La petite histoire de l’Oscar des meilleurs effets visuels
Article 100% SFX du Vendredi 13 Mars 2015

Les trucages ont évolué avec l’histoire du cinéma et l’essor des technologies du XXe puis du XXIe siècle. Quelques semaines après la 87e cérémonie des Oscars, qui s’est déroulée le 22 février à Los Angeles, nous vous proposons donc de revenir sur les films récompensés par les membres de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences (AMPAS). Des œuvres qui, fort logiquement, appartiennent majoritairement aux domaines du fantastique et de la science-fiction. Cet article récapitulant plusieurs décennies d’effets visuels novateurs, nous n’allons pas revenir en détail sur la minutieuse création de ces trucages. Nous souhaitons avant tout offrir un aperçu du contexte et un regard sur l’évolution des technologies, qui ont permis de créer des monstres, de voyages dans l’infiniment petit ou dans la galaxie, ainsi qu’un grand nombre d’images qui resteront à jamais gravées dans nos mémoires…

Par Pierre-Eric Salard



La cérémonie des Oscars est organisée par l’AMPAS depuis 1929. Dans ses premières années, cet événement, durant lequel l’industrie du cinéma américain récompense ses forces vives, était bien moins grandiloquent, et plus intimiste, qu’à notre époque. Il faut d’ailleurs attendre 1953 pour la première retransmission télévisée. Au départ, plusieurs corps de métiers sont oubliés ; mais après tout, le cinéma était alors un tout jeune art, qui prenait encore ses marques. Les créateurs d’effets spéciaux furent, ainsi, un temps oubliés. Pourtant, dès la première cérémonie, en 1929, le récipiendaire de l’Oscar du meilleur film, Les Ailes (Wings) obtient un prix qui restera unique : l’Oscar des meilleurs effets d’ingénierie. Quatre ans plus tard, le dirigeant des studios RKO, David O. Selznick insiste auprès des responsables de l’AMPAS afin que soit reconnu le stupéfiant travail de l’animation Willis O’Brien sur King Kong (1933). Peine perdue : il n’existe pas d’Oscar des meilleurs effets visuels. En 1939, l’Académie revient enfin sur sa décision. Le film Les gars du large (Spawn of the North), réalisé par Henry Hathaway, obtient un Oscar pour une contribution spéciale – un Oscar d’honneur mettant en avant une avancée majeure dans le domaine des effets visuels… et sonores ! Ainsi, à partir de 1940, et pendant encore un quart de siècle, l’Oscar des meilleurs effets spéciaux est attribué pour — à la fois — la qualité des trucages et des effets sonores. Dix ans plus tard, en 1950, Monsieur Joe (Mighty Joe Young) obtient cette récompense. Réalisé par Ernest B. Schoedsack (King Kong), ce film met en avant un (autre) singe géant. S’il est davantage destiné au grand public que son prédécesseur de 1933, Monsieur Joe bénéficie lui aussi des talents du superviseur des effets spéciaux en animation image par image, Willis O’Brien. Un certain Ray Harryhausen y fait également ses débuts, en tant qu’assistant-animateur, sous l’égide d’O’Brien. Ce dernier étant chargé de régler un certain nombre de problèmes, Ray Harryhausen doit rapidement faire ses preuves en s’occupant lui-même de nombreuses animations. Un défi relevé avec brio. Les marionnettes, elles, sont créées par Marcel Delgado – qui avait également œuvré sur King Kong. La progression qualitative entre la stop motion de King Kong et celle de Monsieur Joe, plus subtile, est flagrante ; la récompense est plus que méritée. Le talentueux Willis O’Brien obtient ainsi – même s’il n’est pas personnellement nommé – un Oscar mérité de longue date. Si les règles de l’Académie indiquent que l’Oscar doit être remis au producteur du film, ce dernier, Merian C. Cooper, l’offre au superviseur des trucages. Lors de la cérémonie de 1951, c’est Destination... Lune ! (Destination Moon), réalisé par Irving Pichel d’après un scénario de l’auteur Robert A. Heinlein, qui obtient les faveurs de l’industrie. Leland Zavitz (Autant en emporte le vent) en est le superviseur des effets spéciaux. Les peintures sur verre — illustrant notamment les panoramas lunaires — sont élaborées par l’artiste Chesley Bonestell (dont l’œuvre fut une importante source d’inspiration pour les ingénieurs du programme spatial américain). Il a notamment travaillé sur Citizen Kane, ainsi que de nombreuses productions de George Pal. Dont le film récompensé l’année suivante, en 1951 : Le Choc des mondes (When Worlds Collide), réalisé par Rudolph Maté. Seule une poignée de terriens vont pouvoir échapper, à l’aide d’une arche de Noé spatiale, à la destruction de la planète bleue. En 1954, c’est (encore) une autre œuvre produite par George Pal, La Guerre des mondes (The War of the Worlds), qui obtient l’Oscar. Réalisé par Byron Haskin d’après le roman d’H.G. Wells (qui est très librement adapté), ce film reste célèbre pour ses inquiétants vaisseaux extraterrestres en forme de raie manta. En 1954, alors que Des monstres attaquent la ville (Them !) et Le Démon des eaux troubles (Hell and High Water) sont nommés à l’Oscar, c’est — évidemment — Vingt mille lieues sous les mers (20,000 Leagues Under the Sea), célèbre adaptation du roman de Jules Verne, qui est récompensé. Soixante plus tard, le Nautilus proto-steampunk du Capitaine Nemo, imaginé par Harper Goff, possède toujours sa puissance évocatrice. À tel point que l’engin emblématique du premier film de SF des studios Disney a été reconstitué à Disneyland Paris. La perfection n’a pas d’âge. Le morceau de bravoure de ce film réalisé par Richard Fleischer (Le voyage fantastique, Soleil vert) reste la scène de l’attaque de la pieuvre géante – qui a été filmée deux fois. D’abord de jour, puis de nuit afin de la rendre plus dramatique (et, accessoirement, mieux camoufler les mécanismes permettant d’animer la créature sous-marine). En 1957, Les Dix Commandements (The Ten Commandments) de Cecil B. DeMille est nommé sept fois. Cette nouvelle adaptation cinématographique de l’histoire de Moïse, des dix plaies d’Égypte et de la fuite des Hébreux vers la terre promise n’obtient finalement que l’Oscar des effets spéciaux – qui sera remis à John P. Fulton (Le retour de l’homme invisible), alors responsable du département des trucages de la Paramount Pictures. Si le film ne manque pas de séquences spectaculaires, la traversée de la mer rouge marque particulièrement les esprits – ainsi que la rétine. Une scène qui nécessita pas moins de six mois de travail, avec de nombreux éléments (prises de vues réelles, peintures sur verre, etc.) minutieusement combinés à l’aide d’une tireuse optique. Notons que Planète interdite était nommé face aux Dix Commandements. En 1960, les membres de l’Académie récompensent un autre film « historique », Ben-Hur, réalisé par William Wyler. Outre la présence de Charlton Heston, ces deux films ont un point commun : des effets spéciaux spectaculaires. Parmi les onze Oscars attribués, les trucages ne sont donc pas oubliés. On se souvient de la spectaculaire course de chars, filmée dans les studios italiens Cinecitta pendant près de trois mois. Mais n’oublions pas la bataille navale, qui fut conçue à l’aide d’une quarantaine de maquettes. L’année suivante, La Machine à explorer le temps (The Time Machine), réalisé par George Pal d’après le roman de H.G. Wells, marque les esprits grâce à la scène du voyage temporel. George (Wells), un inventeur incarné par Rod Taylor (décédé le mois dernier), y assiste à l’évolution de son proche environnement, à travers le temps qui défile à vive allure. Un trucage réalise image par image par l’équipe de Gene Warren et Tim Baar, qui obtiennent la précieuse statuette.



En 1964, l’AMPAS décide – enfin – de scinder la catégorie de l’Oscar des meilleurs effets spéciaux. Les effets visuels et les effets sonores sont donc reconnus séparément. Désormais, les votants doivent se décider à partir de deux critères : la contribution des effets au film, ainsi que leur direction artistique. Emil Kosa Jr devient le premier récipiendaire de cette nouvelle ère pour son travail sur Cléopâtre (Cleopatra). En 1965, Peter Ellenshaw, Eustace Lycett et Hamilton Luske sont récompensés pour les formidables trucages de Mary Poppins. Outre la centaine de peintures sur verre impressionnistes de Peter Ellenshaw – les toits de Londres restent gravés dans les mémoires —, le film propose une pléthore de scènes marquantes. Ainsi, quand Mary Poppins sort des objets volumineux de sa valise magique, deux prises de vues sont superposées : dans la moitié inférieure de l’image, les jeunes acteurs sont stupéfaits par la magie de leur nouvelle nounou, et tentent de trouver le « truc » sous la table. Dans la moitié supérieure, Julie Andrews tire des objets à travers une table percée, dont les pieds sont camouflés par un tissu orange. Une fois ces deux plans combinés, le tour de passe-passe est achevé ! L’oiseau qui se pose sur le doigt de Mary Poppins est un automate audio-animatronique, dont les câbles étaient camouflés derrière la main puis dans la manche. Lorsque les jouets de la chambre prennent vie pour se ranger, les magiciens du cinéma font appel à la stop-motion ou à une vieille astuce du septième art : projeter une prise de vue à l’envers. N’oublions pas la visite des paysages dessinés à la craie. Les acteurs furent d’abord filmés devant un écran à la vapeur de sodium, ce qui permit aux animateurs de dessiner, animer, coloriser — et synchroniser avec leurs partenaires humains — les personnages de dessin animé. Les comédiens ont enfin été incrustés au sein des fantaisistes décors grâce au procédé de travelling matte au sodium… En 1966, James Bond, pour sa quatrième mission, Opération Tonnerre (Thunderball), reçoit l’Oscar à son tour. Ou plutôt le superviseur des effets spéciaux John Stears (Goldfinger, Star Wars), et créateur de la légendaire Aston Martin DB5 équipée de surprenants gadgets. Le jetpack utilisé par l’agent secret, lui, fonctionnait réellement. Et l’explosion du Yacht du vilain fut tellement puissante que des vitres se brisèrent sur plusieurs kilomètres ! En 1967, Art Cruickshank obtient la statuette pour Le Voyage fantastique (Fantastic Voyage), réalisé par Richard Fleischer. Le cinéaste fait notamment appel à des collaborateurs de 20 000 lieues sous les mers. Après avoir dessiné le Nautilus, Harper Goff signe ainsi le design du Proteus, le vaisseau sous-marin qui part explorer des vaisseaux sanguins. Une aventure dans le corps humain dont les trucages sont particulièrement réussis. L’année suivante, Richard Fleischer récidive avec L’Extravagant Docteur Dolittle (Doctor Dolittle), nommé face à Tobrouk, commando pour l’enfer. En 1969, l’Oscar est attribué à Stanley Kubrick – en tant que directeur des effets spéciaux — pour 2001, l’odyssée de l’espace. Il s’agit de la seule récompense obtenue par ce chef d’œuvre de la SF (sur quatre nominations) ! Paradoxalement, il s’agit également du seul Oscar que le cinéaste britannique recevra à titre personnel… Grâce (notamment) à la collaboration de Douglas Trumbull (Star Trek : le film, Blade Runner), Stanley Kubrick élabore un nombre stupéfiant de techniques novatrices et de scènes visuellement inédites. 2001 représente ainsi une avancée majeure dans l’histoire des effets spéciaux – un sujet que nous avons maintes fois abordé dans de précédents numéros. En 1970, Robbie Robertson remporte l’Oscar pour un autre film « spatial », Les Naufragés de l’espace (Marooned), qui préfigure – de peu – les mésaventures de l’équipage d’Apollo 13. Si les nombreux trucages de ce film pâtissent de la comparaison avec 2001, les scènes du vaisseau dérivant dans l’espace sont de toute beauté. En 1972, L’Apprentie sorcière (Bedknobs and Broomsticks), des studios Disney, ne renoue pas avec le succès de Mary Poppins. Ce film, réalisé par Robert Stevenson, comporte pourtant lui aussi une séquence mêlant prises de vues réelles et animation traditionnelle. La qualité technique de cette scène incitera l’Académie à attribuer l’Oscar à Alan Maley, Eustace Lycett et Danny Lee. Les trois années suivantes, plusieurs films catastrophes sont récompensés : L'Aventure du Poséidon (The Poseidon Adventure), Tremblement de terre (Earthquake) et L'Odyssee du Hindenburg (The Hindenburg) . Le genre était alors à la vogue, et pour cause : les scènes de destruction bénéficiaient de trucages très réussis. En 1977, l’Oscar des meilleurs effets visuels est attribué à non pas un, mais deux films ex aequo : King Kong et L’Âge de cristal (Logan’s Run). Le premier, remake du film de 1933 réalisé par John Guillermin, est célèbre pour sa réplique mécanique géante de King Kong mis au point par Carlo Rambaldi – qui a été très utile pour la promotion malgré sa courte apparition dans le film (à cause de nombreux ennuis techniques). La campagne marketing aurait-elle influencé les membres de l’AMPAS ? Reste que ce King Kong ne manque pas de scènes impressionnantes (sans pour autant disposer de la poésie de l’animation image par image du film original). L. B. Abbott, Glen Robinson et Matthew Yuricich ont quant à eux reçu la statuette pour L’Âge de cristal. En 1978, une nouvelle étape est franchie. À la surprise générale (ou presque), La guerre des étoiles rencontre un succès phénoménal. L’un des nombreux points forts du futur Épisode IV est sans conteste la qualité de ses trucages, qui propulsent Hollywood dans une nouvelle ère (celle des blockbusters, ce qui avait déjà été amorcé par Les dents de la mer).



Comme nous l’avions expliqué dans de précédents dossiers, George Lucas a créé sa propre société, Industrial Light & Magic (ILM), pour concevoir les effets spéciaux de son film. Les jeunes techniciens et artistes, recrutés pour l’occasion, vont d’abord rencontrer de nombreuses difficultés pour mettre au point leurs trucages novateurs, pendant la première année de production (au point que les responsables des studios Fox viennent leur rendre visite). Mais l’équipe supervisée par John Stears, John Dykstra, Richard Edlund, Grant McCune et Robert Blalack (tous récipiendaires de la statuette) réussira à livrer des trucages inédits pour l’époque, et bien plus dynamiques que dans 2001, l’odyssée de l’espace. Sous l’égide de John Dykstra, l’utilisation d’une caméra contrôlée par ordinateur pour filmer les différentes maquettes, avant de combiner les prises de vues via une tireuse optique, offre aux évolutions spatiales des vaisseaux spatiaux une précision et une énergie spectaculaire. Dès son premier film, ILM reçoit logiquement un Oscar – le premier d’une longue liste. Star Wars concourrait face à un film qui ne l’avait pas, non plus, démérité : Rencontres du troisième type de Steven Spielberg, dont Douglas Trumbull était le superviseur des effets spéciaux. En 1979, Les Bowie, Colin Chilvers, Denys Coop, Roy Field, Derek Meddings et Zoran Perisic obtiennent l’Oscar pour Superman. Réalisé avant l’ère du numérique, le film de Richard Donner a nécessité la création d’imposantes maquettes du Golden Gate Bridge et du barrage de Hoover. Plusieurs techniques complémentaires ont été utilisées pour faire voler Superman : systèmes de câbles effacés en post-production (via la rotoscopie), fond bleu remplacé par des prises de vues réelles de New York, etc. Il faudra attendre près d’un quart de siècle pour qu’un autre film de superhéros remporte à son tour un Oscar… En 1980, Alien, le huitième passager, deuxième film de Ridley Scott, convainc l’Académie malgré une rude concurrence : Le trou noir, 1941, Star Trek : le film et Moonraker. Il est vrai que, 35 ans plus tard, les effets du film n’ont — quasiment — pas vieilli. Une réussite qui incombe au travail remarquable de H. R. Giger, Carlo Rambaldi, Brian Johnson, Nick Allder, Denys Ayling, et de leurs équipes. Du voyage de Nostromo à l’apparition du chestburster, Alien ne manque pas de plans emblématiques… En 1982, ILM entame son grand chelem. Brian Johnson, Richard Edlund, Dennis Muren et Bruce Nicholson sont récompensés pour L’Empire contre-attaque. Notons par ailleurs que Dennis Muren reste à ce jour le superviseur des effets spéciaux le plus titré, avec huit statuettes pour quinze nominations ! Si cet Épisode V de la saga Star Wars ne semble pas – sur le papier — aussi innovant que son prédécesseur, il regorge – comme vous le savez – de séquences nécessitant des mois de travail au sein des nouveaux locaux d‘ILM, près de San Francisco. La bataille sur la planète glacée Hoth (dont les quadripodes impériaux sont animés en stop-motion), la poursuite dans le champ d’astéroïdes, le duel entre un père et son fils dans la Cité des nuages sont autant de morceaux de bravoure qui enthousiasmeront et enflammeront l’imagination des spectateurs. L’année suivante, une autre production Lucasfilm, Les Aventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost Ark), permet à Richard Edlund, Kit West, Bruce Nicholson et Joe Johnston d’obtenir un Oscar, au nez et à la barbe d’une autre équipe d’ILM, nommée pour Le Dragon du lac de feu. La résolution de l’intrigue, avec ces nazis qui se liquéfient littéralement après avoir ouvert l’Arche de l’Alliance, n’y est pas étrangère. En 1983, malgré la nomination de Blade Runner et Poltergeist, Carlo Rambaldi et Dennis Muren reçoivent un nouvel Oscar pour E.T. l’extra-terrestre. La créature – dont la tête était, lors de nombreux plans, une marionnette animatronique – parait tellement vivante que le spectateur en oublie sa nature factice. Il n’est guère étonnant que l’épilogue ait provoqué de nombreux pleurs… Abonnés au succès, Richard Edlund, Dennis Muren, Ken Ralston et Phil Tippett sont récompensés en 1984 pour Le Retour du Jedi, dont les 900 plans truqués bénéficient de tout le savoir-faire accumulé par ILM durant ces premières années d’existence. Certains plans de la bataille spatiale ont nécessité la combinaison de plusieurs dizaines de prises de vues de maquettes distinctes ! Même si les créateurs des effets spéciaux de S.O.S. Fantômes et 2010, l’année du premier contact ne déméritent pas, ILM poursuit sur sa lancée en obtenant un Oscar pour Indiana Jones et le Temple maudit (Indiana Jones and the Temple of Doom). Avouons que la poursuite en wagonnets de mine – dans lesquels on peut parfois apercevoir un Indy animé image par image ! — mérite à elle seule la reconnaissance de l’industrie hollywoodienne… En 1986, l’Oscar est attribué à Cocoon, dont les trucages ont été créés par… ILM (qui était également nommé pour son travail sur Le secret de la pyramide, où un chevalier en deux dimensions s’extirpe d’un vitrail grâce aux images de synthèse). En 1987, l’exception confirme la règle. Aucun membre d’Industrial Light & Magic ne monte sur scène pour récupérer sa statuette. Ce sont Robert Skotak, Stan Winston, John Richardson et Suzanne Benson qui sont récompensés pour le formidable travail réalisé sur Aliens, le retour. Et ce, malgré l’absence de H.R. Giger. Pour sa première rencontre avec Ripley, la Reine Alien, conçue par le regretté Stan Winston, fut construite en taille réelle ; pas moins d’une quinzaine de personnes œuvraient de concert afin d’animer ce mastodonte ! L’année suivante, ILM renoue avec ses habitudes grâce à L’Aventure intérieure (Innerspace), remake officieux du Voyage fantastique. Un film dans lequel Dennis Quaid se retrouve dans un véhicule miniaturisé explorant un corps humain. Le résultat est plus que convainquant : difficile de faire mieux sans l’aide des images de synthèse. Ce qui ne saurait tarder… Notons que Predator était alors l’autre nommé dans la catégorie des meilleurs effets visuels. En 1989, Ken Ralston, Richard Williams, Edward Jones et George Gibbs remportent l’Oscar grâce à la combinaison parfaite entre les acteurs et les « toons » de Qui veut la peau de Roger Rabbit ? (Who Framed Roger Rabbit). Avant d’obtenir le résultat que l’on connait, plusieurs années de travail furent nécessaires – le film ayant été fait en trois étapes : le tournage des prises de vues réelles, l’animation traditionnelle et le compositing combinant tous les éléments (à l’aide d’un complexe et fastidieux système de caches). Rien que pour la partie animation, près de 82 000 images ont ainsi été produites. Sans oublier que 10 000 éléments distincts ont été combinés par les magiciens d’ILM pour obtenir les 1040 plans truqués du film de Robert Zemeckis. Un travail de titan, d’autant plus remarquable que le studio de George Lucas œuvrait sur un autre film nommé à l’Oscar, Willow. En 1990, le travail des techniciens d’ILM est salué pour les fameux pseudopodes d’Abyss, réalisés en images de synthèse. Mais le film de James Cameron regorge également de superbes maquettes. En 1991, Eric Brevig, Rob Bottin, Tim McGovern et Alex Funke réussissent à court-circuiter leurs confrères d’Industrial Light & Magic en obtenant l’Oscar pour Total Recall. Le film de Paul Verhoeven va cependant marquer la fin d’une ère : seule une scène est réalisée à l’aide du numérique (le détecteur d’armes permettant de voir les squelettes).



L’année suivante, ILM signe une nouvelle révolution technologique avec le T1000 de Terminator 2 : Le Jugement dernier (Terminator 2: Judgment Day). S’il n’est pas intégralement réalisé par ordinateur (Robert Patrick portait parfois des prothèses), cet agent de Skynet dispose de capacités jamais vues sur un écran de cinéma. L’essor numérique permettra également à Robert Zemeckis d’imaginer toutes sortes de facéties dans La mort vous va si bien (Death Becomes Her). Un nouvel Oscar pour ILM, remis à Ken Ralston, Doug Chiang, Doug Smythe et Tom Woodruff, Jr. Mais l’histoire a surtout retenu le film suivant, Jurassic Park. Sous la supervision de Dennis Muren, Stan Winston, Phil Tippett et Michael Lantieri, les infographistes du studio créé par George Lucas créent des dinosaures plus vrais que nature. Ce qui a conduit à l’abandon des séquences réalisées en stop-motion, qui devaient être chapeautées par Phil Tippett. L’animation image par image n’a cependant pas été totalement abandonnée : les évolutions des créatures furent réalisées en animant « à la main » de petites répliques bardées de capteurs. Les données captées étaient ensuite répercutées sur les modèles numériques. Le processus de rendu, lui, pouvait durer entre deux et six heures… par image ! Plus de deux décennies plus tard, remarquons que les trucages du film n’ont finalement pas si mal vieilli. En 1995, ILM termine son grand chelem (treize Oscars en quinze ans) sur Forrest Gump, dont les effets visuels sont pour une fois invisibles – Tom Hanks ayant l’occasion de côtoyer John Lennon ou JFK, alors que Gary Sinise perd ses deux jambes. En 1996, malgré la nomination d’Apollo 13 de Ron Howard, les animaux doués de parole de Babe, le cochon devenu berger permettent aux studios Rhythm & Hues d’obtenir la prestigieuse récompense. Lors de la cérémonie suivante, alors que deux films riches en effets numériques, Twister et Cœur de Dragon, tous deux supervisés par ILM, sont en compétition, Volker Engel, Douglas Smith, Clay Pinney et Joseph Viskocil obtiennent l’Oscar pour Independence Day. Pour des raisons économiques, la majorité des 3000 plans truqués (y compris le fameux mur de flamme) du film de Roland Emmerich est réalisée à l’aide de maquettes et autres effets dits « traditionnels ». Les blockbusters devenant de plus en plus ambitieux, les studios d’effets spéciaux vont commencer à se partager les plans d’un film. C’est le cas de Titanic, qui concourrait en 1998 face au Monde perdu de Steven Spielberg et Starship Troopers. Les studios Digital Domain furent épaulés par une quinzaine de structures, dont ILM, Matte World Digital (Hugo Cabret) et Cinesite (Solaris). En 1999, le spectaculaire Armageddon ne fait pas le poids face au voyage en enfer d’Au-delà de nos rêves (What Dreams May Come). La cérémonie de l’an 2000 est marquée par un coup de théâtre. Alors que La Menace Fantôme était, sur le papier, favori, c’est Matrix, réalisé par les frères Wachowski, qui séduit les membres de l’Académie. Rappelons que, outre l’inattendu (ou presque) succès du film, l’effet dit du « bullet time » y fait un début fracassant. Entre les impressionnantes chorégraphies des combats et les « Sentinelles » du monde réel, John Gaeta, Janek Sirrs, Steve Courtley et Jon Thum ont sans doute mérité de coiffer ILM devant la ligne d’arrivée. Sans oublier que la personnalité de Jar Jar Binks a peut-être joué contre son camp. Qui sait ? En 2001, le péplum Gladiator remporte l’Oscar malgré la concurrence d’En pleine tempête et de Hollow Man. De 2002 à 2004, Peter Jackson et les équipes de Weta réussissent à leur tour un grand chelem. La Communauté de l’Année, Les deux tours et Le Retour du Roi obtiennent tous l’Oscar des meilleurs effets visuels. Et pour cause ! Gollum, à lui seul, aurait mérité une statuette (on attend d’ailleurs toujours qu’Andy Serkis, son interprète, soit nommé dans la catégorie du meilleur acteur, malgré ses traditionnels habits numériques). La trilogie du Seigneur des Anneaux était pourtant en compétition avec des longs-métrages dont les effets spéciaux sont exceptionnels : A.I. Intelligence artificielle, Spider-Man, L’attaque des clones, Master and Commander et Pirates des Caraïbes : La malédiction du black Pearl. En 2005, un superhéros prend la succession de Sauron. John Dykstra, Scott Stokdyk, Anthony LaMolinara et John Frazier remportent la statuette grâce au Spider-Man 2 de Sam Raimi – et plus particulièrement le fabuleux combat entre l’homme-araignée et le Docteur Octopus sur le toit d’un métro. Dès l’année suivante, Peter Jackson et Weta obtiennent les louanges de la profession avec le remake de King Kong. Il est vrai que le cinéaste néo-zélandais ne semble avoir mis aucune limite à son imagination débridée, tant les séquences spectaculaires se succèdent. Andy Serkis, lui, interprète un King Kong particulièrement réaliste et… humain. Un Oscar mérité, malgré la concurrence de La guerre des mondes de Steven Spielberg et du Monde de Narnia. En 2007, ILM obtient son premier Oscar depuis douze ans avec Pirates des Caraïbes : Le Secret du coffre maudit (Pirates of the Caribbean : Dead Man's Chest). Face à Poséidon et Superman Returns, les aventures (plus ou moins) maritimes de Johnny Depp permettent à l’illustre studio californien d’ajouter un prix sur leur tableau de chasse. Un certain Davy Jones n’est pas étranger à ce retour espéré de longue date. En 2008, c’est au tour de Michael Fink, Bill Westenhofer, Ben Morris et Trevor Wood d’être récompensé pour leur travail sur À la croisée des mondes : La Boussole d’or (His Dark Materials: The Golden Compass). Le film ne partait cependant pas favori : Transformers et Pirates des Caraïbes : Jusqu’au bout du monde, deux longs-métrages dont les trucages sont signés ILM, semblaient avoir les faveurs des pronostiqueurs. En 2009, malgré une invasion de superhéros (Iron Man et The Dark Knight étaient en compétition), le stupéfiant rajeunissement de Brad Pitt dans L’Étrange Histoire de Benjamin Button permet à Digital Domain et Matte World Digital de s’imposer. Sur le visage de l’acteur qui se métamorphose peu à peu comme dans les décors lentement altérés par le temps qui passe, le travail des artistes de ces studios s’avère effectivement de grande qualité. Le spectaculaire revient sur le devant de la scène en 2010 avec Avatar, le troisième film réalisé par James Cameron à recevoir l’Oscar des meilleurs effets visuels. Mais après tout, le cinéaste canadien a fait ses débuts en tant que concepteur des effets spéciaux pour d’obscures productions de Roger Corman. Créés par de multiples studios, les trucages d’Avatar s’avèrent révolutionnaires – tout comme certaines technologies mises au point pour l’occasion. Malgré toutes leurs qualités, les deux autres films nommés, Star Trek et District 9, ne pouvaient pas rivaliser avec les trésors d’ingéniosité développés par les techniciens qui ont œuvré sur Avatar. Un film que James Cameron envisageait depuis le milieu des années 1990, avant d’attendre les technologies lui permettant de concrétiser sa vision. En 2011, Inception devient le premier film de Christopher Nolan à se voir attribuer l’Oscar des meilleurs effets visuels. Alors que James Cameron faisait appel à la magie du numérique, Christopher Nolan a insisté pour que les trucages soient majoritairement — autant que possible — créés à l’aide de procédés « traditionnels ». Deux visions bien différentes des trucages pour un même résultat : l’émerveillement des spectateurs. Les membres de l’Académie salueront ensuite le travail des équipes de Rob Legato, Joss Williams, Ben Grossmann et Alex Henning sur Hugo Cabret, réalisé par Martin Scorsese (dont c’est le premier film à obtenir l’Oscar des meilleurs effets visuels). Qu’un film rendant hommage au premier magicien du septième art, Georges Méliès, obtienne cette récompense est aussi savoureux qu’un juste retour des choses. Ce long-métrage était pourtant en compétition avec La Planète des singes : Les origines (et son fabuleux César), Transformers 3, Real Steel et l’ultime volet de la saga Harry Potter ! En 2013, L’Odyssée de Pi (Life of Pi) déjoue les pronostics malgré, là encore, une rude concurrence : Prometheus, Avengers, Le Hobbit : un voyage inattendu et Blanche-Neige et le Chasseur. Mais le film d’Ang Lee n’était pas seulement spectaculaire ; les effets visuels contribuaient sans conteste à la poésie dégagée par ce conte. En février 2014, Gravity obtient – évidemment – l’Oscar. À l’instar de James Cameron sur Avatar, le réalisateur Alfonso Cuaron a supervisé l’élaboration de technologies novatrices afin de pouvoir raconter son intense aventure orbitale. Le 22 février 2015, quel film allait avoir l’honneur de rejoindre cette illustre liste ? L’ultime volet des aventures du Hobbit ? Les aventures spatiales des Gardiens de la Galaxie ? Le monstrueux Godzilla ? Le retour de César dans La planète des singes : L’affrontement ? Tous les artistes et techniciens qui ont œuvré sur ces longs-métrages méritent de poser la statuette sur le rebord de leur cheminée. Avec ses images inédites de la galaxie, Interstellar, cependant, faisait figure de favori. Et Paul Franklin, Andrew Lockley, Ian Hunter and Scott Fisher montèrent effectivement sur scène pour recevoir une statuette bien méritée.



Christopher Nolan aura toutefois une longue route à parcourir avant de rejoindre un fameux petit club des cinéastes. Celui dont la filmographie de ses membres compte au moins trois films dont les effets spéciaux ont été salués par l’ensemble de l’industrie du cinéma américain : James Cameron, Richard Fleischer, Steven Spielberg, Peter Jackson, Robert Zemeckis (et, indirectement George Lucas). Des noms qui résonnent forcément auprès des amateurs de mondes imaginaires. Et pour cause : les effets spéciaux ne sont que des outils au service – le plus souvent - du fantastique et de la science-fiction. De nos jours, après plusieurs décennies de progrès, la seule limite reste l’imagination.

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