LES TORTUES NINJA – 7ème partie : Entretien avec Kevin Martel, animateur superviseur
Article Cinéma du Jeudi 20 Novembre 2014

Performances comiques & capture de performance : la technique au service des gags

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Kevin Martel est animateur chez ILM depuis 1999 et son intervention sur STAR WARS EPISODE 1, LA MENACE FANTOME. Il a travaillé ensuite notamment sur LE RETOUR DE LA MOMIE, les épisodes 2 et 3 de STAR WARS , HARRY POTTER ET LA CHAMBRE DES SECRETS, PIRATES DES CARAÏBES : LE SECRET DU COFFRE MAUDIT, , ERAGON, HARRY POTTER ET L’ORDRE DU PHENIX, INDIANA JONES ET LE TEMPLE DU CRANE DE CRISTAL, RANGO, AVENGERS et THE LONE RANGER.

L’un des éléments essentiels du film est la comédie, et cela fonctionne particulièrement bien dans les scènes d’interaction ou de disputes entre les tortues, ou quand leur maître Splinter les punit…

Merci. Généralement, quand on parle de comédie à un animateur, les premières références qui lui viennent spontanément en tête sont les Looney Tunes, et tous les cartoons géniaux réalisés par Chuck Jones et Tex Avery avec des personnages qui font des choses délirantes. Ce sont des animations avec des effets outranciers qui utilisent ce que l’on appelle le « Stretch & Squash », autrement dit des étirements et des tassements maximum des silhouettes des personnages en action, qui permettent de créer des actions très drôles et très dynamiques. Ces merveilleux dessins animés font partie de l’ADN de tout animateur. Mais l’approche de la comédie dans LES TORTUES NINJA devait être complètement différente, en raison de l’aspect réaliste de ces personnages qui évoluent aux côtés de vrais acteurs, dans le monde réel. Il fallait que leurs actions et leurs réactions soient nuancées, subtiles, et reposent sur des regards très expressifs et des mimiques qui semblent sincères et spontanées. Le film n’allait pas reposer sur des gags cartoonesques, mais sur la comédie de situation, ce qui signifie que les moments les plus amusants allaient provenir des réactions des Tortues, et aussi de leurs interactions au sein du groupe. La scène de l’ascenseur que l’on vous a montrée tout à l’heure, où les tortues se lancent dans une improvisation musicale, est un bon exemple de la manière dont l’animation basée sur la capture de performance sert la comédie de situation. Les réactions des personnages à ce moment-là auraient été beaucoup plus difficiles à animer en poses-clés, car quand on doit travailler image par image sur ce genre de scène, on a beaucoup de mal à imaginer et à gérer le timing de toutes les petites actions simultanées des personnages, leurs réactions et leurs interactions. Plus on y réfléchit en analysant ce que cela devrait donner théoriquement, moins le résultat obtenu semble spontané. C’est là le plus grand défi à relever quand on anime : arriver à garder du recul et un regard neuf sur une scène en cours de réalisation, pendant laquelle on voit et revoit sans cesse les mouvements que l’on est en train de régler, toute la journée, pendant des jours pour une scène courte, et des semaines pour une scène plus complexe ou plus longue. La capture de performance nous fournit immédiatement une animation fraîche, spontanée, prise sur le vif, sur laquelle nous pouvons intervenir si besoin est pour arriver exactement à ce que souhaitent le réalisateur et le producteur.

Si vous aviez dû animer l’improvisation musicale dans l’ascenseur, vous auriez certainement dû faire des recherches sur les mimiques des rappeurs qui produisent des sons de « beat box » avec leurs bouches…

Oui, nous aurions été contraints d’utiliser des documents vidéo, et de décomposer ces expressions image par image. Mais cela aurait été beaucoup moins précis que la capture de performance réalisée sur les visages de nos acteurs. Animer du « Beat Boxing » ne fait pas partie de la formation habituelle d’un animateur ! (rires) L’analyse de la capture des expressions a été fascinante à faire, car cela nous a permis d’observer étape par étape comment les joues des comédiens se gonflaient, la manière dont ils comprimaient leurs lèvres pour imiter le son des percussions, etc.

Est-ce que le système Muse vous aide à renforcer les effets comiques dans l’animation des personnages ?

Oui, car nous pouvons décomposer et réassembler les données facilement. Dans le passé, si l’on était contraint de prélever un bout de performance sur une prise pour le reporter sur une autre, cela obligeait à faire des manipulations de données si compliquées que l’on préférait recourir à de l’animation en poses-clés pour effectuer ces corrections. Je pense que Pablo vous a montré le plan où Michelangelo dit à April « On vous retrouvera » sort du cadre, puis revient s’excuser du côté sinistre de cette phrase. Eh bien l’animation du personnage est un véritable puzzle de différents morceaux de performances de Noel Fisher : au début du plan, sa voix et l’animation de son visage proviennent de ce que Noel avait joué pendant le tournage dans les décors extérieurs tandis que les mouvements de son corps sont tirés d’une autre prise, enregistrés dans un autre décor à un autre moment. Et quand on le voit revenir pour s’excuser, c’est une performance qui vient d’un tournage réalisé bien plus tard en plateau, dans le volume. Muse nous permet de réaliser ces assemblages de bouts de performances très facilement, pour donner le meilleur impact comique aux scènes. Idem pour les moments d’action ou d’émotion.

La suite de notre dossier Tortues Ninja / ILM paraîtra bientôt sur ESI !

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