nombre impressionnant de dessins et de maquettes qui se trouvent autour de nous, le tournage du film va nécessiter la construction d’un grand nombre de décors...

Oh oui ! Cela représentait tellement de travail que Nigel a dû concevoir beaucoup de choses en amont, avant même que l’équipe du département de direction artistique ne soit engagée et réunie ici à Montréal. Je crois qu’il a réalisé ses premiers croquis dès que les séances de préparation avec Rob Cohen ont débuté, en Janvier 2007. Notre équipe n’a été réellement opérationnelle qu’à partir de Mars.

Destination : Himalaya

Sur quels décors êtes-vous intervenus en premier ?

Sur les formations rocheuses que les personnages traversent pendant leur périple dans le massif montagneux de l’Himalaya. Nous étions contraints de procéder ainsi, car il s’agissait des structures les plus difficiles et les plus longues à fabriquer. Notre processus de travail est toujours à peu près le même : nous partons des croquis de Nigel pour réaliser une série d’illustrations qui sont examinées par lui et par Rob Cohen, puis nous fabriquons plusieurs maquettes. Ces maquettes sont souvent modifiées plusieurs fois, jusqu’au moment où elles sont validées. Elles sont ensuite scannées en trois dimensions, ce qui nous permet de les reconstituer en 3D sur nos ordinateurs. Ces versions virtuelles permettent de tester tous les angles de prises de vues, et de découvrir ainsi s’il existe des angles morts dans les décors, ou si certains éléments techniques, comme les projecteurs suspendus au « grill » (NDLR : le réseau de structures d’accrochage et de passerelles située au-dessus d’un plateau de cinéma), sont visibles.

Cette représentation virtuelle des décors vous sert-elle aussi à dialoguer avec l’équipe des effets visuels ?

Oui, tout le temps. C’est d’ailleurs un outil formidable pour dialoguer avec tous les gens qui interviennent sur le film, et pas seulement l’équipe des effets visuels : le chef opérateur, le directeur de la photo, les cascadeurs, etc. Nous tenons compte de leurs remarques pour modifier certains détails, puis nous passons à la phase de construction. Les maquettes sont tranchées en plusieurs parties grâce à un système de découpe au laser qui se trouve dans l’atelier de fabrication de la menuiserie. Ces morceaux servent ensuite de guides pour fabriquer les structures grandeur nature et les surfaces extérieures des décors.

La maquette qui se trouve devant nous représente une paroi rocheuse escarpée et l’entrée d’un temple, apparemment. A quel moment du film ce décor apparaît-il ?

Ce décor est appelé «le passage d’accès ». Il s’agit de l’endroit qui permet de pénétrer dans la partie la plus secrète des montagnes de l’Himalaya, et de découvrir la cité magique de Shangri-là, où les gens deviennent immortels. Comme vous le voyez, il s’agit d’un passage assez étroit le long d’une paroi rocheuse, qui mène à un pont suspendu au-dessus d’un gouffre, et à cette entrée avec des escaliers et des colonnes de pierre. Le décor grandeur nature, que nous irons voir tout à l’heure, mesure onze mètres de hauteur. C’est une reproduction extrêmement fidèle de ce modèle réduit, jusqu’aux moindres détails des formes des rochers. Le reste, c’est à dire la partie supérieure de la paroi, qui est sensée mesurer 600m de plus, et les perspectives du gouffre, qui se prolongent sur un kilomètre et demi, sera créé en 3D, en postproduction. C’est dans ce décor qu’à lieu le premier affrontement entre les héros et les méchants, et cela crée pas mal de dégâts. Il y des fusillades, des colonnes qui explosent et s’effondrent, des gens qui tombent dans le vide lorsque le pont est détruit, bref, énormément d’action. Cette maquette a été sculptée à Los Angeles, et après en avoir longuement parlé avec Rob, Nigel a décidé qu’il suffisait de construire juste cette portion de 11 mètres du décor pour pouvoir tourner toutes les scènes dont Rob avait besoin. Quand on construit un décor, il faut être sûr que tout ce qui est fabriqué servira vraiment pendant le tournage. Tout le reste peut être ajouté en 3D.

Une mousse infernale

Vous semblez utiliser énormément de mousse d’uréthane pour sculpter ces maquettes...

Oui. C’est un matériau d’origine industrielle, que l’on emploie beaucoup pour isoler des bâtiments ou des conduites. Il est très facile à trancher au cuter, et assez résistant pour permettre de fabriquer des maquettes solides de grande taille. Malheureusement, quand nous sculptons cette matière et que nous la ponçons pour obtenir des surfaces lisses, nous créons une poussière très fine qui circule dans l’air, et qui est extrêmement toxique. Elle s’infiltre partout, dans vos poumons si vous oubliez de porter un masque, et aussi dans les circuits des ordinateurs. Deux PC que nous utilisions dans ce bureau ont rendu l’âme parce que leurs circuits étaient saturés de poussière ! Nous avons dû nous installer dans l’atelier de fabrication des décors, sous une énorme hotte aspirante pour éviter ces problèmes.

En dehors des décors de Shangri-là, vous avez reconstitué aussi certains environnements chinois...

Oui, notamment celui du tombeau de l’empereur Han où se trouve son char tiré par quatre chevaux et son armée de 10 000 soldats en terre cuite. Il fait partie des dix grands décors qui ont été construits ici à Montréal.

Combien de temps de travail devez-vous investir dans la création d’un tel environnement, depuis le premier croquis jusqu’au décor terminé, avec tous ses accessoires ?

Environ 4 mois de travail. Le tombeau de l’empereur est l’un des plus gros décors construits pour ce film. Il a été érigé dans un ancien entrepôt qui était employé jadis pour réparer des trains. C’était un endroit rempli de déchets potentiellement toxiques et de vielles pièces d’équipement qu’il a fallu vider et nettoyer, mais il était idéal pour fabriquer cet environnement qui mesure 60 mètres de long sur 30 mètres de large. Le décor de parois rocheuses dont nous parlions juste nous a contraint lui aussi à faire des travaux préliminaires, avant d’entamer sa construction. Le terrain à l’extérieur du studio où nous nous trouvons était juste un terrain vague, avec un sol en terre. Avant d’ériger de grosses structures, nous avons dû utiliser des bulldozers pour tout niveler, puis nous avons coulé une énorme dalle de béton afin de disposer de fondations parfaitement stables. Ce n’est qu’après que la construction des grands décors a pu commencer.
La maquette que vous nous montrez représente une grande salle avec des colonnes et des bas-reliefs chinois, au centre de laquelle il y a une sorte de trappe de pierre...

Il s’agit du tombeau de l’empereur dont je viens de vous parler, l’endroit où l’on découvre le sarcophage qui contient la momie. Le passage en forme de trappe qui se trouve au milieu permet d’accéder à des escaliers. Ils mènent à une seconde salle située en dessous, où se trouve l’armée des soldats en terre cuite.

Un travail monumental

Quels types de décors Nigel Phelps fait-il fabriquer en Chine ?
La plupart d’entre eux seront utilisés dans des scènes qui se déroulent 50 ans avant JC, où l’on voit la Momie et ses soldats de terre cuite affronter d’autres guerriers. Il y a trois lieux de tournage différents en Chine, qui sont éloignés d’une centaine de kilomètres les uns des autres. Nigel travaille donc avec trois équipes simultanément. Nous sommes en contact permanent avec eux, car certains dessinateurs chinois interviennent sur nos décors, notamment sur la conception de certains accessoires. Nous échangeons nos croquis sur un site web FTP. Pendant que nos collègues chinois dorment, nous découvrons leurs dessins, et vice-versa. Quelquefois, la barrière de la langue pose problème quand nous recevons un croquis d’une petite ornementation, sans savoir vraiment à quoi elle correspond ! (rires) Mais l’énigme est résolue grâce à l’intervention de nos interprètes.

Sur une des illustrations affichées à côté de nous, on peut voir la grande muraille de Chine...

Oui. Plutôt que d’aller tourner sur place, ce qui aurait été très compliqué et très coûteux, nos équipes locales ont reconstitué une section de la grande muraille. Les petits édifices et les statues à demi enfouies qui sont représentés sur les illustrations à côté ont été construits sur un champ immense, à taille réelle. On les verra pendant les scènes de bataille qui se déroulent dans une grande plaine. D’autres statues seront rajoutées dans l’image en 3D.

Quelles sont vos sources d’inspiration graphiques ? Des œuvres d’art chinoises ? Des bâtiments réels ?

Oui. Nous avons utilisé le plus possible de références authentiques, mais sans nous limiter à de simples reproductions : cela n’aurait pas été intéressant visuellement. Un décor est d’abord conçu pour être vu par une caméra, et pour permettre au réalisateur de mettre en scène son film comme il l’entend. Ce qui implique que l’on prend toujours des libertés avec la réalité ou les références architecturales authentiques.

Pouvez-vous nous donner des exemples de ces modifications ?

Nigel a utilisé des formes de l’architecture indienne et les a ajoutées dans cet environnement chinois pour obtenir certains effets, et cela marche extrêmement bien.

Ou trouvez-vous les documents dont vous vous servez ?

Sur le web ! Notre collègue Luisa passe sa journée à surfer sur internet pour dénicher les images des références que nous lui réclamons. Nous avons accès à certaines banques d’images professionnelles, ce qui nous permet de télécharger des images haute résolution, dont nous pouvons étudier les détails, les textures et les couleurs. La plupart des grands décors du film ne correspondent à aucun lieu réel, ce qui nous donne la possibilité d’imaginer à peu près tout ce que nous voulons. C’est un supplément de liberté que tous nos artistes apprécient énormément.

Une caverne géante

Parlez-nous de cette superbe maquette de caverne avec un bouddha allongé...

Il s’agit d’un décor d’une caverne de Shangri-là qui a été construit sur le plateau à côté. Le bouddha allongé mesure 14 mètres de long. Il fallait donner l’impression que le décor était éclairé seulement par des bougies et par la lumière du jour filtrant au travers d’une ouverture dans la roche. Cette maquette aussi à été découpée et scannée pour nous aider à construire la structure en bois recouverte de plâtre qui imite la roche. Ce décor a été très difficile à concevoir, car il fallait réussir à dissimuler tout l’éclairage en hauteur, et dans certains recoins, et il fallait aussi prévoir un système pour simuler un éboulement.

Comment avez-vous dissimulé les projecteurs ?

En plaçant une sorte d’énorme « poutre » de roche au milieu de la caverne, latéralement. Elle nous permet de créer l’illusion que l’on voit le plafond de la caverne, alors que tout le dessus du décor est ouvert. Nous pouvons aussi la retirer quand elle n’est plus utile.

Le mur devant lequel nous sommes à présent est couvert de photos de tuiles, de pierres taillées, de murs, d’escaliers...

Oui, il s’agit d’un panneau de références visuelles que nous consultons si souvent qu’il est plus pratique de l’avoir affiché ici constamment. Toutes ces photos ont été prises en Chine. En les ayant sous les yeux, nous nous assurons que nous reproduirons bien des formes, des couleurs et des textures qui auront un aspect authentique.

A côté se trouvent des photos de ce qui semble être une cour de monastère chinois. Est-ce aussi une référence photographique ?
Non, il s’agit en fait du décor que nous avons construit ici et que nous allons visiter tout à l’heure. C’est cet endroit que les héros découvrent une fois qu’ils ont franchi le pont suspendu au-dessus du gouffre et ont gravi les marches de l’escalier.

De nouvelles créatures

Votre département a-t’il été impliqué dans la conception des créatures dont nous découvrons les dessins ?

Oui. Plusieurs des illustrateurs qui ont travaillé sur la conception des décors ont également contribué à ces recherches du design des créatures. Il y en a beaucoup dans le film : nous avons des Yetis de trois mètres, un dragon à trois têtes, des sortes de chiens/dragons chinois énormes qui sont capables de réduire des gens en bouillie, des créatures bipèdes qui ressemblent à des ours et des dizaines de momies …Je crois que les amateurs de monstres seront comblés.

Toutes ces créatures seront-elles réalisées en images de synthèse ?

Oui. Pendant le tournage, des figurants vêtus de combinaisons bleues manipulent des pancartes qui indiquent à quelle hauteur se trouvent les yeux des créatures. Ils se déplacent très sérieusement dans les décors en grognant pour attirer l’attention des acteurs pendant les scènes de combat. Une fois que les monstres en 3D seront ajoutés, ce sera très spectaculaire, mais pendant le tournage, voir ces figurants qui se démènent courageusement, moulés dans leurs tenues de lycra, cela fait plutôt sourire !

Cette illustration représente la couverture d’un roman intitulé « la Momie », écrit par une certaine Evelyn O’Connell...

Je vois que ce détail ne vous a pas échappé ! Oui, les O’Connell ont tiré profit de leurs aventures chacun à leur manière : Evelyn a publié un livre à succès basé sur ce qu’elle a vécu en compagnie de Rick et Alex. Jonathan, lui, a ouvert à Shaghaï une boîte de nuit/restaurant qui s’appelle Imhotep’s, et dont la décoration intérieure évoque bien sûr l’Egypte !

Devant nous, il y a aussi des dessins qui représentent les rues d’une ville chinoise...S’agit-il de Shanghaï ?

Oui. Une grande séquence de poursuite en voiture et de fusillade a lieu dans ces rues. Les équipes chinoises ont utilisé des décor de rues pré-existants, et les ont réaménagés pour lui donner l’allure d’un environnement de 1940. Elles ont fait un travail absolument formidable. On les sent très heureuses et très fières de participer à ce film.

Avez-vous une idée du nombre de personnes qui travaillent simultanément sur les décors du film, au Canada et en Chine ?

Environ 500 personnes en moyenne, quelquefois plus. D’ailleurs, je vous invite à me suivre au dehors, pour voir ce que les équipes de Montréal ont construit !

A la découverte de Shangri-là

(Nous suivons Nicolas Lepage à l’extérieur du bâtiment, et découvrons les grandes structures de bois qui supportent les décors. Nous nous approchons d’abord d’un petit édifice religieux bouddhiste…)

Voici une reproduction d’un Stupa doré. Un Stupa est un édifice qui contient une relique de Bouddha, un objet qui lui a appartenu, ou qui présente simplement la doctrine bouddhiste. Celui que nous avons fabriqué ici est orné d’une flèche de plusieurs tonnes que nous avons hissé à l’aide d’une grue. A côté se trouvent les structures en contreplaqué du décor de cour de monastère. Les bandes de contreplaqué et leurs supports que l’on voit ici ont été découpés en fonction des scans des maquettes, comme je vous l’expliquais précédemment. Juste un peu loin, vous pouvez voir les sacs de sel d’Epsom qui nous servent à simuler la neige. Le sel d’Epsom, c’est du sulfate de magnésium, un produit qui n’est pas nocif pour l’environnement et que nous pouvons donc utiliser ici en toute sécurité. C’est vraiment le matériau qui ressemble le plus à la neige : il a la même transparence et produit le même scintillement une fois éclairé…
(Nous pénétrons à présent dans la cour du monastère, un décor superbe, aux murs ornés de fresques et aux colonnes ouvragées. Un escalier mène au premier niveau d’une des bâtisses qui surplombent la cour.)

Certaines des colonnes de ce décor ont été fabriquées en mousse, afin que les cascadeurs puissent être projetés dessus sans se faire trop mal. Ce décor qui est très beau au début du film est dévasté après, à la suite d’une avalanche. Les équipes qui travaillent dessus en ce moment sont justement en train de créer les dégâts provoqués par le déferlement de tonnes de neige : il y aura des murs effondrés, des poutres brisées, beaucoup de débris éparpillés partout, et bien sûr, beaucoup de fausse neige.

Ce qui est impressionnant quand on observe ce décor de près, c’est que les textures des pierres taillées sont parfaites, et le bois vieilli comme si cet endroit était là depuis des siècles. Comment obtenez-vous cet aspect ?
Nous fabriquons les textures de pierres taillées dans notre atelier et nous les moulons en silicone. Nous avons toute une série de moules de ce type à notre disposition. Quand nous devons fabriquer de grandes surfaces de pierres taillées, nous créons le support du mur avec des poutres de bois et du contreplaqué, nous y attachons du grillage métallique, et nous appliquons du plâtre sur lequel nous plaquons les moules. Quand le plâtre a durci, il suffit de retirer le moule en silicone , et l’on obtient une portion de mur couverte du relief des pierres taillées. Ensuite, il faut peindre le mur et le patiner avec plusieurs jus de peinture pour le vieillir. Pour donner un aspect ancien à un bois jeune, le système le plus simple consiste à en brûler la surface au chalumeau. Les veines les plus dures résistent mieux aux flammes que les veines tendres. On frotte la surface légèrement brûlée avec une brosse de métal, et on fait ressortir ainsi le relief des veines dures, comme sur une pièce de bois de plusieurs centaines d’années.

La machine à visualiser le temps

A quoi sert la tourelle métallique d’une dizaine de mètres de haut qui a été construite à côté du décor ?

Nous y avons hissé une grue téléscopique « technocrane » qui a servi à tourner certaines prises de vues au-dessus de la cour du temple. Juste à côté, il y a une autre petite tourelle sur laquelle nous avons placé un appareil photo numérique qui prend une photo toutes les minutes. Un autre équipement identique a été placé sur le toit du studio dans un petit abri. Les deux appareils marchent depuis le premier jour de production du film, lorsque nous en étions encore à couler la dalle de béton sur le site. Grâce à ces séries d’images, vous pourrez suivre toute l’évolution de la fabrication des décors extérieurs quand le DVD du film sortira. Nous allons maintenant aller de l’autre côté du terrain, pour voir le décor de l’entrée de Shangri-là...

Les décors ne sont pas du tout protégés de la pluie ?

Non : ils sont trop grands pour que l’on puisse les recouvrir de bâches, et même si nous avions le temps de le faire, il y a tellement de vent dans la région que les bâches seraient arrachées et s’envoleraient ! Nous sommes donc à la merci de la météo ! Nous avons évidemment pris nos précautions et recouverts certaines portions des décors en plâtre de vernis mat pour éviter qu’ils absorbent trop d’eau en cas de pluie… Nous voici arrivés devant « le passage d’accès ». Vous reconnaissez les parois rocheuses de la maquette, le temple avec ses colonnes. Le sol devant le décor est bleu pour permettre les incrustations du reste du gouffre en 3D. Les stalactites de glace sont faites en plastique moulé, et les dépôts de neige en sel d’Epsom. Il nous en a fallu des tonnes et des tonnes tout au long du tournage. Quand il pleut, le sel fond, coule le long des parois et forme des petites stalactites de fausse glace que nous n’avons même pas à fabriquer ! (rires)

Qu’est-ce qui a motivé la décision d’installer les décors à l’extérieur plutôt qu’à l’intérieur d’un plateau ?

Le souci d’utiliser au mieux le budget du film, pour que les dépenses se voient sur l’écran, au lieu d’être employées ailleurs. La location d’un plateau, de ses équipements et de ses techniciens coûte très cher. Il aurait fallu louer des plateaux gigantesques pour construire le décor du passage d’accès qui est devant nous, ou la cour du temple. Construire en extérieurs était une décision purement pragmatique, qui s’est révélée excellente. Sauf sur un point : au départ, les propriétaires du studio nous avaient dit qu’ils construiraient une barrière pour éviter que l’on puisse voir les décors depuis l’autoroute…et la barrière n’est jamais arrivée ! On voit donc régulièrement des gens qui se garent sur le bas côté, sortent leurs appareils photos et mitraillent tranquillement les décors. Nous avons bien essayé de placer des camions ou différents équipements pour obstruer la vue, mais le décor est tellement grand qu’il n’y a pas grand’chose à faire ! (rires)

Fusillade au bord du gouffre

(Nous nous approchons des rochers pour voir les stalactites de glace en plastique et le sel qui imite remarquablement bien la neige. Arrivés au pied de l’escalier monumental et des colonnes de l’accès à Shangri-là, nous nous rendons compte que certaines des marches sont recouvertes d’un matériau caoutchouteux peint pour ressembler à de la pierre taillée. A en juger par les quantités de douilles qui jonchent le décor, les scènes de fusillades ont dû être aussi intenses et tournées à de nombreuses reprises!)
Vous disiez que ce décor de l’entrée est sensé être directement relié à celui du temple. Pourquoi n’avez-vous pas construit réellement le temple derrière, mais plus loin sur le terrain ?

Au départ, il était question de construire tout d’un seul bloc, mais le point culminant de l’escalier étant très haut, cela nous aurait obligé à construire la cour du temple sur une gigantesque plateforme surélevée. C’est encore pour une raison budgétaire que nous avons préféré les dissocier et construire la cour au niveau du sol. Dans le film, le lien entre les deux endroits sera fait grâce à des effets visuels : nous avons ajouté un fond bleu derrière la porte en haut de l’escalier, reconstitué une partie de décor pour faciliter la transition, et normalement, vous ne devriez vous rendre compte de rien ! Suivez-moi en haut des escaliers, je vais vous montrer quelque chose...
(Nous suivons Nicolas Lepage et gravissons les marches de l’escalier monumental)

Si vous touchez les socles des colonnes qui se trouvent le long de l’escalier, vous remarquerez qu’ils sont tous fabriqués dans des matières souples, comme le sol des différents niveaux et les marches, afin d’amortir les chutes des cascadeurs. Dans les scènes de combats qui se déroulent ici, plusieurs soldats sont tués et dévalent les marches de l’escalier. Il y a ensuite de grosses explosions, puis d’autres soldats sont entraînés dans le gouffre par la chute des colonnes de pierre. Et pour finir, le pont suspendu se rompt pour tomber dans le vide. Nous avons tourné cette scène pendant deux semaines et c’était vraiment très amusant à faire.

Comment avez-vous fabriqué les accessoires du décor, comme ces énormes statues dorées ?

Elles sont sculptées en mousse de polyuréthane, recouverte d’un apprêt, poncées, puis moulées en silicone pour nous permettre d’en tirer des dizaines d’exemplaires en plâtre, que l’on recouvre de peinture dorée, ou de feuilles d’or s’il s’agit d’une statue qu’on voit en gros plan. Ce décor est si grand qu’à un moment, 100 peintres et 100 charpentiers travaillaient en même temps dessus ! On n’arrivait plus à trouver de la place pour garer les engins de chantier avec des nacelles qui leur permettaient de travailler sur les parties les plus hautes de la structure...

Un défi permanent

Quel est le plus grand défi à relever sur un film fantastique aussi ambitieux que celui-ci ? Ne pas dépasser le budget ? Respecter les délais ?

Respecter les délais. Rester dans le cadre du budget est relativement facile à faire si l’on a bien préparé son travail. Par contre, vous ne pouvez pas vous permettre de livrer un décor en retard. Même si les conditions météo ont été calamiteuses, même si des décisions artistiques ont entraîné des modifications de votre travail, vous devez être prêt le jour prévu. Il arrive aussi très souvent que des difficultés imprévues surgissent. Le pont suspendu est composé d’une structure de câbles très complexe, qu’il a fallu habiller de manière intéressante. Sa mise au point a demandé trois mois de travail. Quand vous concevez un élément comme celui-là, vous ne pouvez pas résoudre d’emblée tous les problèmes de construction et d’ingénierie, mais vous êtes quand même obligés d’avancer à vue. Un jour, Rob Cohen est venu nous voir pour nous dire qu’il avait décidé de modifier la position du pont sur la paroi rocheuse. Nous avons travaillé deux jours pour changer la conception de l’accroche du pont, puis Rob est revenu pour nous dire que finalement, il allait devoir revenir à la position initiale ! Nous ne pouvions pas lui en vouloir, car le processus créatif d’un film se passe toujours comme ça. Les choses évoluent au jour le jour, et c’est justement ce qui rend notre métier passionnant.

Le téléphone de Nicolas Lepage sonne : il est accaparé par son travail, et nous quitte, tandis que nous retournons dans les bâtiments des studios pour rencontrer l’un des nouveaux visages du film, la ravissante Isabella Leong.
Notre découverte des coulisses de La momie : La tombe de l’empereur dragon se poursuivra bientôt sur ESI !

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