Sur le tournage des GARDIENS DE LA GALAXIE : Entretien avec James Gunn, réalisateur – 1ère partie
Article Cinéma du Dimanche 26 Octobre 2014

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Dave Bautista est rappelé pour une nouvelle série de prises, des plans sur chacun des protagonistes réunis dans le vaisseau de Yondu, en train d’écouter les explications de Peter Quill et de Gamora. Cinq prises sont réalisées, et James Gunn vient nous rejoindre, souriant et visiblement heureux de diriger cet énorme projet.

Comment vous sentez-vous pendant ce marathon qu’est la réalisation d’une superproduction ?

Oh, je suis épuisé… Non, non, je retire ce que je viens de dire ! Veuillez tout effacer immédiatement et noter que je ne me sens jamais fatigué ! (rires) Je plaisante, car je suis très heureux d’être là. En ce moment, nous entamons la dernière phase de notre travail, en filmant tous les plans que nous avions mis de côté pour plus tard, après le tournage principal. Ce sont les journées que je trouve les plus dures parce que nous devons enchaîner des plans très différents, qui se situent dans des séquences réparties tout au long du film.

Quel est votre sentiment alors que vous arrivez à la fin du tournage ?

C’est une impression douce-amère. Pour tout dire, je suis très triste, parce que l’Angleterre et mon équipe vont me manquer terriblement. Il y a quelques membres du groupe que je vois très régulièrement à Los Angeles, comme Chris Pratt et Michael Rooker. Mais comme toujours quand un film s’achève, on a le sentiment très fort de voir une famille se séparer, et l’on sait que la vie étant ce qu’elle est dans ce métier, on ne reverra probablement jamais certaines personnes. Cela fait neuf mois que je me suis installé en Angleterre, et j’ai vécu des moments si intenses avec tous ces gens que je vais avoir beaucoup de mal à les quitter.

Comment avez-vous réussi à convaincre l’équipe dirigeante de Marvel que vous étiez le bon réalisateur pour mener à bien ce projet des GARDIENS DE LA GALAXIE ? Quels sont les éléments de votre vision de l’histoire et des personnages qui ont réussi à les séduire ?

J’avais en tête une manière très spécifique de tourner le film, à la fois en termes de rythme et de stylisation visuelle, et c’est ce que nous avons réussi à transposer en images chaque jour, tout au long de notre travail. Dans les films de Science Fiction, ou plutôt dans les fresques épiques qui se déroulent dans l’espace comme ce film, il y a eu un tournant au moment où BLADE RUNNER et ALIEN sont sortis. Tout est devenu usé, rouillé, sombre, et le plus réaliste possible. C’était très intéressant et efficace dans ces films-là, mais il y a eu ensuite toute une époque du cinéma d’anticipation où l’on n’a plus vu que des univers sombres, parce que les cinéastes voulaient que leurs images soient crédibles. A titre personnel, j’ai beaucoup apprécié cette approche dure et ténébreuse, mais j’aime aussi énormément les couleurs vives et le côté futuriste et optimiste des films de Science Fiction des années 50 et 60 comme PLANETE INTERDITE, LES SUVIVANTS DE L’INFINI, etc. J’ai voulu m’inspirer de ces classiques du genre pour créer ma propre vision de ce que pourrait être la transposition cinématographique des GARDIENS DE LA GALAXIE. J’avais envie d’un style visuel positif et coloré, et je voulais aussi apporter la même énergie aux mouvements de caméra, et à la manière de diriger les acteurs. Il fallait être en mesure de présenter de façon attractive et simple à comprendre toutes les situations complexes qui se passent dans des mondes lointains, sans jamais perdre l’attention des spectateurs en route. Nous voyageons dans beaucoup d’endroits incroyables et excitants au cours du film, mais chacun d’entre eux est enraciné dans sa propre réalité, et dans son propre fonctionnement rationnel. Je lie des personnages venus d’horizons très différents par juxtaposition, en jouant sur l’attirance des opposés, exactement comme je procède en utilisant la musique des années 80 que Peter Quill écoute sur son vieux Walkman alors que l’on se trouve au cœur de civilisations extraterrestres. J’aime beaucoup cet effet de contraste.

D’après les scènes que nous avons vues, l’humour va être l’un des éléments-clés de ce film…

Effectivement. Mais je ne peux pas m’en empêcher parce que c’est mon attitude dans la vie. Il m’est déjà arrivé de lire des scripts sans comprendre qu’il s’agissait de comédies jusqu’à ce que l’on me le dise (rires) mais je peux vous dire que je me suis souvent faire rire tout seul en écrivant le scénario des GARDIENS DE LA GALAXIE ! Ce n’était pas mon objectif principal dès le départ, mais c’est de cette manière que j’ai écrit spontanément le script.

Plusieurs de vos acteurs nous ont dit que vous aimez faire régner une bonne ambiance sur le plateau, y compris en organisant des plaisanteries pour détendre l’atmosphère…

Oui, je suis comme cela, et Chris Pratt aussi. C’est bénéfique à tous points de vue, parce que tout le monde aime travailler en s’amusant, et aussi parce que cela vous aide à conserver votre énergie pendant des journées de tournage très longues.

Est-ce que les studios Marvel vous ont donné une sorte de « feuille de route » pour que vous puissiez vous intégrer à leur univers cinématographique ?

Nous nous sommes parlés souvent et longtemps, mais comme je suis un grand fan de comics, je connaissais déjà très bien les BDs originales. Je voulais être fidèle à l’esprit de Marvel. Mais au sein des comics d’une même série, il y a toujours de nouvelles équipes de scénaristes et de dessinateurs qui succèdent aux précédentes. Et chacune possède sa propre vision et sa propre personnalité. Ces tandems créatifs ont trouvé leurs propres manières de raconter leurs histoires à l’intérieur de l’univers Marvel, et je crois que les choses se passent exactement de la même manière dans l’univers cinématographique de Marvel. Ce que nous faisons dans LES GARDIENS DE LA GALAXIE est très différent de ce qui a été fait dans AVENGERS, de bien des façons. Mais il y a aussi des similitudes. Pour répondre clairement à votre question, l’équipe dirigeante des Studios Marvel ne m’a jamais donné d’instructions précises en me disant que je devais les respecter. Le moment le plus étrange que j’ai vécu pendant toute cette expérience a été celui où j’ai livré la première version de mon scénario. Tout le monde était très heureux du résultat, et est venu me parler du script. Et Joss Whedon, qui est un de mes amis proches depuis longtemps, et qui m’a toujours soutenu dans mes projets, l’a beaucoup apprécie aussi. Mais il m’a dit « J’ai remarqué malgré tout un gros problème en lisant ton script » - ce qui m’a fait craindre le pire - et il a ajouté « Je trouve simplement qu’il n’y ait pas assez de ta propre personnalité dans cette première version. Il faut que l’on sente davantage que c’est un film de James Gunn. » Et ensuite, Kevin Feige, Louis D’Esposito et Jeremy Latcham ont abondé dans son sens. Pendant quelques instants, j’ai eu l’impression d’assister à mes propres funérailles, (rires) et puis j’ai retravaillé le film en me lâchant la bride. Au final, il y a plus de dialogues, plus de moments amusants, et aussi plus de moments dramatiques assez intenses, et c’est cet aspect qui va certainement surprendre les spectateurs. Ce sont justement ces scènes émouvantes qui constituent le moteur de cette histoire et de ce film.

Dans SLITHER et dans SUPER, il y a beaucoup de situations dans lesquelles vous utilisez un humour sarcastique très sombre et des moments gore. On se doute bien qu’il n’y aura pas de gore dans LES GARDIENS DE LA GALAXIE, mais retrouvera-t-on les gags grinçants que vous affectionnez ?

Oui, car j’aime l’humour noir. Cela fait partie de moi. Quand j’étais tout jeune, j’ai travaillé dans la morgue d’un hôpital, et quand on se retrouve à transporter des cadavres et à les stocker toute la journée, on côtoie des gens qui ont vraiment besoin de recourir à l’humour noir pour surmonter leur quotidien…Je crois que j’ai conservé cette attitude face aux circonstances pénibles de la vie. Et l’on retrouvera cela dans le film.

Pensez-vous qu’il pourrait exister une saturation de films de superhéros ? Ou que le marché est désormais installé de telle manière que des films de qualité trouveront toujours leur public ?

Je crois que le succès grandissant des productions des Studios Marvel prouvent qu’ils répondent à une attente très forte. La stratégie mise en place par la direction de Marvel a été extrêmement intelligente, parce qu’elle a consisté à présenter des personnages et des univers très différents d’un film à l’autre, sans chercher à fonctionner sur un autre modèle que celui qui avait fait ses preuves dans les bandes dessinées depuis une soixantaine d’années. C’est à dire mettre en place un univers cinématographique aussi cohérent que celui des comics, avec des connexions établies entre toutes les histoires, et un développement global de toutes ces trames dans les différents films. Et comme la technologie des effets visuels s’est perfectionnée prodigieusement vite à ce moment-là, il est devenu possible de réaliser des films dans lesquels les personnages pouvaient effectuer de manière crédible les mêmes exploits que dans les pages des comics. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles ces films ont tellement plu au public : parce qu’ils fonctionnent, et que l’on peut croire à ce que l’on voit sur le grand écran. Dans le passé, on a vu successivement SUPERMAN LE FILM, BATMAN et SPIDER-MAN, les trois grands superhéros que tout le monde connaît partout sur la planète. Leur notoriété a permis au public d’accueillir avec indulgence certains trucages peu convaincants. En revanche, je crois que si l’on avait réussi à produire IRON MAN en 1995, le film n’aurait pas marché, parce que la technologie de cette époque-là n’aurait pas permis de le rendre suffisamment impressionnant. C’est grâce au script, aux acteurs, à la réalisation de Jon Favreau mais surtout grâce aux effets visuels que le public a adoré IRON MAN, parce qu’il a pu croire de A à Z à cette histoire. N’oubliez pas qu’au moment ou cette première grosse production des studios Marvel est sortie, il n’y avait plus que 20 000 lecteurs par mois qui achetaient les comics d’Iron Man sur le territoire américain. Ce ne sont pas les fans de BDs qui ont fait le succès de ce film, mais le grand public qui ne connaissait pas du tout Iron Man. Je crois que l’équipe dirigeante des Studios Marvel a parfaitement anticipé tout cela et agi comme il le fallait. Et je suis très fier de travailler à leurs côtés et de faire partie de cette famille à présent.

La suite de cet entretien avec James Gunn paraîtra bientôt sur ESI !

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