ILM : 30 ans d’innovations
Article 100% SFX du Jeudi 23 Decembre 2010

Né du phénomène Star Wars, le studio d’effets spéciaux de George Lucas reste à la pointe de la technologie de l’image.

En 1976, alors que George Lucas tourne La guerre des étoiles en Tunisie et en Angleterre, la petite équipe de son studio d’effets spéciaux baptisé Industrial Light and Magic (magie et lumière industrielle) sue littéralement sang et eau pour mettre au point une caméra révolutionnaire, fixée sur un travelling et une grue motorisés. Tous les axes qui permettent de déplacer l’appareil sont pilotés par ordinateur, ainsi que les moteurs qui gèrent le déplacement de la pellicule. Cette caméra magique, surnommée Dykstraflex en honneur de son inventeur, John Dykstra, peut répéter au dixième de millimètre près les mêmes mouvements. Elle va permettre de filmer en plusieurs passages les évolutions des vaisseaux spatiaux. La caméra, mobile, danse autour des maquettes qu’elle filme devant un fond bleu. Au cinéma, grâce aux techniques d’incrustation sur pellicule, le bleu disparaît et cède la place à un fond étoilé, sur lequel les astronefs de Lucas virevoltent dans tous les sens. C’est du jamais vu. Le public est sidéré dès le premier plan du film : l’apparition d’un petit vaisseau (celui de la princesse Leia) poursuivi par un vaisseau de guerre colossal, dont la forme triangulaire n’en finit pas de défiler en haut de l’écran. Les professionnels du cinéma Américain découvrent à la fois l’impact des prises de vues en « Motion control » et comprennent qu’un petit film tourné sans stars, avec un budget modeste de 11 millions de dollars, peut captiver le public grâce à des effets spéciaux inédits.

Bande-annonce originale :


C’est une véritable révolution, un phénomène que personne n’avait prévu. ILM décroche son premier Oscar pour la Dykstraflex, et devient LE studio avec lequel toutes les majors companies US veulent travailler. Lucas saisit cette opportunité pour faire d’ILM un fabuleux laboratoire de recherche, qui va bénéficier des millions de dollars mis à sa disposition par Hollywood pour inventer les techniques du cinéma de demain. Très vite, Lucas et ses équipes sont limités par les trucages optiques que l’on peut reporter sur la pellicule 35mm. Dans les années 80, on utilise encore des tireuses optiques inventées dans les années 30 (des projecteurs sophistiqués liés par des objectifs à une caméra) pour recopier bout par bout tous les petits morceaux d’une image truquée. Les procédures sont longues, incroyablement complexes, et toujours réalisées « à l’aveugle » : on ne découvre le résultat du puzzle qu’au moment des rushes. Et la surprise est soit bonne, soit mauvaise, ce qui implique alors de tout recommencer. I.L.M. multiplie cependant les innovations techniques.

En 1982, le studio utilise des moteurs pilotés par ordinateur pour animer la figurine du dragon du lac de feu. Le reptile est une marionnette à tiges dont on programme les mouvements, et qui les exécute ensuite devant la caméra qui tourne en continu. On obtient alors des mouvements fluides, proche de la prise de vue réelle, et non saccadés comme ceux de l’animation traditionnelle, réalisée image par image. Le système est baptisé Go-Motion. Il fait sensation, mais il est si complexe à utiliser et si long à programmer qu’il sera très peu utilisé.

Extraits du Dragon du lac de feu :


En 1983, dans Le retour du Jedi, I.L.M. réalise un plan de bataille spatiale d'une complexité inouïe dans la séquence de la destruction de la seconde « étoile de la mort » : 300 éléments différents - vaisseaux, tirs de laser, explosions, étoiles - sont combinés avec une tireuse optique. Ce tour de force restera inégalé sur le support pellicule. Pendant que les techniciens d’ILM font des merveilles avec ces outils limités, Lucas, lui ,a déjà compris depuis longtemps que le futur des effets spéciaux et du cinéma serait numérique.

Au début des années 80, il recrute le Dr Ed Catmull, qui dirige le laboratoire d'infographie de l'institut de technologie de New York. Il lui demande de développer des ordinateurs et des logiciels spécialement conçus pour la production d'images cinématographiques. C’est une première : à l'époque, on détourne des calculateurs industriels qui servent à piloter des usines ou des centrales nucléaires. L'équipe de Catmull, baptisée PIXAR, compte déjà John Lasseter et le réalisateur William Reeves, chargé du développement des logiciels d'animation. Elle fait ses premières armes sur les séquences d'effets spéciaux en 3D finalisées par I.L.M. : ce seront les scènes de "L'effet Genesis" de Star trek 2, la colère de khan (1982) , où une lune morte se transforme en une planète recouverte de montagnes et d'océans, puis les hologrammes de l'étoile de la mort du Retour du Jedi (1983) et la scène surprenante du chevalier de verre (animé par Lasseter), qui bondit hors d'un vitrail du Secret de la Pyramide (1985 ).

L'effet Genesis de Star trek 2, la colère de khan :


En 1983, Lucas, excédé par la médiocre qualité de reproduction du son dans certaines salles , lance une nouvelle norme : le THX (du nom de son premier long métrage, THX 1138). En disséminant un plus grand nombre de haut-parleurs dans la salle et derrière l’écran, les ingénieurs du son de Lucas réinventent le relief sonore au cinéma et créent une nouvelle source de licences lucratives.

Pendant ce temps, Lucas fait également réaliser plusieurs courts-métrages-tests, comme "The adventures of André and Wally B." (1984), l'un des tout premiers cartoons en 3D, qui sera la première réalisation de John Lasseter. Lucas souhaite déjà substituer les images 3D aux maquettes et aux trucages optiques de Star Wars, mais il est déçu par la première modélisation d'un vaisseau X-wing. Il vend Pixar à Steve Jobs, le fondateur d'Apple, en 1986. Ce sera une des très rares erreurs tactiques de Lucas. Il s’en rendra compte assez vite. En attendant de créer des images de synthèses hyperréalistes, il lance ses techniciens sur la piste de la numérisation des images de cinéma. Le studio développe ses propres logiciels, dont le procédé du Morphing, qui permet la métamorphose en 2D d’une image en une autre, et qui est utilisé pour la première fois dans Willow (1988). La première modélisation d'eau en 3D apparaît dans Abyss (1989). En 1991, Le cyborg de métal liquide de Terminator 2, le T-1000, est figuré par l'acteur Robert Patrick, et par certaines des images de synthèse les plus étonnantes signées par I.L.M. Après plus de 60 ans d'histoire de trucages optiques, Terminator 2 est le premier dont les effets spéciaux sont composés numériquement. Douglas Smythe et George Joblove mettent également au point un logiciel de retouche d'image qui permet d'effacer aisément les câbles de soutien de la moto sur laquelle est juché le cascadeur qui double Arnold Schwarzenegger, pendant un saut spectaculaire. James Cameron demande que l'on inverse la scène de droite à gauche pour un problème de raccord, mais les textes des panneaux routiers apparaissent à l'envers au second plan. Grâce au nouveau logiciel, on inverse les textes pour les rendre à nouveau lisibles.

Bande-annonce de Terminator 2 :


Lucas se sert de sa série télé Les aventures du jeune Indiana Jones (1992-1996) pour tester en vidéo les trucages numériques qu'il utilisera plus tard au cinéma, et met au point le tout premier système de montage virtuel, baptisé EditroÏd. Les monteurs ne manipulent plus que des recopies numérisées des images35mm, et peuvent ainsi réaliser rapidement et facilement plusieurs versions d’une scène et les comparer. Le montage virtuel terminé, on le reproduit à l’identique, avec le procédé de montage classique sur pellicule 35mm. Grâce à ces premières recherches numériques, Lucas multiplie les figurants sur un champ de bataille, reconstitue des paysages historiques en 3D et évoque d’autres pays grâce aux décors virtuels. Une page de la 3D se tourne en 1993 avec Jurassic Park, lorsque les spectateurs découvrent les premiers animaux hyperréalistes de l'histoire du cinéma. En 1994, apparait le premier personnage de synthèse dotés de poils, Kitty, le tigre à dents de sabre du film les Pierrafeu. Cette technique est perfectionnée l'année suivante dans Jumanji. La peau d’un dinosaure de Jurassic Park n’était définie que par des surfaces bosselées, tandis que celle d’un singe de Jumanji est recouverte de millions de poils ondulant selon sa posture, nécessitant des calculs 123 000 fois plus complexes. En 1996, I.L.M. utilise pour la première fois le logiciel d'animation CARI , qui permet d'afficher des personnages en rendering complet (peau et muscles) pendant l'animation. C'est une étape importante pour les animateurs qui devaient se contenter auparavant d'animer des silhouettes en "fil de fer". Grâce au logiciel conçu par Cary Phillips, le dragon du film Cœur de Dragon est doté d'animations faciales et musculaires quatre fois plus complexes que le T-Rex.

Teaser de Coeur de dragon :


En 1999, dans le premier épisode de la nouvelle trilogie de Star Wars, Lucas peut laisser libre cours à son envie réprimée d’être architecte : grâce aux images de synthèse, il peut construire des cités entièrement virtuelles dans lesquelles il incruste ses comédiens filmés sur fond bleu. Au montage, les trucages numériques lui laissent aussi la possibilité de ne prendre qu’un morceau de prise, une phrase d’un acteur dont l’intonation lui plaît, et de la raccorder de manière invisible à la seconde partie d’une autre prise. Lucas tourne aussi plusieurs séquences avec les caméras numériques haute définition de Sony, afin de supprimer le passage de l’image sur pellicule, procédé qui sera employé sur l’attaque des Clones et la revanche des Sith, les deux épisodes suivants.

Les effets visuels de l’attaque des Clones :


De même, il soutient et développe aussi des systèmes de projection numérique. On lui prête l’idée de se passer entièrement du réseau de distribution des grands studios, en développant un réseau qui permettrait d’envoyer des copies numérisées d’un film par liaison internet à très haut débit, dans chaque salle équipée d’un projecteur numérique ! Pour l’instant, les problèmes liés au piratage des films sont trop épineux pour envisager d’envoyer une copie haute définition d’un film sur le net, même en cryptant les informations. Lucas a peut-être trouvé la parade : il a adopté le procédé développé par la société InThree, qui permet de transformer un film normal en film en relief ! L’une des premières séquences tests a avoir bénéficié de cette application était justement la scène d’ouverture de La guerre des étoiles ! Aujourd’hui encore, alors que La menace fantôme est en cours de conversion 3D, George Lucas soutient et développe toujours les innovations les plus intéressantes.

Documentaire sur ILM, revenant plus particulièrement sur La Momie et La menace fantôme :




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