Crimson Peak – Guillermo del Toro & sa maison hantée – 2ème partie
Article Cinéma du Mardi 16 Juin 2015

Alors qu’elle tente d’échapper aux fantômes de son passé, Edith Cushing, une jeune apprentie romancière, est déchirée entre l’amour qu’elle porte à son ami d’enfance, Alan McMichael, et son attirance pour un mystérieux, mais charmant inconnu, Sir Thomas Sharpe. Au grand dam d’Alan, amoureux transi, elle épouse le fortuné et charismatique anglais avant d’emménager dans sa sombre demeure. Mais Thomas Sharpe et sa sœur, la jalouse Lady Lucille Sharpe, dissimulent de sombres secrets…

L’histoire d’amour, auquel sera consacré le premier acte, deviendra évidemment de plus en plus inquiétante par la suite. La décadente maison est sans conteste la véritable vedette de Crimson Peak. Elle s’humanise littéralement au cours du récit ! «Il existe une véritable progression sonore», souligne Guillermo del Toro, tout en saluant le travail du sound designer Randy Thom. Le manoir «respire, saigne et se souvient», indique d’ailleurs le synopsis. La maison hantée s’apparente, en quelque sorte, à un gigantesque organisme en décomposition. «Elle pourrit au milieu d’un champ», précise le réalisateur. «Nous savions donc que son sommet devait être la partie la plus altérée de la maison. Si le sommet est une tête et que les personnages du film sont fous… À l’inverse, les salles où vous souhaitez recevoir des visiteurs sont dans un meilleur état». Guillermo del Toro voue une affection particulière pour ces vieilles et inquiétantes bâtisses. Il déclare sans hésiter que son film de maison hantée favori est Une soirée étrange (Old Dark House, 1932) de James Whale, avec Boris Karloff et Charles Laughton. «Grâce à un sens de l’humour particulier, ce film est effrayant d’une manière que personne d’autre n’a été en mesure de reproduire». Il cite également La Maison du diable (The Haunting), réalisé par Robert Wise en 1963, et Les Innocents (The Innoncents, Jack Clayton, 1961) comme influences majeures du film. Soit deux grands classiques, deux thrillers d’épouvante multi-récompensés, qui ont glacé d’effroi plus d’un spectateur… Un autre terrifiant film d’horreur, plus récent, mais depuis longtemps considéré comme un classique du septième art, a également inspiré le cinéaste. «The Shining est un autre Mont Everest des films de maisons hantées», s’enthousiasme-t-il. À l’instar de cet illustre ainé, la bande-annonce de Crimson Peak laisse d’ailleurs penser que l’horreur sera autant psychologique que physique.

Une maison vivante

Guillermo del Toro précise qu’il s’agit d’une histoire de fantômes simultanément classique et moderne. «Cela me permet de jouer avec les conventions d’un genre que je connais bien et que j’apprécie, tout en détournant les règles». Ce qui promet plusieurs séquences sanglantes, qui vont provoquer l’interdiction du film aux mineurs (aux États-Unis). «Crimson Peak est une romance gothique traditionnelle, qui peut cependant devenir très violente — physiquement, viscéralement». Certaines scènes devraient être particulièrement graphiques. «Dans ces moments-là, la violence est assez choquante», prévient le réalisateur, qui ne compte pas censurer sa vision. «Sans la scène de la bouteille du Labyrinthe de Pan, ce n’aurait pas été le film», ajoute-t-il en faisant référence à une séquence peu ragoutante. Il compte ainsi jouer sur le contraste entre la romance et ces instants brutaux. Pour la première fois depuis L’Échine du Diable, le cinéaste a même tourné quelques plans coquins. «Il y a même un peu plus de perversité dans Crimson Peak», précise-t-il. «Mais il est vrai que la barre n’était pas très haute. Ce n’est pas Nymphomaniac avec des fantômes !» Jessica Chastain, qui incarne Lady Lucille Sharpe, a déjà révélé qu’il y aurait une scène de sexe avec celui qui joue son frère, Tom Hiddleston (au grand plaisir des fans de l’interprète de Loki). « Certaines scènes seront extrêmement perturbantes. Le film est destiné aux adultes, et uniquement aux adultes », promet Guillermo del Toro, qui inscrit donc son film en héritier d’une fabuleuse lignée. Autant dire que les amateurs de Cronos et de L’Échine du diable attendent Crimson Peak au tournant ! Les fans des longs-métrages « hollywoodiens » du réalisateur risquent d’être surpris. Jusqu’à maintenant, de Blade 2 à Pacific Rim, ses œuvres réalisées aux États-Unis étaient volontiers spectaculaires et destinées à un plus jeune public. «Crimson Peak est un bien plus petit film, qui repose totalement sur les personnages», prévient-il. «Ce sera très différent de tout ce que j’ai fait en langue anglaise». Ce qui ne signifie pas que Crimson Peak sera forcément une entrée mineure de sa filmographie. «J’ai toujours voulu faire des films d’horreur à grand spectacle, comme La Malédiction et L’Exorciste», précise-t-il, avant de prédire que les spectateurs sont peut-être fatigués du style proposé par les plus récents films d’horreur. «Les found footages et les petits budgets qui se déroulent dans les foyers de la classe moyenne américaine ne sont plus vraiment surprenants. Ils ont aussi tendance à aborder la religion. Or je ne peux souscrire à une religion pour dire : regardez, si vous faites ceci, le fantôme va disparaitre !» Il envisage donc une œuvre plus ambitieuse. «La Maison du diable était un film à gros budget, superbement mis en scène, avec une superbe maison hantée». Crimson Peak représente donc un retour à une vision plus grandiose, un hommage qui propulse le récit classique du manoir hanté dans le cinéma du XIXe siècle. Le cinéaste a évidemment consacré beaucoup de temps et d’énergie à mettre au point une maison parfaite. Après tout, elle est censée être un personnage à part entière ! Le moindre détail, chaque recoin est dessiné en amont de la construction. Au départ, Guillermo del Toro comptait simplement tourner dans un vieux manoir, qui aurait été repéré en amont. En 2006, le projet était en effet bien moins ambitieux. Lorsque le cinéaste décide de réaliser le film, en 2012, il sait qu’il aura besoin de construire la demeure pour concrétiser sa vision. Au final, le design évolue considérablement, et le décor sera très différent de ce qui était décrit dans le script original. La direction artistique s’inspire désormais de l’Abbaye gothique de Fonthill, en Angleterre, dont les tours se sont successivement écroulées. «Je dispose d’un tout petit groupe de designers, qui participe à tous mes films. Nous avons dessiné le moindre accessoire qui allait être construit, en l’espace de six mois». Le cinéaste dispose d’un budget confortable, mais serré ; Crimson Peak n’est pas un blockbuster. Au choix, Guillermo del Toro préfère toutefois sacrifier le budget sur l’autel de sa créativité. «Je voulais tourner ce film en toute liberté. Je pense qu’une partie de mon métier est de gérer les restrictions de budget et de créativité. Or je préfère me sentir libre, peu importe le budget». Avant de construire l’énorme décor de la maison, le directeur artistique Thomas E. Sanders (Braveheart, Il faut sauver le soldat Ryan) en a réalisé une maquette extrêmement détaillée. Cette étape supplémentaire, entre les dessins de production et la construction des décors, a notamment permis au réalisateur de préparer ses cadrages. Fin 2013, alors qu’il supervise la postproduction du pilote de The Strain, la construction du décor débute à Toronto, au Canada (où il habite). «Je vais certainement racheter plein d‘accessoires», s’amuse ce collectionneur patenté. Pendant ce temps, la responsable des costumes, Kate Hawley (la trilogie du Hobbit), supervise la confection des nombreux habits d’époque. Guillermo del Toro n’aura bientôt plus qu’à accueillir ses comédiens…

En territoire connu

Peu après l’annonce de projet, Charlie Hunnam avait déjà signé pour retrouver le réalisateur de Pacific Rim. Il incarne ainsi le Dr Alan McMichael, ami d’enfance et amoureux transi d’Edith Cushing. Benedict Cumberbatch (Star Trek into Darkness) et Emma Stone (The Amazing Spider-Man) obtiennent ensuite les rôles de Thomas Sharpe et Edith (dont le nom est indéniablement un hommage à un — très — grand acteur du fantastique). Mais des conflits d’emploi du temps les contraindront à quitter le navire avant le tournage. Ils seront respectivement remplacés par Tom Hiddleston (Avengers) et Mia Wasikowska (Jane Eyre, Alice au pays des merveilles). «Mia était mon premier choix après Emma», explique Guillermo del Toro. «Je suis béni ! Tom Hiddleston, quant à lui, nous a rejoints trois jours après le départ de Benedict. Je crois qu’il a lu le scénario en une nuit. J’avais besoin d’acteurs qui pourraient embrasser la nature perverse de l’humanité. C’est un film à la fois très sombre et très humain». Ce jeu de chaises musicales provoque de légères réécritures du script, afin que les personnages correspondent mieux à leurs nouveaux interprètes. Ce processus se déroule naturellement, en discutant avec les acteurs. La distribution est complétée par Jessica Chastain (Interstellar), Burn Gorman (« Torchwood »), Jim Beaver (les séries « Supernatural » et « Justified »), Leslie Hope (« 24 heures chrono ») et Doug Jones. «Lorsque j’ai envoyé le script à Jessica Chastain, tout le monde pensait qu’elle allait jouer Edith», se souvient le réalisateur. «Après l’avoir lu, elle m’a dit qu’elle voulait jouer Lucille, l’antagoniste. C’était une surprise ! Elle est brillante…» Doug Jones est un fidèle collaborateur de Guillermo del Toro, que l’on a souvent vu grimé sous des maquillages ; il a notamment joué Abe Sapien dans les Hellboy, ainsi que l’Homme pâle et le Faune du Labyrinthe de Pan. Il incarne, avec Javier Botet, les fantômes hantant la demeure des Sharpe. Début 2014, la construction du gigantesque décor de la maison, au Canada, est terminée. «Nous avons créé une demeure victorienne de trois étages, totalement fonctionnelle», s’enthousiasme le réalisateur, qui s’avoue ravi de travailler à Toronto. «J’ai réalisé cinq projets ici. J’adore cette ville, cette culture, ces gens, cette nourriture, ces librairies…» Sans oublier le confort d’être en territoire connu. Le tournage de Crimson Peak s’est principalement déroulé aux Pinewood Toronto Studios du 10 février au 14 mai 2014. Les extérieurs, quant à eux, ont été réalisés dans cette même région de l’Ontario. «J’ai tourné Pacific Rim en cent jours, Hellboy en 135 et le pilote de The Strain en 20. Terminer Crimson Peak en seulement 68 jours ? C’est fantastique», s’exclame Guillermo del Toro, qui s’est plongé dans le montage du film dès les premières prises de vues. Ce qui n’empêchera pas de consacrer, au final, plus d’un an à la postproduction de film ! Les fantômes étaient pourtant « physiquement » présents sur le tournage, afin que les acteurs puissent réagir à leurs apparitions… Le fabuleux décor de la demeure hantée, lui, a depuis été détruit. D’ici la sortie de Crimson Peak en fin d’année, Guillermo del Toro, qui a œuvré sur la deuxième saison de The Strain à la fin 2014, va continuer à superviser la préproduction de son Pacific Rim 2, dont le tournage devrait débuter en décembre. D’ici là, il comptait réaliser un petit film, très personnel. «Je dors quatre heures par nuit», explique-t-il. «Une fois, j’ai dormi huit heures, et j’ai adoré ça ! J’ai compris pourquoi les gens passaient autant de temps au lit». Dans ces conditions, nous rêverions tous, sans doute, de montagnes hallucinées…

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