Entretien exclusif avec Roy Conli, producteur des NOUVEAUX HEROS – 1ère partie
Article Animation du Mercredi 18 Fevrier 2015

Propos recueillis et traduits par Pascal Pinteau

Quand Disney a racheté Marvel en 2009, la transposition des comics de super-héros en animation a été l’une des premières collaborations aussitôt évoquée entre les deux géants. Il aura pourtant fallu attendre cinq ans pour qu’elle se concrétise, non pas autour de justiciers mythiques comme on s’y attendait, mais pour transposer sur le grand écran une BD méconnue, BIG HERO 6, créée par Steven T. Seagle et Duncan Rouleau en 1998, puis relancée en 2008. Ce choix surprenant, qui rappelle le pari gagnant de promouvoir les obscurs GARDIENS DE LA GALAXIE, démontre que Disney cherche les pépites de Marvel jusque dans les recoins les plus confidentiels de son catalogue de personnages. Le héros de cette histoire, justement nommé Hiro, est un génie précoce de la robotique. Il se retrouve embarqué malgré lui dans un complot criminel qui menace de détruire la paisible ville high-tech de San Fransokyo. Avec l’aide d’un de ses plus proches compagnons – le robot Baymax inventé par son frère disparu –, Hiro s’associe à une équipe de jeunes justiciers amateurs qui s’est donnée pour mission de sauver la population de la ville. Le producteur Roy Conli, qui a produit chez Disney LE BOSSU DE NOTRE-DAME, LA PLANETE AU TRESOR et RAIPONCE, nous parle de la création de ce film d’animation au ton résolument nouveau pour le studio, puisqu’il possède non seulement la touche Marvel, mais s’inspire aussi de l’univers de la Japanimation.

Entretien avec Roy Conli, producteur.

Les Anime et les Mangas sont de plus en plus populaires auprès du public occidental. Est-ce que LES NOUVEAUX HEROS est pour Disney une tentative de toucher les fans de Manga et d’explorer cet univers ?


Ce film est d’abord une tentative de porter à l’écran la vision de nos réalisateurs Don Hall et Chris Williams. Je crois que nous aimons tous les mangas et les grands films d’animation japonais dans notre équipe, et que l’influence de l’Anime est grande dans ce film, en partie parce que l’action se déroule dans la ville fictive de San Fransokyo, dans des décors fortement influencés par la culture asiatique. Si notre film parvient à piquer la curiosité des amateurs de Mangas et réussit à leur plaire, ce serait formidable et nous en serions très heureux. Mais les films qui sont développés chez Disney Animation sont toujours issus de la vision d’un réalisateur. Par la suite, quand le projet est défini, nous pouvons nous reposer sur l’expérience et l’efficacité des équipes de marketing pour en assurer la promotion. Mais c’est dans cet ordre-là que les choses se créent. Et je dois dire que la direction des studios nous laisse une liberté totale pour imaginer nos projets. Au départ, nous ne raisonnons pas en pensant à plaire au public, pour cibler telle ou telle catégorie de spectateurs de cinéma. Nous voulons d’abord nous faire plaisir en créant le projet qui nous plaît le plus, et ensuite, notre but est de faire partager cet enthousiasme au reste du monde.

Nous avons rencontré John Lasseter plusieurs fois, et il nous a souvent dit « Nous avons de grands artistes, de merveilleux designers, des animateurs exceptionnels, mais l’élément le plus important de tous nos projets est toujours et avant tout une bonne histoire. » Avez-vous suivi les directives de John Lasseter, tout au long du développement du récit des NOUVEAUX HEROS ?

Oui, comme John aime à le répéter, l’histoire vient toujours en premier. Toujours ! Et je dois avouer que cela a été l’une des choses les plus rafraîchissantes et les plus agréables qui se soient produites chez Disney Animation depuis huit ans que John en assure la direction artistique. Cela fait 21 ans que je travaille pour Disney, et ces huit dernières années ont été probablement les plus stimulantes de ma carrière au niveau créatif. Principalement parce que John ne laisse jamais une histoire avancer dans le processus de production s’il pense qu’elle n’est pas encore prête. Nous organisons une réunion au sommet avec lui toutes les douze semaines afin de lui montrer l’état du développement du projet. A chaque fois, il examine tout cela très attentivement, puis il nous envoie des notes détaillées avec des suggestions et des conseils. LES NOUVEAUX HEROS a été une histoire difficile à mettre au point, car il fallait que nous développions à la fois une équipe de super-héros, l’histoire d’un garçon et de son robot personnel, et l’impact psychologique sur notre héros de la mort de son frère aîné. Cela faisait beaucoup d’éléments narratifs à gérer et à mêler de manière à ce que cela semble naturel et fluide. Nous devions passer de moments drôles à des scènes tragiques, élaborer des séquences d’action purement visuelles, et déterminer la bonne quantité de chacun de ces ingrédients de l’histoire : bref c’était très compliqué. Mais le script est toujours passé en premier !

La bande dessinée originale de Marvel présente beaucoup de personnages qui ne sont pas inclus dans le film, comme Sunfire qui fait partie des X-Men dans les comics ou comme le Samouraï D’argent. Est-ce une décision que vous avez été contraints de prendre pour des raisons de copyrights, ou tout simplement parce que l’histoire que vous vouliez raconter ne rendait pas leur présence indispensable ?

Quand nous sommes allés rencontrer Marvel pour leur parler du projet, nous leur avons dit d’emblée que nous souhaitions développer un film en nous inspirant librement d’une de leurs BDs, et non pas d’en faire une adaptation rigoureuse selon les canons de Marvel. Nous avons été très clairs sur le fait qu’une fois que nous allions travailler sur ce concept issu d’un des Marvel comics, le film allait devenir une propriété nouvelle de Disney Animation. Nous avions besoin de pouvoir agir avec une complète liberté pendant le développement du film, afin de ne pas nous retrouver dans une position où Marvel viendrait nous voir en cours de production pour nous dire « Ah non, désolé, mais vous ne pouvez pas faire cela. » Nous avons demandé à avoir carte blanche et elle nous a été accordée, à notre plus grande joie. Joe Quesada, le patron des éditions Marvel, nous apporté un soutien total depuis le début, notamment en nous aidant à organiser concrètement les conditions de notre travail en toute liberté. Pour reprendre ce que vous disiez sur les problèmes de copyright, nous savions aussi que nous ne pouvions pas utiliser le Samourai d’Argent parce qu’il fait partie de l’univers des X-Men, dont les droits de transposition cinématographique appartiennent à un autre studio…

…A la Fox qui a d’ailleurs utilisé le personnage dans la dernière aventure en solo de Wolverine…

Oui. Mais cela ne nous a pas posé de problème, car nous avons situé l’action dans la cité imaginaire de San Fransokyo, clairement située en dehors de l’univers Marvel qui est toujours ancré dans des décors de villes réelles, notamment dans les quartiers populaires de New York. San Fransokyo situe d’emblée l’action dans un monde parallèle, quelque part dans le futur proche, afin de nous distinguer de l’univers des superhéros déjà connu.

Pouvez-vous nous parler de la contribution de John Lasseter à ce film ? Vous a-t-il fait des suggestions très précises à certains tournants de la création du projet ?

John a une grande influence sur tout ce que nous faisons. Sur la conception de l’histoire, sur l’articulation des phases du récit, sur l’animation, sur le layout des scènes. Ses suggestions sur le layout (la définition de la mise en scène du plan et de l’emplacement des personnages et des décors dans le cadre de l’image, NDLR) sont particulièrement précieuses car John possède une maîtrise impressionnante de la manière d’utiliser la caméra. Il a développé cela à un tel point qu’il peut vous l’enseigner de façon limpide et lumineuse, et vous aider à trouver facilement des solutions à des problèmes sur lesquels vous butez depuis longtemps. Quelquefois, ses suggestions vont être « Pour donner plus d’impact à cette scène, vous devriez placer la caméra dans l’autre axe » ou « Cette scène d’émotion aurait besoin d’un rythme plus dynamique » ou encore « Vous devriez placer cet élément en arrière-plan ». Et quand nous appliquons ces conseils, la narration fonctionne mieux. John nous a soutenu et encouragé pendant toute la production du film. Parmi les gags qu’il nous a suggérés, il y a celui de la fuite d’air dans l’enveloppe souple de Baymax, dans la scène du commissariat de police. C’est lui qui nous a dit « Il pourrait créer différentes notes en bouchant plus ou moins cette fuite d’air », et ce gag marche parfaitement à chaque fois auprès du public.

L’un des défis à relever pendant la conception du projet était de réaliser un mélange graphique harmonieux entre l’esthétique des mangas et celle des comics américains. A-t-il été difficile d’établir le bon dosage ?

Vous savez, c’est drôle que l’on parle si souvent de mangas et de comics à propos de l’esthétique du film, car pour moi, depuis le début du projet, il s’est agit d’un mélange d’Anime, c’est à dire du style des films d’animation japonais, et de l’approche graphique de Disney. Je voulais juste préciser cela parce que ce n’est pas la même chose, même si ces deux formes d’expressions artistiques sont issues du Japon. Dans notre équipe, tout le monde est fan de l’œuvre de Miyasaki, des productions du studio Ghibli, et considère leur travail comme une référence absolue dans le domaine de l’animation. Nous connaissons par cœur ses films, des plus anciens comme NAUSICAA DE LA VALLEE DU VENT jusqu’aux plus récents comme LE VOYAGE DE CHIHIRO, qui est l’un de mes films favoris. Le dosage dont vous parlez a été créé au fil de nos recherches de design et d’animation. Nous avons lancé des tests, et en voyant les résultats concrets, nous avons été en mesure de voir ce qui fonctionnait bien. Pour établir une comparaison avec une recette de cuisine, je dirais que nous avons employé le style Anime comme une épice dans la confection de notre plat, plutôt que de nous en servir comme l’un des ingrédients principaux. A la manière d’une pincée de cumin, il donne un petit peu de punch supplémentaire au goût de l’ensemble !

La suite de cet entretien paraîtra bientôt sur ESI !

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