Hellboy 2 : Les légions d’or maudites : Entretien avec le réalisateur Guillermo Del Toro
Article Cinéma du Mercredi 29 Octobre 2008

Pascal Pinteau

Guillermo Del Toro s’est fait connaître en 1993 quand son film Cronos remporta neuf récompenses dans son Mexique natal, ainsi que le prix de la critique internationale au festival de Cannes. A la suite de ce succès, Del Toro eut la possibilité de tourner son premier film Hollywoodien, Mimic (1997). Cette expérience lui laissa un goût amer, car il fut obligé de se plier aux exigences du studio et d’accepter des compromis artistiques imposés par les producteurs du film. Bien décidé à avoir le contrôle artistique complet de ses films suivants, Del Toro s’en retourna au Mexique pour fonder sa propre société de production, The Tequila Gang. C’est en 2001, avec The Devil’s Backbone (l’échine du diable), histoire de fantômes sur fond de guerre civile espagnole, qu’il connut un nouveau succès publique et critique. En 2002, il dirigea Wesley Snipes dans le second épisode de Blade, et se lança ensuite dans l’adaptation d’une autre bande dessinée, Hellboy (2004). En 2006, Le Labyrinthe de Pan unanimement salué comme son chef d’œuvre, remporta un vif succès dans le monde entier. Aujourd’hui, avant de consacrer six ans de sa vie à la réalisation des deux épisodes de The Hobbit, produits par Peter Jackson, Del Toro nous présente la seconde aventure de ses personnages de BD favoris dans Hellboy 2, Les Légions d’or maudites. C’est une fois de plus un véritable régal, un superbe film de monstres tristes, de royaumes disparus et de cités oubliées, aux scènes d’actions spectaculaires et aux antihéros formidablement attachants. Courez le voir, mais juste avant, lisez notre entretien avec le génial Guillermo Del Toro !

Avez-vous toujours eu le projet de présenter plus d’éléments issus des mythes et du folklore dans le second Hellboy, ou ce changement d’univers est-il dû au fait que vous écriviez Le Labyrinthe de Pan au même moment ? L’un a-t’il déteint sur l’autre ?

Guillermo Del Toro : Non. Quand j’étais adolescent, j’ai lu les essais de Bruno Bettleheim (La psychanalyse des contes de fées, publié aux éditions Robert Laffont), mais à cette époque, j’avais déjà lu les livres des Frères Grimm, de Hans Christian Andersen, ainsi que ceux d’Oscar Wilde, comme Le portrait de Dorian Gray. J’ai commencé à amasser des recueils de légendes du monde entier. Je possédais notamment deux collections de livres superbes, éditées en Espagne et en Argentine, mais à ce moment-là, je n’imaginais pas transposer des contes au cinéma. J’ai toujours pensé qu’une fois devenu adulte, je réaliserais des films d’horreur ou des thrillers policiers. Je n’avais pas d’attirance particulière pour le fantastique en tant que genre cinématographique et je n’ai pas changé aujourd’hui. Je suis surtout attiré par les contes de fées, ce qui est une partie très spécifique de la Fantasy, et je dois avouer que quand nous avons commencé à travailler sur le film, nous avions l’intention d’aller dans une toute autre direction…

Vraiment ? Pouvez-vous nous dire laquelle ?

Mike Mignola et moi avions présenté ce premier projet à Revolution. En deux mots, l’idée était que quelqu’un essayait de réveiller les quatre titans cachés aux quatre points cardinaux de la planète : le Feu, l’Eau, le Vent et la Terre. Après avoir réfléchi plus longtemps à ce concept, je me suis rendu compte que mes personnages allaient passer beaucoup de temps à voyager en avion, à se déplacer, et je me suis dit que ce n’était pas une bonne chose. Que ce serait lent et répétitif. J’ai appelé Mike sur le chemin du retour, depuis ma voiture, entre l’aquarium de Long Beach et ma maison. Et c’est ainsi que nous avons tout changé et commencé à jeter les bases de la nouvelle histoire qui est devenue celle de Hellboy 2.



Est-ce que certains de vos nouveaux personnages sont inspirés des archétypes des contes de fées ?

Je suis convaincu que la Fantasy est souvent mal considérée, qu’elle détonne lorsqu’on la confronte à notre réalité banale et aux aspects les plus obscènes de la vie moderne. Les gens disent souvent que les contes de fées ou que certaines formes d’art sont enfantines, futiles, et les considèrent comme une pure perte de temps. Mais bien souvent, les mêmes personnes sont obsédées par la politique, la religion et les fantasmes de réussite financière et de richesse, qui sont à mon humble avis, des pertes de temps bien pires, fondées sur des croyances largement plus douteuses ! (rires) Je crois que les partis politiques, les religions organisées et les doctrines économiques sont des contes de fées beaucoup plus ridicules que les histoires fantastiques et les légendes traditionnelles. Ils constituent une perte de temps bien plus néfaste, car ils rongent l’âme. C’est une des idées que j’ai exprimées dans Le Labyrinthe de Pan, que l’on retrouve dans Hellboy 2, et qui réapparaît sans doute dans tous mes films.

Après le formidable accueil réservé au Labyrinthe de Pan, vous auriez pu faire tout ce que vous vouliez. Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser plutôt la suite de Hellboy ?

C’est comme cela que se déroule une carrière… Des choses que vous ne contrôlez pas se passent soudain alors que vous êtes en train d’échafauder d’autres plans. Mais je crois que si j’avais eu tout l’argent et toute la liberté du monde – ce dont je ne dispose toujours pas, même après le Labyrinthe de Pan – je me serais immédiatement attelé à Hellboy 2. Mais le cinéma, c’est un métier à risque. Il arrive que les gens que vous rencontrez ne comprennent pas un projet, ou que les décideurs financiers n’accrochent pas à vos idées. En revanche, les gens créatifs comprennent tout de suite. C’est comme ça que les choses se font ou pas. C’était déjà ainsi que le premier Hellboy a pu se faire. Ma plus grande frustration, qui ne me quittera jamais, c’est que nous n’avons pas pu tourner le premier Hellboy au moment où nous l’avons écrit, c’est à dire en 1998. Si le projet avait abouti à ce moment-là, comme nous le souhaitions, le film serait sorti avant Spider-Man, X-Men et Matrix ! En sortant en 2004, il a été perçu par une partie du public comme « un film de superhéros de plus »…

Diriez-vous que l’atmosphère de Hellboy 2 est très différente de celle du premier opus ?

Je dirais plutôt qu’il y a une continuité, même si on délaisse un peu le monde de l’occulte pour aller vers la Fantasy et les contes de fées. Je crois que le thème principal des deux Hellboy est la notion de choix personnel, qui compte beaucoup pour moi, et qui continue à être au cœur de la saga de ce personnage.

Vous avez assemblé une galerie de créatures assez hallucinantes dans ce nouvel épisode…

Nous avons voulu pousser plus loin encore les éléments du design du premier film, et aller davantage dans le sens d’un film de BD, ou de scènes d’action qui ressemblent vraiment à celles d’une planche de comics. J’avais le sentiment que l’on pouvait accentuer encore les concepts des créatures, les imaginer plus librement, tenter des formes presque surréalistes. Je ne dirais pas que nous nous sommes permis tous les délires, mais c’est vrai que nous avons créé des personnages plus fantasques, plus amusants.

Après le succès que vous avez remporté depuis le premier film, vous accorde-t’on désormais plus de liberté quand vous développez une histoire et de nouveaux personnages ?

Pour moi, Hellboy 2 est un film énorme, qui dispose d’un bon budget. Chaque fois que je me lance dans un nouveau projet, j’ai toujours l’impression qu’il s’agit d’une superproduction titanesque, et à chaque fois, au bout d’un moment, je me rends compte que je le tourne avec à peu près le tiers du budget des vraies superproductions du moment ! (rires) Pour répondre plus précisément à votre question, pour Hellboy 2 comme dans le cas du premier film, j’ai préféré avoir un salaire de réalisateur raisonnable, et disposer d’un budget correct, pour avoir la possibilité de faire exactement le film que j’imaginais. Le degré de liberté qu’on vous laisse est toujours inversement proportionnel à la quantité d’argent qu’un studio vous donne ! (rires)



D’où vous est venu l’idée du personnage du Prince Nuada, qui est un méchant vraiment intéressant…

De l’un des cycles de la mythologie Celte, mais les noms sont les seuls emprunts directs à ces histoires. Les relations entre les personnages sont complètement différentes. Dans la saga du Roi Balor, de « celui qui le mauvais œil » et du Prince Nuada, les deux personnages de Balor et de Nuada ont des mains d’argent. Seuls les noms sont les mêmes dans le film. Le nom du royaume de Morag vient de Lord Dunsany. (NDLR : Lord Dunsany (1878-1957) était un écrivain irlandais qui inventa une nouvelle mythologie dans des romans de Fantasy comme The Gods of Pegana (1905) et The Man who ate the Phoenix (1947). Son roman le plus connu est The King of Elfland's Daughter (1924 ) traduit en français sous le titre de La fille du roi des elfes. )

Y a t’il un élément de ces mythologies qui vous attire plus particulièrement ?

Oui, l’idée que la Fantasy n’est pas un genre « politiquement correct », aseptisé, propret. Dans le Labyrinthe de Pan, les elfes et les fées sont assez étranges, et potentiellement dangereux. D’habitude, les elfes sont sublimes. Ils sont beaux et ont de belles dents blanches. Dans Hellboy 2, ils sont plutôt vilains. Les fées de dents (NDLR : en anglais « Tooth Fairy », qui signifie « Fée des dents », est l’équivalent de ce que nous appelons « la petite souris » : c’est une petite créature qui vient récupérer les dents des enfants sous leurs oreillers et leur laisse une pièce en échange) que l’on voit dans le film sont des petits monstres épouvantables. Tout l’univers des créatures surnaturelles du film est usé, gris, poisseux, sale, et sent mauvais. J’aime ça ! J’aime l’idée que la Fantasy ne nous présente pas un monde étincelant à la Disney !

Et la Fantasy du Seigneur des Anneaux ?

Même la Fantasy du Seigneur des Anneaux n’allait pas tout à fait dans cette direction. J’ai apprécié le fait que Peter Jackson prenne le soin de donner une apparence usée, patinée , aux décors et aux accessoires de ses films. Mais avouons-le, la description des combats donnait plutôt une image idéalisée et héroïque de la guerre ! Pour représenter les elfes et les créatures dans Hellboy 2, nous avons voulu nous éloigner des influences celtiques très présentes dans l’univers de Tolkien, ou dans les travaux d’Arthur Rackam et de Brian Froud qui m’inspirent habituellement. J’ai essayé de puiser davantage dans les styles de l’orient. Les formes des architectures que nous employons sont islamiques, les ornementations japonisantes, et les teintes proches de celles de l’Inde. De cette manière, quand une créature surgit, vous ne voyez pas un orc avec un casque à pointe et une armure de cuir. Nous essayons de nous éloigner de cela.

Pourquoi réutilisez-vous le motif de la roue dans tous vos films ? Ici, il apparaît notamment sous la forme d’engrenages géants…

Je crois que certaines des choses que je crée sont spontanément symboliques. Elles me viennent naturellement, parce que c’est ce que j’aime faire. J’aime filmer des choses en gestation, des roues, des insectes, des êtres étranges conservés dans des bocaux de formol. Ce sont des images qui provoquent certaines sensations que j’apprécie. J’essaie de les intégrer à un univers. Dans certains films, je leur donne des couleurs et des formes qui contribuent à l’histoire. Je suis très sensible aux choses qui évoquent l’éternité. Les formes ovoïdes, les œufs, les cercles, les lignes concentriques, etc. Toutes ces images représentent des thèmes fascinants, mais plus on les montre ostensiblement, plus on les explique, et plus elles deviennent dérisoires. Quand elles sont placées judicieusement, elles deviennent cohérentes, mais dès que vous en parlez, elles perdent de leur puissance.

Quelle est la différence majeure entre le premier Hellboy et le second ?

Je crois qu’il y a beaucoup de différences. Quand vous établissez des règles pour imaginer un premier épisode, vous créez un manuel qui explique le fonctionnement des choses, les pouvoirs des personnages, les points importants de l’intrigue. C’est assez fastidieux de construire tout ça, parce que vous devez consacrer les deux tiers de vos dialogues à expliquer aux spectateurs comment tout fonctionne. Le second film est plus amusant. C’est ce que j’ai découvert en réalisant Blade 2 : tout était déjà en place, et je n’avais pas à expliquer l’histoire depuis le début. Nous avons intégré un bref résumé au générique d’ouverture, et ensuite, j’étais libre de faire ce que je voulais. J’ai éprouvé le même plaisir en tournant Hellboy 2, puisque les spectateurs connaissaient déjà cet univers. J’ai pu m’offrir le plaisir de montrer Abe et Hellboy bavarder de tout et de rien, parce qu’ils sont tous les deux un peu tristes. On les voit même se disputer pour rire au sujet de la taille de leurs chaussures ou de celles de leurs reins. Je pouvais me permettre de filmer ça parce que ce sont des amis qui s’amusent à se vanter et à dire des bêtises parce qu’ils ont trop bu. Dans le premier film, on n’aurait jamais pu intégrer une scène comme celle-là. Mais une fois qu’un univers est posé et ses personnages connus, vous pouvez vous permettre de faire des choses un peu plus folles dans le second épisode.

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