Fringe : au-delà des limites de la science
Article TV du Mercredi 17 Juin 2009

Par Pierre-Eric Salard

Dernière production télévisuelle du prolifique J.J. Abrams (Lost, Alias), Fringe s'annonce comme la série SF-évènement de la rentrée américaine. En panachant des éléments de ses précédents feuilletons, Abrams accouche d'une oeuvre proche de la mythique série X-Files. Mais cette comparaison est réductrice : car la série que la chaîne Fox s'apprête à diffuser possède de sérieux atouts pour séduire aussi les amateurs de fantastique. « Fringe science » signifie littéralement « les franges de la science », c’est à dire tout ce qui concerne les domaines paranormaux : réanimation, téléportation, projection astrale, contrôle par la pensée... En ce nouveau millénaire, les frontières entre la science et la fiction s’amenuisent, et l’on comprend que J.J. Abrams ait voulu franchir ce pas...

Un début choc

L’introduction du premier épisode nous montre le vol international 627 atterrir en pilotage automatique à l'aéroport Logan de Boston. Lorsque les autorités découvrent que les passagers et membres d'équipage sont morts d'une manière particulièrement sanglante, l'agent du FBI Olivia Dunham est chargée de mener l'enquête. Mais l'investigation s'annonce particulière ardue. Après que son coéquipier (et amant), l'agent spécial John Scott, manque d'être tué, Olivia se met à chercher désespérément une autre personne susceptible de l'aider. Sa quête la pousse à contacter un scientifique de génie, le docteur Walter Bishop, digne successeur d’Albert Einstein. Mais Olivia doit résoudre un petit problème avant de pouvoir solliciter l’aide du scientifique : fortement dérangé, il est interné dans un asile depuis 17 ans ! Pour réussir à approcher le docteur, la jeune femme rencontre son fils, Peter Bishop, qui le considère presque comme un étranger. Olivia va devoir convaincre Peter de laisser son ressentiment de côté afin de venir l’aider à mener l'enquête. Le trio insolite rencontre alors Nina Sharp, une femme étrange et manipulatrice, qui est cadre au sein de Massive Dynamics, multinationale spécialisée dans la production de robots, armes, produits pharmaceutiques et autres miracles de la science contemporaine. Aux côtés des agents du FBI Phillip Broyles, Charlie Francis et Astrid Farnsworth, John, Olivia et Peter découvriront que le vol 627 n'est que la partie visible d'une vérité plus grande, plus inquiétante, qui menace toute la Terre...



Un trio gagnant

Produite par Bad Robot (Alias, Lost, Felicity) en association avec Warner Bros Television, la série Fringe est la quatrième collaboration entre J.J. Abrams et le tandem de scénaristes Roberto Orci et Alex Kurtzman (Transformers) après la série Alias et les films Mission : Impossible 3 et Star Trek (qui ne sortira qu'au printemps prochain sur le grand écran). Lors d'un moment de détente entre amis, Abrams, Orci et Kurtzman ont eu l'idée du scénario de Fringe. « Nous discutions simplement du genre de série que nous aimerions voir à la télévision », explique J.J. Abrams. « Comme la plupart des projets que je crée et produis, l'origine de Fringe se trouve dans tout ce que j'aime regarder, dans mes passions. L'idée a été inspirée par de multiples sources, parmi lesquelles on peut citer les romans de Michael Crichton, la série The X-Files et le film de Ken Russel Altered States [Au-delà du réel, 1980, à ne pas confondre avec la série éponyme]. Je sais bien que c'est une déclaration insipide, mais la vérité est aussi simple que ça ! » Les carrières du trio sont extrêmement prolifiques : J.J. produit déjà Lost tout en tournant le film Star Trek, alors qu'Orci et Kurtzman alternent entre leurs casquettes de producteurs et scénaristes. Ils ne peuvent donc pas participer activement à la production de leur dernière création. Ils engagent alors un homme de confiance, Jeff Pinkner, pour lui donner la fonction difficile de producteur/showrunner de Fringe. ?

Une grande famille

Pinkner est un vétéran des productions d'Abrams. Il a produit 44 épisodes d'Alias et 22 de Lost, tout en écrivant seize segments sur ces deux séries – dont le magnifique « L'homme de Tallahassee » de la troisième saison de Lost. Abrams a donc une totale confiance en Jeff Pinkner. « Jeff est l'un des premiers scénaristes que nous avions engagés pour Alias », explique Abrams. « Un certain nombre des auteurs et réalisateurs des épisodes de Fringe viennent de la même famille, celle de Bad Robot. J'ai l'habitude de travailler avec eux, nous sommes rôdés ! Ma participation à Fringe est simple. Premièrement, c'est une série que j'ai co-créé et à laquelle je fais très attention. Deuxièmement, Jeff s'en occupe quotidiennement, et nous en discutons mille fois par jours ! En plus, je passe souvent dans la salle des auteurs... La série est également produite par Bryan Burk (Lost) et Bob Williams (Felicity). Nous avons déjà tous travaillé ensemble. Dans ces conditions, il est beaucoup plus facile de communiquer, et donc de faire progresser un tel projet ». Dans le cas de Fringe, J.J. Abrams a commencé par expliquer à Jeff Pinkner quel genre d'ambiance et de rythme il désirait. « Nous avons discuté de chaque détail du pilote, et avons débattu de chaque étape importante afin de partager une vision commune. C'est très important de travailler conjointement, surtout lorsqu'on débute un tel projet. A l'instar de ma collaboration avec Damon Lindelof, avec qui j'ai créé Lost. Heureusement qu'il supervise cette série ! Grâce à lui, ma participation à Lost est très limitée. Au bout d'un moment, je n'étais plus utile : Damon prenait toutes les bonnes décisions ! Tant que je peux aider à lancer la trajectoire d'une série et, si besoin, être utile... Mais j'ai l'intention d'écrire et réaliser des épisodes de Fringe, et de profiter du fait que nous tournons à New York ! C'est une chance d'avoir une telle opportunité... »

Un casting surprenant

La série tourne autour de trois personnages très différents : l'agent du FBI Olivia, le scientifique excentrique Walter Bishop et l'atypique Peter Bishop. Ce trio fait équipe pour lutter contre une mystérieuse conspiration scientifique, dont les expériences ont des conséquences terrifiantes. A l'instar des autres productions de Bad Robot, il est crucial d'engager des comédiens capables de donner une consistance à ces personnages. Jusqu'à présent, Abrams a toujours brillamment réussi son casting féminin, comme en témoignent les prestations de Keri Russell (Felicity), Jennifer Garner (Alias) et Evangeline Lilly (Lost). « Nous avons rencontré de très nombreuses actrices, toutes excellentes », explique Abrams. « Mais il leur manquait cette qualité indescriptible que nous recherchions. Au dernier moment, nous avons vu une audition que l'australienne Anna Torv avait faite pour une série ». Torv est alors complètement inconnue du public américain. « Elle nous a immédiatement conquise », renchérit Jeff Pinkner. « Elle est la seule actrice qui peut incarner correctement Olivia Dunham ! » Lorsque la production pense avoir trouvé en Joshua Jackson (Dawson) l'interprète idéal pour le rôle du cynique et sarcastique Peter Bishop, Jeff Pinkner ne partage plus cet enthousiasme. Finalement, les talents d'acteur de Jackson lui valent d’obtenir le rôle. « Joshua est un brillant comédien qui retranscrit parfaitement l'intelligence innée de Peter. C'est un personnage compliqué : perpétuellement en fuite, collectionneur de dettes de jeu, il rechigne à aider Olivia et le fait seulement par nécessité ». Le trio est complété lorsque l'acteur John Noble (Le Retour du Roi) obtient le rôle de l'excentrique Walter Bishop, un personnage à mi-chemin entre « le docteur Frankenstein et Albert Einstein » selon Roberto Orci. A l'instar du « Docteur House », le scientifique n'est pas seulement brillant – il est original. Victime de problèmes mentaux, il se comporte étrangement, naïvement, et parfois même dangereusement. « John Noble est un comédien irréprochable, capable de transmettre les traits de caractère de Bishop : capricieux, triste et extrêmement intelligent », déclare Pinkner. Notons la participation de Lance Reddick, qui interprète le personnage récurrent de Matthew Abbadon dans Lost. Il incarne l'agent spécial Phillip Broyles, chef de la division qui enquête sur les évènements paranormaux. « Nous le partagerons avec Damon », s'esclaffe Pinkner. « Si Lance participait à une autre série, ce ne serait pas aussi facile pour Damon de l'obtenir sur Lost ! (rires) »



Aux frontières du réel

Un double-épisode pilote est tourné au début du printemps 2008. Disposant d'un budget de 10 millions de dollars, le réalisateur Alex Graves livre une introduction haletante et pleine de promesses pour la suite. Graves a fait ses armes sur les séries Journeyman, The Nine et A la Maison Blanche. Lorsque ce pilote est présenté aux critiques, les réactions sont globalement positives. Pour E! Online, « c'est d'une qualité égale aux pilotes d'Alias et Lost. La structure narrative est parfaite ; toutes les pièces du puzzle s'emboîtent parfaitement. Si The X-Files et Les Experts avaient un enfant dont le parrain serait Heroes, cela donnerait Fringe ». Selon le New York magazine, « nous n'avons qu'une seule chose à dire : encore, s'il vous plaît ! » Mais certains journalistes regrettent la trop grande ressemblance avec The X-Files. « Oui, la référence de Fringe est la série de Chris Carter », précise J.J. Abrams. « Mais nos personnages sont complètement différents, tout comme Mulder et Scully ne ressemblaient pas au héros de Kolchak, The Night Stalker [la série qui a inspirée The X-Files]. Pour le reste, notre trio affrontera aussi des événements paranormaux, comme dans ces deux séries. Ce serait idiot de ne pas avouer que nous avons puisé notre inspiration dans la Quatrième Dimension ou The X-Files. Je suis un grand fan de ces excellentes séries, et nous trouvions dommage qu'il n'y ait plus de feuilletons de ce genre à la télévision ». Selon Jeff Pinkner, il était inévitable que Fringe soit comparé à The X-Files. « Lorsque j'ai lu le scénario, j'avais la même impression. Or la comparaison s'arrête au fait qu'il s'agit d'une série diffusée sur la Fox, traitant de sujets paranormaux ».

La vérité est ailleurs

Fringe a pourtant tous les ingrédients pour briller aussi longtemps que la série de Chris Carter. Le prologue est terrifiant, une habile mythologie se met en place et les personnages sont originaux et attachants. Le pilote bénéficie de sa propre atmosphère, et les possibilités narratives offertes par les sciences contemporaines sont quasiment infinies. En attendant de découvrir la diffusion de la première saison sur TF1, une série de comics a déjà été annoncée par les éditions Wildstorm. Un numéro zéro a été publié durant l'été 2008 sur Internet : tous les éléments nécessaires pour décrire une conspiration à l'échelle mondiale y sont disséminés. Fringe possède le potentiel d'une grande série. Nous saurons bientôt si nous entendrons parler des frontières de la science pendant les cinq prochaines années...

[En discuter sur le forum]
Bookmark and Share


.