Entretien exclusif avec le réalisateur Gareth Edwards, à l'occasion de la sortie en DVD & Blu Ray de GODZILLA
Article Cinéma du Dimanche 21 Septembre 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Pouvez-vous parler de l’ennemi principal de Godzilla dans le film, Muto ? Pourquoi se combattent-ils ? Sont-ils tous les deux des « mâles alphas » parmi les Kaijus, qui luttent pour la suprémacie, ou y a-t-il une autre raison ?

Oui, il y a bien une raison. Leur existence est régie par un cycle naturel, qui implique des petits organismes. Mais je ne peux pas vous en dire plus sans ruiner une des révélations importantes du film.

Vous avez indiqué que la démarche de Chris Nolan et sa réinterprétation réaliste de Batman vous avaient inspiré dans votre approche de Godzilla. Mais jusqu’à quel point peut-elle être crédible quand on parle de monstres si colossaux qu’ils devraient s’effondrer sur eux-mêmes à cause de leur propre poids ? Avez-vous essayé d’inventer une sorte de « biologie des Kaijus » pour justifier cela, et définir ainsi comment ils vivent, mangent, boivent, respirent, etc ?

Oui, nous avons eu ce genre de conversations pour rationaliser l’existence des monstres. Il y a aussi une chose que nous avons faite et qui est unique dans l’histoire du design de Godzilla. D’ailleurs personne ne l’a remarquée jusqu’à présent : nous lui avons ajouté des branchies, parce que dans notre récit, nous racontons que Godzilla est resté caché pendant très longtemps dans les profondeurs abyssales de l’océan. Je me suis dit qu’il serait impossible que les gens ne l’aient jamais vu au moment où il serait remonté en surface pour respirer, et nous l’avons donc doté de branchies pour justifier le fait qu’il puisse vivre totalement sous l’eau. Quand vous l’observerez dans le film, vous verrez ces branchies qui se mêlent aux contours de son cou. J’aime beaucoup ces petits détails… Je vais vous en citer un autre : on voit dans une scène un livre posé sur une étagère. Il a été écrit par le savant que joue Ken Watanabe. C’est un détail que personne ne verra jamais, mais ce livre est consacré aux fossiles qu’il a trouvés dans le sol et qui étaient placés dans des strates de terre plus hautes que celles correspondant à l’arrivée sur terre de l’astéroïde qui a provoqué un cataclysme et entraîné la disparition de dizaines de milliers d’espèces, dont les dinosaures. Quand l’astéroïde a frappé notre planète, il a soulevé un tel nuage de poussière que la lumière du soleil n’a plus réchauffé ni éclairé le sol pendant des siècles. Les températures ont chuté, de nombreuses plantes ont disparu, ainsi que les petits herbivores qui s’en nourrissaient, et qui étaient les proies des dinosaures. C’est la raison pour laquelle ils ont disparu, et c’est aussi ce qui explique que l’on n’a jamais retrouvé d’os de dinosaures au-dessus de cette fameuse couche de poussière qui a recouvert le monde à ce moment-là. Et pourtant, dans ce livre, le personnage de Ken Watanabe affirme qu’il a trouvé des ossements postérieurs à ce fameux cataclysme !

Et est-ce que ces ossements, par hasard, serait ceux de dinosaures beaucoup beaucoup plus grands que leurs ancêtres ?

(Gareth Edwards sourit) Mmm, je ne sais pas… Il faudrait que je lise ce livre ! (rires) Bref, c’est par cette démarche que nous avons essayé de justifier de manière rationnelle toute l’histoire passée de l’émergence de ces kaijus. C’est important pour nous, pour les acteurs, et pour les studios d’effets visuels. Peut-être que 90% des spectateurs ne retiendront pas ces informations, mais pour nous, elles rendent cet univers bien plus réaliste.

Mais en ce qui concerne strictement l’anatomie des Kaijus, avez-vous imaginé comment la structure des os de Godzilla et de son principal adversaire était conçue, et comment elle pouvait supporter le poids faramineux de leurs corps ?

Oui, vous avez raison, le poids de leurs corps serait faramineux, mais on peut considérer que si l’évolution avait poussé ces animaux vers le gigantisme, elle aurait trouvé des solutions organiques pour renforcer leurs corps et leurs os, comme ceux des plus grands dinosaures herbivores.

Godzilla a-t-il des buts, des motivations précises pour se rendre dans des zones spécifiques de San Francisco ? Ou est-il attiré là uniquement par la radioactivité ?

Il y a des motivations, et son but est de poursuivre l’autre grande créature du film. C’est Godzilla le prédateur principal du film.

En considérant le plan de la bombe H sur laquelle est peinte la tête de Godzilla, et cette idée que les autorités gouvernementales connaissaient déjà l’existence de Godzilla en 1954, tout indique que votre film est à la fois un remake et un reboot de la saga, étant donné que vous réinventez aussi bien le passé de Godzilla que son présent…

Oui. Dans le film original de 1954, Godzilla se révélait et détruisait Tokyo, ce qui nous empêchait de connecter ce premier épisode à notre version fondée sur le secret entourant la présence des monstres. Mais nous voulions absolument rendre hommage à toute l’histoire passée du personnage. Il y certaines choses qui sont des évocations du GODZILLA de 1954 dans notre film : le test de la bombe H dans le Pacifique Sud, par exemple. Le petit rebondissement nouveau de notre film, c’est que contrairement à la version de 54 où le test a simplement « réveillé » Godzilla, nous suggérons que ce test a été organisé pour le tuer, car son existence était déjà connue, notamment grâce aux sous-marins, qui depuis la seconde guerre mondiale, étaient déjà capables d’atteindre de grandes profondeurs et de découvrir les créatures du fond des mers. Nous avons imaginé qu’après l’explosion de cette bombe H, Godzilla a cessé de réapparaître, et que les autorités n’étaient pas sûres de ce qui s’était passé, à savoir s’il avait été tué ou pas.

Quand nous avons parlé avec Guillermo Del Toro de la manière dont il a dirigé les combats entre les robots géants et les Kaijus dans PACIFIC RIM, il nous a expliqué qu’il avait triché un peu sur la vitesse de leurs gestes, et les avait fait bouger un peu plus vite pour donner plus de dynamisme à leurs actions. De votre côté, vous avez choisi des gestes plus lents et plus réalistes pour suggérer la taille et la masse énorme des créatures. Pouvez-vous nous parler de ce choix et des défis posés par l’animation de Godzilla et de son ennemi principal, dans les scènes où ils s’affrontent ?

Effectivement, si nous avions fait bouger ces monstres en tenant compte des réalités biologiques et physiques, les spectateurs auraient eu l’impression de visionner ces séquences au ralenti. D’autre part, nous nous pouvions pas non plus tricher au point de les faire bouger très vite. Prenons l’exemple d’un geste tout simple : si je pointe mon bras vers le plafond puis que je l’abaisse pour désigner le sol, je n’ai besoin que d’une seconde pour effectuer ce mouvement. Mais transposé au même rythme d’une seconde à l’échelle titanesque de Godzilla, cela voudrait dire que le bout de sa patte se déplacerait si vite sur cette distance énorme qu’elle dépasserait la vitesse du son et que l’on entendrait un bang supersonique ! Là, on ignorerait totalement les lois de la physique. Nous nous sommes donc retrouvés entre deux extrêmes : en étant scientifiquement crédibles, les mouvements devenaient insupportablement lents, et en misant tout sur le dynamisme, le rendu n’était plus du tout réaliste. Il fallait trouver un compromis visuellement acceptable, et l’idée que nous avons trouvée a consisté à commencer toujours les mouvements de manière lente, puis d’augmenter la vitesse jusqu’au point où l’action devenait spectaculaire, mais sans aller trop vite, car à ce moment-là, on n’a plus du tout l’impression de regarder des créatures géantes. Nous avons effectué ces réglages de vitesse très attentivement, plan par plan.

Pouvez-vous parler du personnage joué par Elisabeth Olsen ?

Elle incarne la femme de Ford Brody, et depuis quelque temps déjà, elle essaie de faire en sorte que son mari renoue avec son père qui est obsédé par le drame qui s’est déroulé quinze ans plus tôt, et au cours duquel son épouse a perdu la vie. Elle incite Ford à aller le voir et à apaiser leur relation. Mais elle aussi sera mêlée aux évènements ultérieurs et à l’apparition des créatures.

Quelles sont vos scènes préférées du film et pourquoi ?

Je vais devoir vous faire une réponse elliptique, mais elle sera sincère. Mon but principal quand j’ai commencé à travailler sur ce projet était justement de ne pas avoir de scène favorite ! Comme un parent, je n’avais pas envie de désigner un enfant préféré. Je voulais être tellement satisfait de chaque scène que je n’aurais pas la réaction d’en préférer une au détriment des autres. C’est la raison pour laquelle à chaque fois qu’une scène s’est nettement améliorée par rapport aux autres, je revenais aux scènes qui semblaient plus faibles pour les retravailler et les rendre meilleures. Bien sûr, il y a des petites scènes plus anecdotiques qui servent de maillons pour connecter une séquence à un autre, mais en ce qui concerne les séquences principales, je peux vous dire que quand nous avons regardé pour la première fois la continuité du film inachevé, après chaque scène importante je chuchotais à l’oreille de mes voisins « Ah, cette scène est ma préférée ! » (rires) Aujourd’hui, je serais bien en peine de vous dire quelle séquence remporterait la compétition, car cela change à chaque fois.

Bryan Cranston nous a dit que vous aviez mis au point une méthode particulière pour aider tous les acteurs présents sur le plateau à visualiser les mouvements des monstres en même temps, afin qu’ils aient des réactions cohérentes et synchrones. Pouvez-vous la décrire ?

Eh bien nous leur montrions déjà la prévisualisation de la scène pour qu’ils aient une idée générale de ce qui était sensé se passer, et des mouvements du ou des monstres. Et ces previz étaient sonorisées avec d’excellents bruitages et grognements des monstres. Ensuite, j’utilisais un mégaphone, je pointais le micro connecté au mégaphone sur l’IPad où je stockais toutes les prévisualisations, et je pouvais faire entendre ainsi les cris des créatures aux acteurs tout en les dirigeant ! (rires) En vous racontant cela, je me rends compte que cette méthode a l’air d’être stupide et peu efficace, mais je vous assure que chaque fois que je faisais entendre les cris des monstres aux acteurs, leurs performances étaient bien meilleures ! Cela leur permettait de les visualiser dans leurs têtes. Mais si j’étais content d’avoir trouvé ce truc, c’était terriblement lassant de devoir faire la même manipulation avec le micro et mon IPad à chaque fois ! (rires) Au bout de dix prises, j’étais toujours obligé de rembobiner l’extrait précis de la préviz qui correspondait au moment du plan que nous tournions, pour le caler juste à l’instant où j’allais crier « action ! » (rires) Après quelques jours, j’ai fini par donner les fichiers des cris des monstres à l’équipe du son, afin qu’ils se chargent de les faire entendre aux acteurs pendant les scènes d’action. Et c’est cette équipe, à mon grand soulagement, qui s’est chargée de créer ensuite l’ambiance propice aux apparitions des kaijus sur le plateau pendant le reste du tournage. (rires)

Est-ce que votre choix d’utiliser la musique de Gyorgy Ligeti est une indication de l’ambiance musicale que vous avez voulu donner au film ?

Je vais vous raconter comment j’en suis venu à utiliser cette musique. C’était bien avant le tournage, au moment où nous préparions les prévisualisations des séquences principales. Nous étions en train de chercher quelle illustration musicale utiliser sur la scène du saut du commando de parachutistes au-dessus de San Francisco, et alors que j’étais en train d’utiliser mon Ipod, la fonction « shuffle » a fait que je suis tombé sur un extrait de la musique de 2001 L’ODYSSEE DE L’ESPACE qui était justement cette composition de Gyorgy Ligeti. C’était un pur hasard, mais en l’écoutant alors que nous travaillions sur cette scène, j’ai été sidéré de voir à quel point la musique correspondait parfaitement à ces images et à l’atmosphère irréelle de saut vers l’enfer que nous voulions créer.

Quelles ont été les plus grandes difficultés à résoudre pendant la création des effets visuels ?

Parvenir à donner toujours une bonne idée de l’échelle gigantesque des monstres et des destructions qu’ils provoquent. Les simulations 3D des immeubles qui s’écroulent et des nuages de poussière que cela soulève sont extrêmement sophistiquées, tout comme les animations des créatures. Comme vous avez pu le voir au début de la confrontation entre Godzilla et son adversaire principal sur le tarmac de l’aéroport d’Hawaï, dès que les créatures arrivent les dégâts qu’elles provoquent sont considérables. Dans un des plans de cette scène, nous faisons exploser trois 747 placés l’un à côté de l’autre dans l’aéroport ! Tout devait être extrêmement réaliste. Bref, gérer le chaos est particulièrement difficile quand l’un de ceux qui le provoquent mesure plus de 120 mètres de haut ! (rires)

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