[25ème anniversaire de The X-Files] Les effets de maquillage du film Régénération
Article Cinéma du Mercredi 12 Septembre 2018

A l'occasion du 25ème anniversaire de la diffusion de l'épisode pilote de The X-Files, nous vous proposons de (re)découvrir cet entretien, originellement publié durant l'été 2008 :

Entretien avec Bill Terezakis, superviseur des effets de maquillage

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Pourriez-vous nous raconter comment vous avez débuté dans le domaine du maquillage, et quels ont été vos projets les plus récents ?

Tout cela a commencé dans mon enfance, car j’étais déjà obsédé par les monstres ! Je suis né dans la partie centrale du Canada, à Manitoba. C’est une ville dans laquelle on trouve une communauté française assez importante, installée dans le quartier de St Boniface. Chaque année, pendant l’hiver, St Boniface accueille un événement appelé Le festival du voyageur. Le public est convié à découvrir les différents aspects de la culture canadienne francophone au travers de ses danses, ses chansons et sa gastronomie. On organise aussi une fantastique exposition de sculptures de glace. La mascotte du festival est depuis toujours une statue de neige assez inquiétante, surnommée le « Bonhomme ». Elle m’a marqué. D’après ce que m’ont raconté mes parents, j’ai toujours eu une imagination débordante et un peu trop active. Quand je suis né, ma mère a failli mourir à cause d’importantes pertes de sang. Mon arrivée en ce monde l’a contrainte à passer trois jours dans le service des urgences, et à subir des transfusions sanguines. Il semblerait que mon intérêt pour les mises en scènes sanglantes et le gore me soit venu dès ma naissance ! (rires) Et comme vous l’imaginez, à cause de ces circonstances dramatiques, il ne se passe pas un jour sans que ma mère me rappelle que j’ai failli la tuer. (rires) Je faisais souvent des cauchemars quand j’étais enfant, à cause de mon imagination trop fertile. Les monstres me fascinaient, mais ils me terrifiaient aussi. Ce n’est qu’après avoir vu La planète des singes que j’ai commencé à avoir envie d’en fabriquer moi-même. Ma famille et moi sommes partis en voiture pour la Floride dans les années 70. Nous séjournions au Hilltop Motel, qui avait la particularité de contenir un tout petit musée rempli d’accessoires et de costumes de films. Un jour, alors que je m’amusais à pourchasser les petits lézards qui se promenaient aux alentours du motel, j’ai remarqué une décoration étrange dans la vitrine du musée. Sur une série de photos, on voyait un homme d’un certain âge tenir sur son visage ce qui semblait être un masque de singe. Ma mâchoire a failli se décrocher quand j’au vu cela. Je suis entré dans le musée, et j’ai découvert que le vieil homme qui s’en occupait possédait des prothèses originales et des costumes de La planète des singes, présentées dans des vitrines ! J’ai passé l’essentiel de mes vacances de Noël à discuter avec ce monsieur, à écouter tout ce qu’il pouvait me raconter sur ce film et sur les techniques de maquillage. Je n’ai malheureusement pas retenu son nom. Quand nous sommes revenus à Winnipeg, j’étais déterminé à me lancer moi aussi dans la création de monstres ! Voilà comment ma vocation est née.

Vous avez formé une équipe autour de vous…

Oui. Je travaille avec ma merveilleuse épouse Maureen au sein de notre compagnie WCT Productions. Nous nous spécialisons dans le design et la fabrication de maquillages spéciaux et d’effets animatroniques. Cela fait dix ans que nous travaillons au sein de l’industrie du film et de la télévision à Vancouver, en Colombie Britannique. Parmi nos projets récents figurent les films Trick r’ Treat, Joyride 2, et A Tale of 2 Sisters. Nous travaillons aussi sur les effets spéciaux des séries Reaper, Smallville et Battlestar Gallactica.

Que pouvez-vous nous révéler sur les effets de maquillage de X-Files Régénération ?

Malheureusement, j’ai prêté serment de ne rien révéler des détails de ce que nous avons créé pour le film. Dès le début, j’ai été informé par le producteur exécutif Brent O’Conner que nous allions avoir la tâche de fabriquer dans notre studio deux des trois éléments clés de l’intrigue du film. Je ne peux en parler sous aucune circonstance, sous peine d’être immédiatement lobotomisé ! Ce que je peux dire, en revanche, c’est que nous allons tous être abasourdis en voyant le film, et en découvrant l’histoire que Chris et Frank ont écrite. Nous avons conçu et fabriqué beaucoup de choses étonnantes qui sont issues de leur imagination délirante !



Quels sont les problèmes spécifiques qui se posent quand on doit maquiller des acteurs qui doivent rester longtemps exposés à un froid intense ?

Le problème numéro un, c’était d’imaginer constamment de nouveaux moyens de les distraire, afin qu’ils oublient un peu le froid qui engourdissait leurs mains et leurs pieds. Heureusement, certains des acteurs ont peu être protégés du froid glacial qui règne dans le nord de la Colombie Britannique, parce que nous les avons reproduits sous forme de doublures hyperréalistes en silicone, afin de tourner certaines scènes d’action potentiellement dangereuses.

Comment avez-vous fabriqué le corps inclus dans la glace que l’on voit dans la bande-annonce du film ?

J’ai d’abord présenté à Chris et Frank un concept que j’avais dessiné sur Photoshop. L’acteur qui tient ce rôle est venu dans notre atelier afin que nous le moulions. Ce procédé dure de 6 à 8 heures. Nous moulons chaque partie du corps séparément : la tête, les bras, les jambes le torse et les dents.Une fois le moulage terminé, nous remplissons les moules de pâte à modeler chauffée pour devenir liquide. Nous démoulons la pâte à modeler une fois qu’elle a durci et nous assemblons les différentes parties du corps afin de passer à l’étape suivante : la sculpture. Nous fabriquons un moule afin d’obtenir un négatif du personnage définitif, puis nous plaçons un squelette articulé en aluminium à l’intérieur du moule. Il va permettre de positionner le personnage comme nous le voulons, grâce aux articulations disposées des membres jusqu’aux phalanges des doigts. Quand ce squelette d’aluminium est bien fixé au centre du moule, nous coulons un silicone translucide. Il faut attendre que le silicone catalyse, puis démouler le personnage, dont nous retouchons ensuite les petites imperfections (bulles, égratignures, etc…). Nous colorons ensuite la peau en appliquant de nombreuses nuances avec un aérographe. Nous utilisons aussi des pinceaux et des brosses pour ajouter des petits détails comme des tâches ou des petites verrues. Nous ajoutons ensuite les yeux, les dents en résine, la langue et implantons les poils et les cheveux. L’une des particularités de ce personnage en silicone, c’est que l’on peut voir la peau bouger en fonction de la gravité quand on saisit ses deux poignets. J’ai été très satisfait de l’effet produit par les techniques que nous avons utilisées. Il se trouve qu’elles ont été mises à contribution à plusieurs reprises pendant le tournage. J’ai été très impressionné par la manière dont Chris et Bill Roe, qui est l’un des directeurs de la photo les plus doués que je connaisse, ont éclairé et filmé ce corps.

Quel est l’effet le plus complexe que vous avez eu à créer pour X-Files Régénération ?

Sans aucun doute l’énorme bloc de glace artificiel qui nous a été commandé, et qui mesurait cinq mètres de long et deux mètres d’épaisseur. Il a été extrêmement pénible à faire, de sa conception, jusqu’au moment où nous avons dû le livrer sur le plateau. J’ai eu l’impression qu’une malédiction s’abattait sur moi à chaque étape de sa fabrication ! L’équipe qui travaillait sur les moules a oublié d’appliquer une couche de séparateur sur la surface du modelage. Quand nous avons essayé de le démouler, le silicone adhérait à la sculpture. Nous avions investi six semaines de travail sur ce bloc de glace à ce moment-là, et nous étions arrivés à une impasse…Il a fallu tout reprendre à zéro, alors qu’il ne nous restait plus que dix jours avant que le bloc de glace soit filmé ! Nous avons sculpté un nouveau morceau de glace, qui a été enduit de silicone, puis recouvert de nombreuses couches de résine translucide, appliquée par neuf personnes pendant trois jours. Quand la résine a fini de durcir, il a fallu l’extraire de la sculpture qui servait de matrice. Pour ce faire, nous avons dû creuser l’intérieur de matrice, pour l’extraire de la coque de résine transparente extérieure, ce qui nous a pris trois jours de plus. A l’issue de ce travail, nous avons donc obtenu une enveloppe transparente qui simulait le bloc de glace, et que nous avons ensuite dû suspendre délicatement à un cadre de métal sans la briser en millions de morceaux. Après avoir traversé cette épreuve, nous pensions en avoir fini avec ce bloc de glace maudit, mais nous nous trompions… Après être resté exposé pendant 15 heures à la chaleur des projecteurs, dans le décor, après une longue journée de tournage, le bloc de glace à progressivement perdu sa forme. La résine avait commencé à fondre parce que certains éclairages avaient été placés à 6 centimètres de sa surface ! Nous nous en sommes rendu compte le lendemain, trois heures avant le début du tournage. J’ai réuni alors une équipe d’intervention d’urgence de 6 personnes, et nous avons utilisé des pistolets à chaleur (comme ceux que l’on utilise pour décaper de la peinture) afin de ramollir à nouveau la résine et de lui donner une forme acceptable en la modelant à la main. Comme les pistolets à chaleur n’étaient pas assez puissants, j’ai profité de la présence de l’équipe chargée de la lumière, arrivée plus tôt que d’habitude sur le plateau, et lui ai demandé d’allumer le projecteur « coupable » du désastre. Il a suffit d’attendre 30 minutes pour que la résine ramollisse. Nous avons pu lui redonner rapidement sa forme originale, puis nous avons éteint le projecteur, et avons figé à nouveau la résine en appliquant dessus de l’eau glacée avec des éponges. Pendant le reste du tournage de cette scène, j’ai laissé deux personnes sur le plateau, en leur donnant l’instruction de refroidir constamment la sculpture avec de l’eau froide afin de l’empêcher de fondre à nouveau. Je frissonne encore quand je repense à cette journée. Je suis satisfait du résultat de nos efforts, mais je crois que si l’on donnait un coup de couteau dans ce bloc de résine, on verrait mon sang s’en échapper !

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